Livv
Décisions

Cass. crim., 22 octobre 1997, n° 97-84.243

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Culié

Rapporteur :

Mme Ferrari

Avocat général :

M. Cotte

Avocat :

M. Bouthors

Douai, du 04 juill. 1997

4 juillet 1997

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 6 et 13 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 23 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 modifiée, portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques, 138-12°, 520, 592 et 593 du Code de procédure pénale, ensemble violation des droits de la défense :

 

" en ce que la chambre d'accusation n'a pas annulé l'ordonnance du juge d'instruction, ayant interdit l'exercice professionnel d'un avocat et a confirmé l'interdiction ainsi prononcée ;

 

" aux motifs que l'article 138, alinéa 2-12° du Code de procédure pénale impose au juge d'instruction, lorsque l'activité concernée par l'interdiction d'exercice d'une profession est celle d'un avocat, de saisir le conseil de l'Ordre qui statue comme il est dit à l'article 23 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques ; que pour autant l'article 138, alinéa 2-12° n'impose pas au juge d'instruction, lorsqu'il interdit à un avocat l'exercice de sa profession, de subordonner sa décision à celle du conseil de l'Ordre qu'il saisit, conformément aux dispositions susvisées, pour lui permettre d'en tirer, au seul plan disciplinaire et au regard des règles de la profession, toutes conséquences utiles ; qu'en l'espèce le magistrat instructeur a interdit à Me Jacques X... l'exercice de sa profession par ordonnance de placement sous contrôle judiciaire du 11 juin 1997 et a saisi, conformément aux dispositions de l'article 138, alinéa 2-12° du Code de procédure pénale, le conseil de l'Ordre des avocats du barreau de Lille suivant requête au bâtonnier de l'Ordre en date du 12 juin 1997, reçue le 13 juin ; qu'aucune irrégularité n'a en conséquence été commise de ce chef ;

 

" que l'exigence d'un "débat contradictoire" ne vaut... (article 145 du Code de procédure pénale) que si le juge d'instruction envisage de placer la personne mise en examen en détention provisoire ; qu'en l'espèce, aucune disposition légale n'obligeait le magistrat instructeur à procéder à un tel débat, dès lors qu'il n'envisageait qu'un placement sous contrôle judiciaire de Me Jacques X... ; que l'article 6.3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, dont la violation est invoquée par la défense de Me X..., dispose que tout " accusé " a droit notamment à être informé dans les meilleurs délais de la nature des fautes qui lui sont reprochées et doit pouvoir disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense ; qu'en l'espèce, au moment de sa mise en examen et de son placement sous contrôle judiciaire, Me X... était assisté de Me Z..., avocat qu'il avait choisi pour assurer sa défense et qui a pu consulter le dossier de la procédure et s'entretenir librement avec lui, avant toute explication qu'il souhaitait donner immédiatement sur le fond ainsi qu'il résulte des mentions portées sur le procès-verbal de première comparution (D. 103) ; que les dispositions de l'article 6.3 de la Convention européenne des droits de l'homme ont ainsi été respectées ;

 

" 1° alors que, d'une part, le juge d'instruction qui envisage de prononcer une interdiction d'exercice professionnel à l'encontre d'un avocat, doit d'abord saisir le conseil de l'Ordre et demeure incompétent pour prononcer pareille mesure tant que le conseil de l'Ordre n'a pas statué conformément aux dispositions de l'article 23 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 ;

 

" 2° alors que, d'autre part, une interdiction d'exercice professionnel, désormais prononcée par ordonnance juridictionnelle, porte atteinte à des " droits et obligations de caractère civil " au sens de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme et ne peut en conséquence être rendue sans la garantie préalable d'une procédure équitable ; que méconnaît ces exigences, l'ordonnance qui se borne à viser les seules réquisitions du parquet sans indiquer si la défense a été informée ou entendue dans le cadre d'une véritable procédure contradictoire, en sorte que la chambre d'accusation aurait dû annuler l'ordonnance rendue dans ces conditions " ;

 

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que K..., partie civile dans une information judiciaire pour viol en réunion sur sa personne, a déposé plainte contre personne non dénommée en exposant que son avocat lui avait fait part de ce que les personnes poursuivies lui proposaient le versement d'une somme de 300 000 francs en échange " de son silence " ;

 

Qu'après l'ouverture d'une information, mise sous surveillance des lignes téléphoniques professionnelles de certains des avocats de la procédure et perquisitions en leur cabinet, Jacques X..., conseil de l'un des coinculpés, a été mis en examen le 11 juin 1997 pour subornation de témoin ;

 

Qu'aussitôt le juge d'instruction l'a placé sous contrôle judiciaire comportant notamment l'interdiction d'exercer la profession d'avocat ; que, le lendemain 12 juin, le magistrat instructeur a saisi le conseil de l'Ordre des avocats en application de l'article 138, alinéa 2-12° du Code de procédure pénale ;

 

Que Jacques X... a relevé appel de l'ordonnance du juge d'instruction et conclu à l'annulation de celle-ci en soutenant, d'une part, que le conseil de l'Ordre aurait dû être saisi préalablement à la décision et, d'autre part, qu'en méconnaissance de l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, le magistrat instructeur ne l'avait pas informé de son intention de prendre une mesure d'interdiction professionnelle, le privant ainsi de la possibilité d'exercer sa défense ;

 

Que, pour écarter ces moyens de nullité, la chambre d'accusation relève que la décision est régulière au regard des dispositions de l'article 138 précité, faisant obligation au juge d'instruction, lorsque l'activité concernée par l'interdiction d'exercice d'une profession est celle d'avocat, de saisir le conseil de l'Ordre qui statue comme il est dit à l'article 23 de la loi du 31 décembre 1971 ;

 

Que les juges retiennent par ailleurs qu'aucun texte ne prescrit la mise en oeuvre d'un débat contradictoire lorsque le juge d'instruction envisage un placement sous contrôle judiciaire comportant une interdiction professionnelle, cette procédure n'étant prévue par l'article 145 du Code de procédure pénale qu'en matière de détention provisoire ; qu'ils ajoutent qu'au moment de sa mise en examen et de son placement sous contrôle judiciaire, Jacques X... était assisté de l'avocat de son choix, lequel avait pu consulter la procédure et s'entretenir avec lui avant toute explication qu'il souhaitait fournir sur le fond ; qu'ils en déduisent que les droits de la défense n'ont pas été méconnus et qu'il a été satisfait aux exigences de l'article 6.3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme ;

 

Attendu qu'en se déterminant ainsi, la chambre d'accusation a justifié sa décision sans encourir les griefs allégués ;

 

Qu'en effet l'article 138, alinéa 2-12° du Code de procédure pénale impose seulement au magistrat instructeur, lorsqu'il a interdit à un avocat l'exercice de sa profession, d'en informer le conseil de l'Ordre pour permettre à cette instance d'en tirer, en matière disciplinaire et au regard des règles de la profession, toutes conséquences qu'il estimera utiles ; que la décision du juge d'instruction, dont l'autonomie dans la conduite de l'information est affirmée par l'article 81, 1er alinéa du même Code, ne saurait être subordonnée à celle d'une instance disciplinaire professionnelle ;

 

Que, par ailleurs, la garantie du procès équitable, prévue à l'article 6.1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, se limite aux contestations sur des droits et obligations de caractère civil ou aux procès sur le bien-fondé de l'accusation en matière pénale et ne concerne pas, dès lors, la procédure de placement sous contrôle judiciaire d'une personne mise en examen ;

 

D'où il suit que le moyen ne saurait être accueilli ;

 

Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 6 et 13 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 23 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 modifiée portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques, 138-12°, 520, 592 et 593 du Code de procédure pénale, ensemble violation des droits de la défense :

 

" en ce que la chambre d'accusation a confirmé l'ordonnance du juge d'instruction ayant interdit à un avocat d'exercer sa profession ;

 

" aux motifs qu'il résulte des éléments de l'information que le versement envisagé d'une somme de 100 000 francs à la partie civile, apparaît avoir eu pour finalité non pas d'indemniser la plaignante du préjudice consécutif aux faits de viol en réunion reprochés aux mis en examen, mais bien de l'inciter à se désengager de la procédure en cours en ne se présentant pas à la confrontation prévue le 12 juin 1997 et en renonçant à sa constitution de partie civile ; que cela résulte de la conversation téléphonique enregistrée le 3 juin 1997 entre Me X... et Me Y... (...) ; que cela résulte également du projet de lettre découvert au cabinet de Me X... et transmis comme modèle à Me Y... ; que cela résulte encore du projet de convention découvert au cabinet de Me X..., aux termes duquel la somme de 100 000 francs, qui était offerte à la partie civile pour l'"indemniser" de son préjudice, ne lui serait versée par le mis en examen que si celui-ci bénéficiait d'une ordonnance ou d'un arrêt de non-lieu définitif ou d'une décision de relaxe également définitive ; qu'en outre, Me Y... a admis que sa cliente n'avait jamais envisagé de solliciter un dédommagement en suite des faits dont elle s'était plainte ; que le mis en examen a indiqué qu'il n'avait pas eu à l'esprit de transiger financièrement avec la plaignante et que l'"arrangement" proposé à celle-ci n'émanait que de son conseil ; qu'enfin, la plaignante et sa mère ont indiqué sans ambiguïté dans leur plainte du 14 mai 1997 que l'indemnisation (" de 30 millions de centimes et plus ") proposée par le mis en examen, et dont Me Y... se faisait l'écho, n'avait pour finalité que d'acheter le silence de la victime ; que ces éléments constituent autant d'indices sérieux de la participation de Me X... aux faits de subornation d'autrui qui lui sont reprochés ; que l'interdiction d'exercer une activité pénale, que lorsque l'infraction a été commise dans l'exercice professionnelle ne se justifie, aux termes de l'article 138, alinéa 2-12° du Code de procédure pénale ou à l'occasion de l'exercice de cette activité et lorsqu'il est à redouter qu'une nouvelle infraction soit commise ; qu'il ne saurait en l'espèce être contesté que l'infraction de subornation d'autrui reprochée à Me X... l'a été dans l'exercice de sa profession d'avocat ; que Me X..., lors de son interrogatoire de première comparution, a reconnu avoir déjà " mené des négociations comme celle-là " ; que cet aveu et le fait que Me X... banalise une pratique, habituelle selon lui, qui a eu pour effet d'entraver l'action de la justice et s'est traduite par des manoeuvres visant à empêcher la manifestation de la vérité, peuvent laisser craindre un renouvellement de l'infraction ; qu'il convient, en conséquence, de confirmer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a interdit à Jacques X... l'exercice de la profession d'avocat ;

 

 

" 1° alors qu'en se déterminant ainsi sur la foi d'éléments réunis à la faveur d'une procédure parallèlement arguée de nullité, la chambre d'accusation s'est fondée sur des circonstances controversées dont il appartenait précisément à l'instruction d'établir la matérialité et la portée ; qu'elle ne s'est ainsi guère expliquée sur le point de savoir si la prévention articulée contre le requérant dans les termes du réquisitoire introductif sous la qualification de tentative (sic) de subornation était caractéristique d'une infraction existante, ni sur le caractère civil de la transaction ultérieurement négociée entre les avocats et qui devait encore être soumise au bâtonnier, ni surtout sur le comportement propre de la plaignante dont le refus de comparution, contre l'avis de son avocat, était constant bien avant les faits de la prévention toutes circonstances de nature à faire douter, en l'état, de la matérialité de l'infraction reprochée à l'avocat requérant dont l'interdiction professionnelle apparaissait dès lors manifestement excessive et sans fondement ;

 

" 2° alors qu'à défaut de la constatation d'un risque réel et sérieux de réitération de l'infraction considérée au regard des circonstances propres du dossier et de la personnalité de l'intéressé, l'interdiction professionnelle est illégale " ;

 

Attendu que, pour confirmer l'ordonnance de placement sous contrôle judiciaire faisant interdiction au demandeur d'exercer sa profession d'avocat, la chambre d'accusation retient que la somme de 100 000 francs, montant du chèque saisi au cabinet de Jacques X... et tiré par la mère de son client, aurait été destinée, non à indemniser la victime, mais à l'inciter à se " désengager " de la procédure et à se désister de sa constitution de partie civile ; que cet élément est confirmé par le projet de convention, également saisi au cabinet de l'avocat, qui ne prévoit le versement de cette somme à la partie civile qu'en cas de décision définitive de non-lieu ou de relaxe de son client ;

 

Qu'après avoir constaté que la subornation de témoin poursuivie avait été commise par le demandeur dans l'exercice de son activité professionnelle, les juges relèvent qu'il est à craindre qu'une nouvelle infraction soit commise, Jacques X..., qui a déjà mené des négociations du même ordre, banalisant une pratique, selon lui habituelle, ayant eu pour effet d'entraver l'action de la justice par des manoeuvres destinées à empêcher la manifestation de la vérité ;

 

Attendu qu'en l'état de ces motifs, la chambre d'accusation, qui a souverainement apprécié le bien-fondé des modalités du contrôle judiciaire au regard des impératifs de la sûreté publique et des nécessités de l'instruction, a justifié sa décision ;

 

Que le moyen ne saurait être admis ;

 

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;

 

REJETTE le pourvoi.