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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 8, 19 octobre 2010, n° 10/13290

PARIS

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Ginger (SAS)

Défendeur :

Montravers (ès qual.), Nissim (Sté), Sud Express Womenswear (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Maestracci

Conseillers :

Mme Moracchini, Mme Delbes

Avoués :

SCP Duboscq - Pellerin, Me Etevenard, Me Hanine

Avocat :

Me Delehaye

T. com. Paris, du 3 juin 2010, n° 201002…

3 juin 2010

Par jugement prononcé le 3 juin 2010, le Tribunal de Commerce de Paris a approuvé la modification du plan de cession de la SAS FORMES, levé la clause d'inaliénabilité incluse dans le jugement du 5 mars 2009 pour 8 des 21 fonds de commerce cédés et assorti en contrepartie cette levée de restrictions.

Par acte du 25 juin 2010, la Société GINGER a interjeté appel de cette décision et le 1er juillet 2010, l'appelante a été autorisée à assigner à jour fixe.

Par conclusions du 20 septembre 2010, la Société SWW SUD EXPRESS WOMENSWEAR est intervenue volontairement.

Par jugement du 29 novembre 2007, le tribunal de commerce de Paris a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'égard de la Société FORMES qui exploite 22 boutiques en France, une plate-forme logistique et possède des filiales dans plusieurs pays européens, et désigné Maître MONTRAVERS, en qualité de mandataire judiciaire.

Par jugement du 5 mars 2009, le tribunal de commerce de Paris a prononcé deux plans de cession en faveur d'une part de la Société de droit belge NISSIM SA pour les activités françaises et d'autre part de la Société APOSTROPHES pour les participations étrangères.

S'agissant de la cession au profit de la Société NISSIM, le plan prévoyait la reprise des 22 fonds de commerce aux conditions suivantes :

- le versement d'un prix de 1.845.677 €,

- la reprise des congés payés pour les 43 salariés, soit 120.000 €,

- la reprise des nantissements pour 264.342,75 €,

- la reconstitution des dépôts de garanties aux bailleurs pour une somme de 120.337 €,

- une période d'inaliénabilité de 4 ans au titre de l'article L. 642-10 du Code de Commerce.

La Société NISSIM a confié la gérance des fonds acquis à la Société STRELLI WOMENSWEAR (SWW) pour les collections Femmes et à la Société OLIVIER STRELLI FRANCE (OSF) pour les collections Homme.

Le 1er avril 2010, la Société NISSIM a déposé une requête tendant à l'ouverture d'une procédure de réorganisation judiciaire devant le tribunal de commerce de Bruxelles, qui l'a notamment autorisée à céder les actifs de l'ancien réseau de distribution FORMES, "sous réserve de l'obtention des autorisations judiciaires nécessaires".

Le 15 avril 2010, la Société NISSIM a conclu avec la Société GINGER, société holding qui anime un groupe de distribution de vêtements, une promesse de vente portant sur 21 des 22 fonds de commerce, assortie d'une condition suspensive portant sur la levée de la clause d'inaliénabilité contenue dans le jugement du 5 mars 2009.

C'est dans ces conditions que la Société NISSIM a déposé une requête auprès du tribunal de commerce de Paris, afin d'obtenir l'autorisation de céder les actifs repris à la Société FORMES.

Dans le cadre de cette procédure, la Société GINGER a fait savoir qu'elle acceptait le maintien de la clause d'inaliénabilité pour 13 fonds de commerce et sollicitait sa levée pour les 8 autres, en raison notamment de la proximité de magasins existants.

Le jugement entrepris du 3 juin 2010 a approuvé le plan de modification de cession en levant la clause d'inaliénabilité pour les huit fonds de commerce désignés par la Société GINGER. Il a toutefois estimé que compte tenu de l'acquisition à bas prix des actifs (2,7 MF pour une évaluation de 3,7 MF) la clause d'inaliénabilité était un élément constitutif du prix et ne pouvait être relevée sans compensation.

Il a donc assorti la levée de la clause d'inaliénabilité des restrictions suivantes jusqu'au 5 mars 2013 :

- maintien des emplois concernés par ces magasins, le personnel devant être réaffecté dans le magasin le plus proche du groupe GINGER pour une période minimale de 2 ans après la cession dudit magasin ;

- information de Maître Montravers, mandataire judiciaire, liquidateur de la Société FORMES, des conditions financières des cessions de ces magasins à des tiers ;

- reversement par la Société NISSIM à Maître MONTRAVERS, ès qualités, de tout montant excédant 200.000 pour chaque magasin lors de la cession de ces magasins à un tiers, étant précisé qu'en cas de vente groupée, l'acte de cession devra faire apparaître le prix de chaque magasin.

Par dernières conclusions du 20 septembre 2010, la Société GINGER et la Société SWW, intervenante volontaire, sollicitent la réformation du jugement entrepris. Elles exposent :

- que le tribunal de commerce a omis de se prononcer sur le sort du fonds de commerce situé à LYON,

- que le tribunal ne pouvait lui imposer des charges supplémentaires non souscrites par elles dans le cadre du plan de cession, dès lors qu'elle est étrangère à la procédure collective de la Société FORMES et au plan de cession réalisé dans ce cadre, et qu'elle n'a jamais pris d'autres engagements que ceux qui figurent dans la promesse de vente du 15 avril 2010 et dans le courrier du 25 mai 2010.

Elles demandent en conséquence à la cour de :

- recevoir la Société SWW, en son intervention volontaire,

- constater que le Tribunal a omis de statuer sur le fonds de commerce de Lyon et d'autoriser la cession de ce fonds,

- d'autoriser sans aucune contrepartie la levée de la clause d'inaliénabilité pour les fonds de Caen, Dijon, Lille, Limoge, Metz, Neuilly, Paris (16) et Saint-Germain en Laye.

Par conclusions du 20 septembre 2010, la Société NISSIM SA sollicite l'infirmation du jugement en ce qu'il a assorti la levée d'une clause d'inaliénabilité d'une condition à la charge de la Société NISSIM.

Elle demande à la cour de :

- constater que le tribunal a omis de trancher le sort de la clause d'inaliénabilité du fonds de commerce de Lyon et autoriser la cession du fonds de commerce de Lyon à la société GINGER et à la Société SWW,

- autoriser la levée de la clause d'inaliénabilité des fonds de commerce de Caen, Dijon, Lille, Limoge, Metz, Neuilly, Paris (16) et Saint-Germain en Laye, sans aucune contrepartie.

Elle soutient que le tribunal ne pouvait imposer ni au cédant, ni au cessionnaire des charges non souscrites par eux.

Par conclusions du 20 septembre 2010, Maître MONTRAVERS, ès qualités de mandataire-liquidateur de la SAS FORMES, demande à la cour de confirmer le jugement et de condamner la Société GINGER à lui verser 2.000 sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Elle fait valoir que :

- la condition de reversement à la procédure de tout montant de cession excédant 200.000 n'est pas à la charge de la Société GINGER mais de la Société NISSIM qui n'est pas appelante du jugement,

- même si la Société GINGER n'est pas partie à l'acte de cession, elle s'est engagée auprès de la Société NISSIM qui est garante de la bonne exécution de cet acte de sorte que le tribunal était fondé à imposer une contrepartie à la levée de la clause d'inaliénabilité et plus particulièrement le maintien des emplois concernés.

Le ministère public entendu a sollicité la confirmation du jugement entrepris.

SUR CE

Sur l'intervention volontaire de la Société SWW

La Société SWW SUD EXPRESS WOMENSWEAR intervient volontairement en indiquant qu'elle est une filiale à 100% de la Société GINGER, et qu'elle se porte finalement acquéreur des actifs de la Société NISSIM.

Il lui sera donné acte de son intervention.

Sur la modification du plan de cession

Le repreneur qui n'exécute pas les termes de l'acte de cession engage sa responsabilité à l'égard du débiteur.

Aux termes de l'article L. 642-6 du code de commerce, une modification substantielle dans les objectifs et moyens du plan ne peut être décidée que par le tribunal, à la demande du cessionnaire et dans la limite de sa requête. Toutefois, le montant du prix de cession tel qu'il a été fixé par le tribunal ne peut être modifié.

La substitution du cessionnaire désigné par le plan de cession doit être autorisée par le tribunal. Elle ne peut avoir pour effet de décharger le repreneur substitué, qui reste garant de la bonne exécution du plan.

En l'espèce, le jugement du tribunal de commerce de Paris du 5 mars 2009, qui a arrêté le plan de cession, a prévu la cession à la Société NISSIM de 21 fonds de commerce pour un prix de 2.345.000 avec une clause d'inaliénabilité de 4 ans.

La requête en modification de ce plan, présentée par la Société NISSIM, avait pour objectif de céder la totalité des actifs repris à la Société FORMES afin de lui 'permettre de couvrir ses pertes comptables, de se recentrer sur la distribution en Belgique ainsi que sur un nombre réduit de boutiques en France'. Dans cette perspective, la Société NISSIM informait le tribunal qu'elle avait signé, le 15 avril 2010, une promesse de vente synallagmatique d'achat et de vente de fonds de commerce, aux termes de laquelle elle s'engageait à vendre à la Société GINGER 21 fonds de commerce, à la condition suspensive d'obtenir la levée de la clause d'inaliénabilité, et demandait en conséquence la levée de cette clause pour 8 des fonds de commerce.

Il résulte cependant de l'examen combiné de la promesse de vente du 15 avril 2010, du plan de cession arrêté par le tribunal le 5 mars 2009 et du jugement déféré, que la requête de la Société NISSIM, qui ne sollicitait pas du tribunal l'autorisation de substitution d'un nouveau cessionnaire, avait pour seul objectif de transférer intégralement à la Société GINGER une activité dont l'exploitation était significativement déficitaire, sans pour autant s'engager à garantir le respect des obligations contenues dans le plan de cession initial.

Il s'ensuit que les premiers juges, en autorisant une modification du plan, qui a pour effet de décharger le cessionnaire initial des garanties et obligations résultant du plan de cession, ont excédé leur pouvoir.

Le jugement sera en conséquence infirmé et la requête de la Société NISSIM rejetée.

Les circonstances ne commandent pas qu'il soit fait application de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Donne acte à la Société SWW SUD EXPRESS WOMENSWEAR de son intervention volontaire.

Réforme le jugement déféré.

Statuant à nouveau,

Rejette la requête en modification du plan de cession présentée par la Société NISSIM.

Rejette toutes autres demandes des parties.

Dit que les dépens seront supportés pour moitié par la Société NISSIM d'une part et par les Sociétés SWW et GINGER d'autre part et qu'ils pourront être recouvrés selon les modalités prévues par l'article 699 du code de procédure civile.