CA Toulouse, 1re ch. sect. 1, 19 avril 2022, n° 18/03707
TOULOUSE
Arrêt
Infirmation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Defix
Conseillers :
M. Robert, M. Garrigues
FAITS ' PROCÉDURE ' PRÉTENTIONS
La société coopérative agricole Sagef a été formée en 1966 entre des arboriculteurs fruitiers. Elle a été dirigée par M. Christian T. de 1997 à août 2014.
Le Groupement d'exploitation en commun (Gaec) de Galon a été créé en 1985 et a pour associés et co-gérants MM. Christian et Alain T..
Le Gaec de Galon a bénéficié de prestations de conditionnement et de stockage de fruits en tant que coopérateur de la société coopérative Sagef.
Alors qu'il en était le président, la société Sagef a réalisé pour le Gaec de Galon des prestations de conditionnement de ses productions de fruits pour la période de mars 2010 à juin 2014.
Le 28 janvier 2015, la société Sagef a déposé au greffe du tribunal de commerce de Montauban une demande d'injonction de payer à l'encontre du Gaec de Galon.
Le 9 février 2015, le président du tribunal de commerce de Montauban a rendu une ordonnance d'injonction de payer la somme de 296 856,74 euros en principal outre
11 043,07 euros au titre des intérêts contractuels. Cette décision a été frappée d'opposition par le Gaec de Galon.
Le 28 septembre 2016, un jugement d'incompétence au profit du tribunal de grande instance de Montauban a été rendu.
Le 22 novembre 2016 une procédure de redressement judiciaire a été ouverte à l'encontre de la société Sagef et Maître Jean-Claude E. a été nommé mandataire judiciaire.
Par jugement du 4 juillet 2017 assorti de l'exécution provisoire et signifié le 25 juillet 2017, le tribunal de grande instance de Montauban a :
- donné acte à Maître E. de son intervention volontaire en qualité de mandataire judiciaire de la société coopérative Sagef,
- condamné le Gaec de Galon à payer à la société coopérative Sagef et à Maître E. ès qualités :
'' la somme principale de 296 856,74 euros augmentée des intérêts de retard au taux de trois fois le taux de l'intérêt légal à compter de la date de chaque facture,
' la somme de 2 000 euros en application de l'article '700, 1°' du code de procédure civile et à supporter les entiers dépens avec recouvrement dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile.
Par acte du 17 août 2017, le Gaec de Galon a interjeté appel général de cette décision.
Par ordonnance du conseiller de la mise en état du 11 octobre 2018, la radiation de l'affaire a été prononcée.
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Par acte d'huissier du 20 octobre 2017, la société coopérative Sagef représentée par Maître E. a fait assigner MM. Christian et Alain T. devant le tribunal de grande instance de Montauban pour les voir condamner au paiement des sommes mises à la charge du Gaec du Galon par le jugement du 4 juillet 2017.
Par jugement du 20 février 2018, le redressement judiciaire de la société coopérative agricole Sagef a été converti en liquidation judiciaire et Maître E., désigné en qualité de liquidateur, est intervenu volontairement à l'instance par voie de conclusions du 6 mars 2018.
Par jugement contradictoire du 10 juillet 2018, assorti de l'exécution provisoire, le tribunal de grande instance de Montauban a :
- débouté, au visa de l'article 1850 du code civil, Maître E. ès qualités de mandataire-liquidateur judiciaire de la société Sagef de sa demande contre M. Christian T.,
- condamné, au visa des articles L. 323-10 du code rural et de la pêche maritime et 1858 du code civil, M. Christian T. à payer à Maître E. es qualité de mandataire-liquidateur de la société Sagef la somme de 89 994,92 euros,
- condamné M. Alain T. à payer à Maître E. ès qualités de mandataire-liquidateur de la société Sagef la somme de 89 994,92 euros,
- condamné, sur le fondement de l'article '700, 1°' du code de procédure civile, MM. Christian et Alain T., ensemble, à payer à Maître E. ès qualités de mandataire-liquidateur de la société Sagef la somme de 2 000 euros,
- condamné, conformément à l'article 699 du code de procédure civile, M. Christian T. et Alain T. aux dépens et accordé le droit de recouvrement direct à la Scp R. qui en a fait la demande,
- ordonné l'exécution provisoire.
En substance, le tribunal a considéré que si le dirigeant engage sa responsabilité à l'égard de la société qu'il dirige lorsqu'il commet des fautes de gestion , qui sont des fautes simples n'ayant pas à être détachables des fonctions exercées en raison de leur gravité, il n'est pas démontré qu'en l'espèce M. Christian T. ait permis frauduleusement la fourniture de prestations par la société Sagef dans le but de détourner ou dissiper la trésorerie de cette société, de telle sorte que l'abus de confiance allégué n'est pas établi.
Le tribunal a retenu que la preuve n'était pas rapportée que la convention de compte courant qui s'est nouée entre la société Sagef et le Gaec de Galon ait eu un caractère anormal et ne se rapportait pas à des opérations courantes de la société Sagef. Il a également retenu que l'aggravation de la dette du Gaec de Galon à l'encontre de la société Sagef n'est pas due à une faute personnelle de M. T. mais résulte d'une décision collective prise par le conseil d'administration.
Le tribunal a enfin considéré que la responsabilité personnelle des associés du Gaec devait être retenue en raison de la vaine poursuite des dettes sociales à l'encontre du Gaec et que compte tenu des règles légales spéciales exclusives de l'application du code civil et des règles statutaires la responsabilité des associés était limitée à deux fois le montant de leurs parts représentatives d'apports en capital.
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Par acte du 20 août 2018, MM. Christian et Alain T. ont interjeté appel de cette décision en ce qu'elle a :
- condamné M. Christian T. à payer à Maître E. ès qualités de mandataire-liquidateur de la société Sagef la somme de 89 994,92 euros,
- condamné M. Alain T. à payer à Maître E. ès qualités de mandataire-liquidateur de la société Sagef la somme de 89 994,92 euros,
- condamné MM. Christian et Alain T., ensemble, à payer à Maître E. ès qualités de mandataire-liquidateur de la société Sagef la somme de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 1° du code de procédure civile,
- condamné MM. Christian et Alain T. aux dépens.
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Par jugement du 10 décembre 2018, le tribunal de grande instance de Montauban a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'encontre du Gaec de Galon qui a été convertie en liquidation judiciaire par jugement du 18 octobre 2019 avec désignation de la Selarl Benoît et associés en qualité de liquidateur.
M. Christian T. est décédé le 21 mars 2019.
Par ordonnance en date du 27 juillet 2020, le magistrat chargé de la mise en état a :
- donné acte à Mme Lisette V. veuve T., M. Christophe T., Mme Béatrice T. épouse P., Mme Chantal T. de leur intervention volontaire à l'instance le 23 octobre 2019 en leur qualité d'héritiers de M. Christian T.,
- dit n'y avoir lieu à faire droit à la demande de radiation de l'affaire du rôle présenté par Maître E. en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société coopérative agricole Sagef,
- dit que les dépens et frais irrépétibles de l'incident seront joints à ceux de l'instance au fond.
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Dans leurs dernières écritures transmises par voie électronique le 29 avril 2021,
M. Alain T., appelant et Mme Lisette V., M. Christophe T.,
Mme Béatrice T. épouse P., Mme Chantal T., intervenants volontaires en leur qualité d'héritiers de M. Christian T., demandent à la cour, au visa des articles 1850 et 1858 du code civil, L. 622-20 du code de commerce et L.323-10 du code rural, de :
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a rejeté la demande de condamnation de
M. Christian T. sur le fondement de l'article 1850 du code civil,
- réformer le jugement dont appel en ce qu'il a :
' condamné M. Christian T. à payer à Maître E., ès qualités de mandataire liquidateur de la société Sagef la somme de 89 994, 92 euros,
' condamné M. Alain T. à payer à Maître E., ès qualités de mandataire judiciaire de la société Sagef la somme de 89 994, 92 euros,
' condamné MM. Christian et Alain T., ensemble, à payer à Maître E., ès qualités de mandataire liquidateur de la société Sagef, la somme de 2 000 euros en application de l'article 700, 1° du code de procédure civile,
' condamné M. Christian T. et M. Alain T. aux dépens,
et statuant à nouveau,
' titre principal, juger l'action introduite par Maître E., ès qualité de liquidateur de la Sagef, contraire aux dispositions d'ordre public de l'article L.622-20 du code de commerce et dès lors irrecevable,
' titre subsidiaire,
- juger que M. Christian T. ne pouvait être condamné à payer à Maître E. ès qualités de mandataire liquidateur de la société Sagef une somme supérieure à
44 997,46 euros,
- juger que M. Alain T. ne saurait être condamné à payer à Maître E. ès qualités de mandataire liquidateur de la société Sagef une somme supérieure à 44 997,46 euros,
- juger qu'en tout état de cause, le compte courant créditeur de M. Christian T. doit être imputé du montant qu'il peut être tenu de régler en sa qualité d'associé garantissant le capital social vis-à-vis des tiers,
- constater que le compte courant de M. Christian T. est arrêté au 31 décembre 2017 au montant de 85 193,11 euros,
En toute hypothèse,
- condamner Maître E. ès qualités de mandataire de la Sca Sagef à verser à MM. Christian et Alain T. la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner Maître E. ès qualités de mandataire de la société Sagef aux entiers dépens et dire que, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile, Maître J. pourra recouvrer directement les frais dont il a fait l'avance sans en avoir reçu provision.
À l'appui de leurs prétentions, les appelant et intervenants volontaires soutiennent
que :
- les demandes dirigées contre les associés du Gaec de Galon sont irrecevables dès lors que le Gaec étant en liquidation judiciaire depuis le '25" octobre 2019, l'action dirigée contre les associés du Gaec est réservée au liquidateur du Gaec et ne peut être exercée par des tiers et que l'exercice d'une action par Maître E. à leur encontre romprait l'équilibre entre les créanciers du Gaec de Galon,
- la responsabilité personnelle des associés du Gaec de Galon ne peut être retenue dès lors que Maître E. n'a pas tenté de purger les actifs du Gaec de Galon conformément à l'article 1858 du code civil en assignant en justice ledit Gaec placé en liquidation judiciaire, ce qui rend l'action de Maître E. irrecevable,
- la responsabilité personnelle des associés du Gaec de Galon ne peut excéder une fois le capital social détenu par chacun des associés, dès lors qu'ils ont garanti une première fois le capital social lors de la constitution de la société et de l'apport du capital social et ne peuvent donc le garantir qu'à hauteur du même montant en cours d'exercice, soit 44 997,46 euros,
- M. Christian T. est détenteur d'un compte courant d'associé créditeur qui doit être imputé sur la créance qui résulte de sa garantie en tant qu'associé,
- M. Christian T. n'aurait pu engager sa responsabilité en qualité de gérant de la société Sagef qu'en cas de faute caractérisée de sa part, ce qui n'est pas le cas en l'espèce dès lors qu'il n'est pas établi que sa gestion a conduit à l'ouverture de la procédure collective de la société Sagef, qu'il n'a pas commis d'abus de confiance, abus qui ne peut résulter du seul fait que le Gaec de Galon soit débiteur à l'égard de la société Sagef, que la ligne de crédit du Gaec de Galon a été approuvée par le conseil d'administration de la société Sagef et que l'ouverture d'une ligne de crédit au bénéfice d'un adhérent de la coopérative était une pratique courante au sein de celle-ci,
- M. Chritian T. étant décédé le 21 mars 2019, l'action en responsabilité engagée contre lui est irrecevable.
Dans ses dernières écritures transmises par voie électronique le 6 décembre 2021, Maître Jean-Claude E., ès qualités de liquidateur judiciaire de la Sagef, intimé et appelant incident, demande à la cour, au visa des articles 1240, 1850 et 1857 et suivants du code civil, 17 alinéas 2 et 3 des statuts du Gaec de Galon, 314-1 du code pénal, l'article L.529-1 alinéa 2 du code rural et L.225-43 du code de commerce, L.323-10 et suivants du code rural et de la pêche maritime, de :
- débouter MM. Christian et Alain T. de l'ensemble de leurs demandes, fins et moyens,
- réformer le jugement de première instance en tant qu'il a rejeté l'action dirigée à l'encontre de M. Christian T. et statuant à nouveau :
' dire que M. Christian T. a engagé sa responsabilité personnelle envers la société Sagef,
' condamner Mme Lisette V., M. Christophe T., Mme Béatrice T. épouse P., et Mme Chantal T. à lui payer la somme de 296 856, 74 euros,
- 'pour le reste', confirmer le jugement dont appel en tant qu'il a :
' condamné M. Christian T. à lui payer la somme de 89 944, 92 euros,
' condamné M. Alain T. à lui payer la somme de 89 944, 92 euros,
- dire que Mme Lisette V., M. Christophe T., Mme Béatrice T. épouse P., et Mme Chantal T., et M. Alain T. seront solidairement tenus de la dette avec le Gaec de Galon,
- condamner solidairement Mme Lisette V., M. Christophe T., Mme Béatrice T. épouse P., et Mme Chantal T., et M. Alain T. à lui payer la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.
À l'appui de ses prétentions, Maître E. ès qualités soutient que :
- sa demande principale relative à l'engagement de la responsabilité civile de M. Christian T. en tant que dirigeant de la Sagef ne concerne pas le Gaec de Galon, la liquidation judiciaire de ce dernier étant donc sans incidence sur la recevabilité de l'action,
- sa demande subsidiaire dirigée contre les associés du Gaec de Galon n'est pas dirigée contre le Gaec lui-même de sorte que l'article L.622-20 du code de commerce n'est pas applicable, l'ouverture d'une procédure collective à l'encontre d'une société n'empêche d'ailleurs pas les créanciers d'agir contre les associés sur le fondement de leur obligation aux dettes sociales résultant des articles 1857 et 1858 du code civil, action qui échappe au monopole du mandataire judiciaire,
- la dette personnelle de M. Christian T. se transmet à ses ayant-droits qui sont volontairement intervenus à l'instance, l'action de Maître E. étant donc recevable,
- sur le fondement de l'article 1850 du code civil, la preuve d'une faute simple du dirigeant suffit à engager sa responsabilité vis-à-vis de la société, sans avoir à prouver que la faute est détachable des fonctions de dirigeant. M. Christian T. a commis trois fautes (un abus de confiance, la conclusin d'une convention interdite constituée par un compte courant débiteur au-delà de la durée d'une campagne, la privilège donné à son intérêt personnel d'associé du Gaec de Galon en manquant à son devoir de veiller à l'intérêt social de la société Sagef),
- en vertu de l'article 1858 du code civil, la responsabilité personnelle des associés ne peut être recherchée qu'après des poursuites vaines du groupement, ce qui a été fait en l'espèce puisque la société Sagef a fait pratiquer cinq saisies-attributions à l'encontre du Gaec de Galon dont deux se sont révélées infructueuses, le Gaec de Galon ayant reconnu dans un courrier être dans l'incapacité d'honorer sa dette et la société Sagef ayant déclaré sa créance au passif de la procédure collective ouverte à l'encontre du Gaec de Galon,
- en vertu de l'article L.323-10 du code rural, la responsabilité personnelle de l'associé envers les tiers est limitée à deux fois la fraction du capital social qu'il possède.
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L'ordonnance de clôture est intervenue le 7 décembre 202 et l'affaire a été examinée à l'audience du 10 janvier 2022.
MOTIVATION DE LA DÉCISION
- sur l'action principale de Maître E. à l'encontre de M. Christian T. au titre de sa responsabilité personnelle en qualité de dirigeant de la Sca Sagef :
1. Il doit être précisé à titre liminaire que la liquidation du Gaec de Galon est sans incidence sur la recevabilité de l'action engagée par Maître E. ès qualités de mandataire judiciaire à la liquidation de la société Sagef, à l'endroit de M. Christian T. pris en sa qualité d'ancien dirigeant de la société Sagef.
2. L'article 1850 du code civil dispose : 'Chaque gérant est responsable individuellement envers la société et envers les tiers, soit des infractions aux lois et règlements, soit de la violation des statuts, soit des fautes commises dans sa gestion .
Si plusieurs gérants ont participé aux mêmes faits, leur responsabilité est solidaire à l'égard des tiers et des associés. Toutefois, dans leurs rapports entre eux, le tribunal détermine la part contributive de chacun dans la réparation du dommage'.
Il résulte de ce texte que si, lorsque la responsabilité est engagée envers des tiers à la société, le gérant de société civile n'engage sa responsabilité personnelle à leur égard que s'il a commis une faute séparable de ses fonctions qui lui soit imputable personnellement,
sa responsabilité, dans les rapports internes à la société, vis-à-vis de celle-ci n'est pas subordonnée à la preuve d'une faute détachable de ses fonctions.
3. Il est constant en l'espèce que des prestations dites 'de froid et de conditionnement' ont été effectuées par la Sca Sagef au profit du Gaec de Galon et ont été facturées pour un montant total de 296 856,74 euros pour la période allant de mars 2010 à juin 2014, lesdites factures n'ayant jamais fait l'objet de contestation et leur inscription dans les comptes annuels de la société coopérative ayant été approuvée par ses administrateurs.
Il est indéniable que M. Christian T., dirigeant de la société Sagef, a des intérêts personnels dans la gestion du Gaec de Galon, coopérateur de la Sagef et dont il est également le co- gérant , et n'a entrepris aucune démarche de recouvrement de cette créance significative pour le fonctionnement de la Sagef, cette situation étant enkystée depuis de nombreuses années aux yeux de tous et du commissaire aux comptes.
Dans un courrier adressé par M. Christian T. en sa qualité de ' gérant du Gaec de Galon' le 29 août 2017 à Maître E., il était soutenu suite à la condamnation du Gaec à payer les sommes issues de la condamnation prononcée au profit de la Sca 'notre société rencontre des difficultés de trésorerie très importantes, surtout depuis la campagne 2014, nous sommes âgés, mon frère et moi de 67 et 69 ans [...]. N'ayant pas de succession familiale, nous avons décidé de réaliser les actifs du Gaec parc de matériel et ensemble de palox) au profit de l'Earl de Merlane'.
Le compte courant constitué au nom du Gaec de Galon dans les livres de la Sca Sagef s'est par ailleurs avéré être débiteur alors qu'il est interdit, en application des dispositions combinées des articles L. 529-1, al. 2 du code rural et L. 225-43 du code de commerce, aux administrateurs, autres que les personnes morales, de contracter sous quelque forme que ce soit, des emprunts auprès de la société, de faire consentir par elle un découvert, un compte courant ou autrement, ainsi que de cautionner ou avaliser par elles leurs engagements envers les tiers, ladite interdiction s'appliquant aux représentants permanents des personnes morales administrateurs.
En laissant ainsi se constituer sur une longue période, dans un tel contexte d'illiceité entretenue à son profit et celui du Gaec, une créance dont le montant mettait en péril l'équilibre financier de la Sca dont il était le président du conseil d'administration, M. Christian T. a manifestement commis un acte de gestion contraire à l'intérêt social de la Sca Sagef et par voie de conséquence une faute civile sans qu'il soit nécessaire d'établir qu'elle constitue une infraction pénale, et que le mandataire liquidateur de la société Sagef a qualité à faire reconnaître au soutien de l'action en responsabilité civile engagée contre M. Christian T. au nom de la société que le mandataire a la charge de représenter.
4. Certes, il est produit au dossier par le mandataire lui-même un procès-verbal de l'assemblée générale de la coopérative, seule habilitée par l'article 37 des statuts à approuver les comptes ou donner quitus aux administrateurs, dressé le 12 décembre 2014, approuvant les comptes de la coopérative et donnant quitus aux administrateurs dont M. Christian T., après interpellation de ce dernier en cours d'assemblée sur 'ce qu'il va faire concernant sa créance avoisinant les 300 000,00 euros', a répondu qu'il 's'acquittera de ses dettes, mais pas en une seule fois et demande à ce qu'il ne soit pas engagé de procédure judiciaire à son encontre'.
Mais, en application de l'article 1843-5, al. 3 du code civil, aucune décision de l'assemblée des associés ne peut avoir pour effet d'éteindre une action en responsabilité contre les gérants pour la faute commise dans l'accomplissement de leur mandat.
Maître E. est donc en droit de rechercher la responsabilité civile de M. Christian E. pour le préjudice créé par l'absence fautive de recouvrement de créances qu'il a laissées s'accroître sur plusieurs années au profit d'une société dans laquelle il était intéressé, ayant ainsi mis en péril les intérêts de la société coopérative et ayant, par cette inaction, rendu cette créance irrécouvrable dans le cadre de la liquidation judiciaire de la société débitrice, intervenue huit ans après l'établissement des premières factures impayées.
Il convient en conséquence d'infirmer la décision entreprise et de condamner les consorts T. en leur qualité d'héritiers de M. Christian T. à payer à Maître Jean-Claude E. ès qualités de mandataire liquidateur de la Sca Sagef la somme de 296.856,74 euros au montant de laquelle il convient d'arrêter les dommages et intérêts sollicités sans qu'aucune solidarité ne puisse être prononcée dès lors que les héritiers sont tenus selon les règles de la dévolution successorale et non en vertu d'un contrat ou d'une faute personnelle retenue à leur encontre pour avoir participé à la réalisation du dommage.
- Sur l'action de Maître E. à l'encontre des associés du Gaec de Galon :
5. Cette action était expressément présentée dans les conclusions de l'intimé comme subsidiaire à l'action principale engagée contre M. Christian T. (p. 10 et 11 des conclusions de Maître E.) de telle sorte que ces demandes sont devenues sans objet par l'effet de l'accueil de la demande principale.
- Sur les dépens et frais irrépétibles :
6. Les consorts T. pris en leur qualité d'héritiers de M. Christian T. seront tenus des dépens et de première instance et d'appel.
7. Maître E. ès qualité de mandataire liquidateur de la Sca Sagef est en droit de réclamer l'indemnisation des frais non compris dans les dépens qu'il a été contraint d'exposer à l'occasion de cette procédure. Les consorts T. pris en leur qualité d'héritiers de M. Christian T. seront condamné à lui régler la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 al. 1er, 1° du code de procédure civile au titre des frais non compris dans les dépens de première instance et d'appel.
8. Il n'est pas inéquitable de laisser à la charge de M. Alain T. les frais non compris dans les dépens qu'il a pu lui-même exposer à cette occasion. Il sera débouté de sa demande présentée sur le même fondement. Les consorts T. ès qualités d'héritiers de M. Christian T., tenus aux dépens, ne sauraient pour leur part bénéficier des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS :
La'cour'statuant,'publiquement,'contradictoirement'et'en'dernier'ressort,
Infirme le jugement rendu le 10 juillet 2018 par le tribunal de grande instance de Montauban en toutes ses dispositions.
Statuant' à 'nouveau' et 'y'ajoutant,
Condamne Mme Lisette V., M. Christophe T., Mme Béatrice T. épouse P., et Mme Chantal T. ès qualités d'héritiers de M. Christian T. à payer à Maître Jean-Claude E. ès qualités de mandataire liquidateur de la Sca Sagef la somme de 296.856,74 euros à titre de dommages et intérêts.
Constate que les demandes subsidiaires présentées par Maître Jean-Claude E. ès qualités sont devenues sans objet.
Condamne Mme Lisette V., M. Christophe T., Mme Béatrice T. épouse P., et Mme Chantal T. ès qualités d'héritiers de M. Christian T. aux dépens de première instance et d'appel.
Condamne Mme Lisette V., M. Christophe T., Mme Béatrice T. épouse P., et Mme Chantal T. ès qualités d'héritiers de M. Christian T. à payer à Maître Jean-Claude E. ès qualités de mandataire liquidateur de la Sca Sagef la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Déboute M. Alain T. d'une part et Mme Lisette V., M. Christophe T., Mme Béatrice T. épouse P., et Mme Chantal T. ès qualités d'héritiers de M. Christian T. d'autre part de leurs demandes présentées sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.