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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 8, 7 juillet 2022, n° 21/20487

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

JV (SAS)

Défendeur :

Selarl Thévenot Partners (ès qual.), Selafa MJA (ès qual.), Maline (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Hébert-Pageot

Conseillers :

Mme Texier, Mme Dubois-Stevant

Avocats :

Me Ohana, Me Cren, Me Dutreuilh, Me Dubernet

T. com. Paris, du 29 oct. 2021, n° 20210…

29 octobre 2021

FAITS ET PROCÉDURE :

Le 17 octobre 2018, le tribunal de commerce de Paris a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'égard de la SARL Maline, exploitant un bar-restaurant à Paris.

Le 6 février 2020, le tribunal a arrêté le plan de cession de la société Maline au profit de M. [N] avec faculté de se substituer la société JV, moyennant le prix de 251.000 euros. Le plan de cession prévoyait la reprise de l'ensemble des contrats en cours, dont les contrats de travail des salariés. Le jugement a désigné M.[N] comme tenu d'exécuter le plan et maintenu la SCP Thevenot Partners comme administrateur judiciaire et la SELAFA MJA comme mandataire judiciaire.

Le redressement judiciaire de la société Maline a été converti en liquidation judiciaire le 19 février 2020.

Par jugement du 22 octobre 2020, confirmé par arrêt du 11 mars 2021, le tribunal a rejeté une première requête en modification du plan déposée le 2 septembre 2020, qui tendait, compte tenu de la crise sanitaire, à obtenir un étalement du paiement du prix de cession.

L'acte de cession a été signé le 26 mars 2021 par la société JV, que M.[N] avait été autorisé à se substituer.

Le 30 juillet 2021, la société JV et M. [N] ont déposé une nouvelle requête en modification du plan de cession, pour voir juger que les contrats de travail de MM. [L] et [B], en situation irrégulière, ne pouvaient leur être judiciairement cédés, qu'en conséquence, il y avait lieu de modifier le périmètre du plan de cession en excluant les contrats de travail dont le transfert judiciaire était impossible sur le fondement de l'article L 1224-1 du code du travail, et d'ordonner le remboursement à la société JV, aux frais de la procédure collective, de la somme de 28.720,47 euros correspondant au coût de licenciement des deux salariés.

Par jugement du 29 octobre 2021, le tribunal de commerce de Paris a débouté la SCP Thévenot Partners, ès qualités administrateur judiciaire et la SELAFA MJA, ès qualités de liquidateur judiciaire de leur fin de non-recevoir tirée de l'autorité de la chose jugée, dit les requérants recevables mais mal fondés en leur requête en modification du plan de cession et en remboursement du coût des deux licenciements, rejeté les prétentions respectives des parties sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, maintenu M.[F] en qualité de juge-commissaire, la SCP Thévenot Partners, en la personne de Maître [R], comme administrateur judiciaire et la SELAFA MJA, en la personne de Maître [A], comme liquidateur judiciaire et dit que les dépens seront supportés par la SAS JV.

La SAS JV et M.[N] ont relevé appel de cette décision le 24 novembre 2021.

Par conclusions notifiées par RPVA le 4 janvier 2022, la SAS JV et M. [N] demandent à la cour d'infirmer le jugement 'en toutes ses dispositions', juger que les contrats de travail de MM. [B] et [L], personnes en situation irrégulière, ne pouvaient être judiciairement cédés, en conséquence ordonner la modification du périmètre du plan de cession en excluant ces deux contrats de travail, ainsi que le remboursement aux frais de la procédure collective de la somme de 28.720,47 euros représentant le coût des licenciements et condamner solidairement la SELARL Thevenot Partners et la SELAFA MJA à régler à la société JV une indemnité de 10.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens.

Dans leurs conclusions notifiées par RPVA le 1er février 2022, la SELARL Thevenot Partners, en la personne de Maître [R], ès qualités d'administrateur judiciaire de la société Maline et la SELAFA MJA, en la personne de Maître [A], ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Maline, demandent à la cour de les recevoir en leurs conclusions, les dire bien-fondés, débouter la société JV et M. [N] de toutes leurs prétentions, confirmer le jugement entrepris sauf en ce qu'il a rejeté la fin de non-recevoir tirée de l'autorité de la chose jugée, y ajoutant condamner la société JV et M.[N] à leur payer in solidum une indemnité procédurale de 10.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

La société Maline, M. [X] et Mme [H] n'ont pas constitué avocat.

Dans son avis notifié par RPVA le 1er février 2022, le ministère public invite la cour à confirmer le rejet de la requête.

SUR CE

- Sur la fin de non-recevoir tirée de l'autorité de la chose jugée

L'administrateur et le mandataire judiciaires soulèvent l'irrecevabilité de la demande de modification du plan de cession, en ce qu'elle se heurte à l'autorité de la chose jugée par le jugement du 22 octobre 2020, confirmé par arrêt du 11 mars 2021. Les appelants s'y opposent, faisant valoir que les deux requêtes n'ont pas le même objet.

La requête soumise à la cour dans la présente instance tend à voir modifier le périmètre des contrats repris, plus précisément des contrats de travail, et à obtenir le remboursement par la procédure collective du coût des licenciements des deux salariés, dont les contrats ne pouvaient être cédés.

La précédente requête en modification du plan visait quant à elle à modifier les modalités de paiement du prix de cession, afin que le prix de 251.000 euros, qui avait donné lieu à la remise d'un chèque de banque de ce montant, soit payable dans un délai de 5 ans, au moyen d'une première échéance de 100.000 euros à la signature des actes de cession, puis de quatre échéances annuelles de 37.750 euros.

Ainsi que le soutiennent les appelants et que l'a retenu le tribunal, ces deux requêtes n'ont pas du tout le même objet, l'une portant sur les modalités de paiement du prix de cession, l'autre sur le périmètre de la reprise. Le fait que la seconde requête comporte un aspect financier en ce qu'elle vise à faire supporter les frais de licenciement à la procédure collective et non au cessionnaire ne se confond pas avec une demande d'étalement du paiement du prix de cession.

Il en résulte que le jugement du 22 octobre 2020 et l'arrêt confirmatif du 11 mars 2021 se sont prononcés sur une demande dont l'objet était différent de celui de la présente instance et que les intimés ne sont donc pas fondés à opposer l'autorité de la chose jugée le 22 octobre 2020 et le 11 mars 2021.

En conséquence, le jugement sera confirmé en ce qu'il a rejeté la fin de non-recevoir tirée de l'autorité de la chose jugée.

- Sur la modification du plan de cession

La demande de modification formée par la société JV et de M.[N] vise à réduire le périmètre des contrats de travail repris.

Aux termes de l'article L 642-6 du code de commerce ' Une modification substantielle dans les objectifs, les moyens du plan ne peut être décidée que par le tribunal à la demande du cessionnaire'.

La modification substantielle suppose la survenance d'éléments nouveaux.

L'offre de M.[N] comportait la reprise de quatre salariés de la société Maline, dont M.[L], commis de cuisine et M. [B], plongeur.

Ces deux salariés, étant en situation irrégulière, ont dû après le jugement arrêtant le plan de cession être licenciés par la société JV que M. [N] s'était substituée, afin de respecter les dispositions de l'article L 8251-1 alinéa 1 du code du travail selon lesquelles nul ne peut embaucher ou conserver à son service pour quelque durée que ce soit un étranger non muni d'un titre l'autorisant à exercer une activité salariée en France. La société JV a réglé en juin 2021 à ces deux salariés licenciés un montant de 28.720,47 euros.

Au soutien de leur demande de modification du périmètre du plan M.[N] et la société JV font valoir que l'irrégularité de la situation de ces salariés n'a été révélée que postérieurement à l'arrêté du plan, que toutefois cette irrégularité étant préexistante, il incombait à l'administrateur judiciaire en vertu de l'article L 8251-1 alinéa 1 du code du travail de procéder à leur licenciement, de sorte que ces contrats de travail ne pouvaient légalement être transférés au repreneur et que le coût des licenciements doit être supporté par la procédure collective. Ils précisent qu'il est admis que les modifications du plan de cession puissent porter sur le maintien de l'emploi ou le périmètre de la cession, et que le caractère forfaitaire et aléatoire du plan de cession n'exonère pas l'administrateur judiciaire du respect de ses obligations légales, qui étaient de ne pas conserver l'emploi de ces deux salariés en situation irrégulière. Ils ajoutent qu'en cas de changement dans la situation juridique de l'employeur, le repreneur n'est pas tenu de poursuivre le contrat de travail du salarié en situation irrégulière.

La SCP Thevenot Partners et la SELAFA MJA, ès qualités, ainsi que le ministère public soutiennent que le plan de cession est devenu définitif, que remettre en cause le périmètre du plan et le prix de cession aurait pour effet de rompre l'égalité entre les candidats à la reprise, que le plan de cession n'est pas une vente de droit commun, mais une opération à caractère forfaitaire impliquant un aléa, exclusif des garanties de droit commun, que la situation de ces salariés n'a été connue que postérieurement au jugement arrêtant le plan de cession et que les conséquences doivent en être supportées par le seul repreneur. Ils soulignent que les contrats de travail n'ont pas été judiciairement cédés mais légalement transférés en application de l'article L 1224-1 du code du travail, nonobstant la situation irrégulière de ces salariés.

Dans le cadre d'un plan de cession, il appartient au candidat repreneur de déterminer dans son offre le nombre de salariés qu'il entend reprendre. En l'occurrence, l'offre de M. [N] retenue par le tribunal a proposé la reprise de tous les salariés de la société Maline. M. [N] a précisé dans son offre améliorée du 17 janvier 2020, avoir une parfaite connaissance de la liste du personnel actuellement employé par la société Maline, des conditions de rémunération, des droits à congés payés, RTT et autres avantages acquis par les salariés et s'est engagé sans distinction de leur date d'acquisition, à les assumer en sus du prix de cession proposé.

Les contrats de travail ainsi repris n'ont pas été judiciairement cédés, mais légalement transférés en application de l'article L 1224-1 du code du travail selon lequel 'Lorsque survient une modification dans la situation juridique de l'employeur, notamment par succession, vente, fusion, transformation du fonds, mise en société de l'entreprise, tous les contrats de travail en cours au jour de la modification subsistent entre le nouvel employeur et le personnel de l'entreprise.' Contrairement à ce que soutiennent les appelants, la circonstance que ces deux salariés, titulaires de contrats de travail, M.[L] ayant été embauché en CDI comme commis de cuisine à compter du 29 août 2011, et M.[B], comme plongeur en CDI à compter du 1er juillet 2016, étaient en situation irrégulière au moment de l'adoption du plan n'a pas pour effet d'empêcher le transfert de plein droit de leurs contrats au repreneur, ce transfert légal des contrats de travail n'ayant pas pour effet de contraindre ensuite le nouvel employeur à poursuivre le contrat de travail de salariés en situation irrégulière.

La situation irrégulière des deux salariés préexistant au plan de cession, la société JV et M. [N] ne peuvent se prévaloir d'aucune modification substantielle dans les objectifs ou les moyens du plan.

La présente instance ayant pour objet une demande de modification du plan de cession et non l'examen de la responsabilité des organes de la procédure, le moyen pris de ce que l'administrateur judiciaire aurait dû avant la cession procéder au licenciement des deux salariés concernés est inopérant, étant surabondamment relevé que les intimés soutiennent que l'irrégularité de la situation de MM. [L] et [B] n'a été connue qu'après la cession.

Il s'ensuit que le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté la société JV et M.[N] de leur demande de modification du plan de cession et de prise en charge du coût des licenciements.

- Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile

Le jugement sera également confirmé en ce qu'il a dit n'y avoir lieu de faire application de l'article 700 du code de procédure civile au profit de quiconque et condamné la société JV aux dépens.

Y ajoutant en appel, la cour déboutera les parties de leurs demandes d'indemnités procédurales et condamnera la société JV aux dépens d'appel.

PAR CES MOTIFS

Confirme le jugement en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

Déboute les parties de leurs demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne la société JV aux dépens d'appel.