CA Paris, 3e ch. A, 20 février 2007, n° 06/06200
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Gimar Finance (SCA), Gimar Participation (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Chagny
Conseillers :
M. Le Dauphin, Mme Moracchini
Avoués :
Me Bodin-Casalis, Me Teytaud
Avocats :
Me Terryn, Me Emir, Me Daigre
Vu le jugement en date du 24 février 2006, assorti de l'exécution provisoire, par lequel le tribunal de commerce de Paris a :
- condamné solidairement la société en commandite par actions Gimar Finance SCA (Gimar Finance) et la société par actions simplifiée Gimar Participation à payer à M. Régis P. la somme de 150.000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice moral résultant pour lui des conditions brusques et vexatoires de sa révocation de ses fonctions de gérant de la société Gimar Finance, intervenue le 29 juillet 2004,
- débouté M. P. de ses autres demandes,
- débouté les sociétés Gimar Finance et Gimar Participation de leurs demandes reconventionnelles,
- dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,
- condamné M. P. aux dépens ;
Vu l'appel formé par les sociétés Gimar Finance et Gimar Participation à l'encontre de cette décision ;
Vu les conclusions en date du 3 janvier 2007 par lesquelles les appelantes demandent à la cour :
- de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a décidé que M. P. était révocable ad nutum et qu'en conséquence sa révocation n'avait pas à être motivée et en ce qu'il a débouté M. P. de sa demande en paiement de dommages-intérêts en réparation de son préjudice matériel,
- d'infirmer le jugement en ce qu'il a dit que la révocation de M. P. était intervenue dans des conditions brusques et vexatoires,
- très subsidiairement sur ce point, à supposer établi le principe de l'existence d'un préjudice moral, de réduire au montant éventuellement justifié, soit à une somme symbolique, l'indemnité allouée par les premiers juges en réparation du préjudice moral allégué,
- d'infirmer le jugement déféré en qu'il a débouté la société Gimar Finance de ses demandes reconventionnelles et de condamner M. P. à lui payer la somme de 50.000 euros, d'une part, et de un million d'euros, d'autre part,
- de condamner M. P. à payer à chacune d'elles la somme de 5.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Vu les conclusions en date du 15 janvier 2007 par lesquelles M. P., intimé et appelant incidemment, demande à la cour :
- de dire que M. P. a été révoqué sans juste motif et, en conséquence, de condamner les sociétés Gimar Finance et Gimar Participation à lui payer la somme de 2.334.264 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice matériel,
- de confirmer le jugement en ce qu'il a estimé que sa révocation était intervenue dans des conditions brusques et vexatoires, de l'infirmer sur le montant de l'indemnité allouée à ce titre et de condamner les sociétés Gimar Finance et Gimar Participation à lui payer la somme de 1.200.000 euros en réparation de son préjudice moral,
- de confirmer le jugement en ce qu'il a débouté les sociétés Gimar Finance et Gimar Participation de leurs demandes reconventionnelles,
- de les condamner à lui payer la somme de 20.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Sur ce :
Considérant que la société en commandite par actions Gimar Finance, créée en 1999 par M. Christian G., a pour activité le conseil financier et notamment l'assistance aux opérations d'acquisition ou de cession d'entreprises ; qu'elle comprend un unique associé commandité, la société par actions simplifiée Gimar Participation, dirigée et contrôlée par M. G. , et une quinzaine d'associés commanditaires, dont la société Gimar Capital, contrôlée par M. P. et détentrice de 25% du capital, et des investisseurs institutionnels, parmi lesquels CNP Assurances et la Caisse des dépôts et consignations ;
Considérant que la société Gimar Finance, qui est pourvue d'un conseil de surveillance, est gérée par un collège de gérants composé de la société anonyme CEGER, gérant statutaire, représentée par M. G., qui présidait ledit collège, et de personnes physiques, dont, à compter du 1er février 2001 et jusqu'au 29 juillet 2004, M. Régis P., qui avait été recruté en avril 2000 en tant que cadre dirigeant pour exercer les fonctions de 'directeur exécutif', ce contrat de travail étant suspendu à la suite de sa nomination en qualité de gérant ;
Considérant que l'article 11 des statuts de la société Gimar Finance prévoit que la société est gérée par un ou plusieurs gérants, personnes physiques ou morales, associés commandités ou non associés et qu' 'un gérant ne peut être révoqué que par décision unanime de tous les associés commandités' ;
Considérant que par lettre remise le 29 juillet 2004, à la suite d'un entretien avec M. G., signataire de ladite lettre en sa qualité de président de la société Gimar Participation, cette dernière a notifié à M. P. sa décision de le révoquer de ses fonctions de gérant de la société Gimar Finance ;
Considérant que la lettre susvisée précise que cette décision 'qui n'a pas à être motivée, est à effet immédiat', mais que, cependant, 'après avoir recueilli l'avis favorable du comité des rémunérations et du collège de gérance', son auteur souhaite rappeler 'quelques unes des raisons de cette perte de confiance' ; qu'il est ensuite fait successivement état de quatre griefs, à savoir l'implication fréquente de M. P. dans des difficultés relationnelles opposant les personnes, incompatible avec l'esprit d'équipe et la cohésion nécessaires à Gimar Finance , la personnalisation excessive, à son profit, de l'activité de cette dernière, un manque de concertation avec les autres membres du collège de gérance et la conclusion avec des clients de deux mandats incluant une clause de rattachement personnel dérogatoire aux usages de Gimar Finance , sans discussion au sein du collège de gérance ;
Considérant que, faisant valoir que sa révocation avait été décidée sans juste motif et qu'elle était intervenue dans des conditions brusques et vexatoires, M. P. a assigné les sociétés Gimar Finance et Gimar Participation devant le tribunal de commerce de Paris pour obtenir leur condamnation à lui payer des indemnités en réparation des préjudices matériel et moral qu'il estime avoir subis ; que les sociétés Gimar Finance et Gimar Participation ont formé une demande reconventionnelle en paiement de dommages-intérêts ; que c'est dans ces circonstances que le premier juge a rendu le jugement susvisé après avoir retenu que la révocation de M. P. n'avait pas à être motivée, de sorte qu'il n'avait pas à se prononcer sur l'existence d'un juste motif, mais qu'elle était intervenue dans des conditions brusques et vexatoires et que M. P. avait subi un préjudice moral ;
Considérant que l'intimé critique le jugement déféré en ce qu'il a dit que sa révocation n'était pas soumise à l'exigence d'un juste motif ; qu'il expose sur ce point que si les statuts de la société Gimar Finance prévoient les modalités de la décision de révocation d'un gérant , à savoir l'unanimité des commandités, ils ne disent rien des conditions de la révocation puisqu'ils ne précisent pas si la décision peut être prise ad nutum ou si elle doit être prise en fonction d'un juste motif, ce qui conduit à rechercher une règle supplétive pour régler cette question ; que cette règle ne peut être que celle de la révocation sur juste motif car, d'une part, il s'agit aujourd'hui d'un principe général en droit des sociétés et, d'autre part, le gérant d'une société en commandite par actions est assimilable au gérant d'une société en nom collectif, révocable pour juste motif, comme cela résulte de la combinaison des dispositions des articles L. 226-1, L. 222-2 et L. 221-12 du code de commerce ;
Mais considérant que les règles concernant les sociétés en commandite simple et les sociétés anonymes ne sont applicables aux sociétés en commandite par actions que dans la mesure où elles sont compatibles avec celles particulières à celles-ci et qu'aux termes des dispositions de l'article L. 226-2, alinéa 3, du code de commerce, qui sont particulières à la société en commandite par action, le gérant, associé ou non, est révoqué dans les conditions prévues par les statuts ;
Qu'il suit de là que, sauf à ajouter aux statuts de la société Gimar Finance une condition qu'ils ne renferment pas, il n'y a pas lieu de les compléter par référence aux dispositions applicables à un autre type de société dès lors qu'ils précisent qu'un gérant ne peut être révoqué que par décision unanime de tous les associés commandités, ce dont il résulte que les signataires du pacte social n'ont pas voulu soumettre la révocation d'un gérant à une autre exigence et spécialement à celle tenant à l'existence d'un juste motif ;
Considérant, en conséquence, qu'il n'appartient pas à la cour d'apprécier la valeur des motifs mentionnés dans la lettre du 29 juillet 2004 - laquelle rappelle, au demeurant, que la décision de révocation de M. P. n'a pas à être motivée - non plus que celle de l'argumentation de l'intimé déniant toute pertinence à ces motifs ;
Considérant que ce dernier fait, en revanche, justement valoir que sa révocation est abusive pour avoir été décidée brutalement, sans respecter le principe de la contradiction, lequel devait être observé alors même que la décision de révocation appartenait à l'unique associé commandité, et pour avoir revêtu un caractère vexatoire en raison des circonstances qui l'ont accompagnée ;
Considérant, en effet, d'une part, que la révocation de M. P. de ses fonctions de gérant de la société Gimar Finance - laquelle avait été décidée par la société Gimar Participation seule, même si celle-ci a ensuite recueilli le 29 juillet 2004 les avis (favorables) du comité des rémunérations du conseil de surveillance et du collège de gérance de la société Gimar Finance - a pris effet au moment même où elle a été notifiée à l'intéressé par M. G., en qualité de président de la société Gimar Participation, sans que M. P. ait été préalablement informé du projet de révocation le concernant et invité à présenter ses observations sur celui-ci ;
Considérant, d'autre part, que M. P. a dû, le 29 juillet 2004, abandonner tous les instruments liés à l'exercice de ses fonctions (clés, badges, carte de crédit, téléphone portable, véhicule de fonction...) et quitter les lieux immédiatement après avoir été informé de sa révocation, sous la conduite, sinon la surveillance, d'un autre membre du collège de gérance, au vu des collaborateurs présents ; que ces circonstances ont porté atteinte à l'honneur du dirigeant révoqué ;
Considérant, sur le préjudice lié à l'abus ci-dessus caractérisé dans l'exercice du droit de révocation de M. P., que celui-ci n'est pas fondé en sa demande tendant à l'allocation d'une indemnité au titre de la réparation de son 'préjudice matériel', résultant selon lui de la perte d'une chance de demeurer gérant de la société Gimar Finance et par conséquent, de bénéficier des fruits futurs sur les opérations initiées et traitées par lui, et de l'obligation dans laquelle il s'est trouvé de reconstruire de toutes pièces, sans aucun délai, une nouvelle vie professionnelle, en étant privé de couverture sociale et alors qu'il percevait en qualité de gérant de Gimar Finance une rémunération qui s'élevait, sur les deux années ayant précédé sa révocation, à une moyenne annuelle de 1.167.132 euros, avantages en nature compris ;
Considérant, en effet, qu'il n'existe pas de relation causale entre l'abus dans l'exercice du droit de révocation imputé aux appelantes et la perte par M. P. des avantages matériels attachés à sa qualité de dirigeant social, révocable à tout moment, sans motif, par décision de l'associé commandité ;
Considérant, par ailleurs, qu'aucune des pièces mises aux débats par ce dernier, y compris l'attestation de M. R., n'est de nature à étayer ses allégations selon lesquelles les appelantes ont, postérieurement à sa révocation, adopté une attitude déloyale à son égard et mis en oeuvre une 'stratégie d'asphyxie et de destruction professionnelle' en tentant de briser, en le discréditant, la relation qu'il avait établie avec la société Aforge Finance, son 'nouveau partenaire', ou en se livrant à une campagne de dénigrement, allant jusqu'à répandre des 'rumeurs abjectes' et distiller sur le marché 'les motifs calomnieux' assénés à l'appui de sa révocation ;
Considérant, encore, que la démonstration de la volonté de porter atteinte à sa réputation prêtée par M. P. à la société Gimar Finance ne résulte nullement des échanges de cette dernière avec la direction des établissements de crédit et des entreprises d'investissement de la Banque de France à la suite de sa révocation et conformément à la législation en vigueur, observation étant faite que la société Gimar Finance, qui n'a pas communiqué d'informations erronées, a, comme elle le devait, informé la direction susvisée par lettre du 29 juillet de la cessation des fonctions de M. P., que le compte-rendu de la réunion du collège de gérance du 29 juillet 2004 précise, sans ambiguïté, que la décision de révocation de M. P. a été prise par l'associé commandité seul, conformément aux dispositions de l'article 11 des statuts de Gimar Finance, sans donner à penser que l'intéressé est l'auteur de malversations ou de fautes lourdes, et que c'est à la suite d'une erreur d'analyse des termes du procès-verbal de la réunion du conseil de surveillance de Gimar Finance du 14 octobre 2004 qui lui avait été régulièrement transmis, que la Banque de France avait noté que la décision de révocation avait été prise à cette dernière date par le conseil de surveillance, lequel avait été simplement informé de celle-ci, cette erreur, signalée par M. P. dès le 9 décembre 2004, ayant été aussitôt rectifiée par les services de la Banque de France ainsi que cela résulte de la lettre du 22 décembre 2004 ;
Considérant cependant que M. P. a subi, du fait du caractère brutal et vexatoire de sa révocation, un préjudice moral qui est intégralement réparé, en tous ses éléments, par l'indemnité allouée par le premier juge, étant ici relevé que les appelantes ne formulent aucune critique relativement au chef du jugement les condamnant solidairement au paiement de cette indemnité ;
Considérant, sur les demandes de la société Gimar Finance, que celle-ci ne verse aux débats, ainsi que l'a relevé le premier juge, aucun élément propre à caractériser les tentatives de déstabilisation qu'elle invoque à l'encontre de l'intimé, que ce soit par voie d'intrigue ou de démarchage auprès de ses 'clients et actionnaires' ou par voie d'abus de M. P. dans l'exercice des droits attachés à sa qualité d'actionnaire commanditaire ; que la réalité du préjudice allégué n'est pas davantage établie ; que la société Gimar Finance ne peut par ailleurs, sans se contredire, relever, d'un côté, que M. P. a été mis en cause 'à tort ou à raison' (concl. p. 8) par une ancienne gérante et par une salariée et que le conseil des prud'hommes, saisi par cette dernière, lui a donné raison au 'bénéfice du doute' et, d'un autre côté, que le comportement de M. P. est exclusivement et directement à l'origine de la condamnation, au demeurant non définitive, prononcée par la juridiction prud'homale au profit de ladite salariée ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu de confirmer en toutes ses dispositions le jugement déféré ;
Considérant que l'équité commande de rejeter les demandes réciproquement formées au titre des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Considérant que chaque partie conservera la charge des dépens par elle exposés au titre de l'instance d'appel ;
Par ces motifs :
Confirme en toutes ses dispositions le jugement déféré ;
Rejette toute autre demande ;
Dit que chaque partie conservera la charge des dépens par elle exposés au titre de l'instance d'appel.