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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 11, 31 mars 2023, n° 21/05612

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Kering (SA)

Défendeur :

On the Moon (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Ardisson

Conseillers :

Mme Primevert, Mme L'Eleu de La Simone

Avocats :

Me Etévenard, Me Kohen, Me Adrian

T. com. Paris, 19e ch., du 17 mars 2021,…

17 mars 2021

Pour un exposé complet des faits et de la procédure, la cour renvoie expressément au jugement déféré et aux écritures des parties en application de l'article 455 du code de procédure civile.

Il sera succinctement rapporté que la sas Kering regroupe et fait évoluer un ensemble de marques spécialisées dans la mode, la maroquinerie, la joaillerie et l'horlogerie de luxe. La société On The Moon est une société spécialisée en communication ressources humaines (communication de recrutement et communication interne), et exerce notamment une activité de courtier en achat d'espaces de recrutement en ligne auprès de sites internet d'offres et de recherches d'emplois.

A partir de 2007, Kering a fait appel à On The Moon comme prestataire pour acheter des « packs d'emploi » constitués de forfaits permettant de faire paraître un nombre déterminé d'annonces sur les principaux sites spécialisés, pendant une année. Entre 2007 et 2017, cette relation n'a pas été formalisée par un écrit.

Par jugement du 25 juillet 2017, le tribunal de commerce de Nanterre a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'égard de On the Moon en fixant provisoirement au 26 janvier 2016 la date de la cessation des paiements en raison de l'antériorité d'une créance de LinkedIn (pièce 17 intimée).

Le 24 novembre 2017, les parties ont signé un contrat en vue de formaliser leurs relations commerciales.

Par avenant du 21 décembre 2017 (pièce 28) les parties ont modifié l'annexe 3 « conditions financières, rubrique Tarifs-Achats d'Espaces », réduisant le pourcentage facturé par On the Moon sur les produits LinkedIn.

Par jugement du 30 mars 2018, le tribunal de commerce de Nanterre a validé le plan de redressement de On the Moon (pièce 29 intimée).

Par lettre du 19 juillet 2018, Kering a notifié à On The Moon sa décision de mettre fin au contrat avec un préavis de trois mois en visant les termes de l'article 3 12 du contrat (pièce 30 intimée).

Par jugement du 13 décembre 2018 la liquidation judiciaire de On the Moon a été prononcée et Me [D] [K] désigné en qualité de liquidateur.

Vu le jugement du tribunal de commerce de Paris du 17 mars 2021 qui a :

- accueilli l'intervention volontaire de la SELARL [D] [K] représentée par Me [D] [K], es qualité de liquidateur judiciaire de la société ON THE MOON,

- condamné KERING à payer à la SELARL [D] [K], représentée par Me [D] [K], es qualité de liquidateur judiciaire de la société ON THE MOON la somme de 330.027 € au titre de la rupture des relations contractuelles,

- débouté la SELARL [D] [K], représentée par Me [D] [K], es qualité de liquidateur judiciaire de la société ON THE MOON de ses autres demandes d'indemnisation,

- débouté la SELARL [D] [K], représentée par Me [D] [K], es qualité de liquidateur judiciaire de la société ON THE MOON de sa demande au titre des factures impayées,

- débouté la SELARL [D] [K], représentée par Me [D] [K], es qualité de liquidateur judiciaire de la société ON THE MOON de sa demande de publication de jugement,

- débouté les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires,

- condamné KERING à verser la somme de 6.000 € à la SELARL [D] [K], représentée par Me [D] [K], es qualité de liquidateur judiciaire de la société ON THE MOON au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- ordonné l'exécution provisoire du présent jugement,

- condamné la SA KERING aux dépens de l'instance, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 136,00 € dont 22,24 € de TVA

Vu l'appel interjeté par la sa Kering le 23 mars 2021,

Vu l'article 455 du code de procédure civile,

Vu les dernières conclusions remises par le réseau privé virtuel des avocats le 21 juillet 2022 pour la sa Kering,

Vu l'ancien article L. 442-6 i. 5° (devenu L. 442-1 ii.) du code de commerce,

Vu les articles 1104, 1143 et 1178 du code civil,

Vu les articles L. 442-6, i, 4° et 5° du code de commerce,

Vu le jugement rendu par la 19ème chambre du tribunal de commerce de paris en date du 17 mars 2021 (n° rg : 2018065213),

- déclarer la société kering recevable et bien fondée en l'ensemble de ses demandes, fins

et conclusions ;

- dire et juger qu'aucune rupture brutale des relations commerciales n'est imputable à kering ;

En conséquence,

- infirmer le jugement rendu par la 19ème chambre du tribunal de commerce de paris en date du 17 mars 2021 (n° rg : 2018065213), en ce qu'il a :

- condamné la sa kering à payer à la selarl [D] [K], représentée par me [D] [K], ès qualités de liquidateur judiciaire de la société on the moon la somme de 330 207 euros au titre de la rupture brutale des relations contractuelles,

- débouté la sa kering de ses demandes autres, plus amples ou contraires,

- condamné la sa kering à verser la somme de 6 000 euros à la selarl [D] [K], représentée par me [D] [K], ès qualités de liquidateur judiciaire de la société on the moon au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- ordonné l'exécution provisoire du jugement,

- condamné la sa kering aux dépens de l'instance, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 136,00 euros dont 22,24 euros de tva.

et

- déclarer la selarl [D] [K] ès-qualités mal fondée en son appel incident, la déclarer mal fondée en l'ensemble de ses moyens et demandes, et l'en débouter ;

- confirmer le jugement rendu par la 19ème chambre du tribunal de commerce de paris en date du 17 mars 2021 (n° rg : 2018065213), en ce qu'il a :

- débouté la selarl [D] [K], représentée par me [D] [K], ès qualités de liquidateur judiciaire de la société on the moon de ses autres demandes d'indemnisation,

- débouté la selarl [D] [K], représentée par me [D] [K], ès qualités de liquidateur judiciaire de la société on the moon de sa demande au titre des factures impayées,

- débouté la selarl [D] [K], représentée par me [D] [K], ès qualités de liquidateur judiciaire de la société on the moon de sa demande de publication du présent jugement.

Subsidiairement,

- dire et juger que la société on the moon ne peut se prévaloir d'aucun préjudice tiré de l'insuffisance alléguée du préavis contractuel, dont il est admis qu'il a été régulièrement exécuté, en raison du prononcé de sa liquidation judiciaire et de l'arrêt de toute activité pour des causes étrangères à la rupture litigieuse ;

et statuant à nouveau,

- débouter la selarl [D] [K] ès-qualités de l'ensemble de ses demandes ;

- condamner la selarl [D] [K] ès-qualités à payer à la société kering la somme de vingt-cinq mille euros (25 000 €) en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner la selarl [D] [K] ès-qualités aux entiers dépens de première instance et d'appel.

Vu les conclusions remises par le réseau privé virtuel des avocats le 1er avril 2022 pour la selarl [D] [K] représentée par Me [D] [K] en qualité de liquidateur de la sas On The Moon, par lesquelles elle demande à la cour de :

Vu les articles 1104, et 1143 du Code civil,

Vu les articles L. 442-6-I.2°, L. 442-6-I.4° et L. 442-6-I.5° du Code de commerce.

- CONFIRMER le jugement entrepris par le Tribunal de commerce de PARIS le 17 mars 2021 (RG n° 2018065213) en ce qu'il a :

- condamné KERING à payer à la SELARL [D] [K], représentée par Me [D] [K], es qualité de liquidateur judiciaire de la société ON THE MOON la somme de 330 027 € au titre de la rupture des relations contractuelles,

- condamné KERING à verser la somme de 6000 € à la SELARL [D] [K],représentée par Me [D] [K], es qualité de liquidateur judiciaire de la société ON THE MOON au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens sur appel incident à la SELARL [D] [K], représentée par Me [D] [K], es qualité de liquidateur judiciaire de la société ON THE MOON :

- RÉFORMER le jugement entrepris par le Tribunal de commerce de PARIS le 17 mars 2021 (RG n°2018065213) en ce qu'il a :

- débouté la SELARL [D] [K], représentée par Me [D] [K], es qualité de liquidateur judiciaire de la société ON THE MOON, de ses autres demandes d'indemnisation,

- débouté la SELARL [D] [K], représentée par Me [D] [K], es qualité de liquidateur judiciaire de la société ON THE MOON, de sa demande de publication du jugement

En conséquence, statuant de nouveau :

- CONDAMNER la société KERING à payer à la société ON THE MOON, prise en la personne de la SELARL [D] [K] la somme de 500.000 € au titre de la mauvaise foi lors de la conclusion du contrat de prestation en date du 24 novembre 2017

- CONDAMNER la société KERING à payer à la société ON THE MOON, prise en la personne de la SELARL [D] [K] la somme de 500.000 € au titre de la menace de rupture brutale des relations commerciales établies ; et subsidiairement, au titre du déséquilibre significatif créé dans les droits et obligations des parties ;

- AUTORISER la société ON THE MOON, prise en la personne de la SELARL [D] [K] à faire publier la décision à venir dans trois (3) journaux ou périodiques de son choix, aux frais de la société KERING.

En tout état de cause :

- DEBOUTER la société KERING de l'intégralité de ses demandes ;

- CONDAMNER la Société KERING à payer à la Société ONTHEMOON, prise en la personne de la SELARL [D] [K] une somme de 25.000 euros au titre de l'article 700 code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Vu l'ordonnance de clôture du 19 janvier 2023,

SUR CE, LA COUR,

A titre préalable, il y a lieu de relever que les références faites par Kering dans ses écritures aux « pièces 1ère instance » visées en bas de page, sont sans aucun effet pour celles qui ne seraient pas produites en appel, les dossiers déposés devant le tribunal étant indépendants des dossiers déposés devant la cour ; seuls les bordereaux de communication de pièces devant la cour permettent ainsi d'énumérer les pièces contradictoirement échangées en appel entre les parties et ainsi soumises à l'appréciation de la cour, en application de l'article 768 alinéa 1 du code de procédure civile.

1. Sur la rupture des relations contractuelles

Aux termes de l'article L. 442-6 I, 5° du code de commerce dans sa rédaction issue de la loi n°2016-1691 du 9 décembre 2016 applicable au litige, engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels. Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure.

Le champ d'application de ce texte requiert des relations commerciales établies, soit une relation commerciale entre les parties qui revêtait avant la rupture un caractère suivi, stable et habituel et dans laquelle la partie victime de la rupture pouvait raisonnablement anticiper pour l'avenir une certaine continuité du flux d'affaires avec son partenaire commercial.

L'article L. 442-6 I, 5° du code de commerce vise à sanctionner, non la rupture elle-même, mais sa brutalité caractérisée par l'absence de préavis écrit ou s'il a été délivré, l'insuffisance du préavis, lequel doit s'entendre du temps nécessaire à l'entreprise délaissée pour se réorganiser en fonction de la durée, de la nature et des spécificités de la relation commerciale établie, dont l'état de dépendance économique de l'entreprise évincée c'est-à-dire de l'impossibilité, pour l'entreprise de disposer d'une solution techniquement et économiquement équivalente aux relations contractuelles qu'elle avait nouées avec ce partenaire, et des circonstances prévalant au moment de la notification de la rupture susceptibles d'influencer le temps nécessaire pour le redéploiement de l'activité du partenaire victime de la rupture, telles que les capacités de l'entreprise à retrouver des débouchés.

Kering reconnaît que les relations commerciales entre les parties, bien que non formalisées par écrit jusqu'en 2017, avaient débuté en 2007 (conclusions page 6 paragraphes 13 et 14), et ont perduré sur une période de 11 années. Le préavis délivré le 19 juillet 2018 indique : « nous vous informons que nous mettons fin au contrat à durée indéterminée pour Kering et ses marques. La date de fin effective du contrat sera le 19 octobre 2018 », soit un préavis de 3 mois. L'article 3 du contrat du 24 novembre 2017 que vise Kering dans cette lettre, indique que « le contrat est conclu sans exclusivité pour une durée indéterminée à compter de sa signature. L'une ou l'autre des parties pourra mettre fin au contrat par lettre recommandée avec avis de réception moyennant un préavis de trois mois » (pièce 3 Kering).

Kering fait valoir que la rupture n'a été ni imprévisible ni soudaine ni violente dès lors qu'On the Moon avait été informée à l'avance que l'agence était retenue chaque année et sans exclusivité. Par ce moyen, Kering conteste en réalité à la fois le caractère établi des relations commerciales entre les parties, avançant ainsi que On the Moon ne pouvait raisonnablement anticiper pour l'avenir une certaine continuité du flux d'affaires avec elle, et le caractère brutal de la rupture.

Si les lettres portant « convention de prestations du 24 novembre 2017 et son avenant du 21 décembre 2017 campagne d'achat média RH 2018 LinkedIn », adressées par Kering et signées en retour par On the Moon, stipulent que « en ce qui concerne les campagnes suivantes d'achat média RH avec la société LinkedIn, nous n'avons pas encore à ce stade déterminé l'agence à laquelle nous les confierons » (1ère lettre pièce 4 Kering) et que « nous vous informons qu'au titre des campagnes des exercices 2018, 2019 et 2020, Kering et ses marques s'engagent à commander des produits LinkedIn aux strictes conditions suivantes :

- 1 244 754,56 € HT pour l'année 2018 via l'Agence ON THE MOON, [Adresse 1] ;

- 1 299 500,77 € HT pour l'année 2019 (avec une Agence à déterminer) ;

- 1 356 819,76 € HT pour l'année 2020 (avec une Agence à déterminer).

En ce qui concerne les campagnes 2019 et 2020 d'achat média RH, nous n'avons pas encore à ce stade déterminé l'agence à laquelle nous les confierons »,

Elles ne font par-là que rappeler l'absence d'exclusivité de On the Moon pour ces prestations, d'ailleurs reprise par le contrat du 24 novembre 2017, conclu « sans exclusivité » pour une durée indéterminée. Toutefois, l'absence d'exclusivité n'est pas exclusive d'une relation commerciale établie.

Ce « contrat de prestations » (pièce 3 Kering) a pour objet de « définir les conditions dans lesquelles On the Moon s'engage à fournir à Kering et ses Marques qui adhèreront par acte séparé au contrat (') les prestations décrites à l'article 2 ». Cet article 2 précise que On the Moon s'engage à procéder à la réalisation de prestations précisées dans l'annexe 1 « détails des prestations ». L'annexe 1 détaille qu'On the Moon « assure sans exclusivité l'achat d'espace global RH de Kering et/ou de la Marque sur demande de Kering et/ ou de la Marque via sa plateforme », On the Moon assurant « les prestations suivantes via les fonctionnalités de la plateforme » : s'informer sur les supports, jobs Boards (LinkedIn, Fashionjobs), mise à jour des données de Kering ou sa Marque, quantifier et compiler les besoins ('), évaluer les budgets, ... » en énumérant ainsi une vingtaine de prestations.

Si le contrat cadre signé le 24 novembre 2017 ne prévoit ainsi aucune exclusivité, et si les lettres de décembre 2017 rappellent que les campagnes postérieures à 2018 ne sont pas acquises, il ressort cependant des faits non contestés et des pièces produites :

- que depuis 11 années, des campagnes annuelles d'achat d'espace sur les sites de recrutement pour Kering étaient conclues avec On the Moon,

- que sur l'ensemble de la période les campagnes d'achat étaient renouvelées chaque année dans les mêmes conditions sans qu'elles aient été interrompues entre les parties à un quelconque moment avant 2018,

- qu'alors même que On the Moon n'a jamais bénéficié d'aucune exclusivité pour ces commandes auprès de Kering et qu'était rappelé à chaque fois la remise en concurrence avec d'autres prestataires, On the Moon, qui avait été sollicitée pour l'ensemble de ces campagnes pendant 11 années, pouvait légitimement s'attendre à la signature d'un nouveau contrat à l'échéance du précédent.

Partant, l'existence d'une relation commerciale établie entre les parties pendant 11 années est rapportée.

Quant aux circonstances de la rupture, il y a lieu de relever :

- d'une part que l'existence d'un préavis contractuellement fixé, comme ici à 3 mois, ne dispense pas le juge de rechercher le caractère suffisant du délai de préavis effectivement retenu, au regard de la durée de la relation commerciale et des circonstances entourant la rupture,

- d'autre part, que ce préavis contractuel évalué en 2017 lors de la signature du contrat cadre, ne tenait manifestement pas compte de l'ancienneté des relations entre les parties, laquelle n'est d'ailleurs rappelée à aucun moment dans le contrat, les paragraphes introductifs de celui-ci, sous le titre « il a été préalablement exposé ce qui suit » présentant les parties et indiquant que Kering « souhaitant accéder au savoir-faire, l'expertise, l'expérience, aux meilleures pratiques et aux compétences confirmées de haut niveau et de haute qualité d'un prestataire professionnel, a retenu On the Moon pour son compte et celui de ses marques qui souhaitent bénéficier des prestations On the Moon », ce dont il résulte non seulement que ce contrat fait fi des relations préexistantes, mais également qu'en novembre 2017, Kering n'a aucun grief contre On the Moon,

- que s'agissant de l'état de dépendance économique de l'entreprise évincée au moment de la notification de la rupture, Kering reconnaît (page 20 de ses conclusions) qu'il représentait 37 % du chiffre d'affaires de On the Moon en 2016, et 41 % en 2017 et constituait ainsi l'un de ses principaux clients, lui assurant plus du tiers de son activité ; par ailleurs, les difficultés économiques que rencontraient On the Moon attestées par la procédure de redressement judiciaire, ne justifie pas qu'un partenaire commercial qui ne rapporte aucun grief sur les prestations (la dégradation des relations commerciales visée par Kering est d'autant moins rapportée que la plupart des faits avancés sont antérieurs à la signature du contrat de 2017), puisse rompre la relation sans respect d'un préavis tenant compte de cette ancienneté et de l'état de dépendance économique. Agence de communication et d'achat d'espaces RH sur internet, On the Moon ne pouvait retrouver une activité comparable en trois mois alors que Kering était décrit à cette période par le magazine Le Revenu (article du 12 juin 2017, pièce 35 intimée) comme faisant partie des trois « champions du luxe qui créent de l'emploi en France », en ayant vu ses recrutements progresser de 13 % en 3 ans, et en employant plus de 2.000 personnes en France dans sa division « Luxe ». Le fait que On the Moon ait cessé toute activité le 13 décembre 2018 suite au prononcé de sa liquidation judiciaire est sans incidence sur l'évaluation du préjudice subi du fait de la rupture initiée par Kering avant cette date, l'activité de On the Moon ayant notamment été appréciée dans le cadre de cette procédure collective au regard des contrats en cours et à venir. Enfin si l'activité de On the Moon, activité de service, permet de réduire le temps nécessaire pour le redéploiement de cette activité, il résulte de ce qui précède que c'est à juste titre que le tribunal de commerce, retenant des relations commerciales établies sur 11 années et les circonstances de la rupture, a fixé la durée du préavis nécessaire au redéploiement de On the Moon à 10 mois, et condamné Kering au paiement des 7 mois non payés.

S'agissant du calcul de ce préjudice, il doit être évalué en considération de la marge brute escomptée durant la période de préavis qui n'a pas été exécutée, c'est-à-dire la marge sur coûts variables, définie comme la différence entre le chiffre d'affaires dont la victime a été privée sous déduction des charges qui n'ont pas été supportées du fait de la baisse d'activité résultant de la rupture.

Le chiffre d'affaires moyen réalisé par On The Moon avec Kering au cours des quatre années ayant précédé la rupture (2014 à 2017 inclus) soit 1 456 688 euros, tel que retenu par le tribunal, n'est pas contesté.

S'agissant du taux de marge brute escomptée, le tribunal l'a retenu, notamment au regard des documents comptables produits par On the Moon à hauteur de 38,86 %.

Si ce taux est contesté par Kering, il y a lieu de relever que sa contestation repose sur les taux de commission des prestations de On the Moon tels que prévus aux contrats entre les parties, qu'elle retient pour calculer le préjudice, alors que ce préjudice, qui doit être intégralement réparé, doit être fixé selon la marge sur coûts variables et non sur les dispositions financières du contrat.

Ainsi, le préjudice doit être fixé à 1.456.688 x 7/12 x 0,3886 = 330.207 € tel que l'a retenu le tribunal. Le jugement sera confirmé sur ce point.

Sur l'appel incident au titre d'une faute commise par Kering dans la gestion des factures.

De ce chef, le rapport d'enquête sur demande d'ouverture d'une procédure de sauvegarde du 17 juillet 2017 (pièce 16 intimée) relève que « les difficultés rencontrées par la société résultent de deux facteurs : la crise économique qui a fortement touché ce secteur d'activité depuis 2008, de graves problèmes de santé du dirigeant depuis 2013 » et relie directement ces difficultés avec la dette accumulée envers la société LinkedIn, sans référence à un encours de factures non payées par Kering.

Partant aucune faute ne peut être relevée de ce chef.

Au surplus, cette demande n'est pas chiffrée et n'est pas reprise en tant que telle dans le dispositif des conclusions. Dans tous les cas, au titre du préjudice subi, cette demande doit être rejetée et partant le jugement confirmé en ce qu'il a débouté On the Moon.

Sur la demande sur appel incident au titre de la menace de rupture brutale des relations commerciales établies à hauteur de 500.000€

Aux termes de l'article L. 442-6 I, 4° du code de commerce dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 applicable au litige, engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers d'obtenir ou de tenter d'obtenir, sous la menace d'une rupture brutale totale ou partielle des relations commerciales, des conditions manifestement abusives concernant les prix, les délais de paiement, les modalités de vente ou les services ne relevant pas des obligations d'achat et de vente.

S'agissant de l'obtention de conditions manifestement abusives telle que requise par ce texte, le tribunal de commerce a à juste titre relevé que On the Moon, à qui il appartenait de prouver que le commissionnement à 2 % sur les annonces LinkedIn constituait une condition commerciale manifestement abusive, échouait à rapporter cette preuve dès lors que l'attestation produite par On the Moon du président de l'association des conseils en communication pour l'emploi (pièce 3 intimée) qui indiquait que pour ces produits « chaque agence est libre d'appliquer une politique commerciale qui lui est propre en contrepartie du service apporté au client » le pourcentage qu'il pouvait constater variant en général de 5 à 15 %, était contredite par le courriel d'un responsable de marché de LinkedIn du 14 décembre 2017 (pièce 12 appelante) indiquant qu'aucune autre agence sur le marché ne percevait de commission complémentaire sur les achats d'espace LinkedIn. Aucune autre pièce n'est produite en appel sur ce point.

En outre les échanges entre Kering et On the Moon mi-décembre 2017 démontrent que les parties ont pu discuter de cette commission On the Moon demandant 4,5 % tout en indiquant concéder des efforts pour celle-ci, Kering répondant que les grandes agences ne facturant pas de commission complémentaire pour ces produits, son offre définitive était de retenir une commission de 2 %. Cette commission représente donc une solution moyenne entre l'absence totale de commission pratiquée par les grandes agences et les 4,5 % demandés par On the Moon (pièce 24 intimée).

Il n'est ainsi pas rapporté d'exploitation abusive de l'état de dépendance allégué par On the Moon.

Enfin il n'est justifié ni du préjudice économique demandé à hauteur de 50.000 € ni du préjudice moral à hauteur de 450.000 €.

En conséquence c'est à juste titre que le tribunal a débouté On the Moon de sa demande de ce chef. Le jugement sera confirmé sur ce point.

Sur la demande sur appel incident au titre de la mauvaise foi dans la conclusion du contrat à hauteur de 500.000€

En application de l'article 1104 du code civil, les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi.

On the Moon ne rapporte ici aucun élément permettant de retenir qu'elle aurait été contrainte de signer le contrat du 24 novembre 2017.

Le délai de 4 jours qu'elle évoque pour accepter ce contrat (envoyé le 17 novembre à 17h48), ne suffit pas à rapporter cette contrainte, alors qu'il ressort des échanges de mails produits (pièce 22 intimée) que On the Moon a pu discuter de l'équilibre du contrat dans des échanges qui reflètent une réelle négociation dont tous les termes ne sont pas pour autant acceptés, et qu'au demeurant, les parties ont encore signé un avenant ensuite.

Par ailleurs, la résiliation du contrat en juillet 2018 est sans lien avec la bonne foi dans la conclusion de ce contrat en novembre 2017, et le préjudice qui en résulte déjà réparer au titre de la rupture brutale.

Enfin le préjudice réclamé de ce chef n'est pas plus rapporté. A ce titre la « valorisation financière de la plateforme » Hub4talent telle que produite en pièce 11 par On the Moon pour justifier son coût de 200.000 € consiste en une seule page de traitement de texte réalisée par l'intimée ayant listée l'équipe dédiée en ajoutant un coût jour/homme sans aucune pièce justifiant celui-ci, une « durée moyenne du projet » de 11 mois pas plus justifiée par une quelconque pièce, et 4 phases de réalisation affectées de coûts qui ne sont rapportés ni par des factures, ni par un devis accepté, ni par aucune autre pièce.

En conséquence, c'est à juste titre que le tribunal a rejeté cette demande. Le jugement sera confirmé sur ce point.

Sur la demande sur appel incident au titre du déséquilibre significatif à hauteur de 500.000 €.

L'article L. 442-6, I, 2° du code de commerce, prescrit qu'engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, de soumettre ou de tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties.

Cette demande reprend les moyens et arguments déjà développés par On the Moon sur le précédent fondement.

Il a déjà été retenu que On the Moon ne rapportait pas la preuve qu'elle aurait fait l'objet d'une contrainte ou d'une soumission dans la négociation du contrat et de ses avenants.

Par ailleurs, la preuve que le commissionnement à 2 % sur les annonces LinkedIn constitue une obligation créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties n'est pas rapportée dès lors :

- d'une part qu'il a déjà été vu que le taux de cette commission ne pouvait être considérée comme ayant été imposé du fait de l'état de dépendance économique,

- et d'autre part que la preuve d'un déséquilibre généré par le défaut de réciprocité et de contrepartie entre les obligations des cocontractants n'est pas plus rapporté, On the Moon ne détaillant pas même ce point dans ses conclusions (page 33).

Le montant des préjudices réclamés n'est pas plus ni détaillé ni sa preuve rapportée.

Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a débouté On the Moon au titre de cette demande.

Sur les frais irrépétibles et les dépens.

Le jugement étant confirmé en toutes ses dispositions déférées, il convient de le confirmer en ce qu'il a statué sur les dépens et les frais irrépétibles.

Statuant de ces chefs en cause d'appel, chaque partie étant déboutée de ses demandes, chacune supportera la charge de ses propres dépens en application de l'article 696 du code de procédure civile, et sera en conséquence déboutée de ses demandes au titre des frais irrépétibles, en application de l'article 700 du même code.

PAR CES MOTIFS,

CONFIRME le jugement en toutes ses dispositions déférées,

Y ajoutant,

LAISSE à chaque partie la charge de ses propres dépens,

DÉBOUTE les parties de leurs demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile,