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Décisions

CA Paris, premier président, 5 avril 2023, n° 22/11616

PARIS

Ordonnance

Infirmation partielle

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Ienne-Berthelot

Avocats :

Me Boccon Gibod, Me Espesson

TJ Créteil, JLD, du 17 juin 2022

17 juin 2022

Le 17 juin 2022, le juge des libertés et de la détention (ci-après JLD) du Tribunal judiciaire (ci-après TJ) de CRETEIL, a rendu, en application de l’article L.450-4 du code de commerce, une ordonnance autorisant des opérations de visite et de saisie dans les locaux de l’entreprise : LOGISTA FRANCE, 27 avenue des Murs du Parc, immeuble Le Bristol, 94300 VINCENNES, et les sociétés du même groupe sises à la même adresse.

LE JLD visait la requête présentée à l’occasion de l’enquête demandée le 13 juin 2022 par le Rapporteur général de l’Autorité de la concurrence (ci-après ADLC) à la suite des saisines déposées auprès de l’Autorité par les sociétés Devlyx et Aleda aux fins d’établir si l’entreprise LOGISTA FRANCE s’est livrée à la pratique d’abus de position dominante prohibée par les articles L. 402-2 du code de commerce et 102 du TFUE.

L’ordonnance était accompagnée de 17 pièces annexées à la requête du Rapporteur général de l’Autorité de la Concurrence.

L’autorisation de visite et saisie des lieux susmentionnés était délivrée sur le fondement de l’article L. 450-4 du Code de commerce au motif qu’il résultait que l’ensemble des agissements décrits et analysés par le JLD semblait constituer les premiers éléments d’un faisceau d’indices qui laissaient présumer l’existence d’un abus de position dominante de la société LOGISTA FRANCE, en limitant et/ou empêchant les fournisseurs concurrents de solutions globales de caisse et des produits et services associés de développer leurs activités et/ou en limitant et/ou en empêchant des concurrents potentiels de développer ce type d’activités, susceptible de relever de la pratique prohibée par l’article L. 420-2 du Code de commerce et pouvant toucher potentiellement tant l’ensemble du territoire national que susceptible d’affecter sensiblement le commerce entre Etats membres et de relever ainsi de l’application de l’article 102 du TFUE.

Les opérations de visite et saisie se déroulaient du 23 juin 2022 à 9H34 au 24 juin 2022 à 2H04, au 27 avenue des Murs du Parc, immeuble Le Bristol, 94300 VINCENNES, dans les locaux occupés par la société LOGISTA FRANCE, en présence de Robert GHITOI, représentant de l’occupant des lieux et en présence des conseils de la société.

Le procès-verbal mentionnait que l’OPJ contactait le JLD à 16H50, ce dernier autorisait la poursuite des opérations.

A l’issue des opérations de visite domiciliaire du 23 juin 2022, des fichiers informatiques comportant des documents ont été placés sous scellés fermés provisoires.

Le procès-verbal mentionnait l’engagement de l’entreprise LOGISTA FRANCE de remettre certains fichiers au service investigation de l’ADLC au plus tard le 30 juin 2022 à 18H.

Le 24 juin 2022, Robert GHITOI, directeur juridique de LOGISTA FRANCE et représentant de l’occupant des lieux rédigeait des réserves à l’attention du JLD qu’il remettait au service de la Direction nationale des enquêtes douanières (service auquel est rattaché l’OPJ).

Le 1 juillet 2022, la société LOGISTA FRANCE (SAS LOGISTA) a exercé un recours contre le déroulement des opérations de visite et de saisies des 23 et 24 juin 2022 (RG 22/11616).

L’affaire a été audiencée pour être plaidée le 15 mars 2023.

La société requérante a déposé au greffe de la Cour d’appel de Paris des conclusions au soutien de son recours à l’encontre des opérations de visite et de saisie, en date du 28 octobre 2022 et du 7 mars 2023.

L’Autorité de la concurrence a présenté des observations au greffe de la Cour d’appel de Paris en date du 14 février 2023.

Le Ministère public a déposé un avis le 17 février 2023 transmis le même jour aux parties.

Dans ses conclusions la partie requérante rappelle le déroulement des opérations de visite et les saisies effectuées dans les locaux de la société LOGISTA FRANCE, filiale française du groupe Logista, elle précise que sur demande du représentant de l’occupant des lieux, le JLD a été contacté concernant la difficulté de la saisie des messageries électroniques de trois salariés espagnols extérieurs à l’entité LOGISTA FRANCE, et que celui-ci a autorisé la poursuite des opérations. Concernant la demande de remise postérieure aux OVS de fichiers, LOGISTA FRANCE a contesté cette remise par des réserves écrites transmises à l’OPJ le 24 juin 2022.

La partie requérante argue de la violation des droits de la défense et du droit au respect de la vie privée et de la correspondance causée par la remise de messageries électroniques postérieurement aux OVS hors de tout cadre légal (2.1).

La partie requérante rappelle que le PV mentionne que “Logista n’a pas été en mesure de mettre à disposition durant l’opération les fichiers demandés” concernant les boites mails de 13 personnes, et que la société Logista a été contrainte de remettre à l’Autorité les 13 fichiers sus mentionnés au PV, dont trois concernent des employés de la société espagnole, après la fin des OVS, sur décision des rapporteurs. Il en résulte que la remise des fichiers de messageries électroniques est intervenue en dehors du cadre légal posé par l’article L. 450-4 du code de commerce, ce qui constitue un détournement de procédure. Selon la partie requérante, les rapporteurs ont arbitrairement mis fin aux OVS avant la fin du téléchargement des fichiers, alors qu’ils avaient la possibilité de continuer les opérations pour lesquelles aucune durée de temps n’est précisée dans l’article L. 450-4 du code de commerce. Logista n’a pas eu d’autre choix que de se conformer à cette remise postérieure aux opérations, sous peine de faire face à une procédure pour obstruction.

De plus, en demandant à LOGISTA de fournir 13 des 17 messageries électroniques demandées, après la clôture des OVS, l’Autorité a privé l’entreprise du bénéfice de la procédure de scellés fermés provisoires, qui est une garantie pour la société visitée, cette procédure de scellés fermés provisoires ayant été limitée au champ des données saisies durant les opérations de visites et saisies dans la cadre de la mise en oeuvre de l’article L. 450-4 du code de commerce. Ainsi les messageries électroniques que LOGISTA a été contrainte de remettre postérieurement n’ont pu bénéficier d’une telle procédure de protection, il y a donc eu une atteinte aux droits fondamentaux de la société LOGISTA FRANCE, le droit à la confidentialité des correspondances avocat-client et le droit au respect de la correspondance, au sens de l’article 8§2 de la CEDH.

La partie requérante soulève la violation des prérogatives de l’Autorité que constitue la demande de remise de messageries électroniques de salariés extérieurs à LOGISTA FRANCE (2.2).

Au cours des OVS, l’Autorité a également demandé que lui soient fournies les messageries électroniques de trois salariés extérieurs à la société LOGISTA FRANCE, employés d’une société enregistrée en Espagne, cette société étrangère n’entrant pas dans le champ de l’ordonnance, la société s’y est opposée, en demandant la saisine du JLD sur ce point, celui-ci ayant autorisé la poursuite des opérations, la société a dû coopérer, tout en émettant des réserves transmises à l’OPJ. La société LOGISTA considère que l’Autorité a ainsi violé ses prérogatives au sens de l’article L 450-4 du code de commerce, la demande de l’Autorité excédant le champ de l’ordonnance, la société espagnole n’étant pas visée par l’ordonnance du JLD ni couverte par le champ de l’ordonnance, et les trois salariés étant des salariés de la société espagnole. La partie requérante souligne que la saisie des messageries électroniques des salariés de la société espagnole n’était prévue ni par l’ordonnance ni par aucune disposition légale, s’agissant de documents dont l’accès n’est possible qu’à une entité de droit étranger, en conséquence inaccessibles et indisponibles pour la société Logista France au moment des OVS, à ce titre cette demande sous contrainte constitue une violation non prévue par la loi du droit au respect de la correspondance de LOGISTA FRANCE.

Le conseil de la partie requérante soutient ses conclusions oralement à l’audience du 15 mars 2023 et précise qu’il était présent lors des opérations de visite et que la société LOGISTA a contesté la demande de l’ADLC de remise des messageries ultérieurement sans que les réserves ne soient mentionnées au PV.

La partie requérante demande au Premier Président de la Cour d’appel de Paris de bien vouloir :

- Déclarer que la demande formulée par l’Autorité auprès de la société LOGISTA FRANCE de remise de treize messageries électroniques (listées en pièce n° 5) postérieurement aux OVS, intervenant en dehors de tout cadre juridique, constitue une atteinte aux droits fondamentaux de la société LOGISTA FRANCE et en conséquence,

- Annuler la saisie des éléments fournis postérieurement aux opérations de visite et saisies le 30 juin 2022, les fichiers de messagerie tels que listés en pièce n° 5, à savoir les fichiers de messagerie des personnes suivantes: M. A ; M. B ; Mme C ; M. D ; Mme E ; M. F ; M. G ; M. H ; M. I ; M. J ; Mme K ; M. L ; M. M et en conséquence,

- Ordonner la restitution de l’ensemble des documents saisis par voie de destruction,

Au surplus,

- Déclarer que la demande formulée par l’Autorité auprès de la société LOGISTA FRANCE de remise de trois messageries électroniques des salariés de la société Compania De Distribucion Integral Logista excède le champ de compétence de l’Autorité, tant matériel du fait de l’ordonnance que géographique, et en conséquence,

- Annuler la saisie des messageries électroniques des trois salariés de la société “Compania De Distribucion Integral Logista”, hors du champ de l’ordonnance, et fournies postérieurement aux opérations de visites et de saisies le 30 juin 2022, à savoir les messageries de Mme K ; M. L ; M. M, et en conséquence,

- Ordonner la restitution de l’ensemble desdits documents saisis par voie de destruction.

En tout état de cause,

- Annuler les opérations de visites et de saisies,

- Ordonner la restitution de l’ensemble des documents saisis dans les locaux de la société LOGISTA FRANCE par voie de destruction,

- Juger mal fondées les observations du parquet général de la Cour d’appel de Paris en ce qu’elles concluent n’y avoir lieu à annulation des saisies et soutient la confirmation des OVS et saisies réalisées,

- Condamner l’Autorité de la concurrence au paiement des entiers dépens de l’instance.

Dans ses observations l’Autorité de la concurrence conclut au rejet des moyens tirés de la violation de l’article L. 450-4 du code de commerce, sur la prétendue absence de cadre légal entourant la remise postérieure des messageries électroniques et sur la prétendue “violation des prérogatives de l’Autorité que constitue la demande de remise de messageries électroniques de salariés extérieurs à Logista France”.

I- sur l’allégation d’une violation des droits de la défense et du droit au respect de la vie privée et de la correspondance du fait de la remise de messageries électroniques postérieurement aux OVS, du fait de l’absence prétendue de cadre légal entourant la remise postérieure des messageries électroniques.

L’ADLC argue que la remise volontaire des fichiers de messagerie professionnelle postérieurement aux opérations de visite et de saisie ne constitue pas une saisie au sens de l’article L. 450-4 du code de commerce, cette remise étant intervenue en vertu de l’engagement par LOGISTA pendant les opérations de visite. Seule la mise à disposition des rapporteurs des 13 messageries électroniques a été demandée pendant la visite, conformément à l’article L. 450-4 du code de commerce, et non pas la remise postérieure aux opérations. La jurisprudence de la Cour de cassation selon laquelle les agents (de l’administration fiscale ou de la DGCCRF) peuvent accéder à des données stockées sur des serveurs distants accessibles depuis les lieux visités est rappelée. L’ADLC rappelle également des décisions selon lesquelles le PV n’est pas un acte contradictoire et selon lesquelles les rapporteurs n’ont pas l’obligation d’inscrire des réserves dans le corps du PV.

L’ADLC conteste le prétendu détournement de procédure et rappelle que les rapporteurs ont décidé de clôturer le PV le 24 juin à 2H04 après plus de 16H de visite, constatant que la société n’était pas en mesure de mettre à leur disposition une partie des fichiers de messageries demandés du fait du temps excessif de téléchargement des fichiers.

Concernant l’absence de cadre légal évoqué concernant la remise des fichiers postérieurement aux OVS, il est rappelé que les rapporteurs ont demandé la mise à disposition des fichiers pendant les opérations, ce que la société n’a pu techniquement faire. Des décisions validant la remise volontaire de fichiers postérieurement aux OVS sont rappelées. En l’espèce, les 13 messageries remises postérieurement à la visite par LOGISTA à l’ADLC n’ont pas le statut de fichiers saisis et ne relèvent pas de l’article L 450-4 du code de commerce.

L’ADLC conteste les circonstances qui démontreraient l’absence de caractère volontaire de la remise de fichiers par la société Logista, l’argument selon lequel la société aurait été “sous la menace d’une procédure pour obstruction” n’étant d’ailleurs pas fondé.

Sur la prétendue atteinte au secret professionnel et à la confidentialité des correspondances avocat-client, l’ADLC rappelle que la procédure protectrice de mise sous scellés provisoires s’applique aux fichiers saisis et non pas aux fichiers de messagerie remis volontairement, et cite plusieurs décisions de jurisprudence à l’appui de cet argument, et qu’en cas de contestation la société LOGISTA a la possibilité de solliciter auprès du Premier Président de la Cour d’appel l’annulation de la remise de courriels contenus dans les fichiers remis qui relèveraient de la protection du secret de la correspondance avocat-client, en lien avec l’exercice du droit de la défense, et ce conformément à l’article 8 de la CESDH.

L’Autorité rappelle que selon le PV, les rapporteurs ont interrogé le représentant de l’occupant des lieux concernant la proposition de mise en place de la procédure du scellé fermé provisoire des saisies informatiques, de plus après avoir accepté cette procédure, la société Logista n’a pas transmis de demande de suppression de documents qui relèveraient de ladite protection.

En cas de contestation des documents saisis, il appartient à la requérante de produire en appel les documents dont elle conteste la saisie, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.

L’ADLC rappelle que les visites domiciliaires prévues à l’article L 450-4 du code de commerce ne contreviennent pas aux dispositions des articles 6,8 et 13 de la CEDH et sont respectueuses des exigences fixées par la jurisprudence nationale et européenne.

II- Sur la prétendue “violation des prérogatives de l’Autorité que constitue la demande de remise de messageries électroniques de salariés extérieurs à Logista France”.

- Sur l’allégation d’une violation des prérogatives de l’Autorité accordées par l’ordonnance et du champ de compétence territoriale, l’autorité rappelle que la demande des rapporteurs concernait uniquement la mise à disposition pendant la visite des fichiers de messagerie des salariés de Logista intéressant l’enquête, du fait de sa carence, LOGISTA s’est engagée à remettre les fichiers demandés ultérieurement à l’ADLC.

Il convient de relever que la requérante ne soutient pas que la société Compania De Distribucion Integral Logista est inactive dans le secteur concerné et qu’elle n’a aucun lien organisationnel fonctionnel, juridique, économique ou capitalistique avec la société espagnole, s’agissant d’une unité économique, les investigations des supports informatiques utiles à l’enquête sont autorisées, conformément à la jurisprudence nationale et européenne en droit de la concurrence. D’ailleurs l’ordonnance d’autorisation vise indistinctement “LOGISTA FRANCE” et “LOGISTA”, et pouvait ainsi viser également la société mère relevant de l’intitulé “LOGISTA”, cela d’autant plus que les documents détenus par les salariés de la société espagnole étaient accessibles ou disponibles dans les lieux visités.

L’Autorité cite la décision de l’assemblée plénière de la Cour de cassation du 16 décembre 2022 selon laquelle “sont saisissables les documents et supports d’information qui sont en lien avec l’objet de l’enquête et se trouvent dans les lieux que le juge a désignés ou sont accessibles depuis ceux-ci, sans qu’il soit nécessaire que ces documents et supports appartiennent ou soient à la disposition de l’occupant des lieux”. Il en résulte que les messageries des trois salariés de la société mère LOGISTA pouvaient faire l’objet d’investigation, en raison aussi de leur activité en France, et qu’il est inexact d’affirmer que cette demande dépasserait le champ de compétence territoriale des rapporteurs de l’ADLC, limité au territoire.

- Sur l’allégation d’une violation du secret des correspondances dépourvue de base légale, la requérante soutient que la saisie des messageries électroniques des salariés de la société espagnole serait une violation de la correspondance de la société LOGISTA FRANCE contraire à l‘article 8 de la CESDH. Or il est rappelé que les fichiers de messageries n’ont pas été “saisis” par l’ADLC mais qu’ils ont été remis volontairement et qu’il n’y a pas eu d’ingérence de l’autorité publique dans un droit protégé par l’article 8. De plus cette affirmation est contredite par les conclusions de la requérante qui explique que la société LOGISTA FRANCE a dû solliciter ses homologues espagnols pour avoir accès aux messageries, ce qui atteste que les fichiers des messageries apparaissent en lien avec l’objet de l’enquête sur le territoire national.

L’ADLC soutient ses observations oralement à l’audience du 15 mars 2023 et sur question de la présidente d’audience confirme qu’il existe une procédure spécifique de remise volontaire de documents dans le cadre du droit de communication prévu par l’article L450-3 du code de commerce, qui ne s’appliquait pas en l’espèce.

En conclusion il est demandé au Premier président de la Cour d’appel de Paris de :

- Rejeter les demandes d’annulation et de restitution des 13 fichiers de messagerie professionnelle remis volontairement le 30 juin 2022 à l’Autorité de la concurrence ;

- Rejeter les demandes d’annulation des opérations de visite et de saisie et de restitution de l’ensemble des documents saisis dans les locaux de la société Logista France en l’absence de moyens appuyés d’arguments développés à ce sujet ;

- Condamner Logista au paiement de 20.000 euros au titre de l’art 700 du CPP et aux entiers dépens de l’instance.

Dans ses observations le Parquet général conclut à la confirmation des OVS et saisies réalisées.

Sur la remise des messageries électroniques postérieurement aux OVS, le Ministère public rappelle la jurisprudence de la Cour d’appel de Paris confirmée par la Cour de cassation dont il résulte qu’une distinction est faite entre saisie et remise volontaire des documents qui dans ce cadre ne bénéficient pas des mêmes garanties.

Sur la prétendue atteinte au secret professionnel et à la confidentialité des correspondances avocat/ client, le Ministère public rappelle que la confection des scellés provisoires est une faculté laissée à l’appréciation des enquêteurs et que la société LOGISTA ne précise pas en quoi cette restriction de la protection aux seules correspondances avocat/client en matière de concurrence vient porter atteinte à la protection des droits de la défense dans une autre matière.

Sur la prétendue atteinte au respect de la vie privée et de la correspondance (art 8 de la CESDH) le Ministère public rappelle que l’article 8 vise à protéger la vie privée et la correspondance contre “l’ingérence d’une autorité publique” et que la requérante n’est pas fondée à exciper ce moyen s’agissant d’une remise volontaire, même effectuée à la demande de l’ADLC.

Sur la demande de remise des messageries électroniques de salariés extérieurs à la SAS LOGISTA FRANCE, le Ministère public rappelle les termes de l’article 450-4 du code de commerce et la jurisprudence de la Cour de cassation dont il résulte que les messageries étant accessibles depuis les locaux français objets de la visite domiciliaire, leur saisie n’outrepasse pas le champ de l’ordonnance, d’autant plus que le lien entre la société espagnole et l’enquête en cours est indéniable. La saisie et la remise des messageries sont valides.

Le Ministère public est d’avis que le Premier Président dise n’y avoir lieu à annulation et confirme les OVS et les saisies réalisées.

La cour renvoie, pour un plus ample exposé des faits, prétentions et moyens des parties, au procès-verbal déféré et aux écritures susvisées, en application des dispositions de l’article 455 du Code de procédure civile.

Après avoir entendu à l’audience publique du 15 mars 2023, le conseil de la société SAS LOGISTA, le représentant de l’ADLC et le Ministère public, la Cour d’appel a mis l’affaire en délibéré au 5 avril 2023.

SUR CE,

I -Sur la violation des droits de la défense et du droit au respect de la vie privée et de la correspondance causée par la remise de messageries électroniques postérieurement aux OVS hors de tout cadre légal.

Il convient de rappeler que l’article L 450-4 du code de commerce encadre strictement la procédure de visite domiciliaire et de saisies de documents par les agents de l’Autorité de la concurrence suite à l’autorisation du JLD, que cet article vise expressément les opérations “de visite et de saisie” sans prévoir la possibilité pour les agents de l’Autorité de demander la remise de documents qui n’auraient pas fait l’objet d’une saisie, après la fin des opérations de visite.

Il résulte de l’ordonnance du JLD du TJ de Créteil du 17 juin 2022, que celui-ci autorise le Rapporteur général de l’Autorité de la concurrence à faire procéder aux saisies prévues par l’article L 450-4 du code de commerce “afin de rechercher la preuve des agissements qui entrent dans le champ de la pratique prohibée par les articles L 420-2 du code de commerce et 102 du TFUE, relevés dans le secteur des solutions globales de caisse et des produits et services associés destinés aux commerces de tabacs/presse , ainsi que toute manifestation de cet abus de position dominante prohibé”, que cette mention oblige les agents à vérifier avant toute opération de saisie que les documents saisis entrent dans le champ de l’autorisation de l’ordonnance du magistrat, qu’il résulte du procès-verbal (pages 5 à 9 ) qu’en effet, les agents ont procédé à l’examen de 12 ordinateurs portables avant de procéder aux saisies des données informatiques et qu’ils ont indiqué dans le PV “nous avons constaté la présence de documents entrant dans le champ de l’autorisation de visite et de saisie donnée par le JLD”, que les agents ont examiné les données informatiques accessibles depuis le disque dur contenant 4 fichiers de messageries, qu’ils ont indiqué” la présence de documents entrant dans le champ de l’autorisation de visite et de saisies du JLD” et ont copié les fichiers, qu’en revanche les agents ont sollicité la remise ultérieure par la société LOGISTA de 13 fichiers de messagerie, sans avoir vérifié auparavant si ces fichiers contenaient des documents entrant dans le champ de l’autorisation.

Il résulte de la rédaction du procès-verbal (page 11) que le représentant de l’occupant des lieux a indiqué que parmi les fichiers informatiques appréhendés, des documents protégés au titre de la correspondance avocat-client en lien avec l’exercice des droits de la défense dans un dossier de concurrence étaient présents dans les fichiers retenus, ce qui a justifié le placement des fichiers retenus sous scellé fermé provisoire, que les fichiers de messageries listées par les agents de l’Autorité et remis ultérieurement n’ont pu bénéficier de cette procédure qui offre une seconde garantie pour les sociétés visitées et qui permet d’expurger “les correspondances protégées par le privilège légal” selon la décision de la chambre criminelle de la Cour de cassation du 5 décembre 2018.

Ainsi, quelles que soient les difficultés techniques évoquées sur le procès-verbal par les agents de l’Autorité (“ la société n’ayant pas été en mesure de mettre à disposition durant l’opération les fichiers demandés des personnes suivantes [...]”), il n’en demeure pas moins que la demande de “remise volontaire” n’a pas permis à la société visitée de bénéficier des garanties prévues par l’article L 450-4 du code de commerce (vérification du champ de l’ordonnance et procédure des scellés provisoires fermés).

Selon l’Autorité de la concurrence le fait que LOGISTA a remis volontairement des fichiers de messagerie professionnelle postérieurement aux opérations de visite et de saisie ne constitue une “saisie” au sens de l’article L 450-4 du code de commerce, cette remise étant intervenue en vertu de l’engagement pris par LOGISTA pendant les opérations des 23 et 24 juin 2022 et consigné au PV, étant observé que selon les rapporteurs seule la mise à disposition des 13 messageries a été demandée.

La partie requérante conteste le caractère volontaire de cet engagement.

S’il est exact que l’engagement pris par la société LOGISTA de remettre les fichiers de messagerie à l’ADLC apparaît sur le procès-verbal signé par le représentant de l’occupant des lieux, il convient de relever en l’espèce que cet engagement intervient au cours d’une mesure coercitive que constitue la visite domiciliaire sur le fondement de l’article L 450-4 du code de commerce, que la société visitée ne semble pas avoir eu le choix de refuser sauf au risque de s’exposer à une procédure d’obstruction prévue par l’article L 464-2 V al 2 du code de commerce tel que rappelé à la société visitée (page 2 procès-verbal), que la date et l’heure à laquelle la remise devait être faite a été fixée d’autorité par les agents de l’ADLC, que la société visitée a fait parvenir un écrit à l’OPJ destiné au JLD dès la fin des opérations pour émettre des réserves quant à la demande des agents de l’Autorité concernant la remise des boites mails postérieurement à la clôture des opérations, qu’il en résulte que l’engagement pris par la société LOGISTA semble plus contraint que volontaire, qu’en tout état de cause la remise volontaire de pièces après la clôture des opérations n’est pas prévue par l’article L 450-4 du code de commerce, qu’une telle remise de documents est prévue et encadrée par L 450-3 du code de commerce concernant le droit de communication, procédure non applicable en l’espèce aux dires de l’ADLC à l’audience.

Il en résulte que l’engagement pris par la société LOGISTA au cours des opérations de visite, suivi de la remise ultérieure des fichiers comportant les 13 messageries électroniques auprès de l’ADLC s’est effectué en dehors de tout cadre légal et sans aucune garantie concernant la protection des droits de la défense, du droit au respect de la vie privée et de la correspondance.

Ce moyen sera déclaré recevable et la remise du support comprenant les 13 messageries électroniques (concernant M. A; M. B; Mme C; M. D; Mme E; M. F; M. G; M. H; M. I; M. J; Mme K; M. L; M. M) accompagné des clés de déchiffrement sera déclarée irrégulière et annulée.

II -Sur la violation des prérogatives de l’Autorité que constitue la demande de remise de messageries électronique de salariés extérieurs à Logista France.

La remise des 3 fichiers de messagerie de Mme K; M. L; M. M, salariés extérieurs à Logista France ayant été annulée, le moyen n’a plus d’objet.

Ce moyen sera déclaré sans objet.

III -Sur la demande de la requérante d’annuler l’ensemble des opérations de visite et de saisies et d’ordonner la restitution de l’ensemble des documents saisis.

La société requérante ne soulève aucun moyen pour contester la validité des opérations de visite et de saisie concernant les documents saisis tels que figurant à l’inventaire ou supports d’informations tels qu’inventoriés et réunis sous les scellés 2 à 17, et retenus sous le scellé fermé provisoire n° 1, il convient de confirmer les saisies effectuées, en effet il résulte de la jurisprudence constante que l’annulation d’une partie des saisies ne remet pas en cause la régularité de l’ensemble des opérations de visite et de saisie.

Cette demande sera rejetée.

PAR CES MOTIFS

Statuant contradictoirement et en dernier ressort :

- Déclarons régulières les opérations de visite et saisies effectuées les 23 et 24 juin 2022 dans les locaux de l’entreprise LOGISTA FRANCE, 27 avenue des Murs du Parc, immeuble Le Bristol, 94300 VINCENNES, et les sociétés du même groupe sises à la même adresse ;

- Déclarons que la demande formulée par l’Autorité auprès de la société Logista France de remise de treize messageries électroniques (listées en pièce n°5) postérieurement aux opérations de visite et de saisie est intervenue en dehors de tout cadre légal ;

- Déclarons irrégulière et annulons la saisie des fichiers de messagerie tels que listés en pièce n° 5, remis en date du 30 juin 2022 concernant les messageries des personnes suivantes: M. A; M. B; Mme C; M. D; Mme E; M. F; M. G; M. H; M. I; M. J; Mme K; M. L; M. M ;

- Ordonnons la restitution à la société requérante de l’ensemble des documents saisis tels que listés en pièce n°5 concernant les messageries des personnes suivantes: M. A; M. B; Mme C; M. D; Mme E; M. F; M. G; M. H; M. I; M. J; Mme K; M. L; M. M, sans possibilité pour l’Autorité de la concurrence d’en garder copie ni d’en faire usage ;

- Rejetons la demande de l’Autorité de la concurrence sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile ;

- Rejetons toute autre demande ;

- Disons que la charge des dépens sera supportée par l’Autorité de la concurrence.