Cass. com., 27 septembre 2017, n° 15-28.835
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Mouillard
Avocats :
SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, SCP Yves et Blaise Capron
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Orléans, 9 novembre 2015), que par acte du 18 novembre 1960, Mmes X... et Paulette Y...ont constitué la société civile agricole du Val de Saint-Gondon et Coullons (la SCA) pour la gestion de divers immeubles ruraux ; que Paulette Y...en est devenue l'administratrice avec les pouvoirs d'un gérant ; que, les 3 juin 1993 et 29 septembre 1994, Mme X... a fait donation de ses parts à sa fille Mme Sylvie Y...; que, suivant acte du 28 septembre 1996, la SCA a consenti à M. Nicolas Y...un bail rural sur la ferme de la Manoeuvrerie, ainsi qu'un bail de chasse sur l'ensemble de ses terres et bois ; que, reprochant à Paulette Y...des fautes de gestion et notamment le caractère inadapté de ces baux, Mme Sylvie Y..., exerçant l'action ut singuli, l'a assignée en responsabilité ; que Paulette Y...est décédée, en laissant pour lui succéder M. Nicolas Y...; que Mme Sylvie Y...est devenue l'administratrice de la SCA, laquelle a recherché à son tour la responsabilité de Paulette Y..., aux droits de laquelle est venu M. Nicolas Y...; que Mme Sylvie Y...a demandé sa mise hors de cause ;
Sur le premier moyen :
Attendu que Mme Y...et la SCA font grief à l'arrêt de dire n'y avoir lieu à mettre la première hors de cause à titre personnel alors, selon le moyen, qu'est irrecevable toute prétention émise par ou contre une personne dépourvue du droit d'agir en justice ; qu'en refusant de mettre hors de cause Mme Sylvie Y...en son nom personnel, quand elle constate que la procédure dont elle est saisie ne l'intéresse plus que dans sa qualité de gérante de la société du Val de Saint-Gondon et de Coullons, la cour d'appel, qui ne tire pas la conséquence légale de sa propre constatation, a violé l'article 32 du code de procédure civile ;
Mais attendu qu'outre l'action en réparation du préjudice subi personnellement, l'associé d'une société civile est en droit d'intenter l'action sociale en responsabilité contre les gérants, peu important que la société exerce ultérieurement elle-même cette action ; que, dans leurs conclusions d'appel, Mme Y...et la SCA indiquaient que la seconde exerçait désormais l'action en responsabilité contre l'ancienne administratrice, sans que Mme Y...n'ait déclaré se désister de l'action ut singuli qu'elle avait engagée, de sorte qu'elle conservait un intérêt à l'action ; que, par ce motif de pur droit, suggéré par la défense et substitué à ceux critiqués, la décision se trouve légalement justifiée ; que le moyen ne peut être accueilli ;
Sur le second moyen :
Attendu que Mme Y...et la SCA font grief à l'arrêt de rejeter leur demande en paiement de dommages-intérêts alors, selon le moyen :
1°/ que le gérant de la société civile est responsable envers la société de toutes les fautes d'action et d'omission qu'il commet dans la gestion du patrimoine social ; que constitue une telle faute, le fait, pour le gérant, de ne pas accomplir les actes, dont la tenue régulière des assemblées générales prévues par le statuts, qui permettraient, à l'aide des ressources propres de la société ou encore en mobilisant le crédit dont elle dispose, de mettre en valeur le patrimoine social et de réaliser ainsi l'objet social en produisant des bénéfices pouvant être partagés entre les associés ; que, pour considérer que Paulette Y..., qui n'a rien fait pour remettre le bâtiment de la Manoeuvrerie en état de former l'objet d'un bail civil à loyer libre, n'a pas commis de faute de gestion, la cour d'appel énonce qu'il « appartenait effectivement » à Paulette Y..., gérant de la société du val de Saint-Gondon et de Coullons « de faire les travaux nécessaires pour y remédier [à l'état d'abandon de la Manoeuvrerie] et permettre la relocation du bien », mais qu'il n'est pas établi « que la SCA [du val de Saint-Gondon et de Coullons] disposait effectivement durant la période concernée (1986-1996) des fonds nécessaires et suffisants pour y procéder [à la restauration] sans s'appauvrir » ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel, qui méconnaît que la société du val de Saint-Gondon et de Coullons conservait, en dépit de l'étroitesse de sa trésorerie, la ressource de se procurer les deniers dont elle avait besoin soit en hypothéquant ses terres au profit d'une banque, soit en demandant à ses associés de lui apporter ces deniers en compte courant, a violé les articles 1832, 1843-5 et 1850 du code civil ;
2°/ que la société du val de Saint-Gondon et de Coullons et Mme Sylvie Y...faisaient valoir, dans leurs écritures d'appel, que « la SCA, propriétaire d'une centaine d'hectares et de plusieurs bâtiments, indemne par ailleurs de tout endettement, avait évidemment les moyens d'emprunter auprès d'une banque la somme nécessaire pour financer [l] es travaux » de remise en état de la Manoeuvrerie, que « la SCA pouvait aussi demander à ses associés, c'est-à-dire : Paulette Y...elle-même et Sylvie Y..., qui n'étaient pas dans le besoin, de lui prêter cette somme par avance en compte courant », mais que Paulette Y...s'est abstenue d'employer l'une ou l'autre de ces ressources, puisque, loin de chercher à rentabiliser le bien de la société qu'elle dirigeait, elle n'a « jamais tenu une seule assemblée générale dans des conditions conformes à la loi et aux statuts » ; qu'en écartant l'action en responsabilité dont elle était saisie sur la seule considération de l'étroitesse de la trésorerie dont la société du val de Saint-Gondon et de Coullons était détentrice entre 1986 et 1996, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
Mais attendu que l'arrêt constate qu'en 1986, à la sortie des lieux des anciens locataires, il n'y avait ni eau courante, ni sanitaires dans le bâtiment de la ferme de la Manoeuvrerie dont l'état était insalubre, que l'état des lieux contradictoire, dressé le 12 décembre 1996 par un expert agricole, établissait que tant les bâtiments que les terres étaient en très mauvais état et que leur remise en état serait onéreuse ; que l'arrêt constate encore que cette situation d'abandon existait antérieurement à la prise de fonction d'administratrice de Paulette Y...et que cette dernière ne l'avait pas dissimulée à ses associés ; qu'il ajoute qu'il incombait à la SCA d'apporter les fonds nécessaires à la réalisation des travaux de remise en état sans s'appauvrir puis relève que tant cette dernière que Mme Y...ont reconnu dans leurs écritures que la première ne disposait pas de la trésorerie indispensable à leur financement ; qu'en l'état de ces constatations et appréciations souveraines, tirées des éléments de preuve qui lui étaient soumis, la cour d'appel, qui ne s'est pas prononcée sur la seule considération de l'étroitesse de la trésorerie de la SCA, a pu écarter la responsabilité de Paulette Y..., fondée sur une faute de gestion du patrimoine social ; que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi.