CA Caen, 2e ch. civ. et com., 31 octobre 2019, n° 19/01823
CAEN
Arrêt
Autre
PARTIES
Demandeur :
MJ (SARL)
Défendeur :
Ministère Public, Selarl Ajire (ès qual.), Selarl Bruno Cambon (ès qual.), Mr Lasco International (Sasu)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Briand
Conseillers :
Mme Heijmeijer, Mme Gouarin
Avocats :
Me Pajeot, Me Sauvage, Selarl Thill-Langeard & Associés, Me Guillaume
EXPOSE DU LITIGE
Le tribunal de commerce de Coutances a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'égard de la SAS MR Lasco international par jugement du 5 mars 2019, qu'il a convertie en liquidation judiciaire par jugement du 7 mai 2019 puis a arrêté le plan de cession de l'entreprise au bénéfice de la SARL MJ par jugement du 5 juin 2019.
Le 21 juin 2019 la SARL MJ a fait appel des dispositions du jugement du 5 juin 2019 prononçant l'inaliénabilité pour une durée de deux ans de l'immeuble et du fonds de commerce cédé.
Agissant en exécution d'une ordonnance présidentielle l'y autorisant en date du 26 juin 2019 la SARL MJ a, par actes d'huissier des 2 et 4 juillet 2019, fait assigner à jour fixe la SELARL Ajire ès qualités d'administrateur judiciaire et la SELARL Bruno Cambon ès qualités de liquidateur de la société MR Lasco international ainsi que la dite société devant la cour d'appel de Caen à l'audience du 12 septembre 2019 à 14h.
Dans des conclusions déposées au greffe le 6 septembre 2019 auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé des moyens développés la SARL MJ demande à la cour, au visa des dispositions des articles L 661-6, L 642-10, R642-12 et R 661-3 du code de commerce, de rejeter dans son intégralité l'argumentation des intimés, déclarer recevable et bien fondé l'appel interjeté, statuant à nouveau supprimer purement et simplement l'inaliénabilité prononcée, à titre subsidiaire dire et juger que celle-ci cessera de plein droit sur présentation de l'octroi d'un prêt hypothécaire, condamner la SELARL Ajire en tous les dépens dont distraction au profit de maître Jérémie Pajeot de la SELARL Lexavoué.
Dans des conclusions déposées au greffe le 29 juillet 2019 auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé des moyens développés les SELARL Ajire et Bruno Cambon ès qualités et la SASU MR Lasco international demandent à la cour, au visa des dispositions des articles R 661-3 alinéa 3, L 661- 6 III, L 642-10 et L 642-2 II 7º du code de commerce, de :
- dire et juger irrecevable l'appel engagé par la société MJA à l'encontre du jugement déféré comme étant tardif et la débouter en conséquence de l'ensemble de ses demandes,
- dire et juger que la mesure d'inaliénabilité prononcée par le tribunal de commerce de Caen n'impose pas à la société MJ des charges autres que les engagements qu'elle a souscrits au cours de la préparation du plan,
- déclarer en conséquence l'appel de la société MJ irrecevable,
- la débouter de l'ensemble de ses demandes,
- subsidiairement et au fond confirmer le jugement déféré en ce qu'il a prononcé une mesure d'inaliénabilité temporaire du fonds de commerce et de l'immeuble dépendant de la liquidation judiciaire de la société MR Lasco international pour une durée de deux années,
- condamner la société MJA à payer à chacune des SELARL Ajire et Bruno Cambon ès qualités une indemnité de 1 500 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens d'appel.
A l'audience du 12 septembre 2019 A et B, délégués du personnel, ont fait valoir leurs observations et se sont déclarés favorables à la levée de la clause d'inaliénabilité.
Le ministère public s'en est rapporté sur la recevabilité et sur le fond n'a pas d'objection à ce que la clause soit levée.
MOTIFS DE LA DECISION
Si dans le dispositif de leurs conclusions les intimées demandent à la cour de déclarer l'appel irrecevable au motif qu'il serait tardif elles ne développent aucun moyen en rapport avec cette demande dans les motifs de leurs conclusions.
Aux termes des dispositions de l'article L661-6 - III du code de commerce 'le cessionnaire ne peut interjeter appel du jugement arrêtant le plan de cession que si ce dernier lui impose des charges autres que les engagements qu'il a souscrits au cours de la préparation du plan'.
Les intimées demandent à la cour de déclarer l'appel du seul chef du dispositif du jugement prononçant l'inaliénabilité irrecevable ,d'une part parce que c'est l'ensemble du dispositif indivisible qui aurait dû être visé dans la déclaration d'appel, et d'autre part parce que le cessionnaire ne peut interjeter appel du jugement arrêtant le plan de cession que si ce dernier lui impose des charges autres que les engagements qu'il a souscrits au cours de la préparation du plan et que tel n'est pas le cas en l'espèce.
Mais sauf à ajouter au texte rien dans les dispositions de l'article L661-6 - III du code de commerce précitées ne contraint le cessionnaire à faire appel de la totalité des dispositions du jugement arrêtant le plan de cession lorsqu'il ne conteste que certaines d'entre elles.
Ce texte soumet uniquement la recevabilité de son appel à la démonstration que le plan de cession adopté "lui impose des charges autres que les engagements qu'il a souscrits au cours de la préparation du plan".
En l'espèce il ressort de la décision déférée que la question de l'inaliénabilité de l'immeuble et du fonds de commerce cédés a été débattue devant le premier juge, qu'à cette occasion la société cessionnaire a attiré l'attention du tribunal de commerce de Coutances "sur le fait que s'il y a interdiction d'aliéner l'immeuble, ils rencontreront une difficulté pour le financement. Juridiquement une banque peut financer sans autorisation de céder , mais une hypothèque est impossible si le bien est inaliénable".
En effet et contrairement à ce que soutiennent les intimées un bien frappé d'inaliénabilité n'est pas susceptible d'hypothèque conventionnelle comme ne se trouvant pas dans le commerce.
Or il ressort également de la décision déférée que le tribunal de commerce qui l'avait demandé, s'est vu remettre en cours de délibéré par la société cessionnaire 'un courrier du crédit du nord attestant que la position des comptes de X… peut lui permettre de débloquer la somme de 450 000 € et que la demande de financement concernant le projet d'investissement de la reprise de l'usine Lasco est à l'étude avec une prise de garantie sur le financement des murs, hypothèque ou privilège de prêteur de deniers'.
Il est ainsi établi que l'offre prévoyait le financement par l'emprunt des travaux indispensables à la rénovation de l'outil de production d'un coût de 450 000 €, que la banque partenaire ne l'accorderait que moyennant des garanties dont l'inscription d'une hypothèque sur les biens financés, que l'inaliénabilité de l'immeuble et du fonds de commerce compromettant le financement du projet par son partenaire financier en lui interdisant de recourir à un emprunt hypothécaire la société cessionnaire ne pouvait y souscrire.
En déclarant inaliénables pour deux ans l'immeuble et le fonds de commerce cédés le jugement déféré impose donc à la société MJ une charge autre que les engagements souscrits au cours de la préparation du plan.
Par conséquent l'appel des dispositions litigieuses doit être déclaré recevable.
En compromettant le financement par l'emprunt de la rénovation de l'outil de production prévue par le plan et effectivement engagée la clause d'inaliénabilité critiquée compromet la réussite du plan de cession et la pérennisation attendue de l'activité exploitée et des treize emplois qui y sont attachés.
La consignation par la société cessionnaire du prix de cession de 280 000 €, l'engagement effectif des travaux de rénovation et de deux nouveaux salariés dans la perspective d'une reprise de l'activité à la fin du mois d'octobre 2019 attestent de la volonté de la société cessionnaire et de ses dirigeants d''investir durablement dans l'entreprise afin d'atteindre l'objectif assigné au plan de cession à savoir pérenniser l'activité.
Au regard de l'ensemble de ces éléments la clause d'inaliénabilité se révèle un frein à la réalisation de ces objectifs.
Par conséquent les intimées doivent être déboutées de leur demande tendant à ce qu'elle soit ordonnée, le jugement déféré étant réformé en conséquence.
Partie perdante la SELARL Ajire ès qualités sera déboutée de sa demande au titre des frais irrépétibles et condamnée aux dépens de la procédure d'appel.
L'équité ne commande pas de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au profit de la SELARL Cambon ès qualités qui doit être déboutée de sa demande fondée sur ce texte.
PAR CES MOTIFS
Statuant par arrêt contradictoire et par mise à disposition au greffe,
Déclare l'appel recevable,
Réforme le jugement rendu le 5 juin 2019 par le tribunal de commerce de Coutances dans ses dispositions prononçant l'inaliénabilité de l'immeuble et du fonds de commerce cédés pour une durée de deux ans en application des dispositions des articles L 642-10 et R 642-12 du code de commerce, ordonnant la publication sans délai de cette mesure et rappelant la nécessité pour la cessionnaire de saisir le tribunal aux fins d'obtenir l'autorisation d'aliéner l'immeuble et /ou le fonds de commerce,
Statuant à nouveau sur les dispositions réformées et y ajoutant,
Dit n'y avoir lieu de prononcer l'inaliénabilité de l'immeuble et du fonds de commerce cédés,
Déboute les SELARL Ajire et Cambon ès qualités de leur demande contraire et de celles relatives aux frais irrépétibles,
Condamne la SELARL Ajire aux dépens de la procédure d'appel.