CA Paris, Pôle 2 ch. 1, 10 février 2016, n° 16/01551
PARIS
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Cube Energy (SCA), Cube Infrastructures Managers (Sté)
Défendeur :
Index Infra (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Bichard
Conseillers :
Mme Richard, Mme Herve
Avocat :
Me Vatier
Le 29 décembre 2015, les sociétés Cube energy SCA, Cube infrasctuture managers, I. infra anciennement Neoelectra et M. Jérôme J. représentés par l'A. Vatier & associés munie d'un pouvoir spécial pour chacun des requérants, a déposé au greffe du tribunal de commerce de Paris une requête en récusation de M. E. président de la 7ème chambre.
Cette requête a été transmise le 6 janvier 2016 par le président du tribunal de commerce de Paris à la Cour d'appel de Paris suivant ordonnance du 4 janvier 2016 avec les observations de M. E., lequel a déclaré s'opposer à cette demande.
Le 12 janvier 2016, l'A. Vatier a adressé à la cour une lettre d'observations à l'appui de la requête en indiquant en avoir adressé copie à M. E. ainsi qu'à ses confrères.
Par des écritures du 26 janvier 2016, le ministère public conclut au rejet de la requête en l'absence d'identité des parties et d'objets entre les différentes instances invoquées par les sociétés requérantes .
MOTIFS DE LA DÉCISION :
Aux termes de l'article 341 du code de procédure civile, la récusation d'un juge, sauf dispositions particulières, est admise pour les causes visées à l'article L. 111-6 du code de l'organisation judiciaire.
L'article 351 du code de procédure civile dispose que l'affaire est examinée sans qu'il soit nécessaire d'appeler les parties ni le juge récusé. Copie de la décision est remise ou adressée par le secrétaire au juge et aux parties.
L'article 356 dudit code énonce que la demande de renvoi pour cause de suspicion légitime est assujettie aux mêmes conditions de forme et de recevabilité que la demande de récusation.
Il convient de constater que les textes n'instaurent pas un débat contradictoire dans les demandes en récusation et qu'en l'absence d'un tel débat, les observations du magistrat récusé et du ministère public n'ont pas à être mis à la disposition de la partie requérante.
Par ailleurs, la procédure de récusation qui ne porte pas sur le bien fondé d'une accusation en matière pénale et qui ne concerne pas une contestation sur un droit ou une obligation de caractère civil, n'entre pas dans le champ d'application de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme.
M. E. relève que la requête est ambigue dans la mesure où elle s'intitule requête en récusation de M. E. mais demande à la cour de dire que les affaires inscrites sous les n° RG 201 1090329 et 201 2072198 ne pourront être examinées par la 7ème chambre présidée par M. E..
Néanmoins, la requête ne visant que des faits relatifs à M. E. et ne faisant mention de la 7èME chambre que parce qu'elle sera présidée par ce magistrat , il y a lieu d'admettre qu'il s'agit uniquement d'une demande de récusation le concernant et non pas d'une demande de renvoi pour cause de suspicion légitime à l'encontre de la 7ème chambre.
Les requérants sollicitent la récusation de M E. car la 16ème chambre du même tribunal dont il faisait partie, a rendu un jugement le 23 mai 2014, lequel dans le cadre d'une instance en indemnisation introduite par M F. contre les sociétés Neoelectra group, Cube energy SCA, Natixis environnement et infrastructures Luxembourg prise en sa qualité de gérant commandité de la société Cube energy SCA, a
- mis hors de cause la société Natixis environnement et infrastructures,
- débouté les sociétés défenderesses de leur demande de sursis à statuer,
- débouté M F. de sa demande tenant à voir déclarer nulles les délibérations prises lors de l'assemblée générale du 19 octobre 2011,
- condamné la société Neoelectra group à lui payer la somme de 250 000 € à titre de dommages intérêts pour l'avoir révoqué de ses fonctions de mandataire social dans des conditions vexatoires.
Ils ajoutent que M E. en sa qualité de président de la 7ème chambre, va être appelé à juger deux autres affaires directement liés à la 1ère :
- affaire RG 2011/90329 engagée par la société SEEM contre les sociétés Cube energy SCA, Natixis environnement et infrastructures, I. infra anciennement Neoelectra group et M. Jérôme J., mandataire social de Cube energy, en présence des associés de la société SEEM, Mrs Benetti, Bonnefont et F., tendant à obtenir sur le fondement du dol l'annulation des différentes cessions de participations conclues entre la société SEEM et la société Neoelectra group ainsi que du pacte d'associé et de la garantie de passif conclus avec la société Cube energy et l'indemnisation des préjudices subis,
- affaire RG 2012/72198 qui, selon les déclarations des requérantes, correspondrait à une instance engagée par la société SEEM contre la société Neoelectra group et M. J..
Les requérants font valoir que le motif de la révocation de M F. est un des aspects du dossier qui sera soumis à l'examen de la 7ème chambre et qu'il est demandé un sursis dans l'attente de l'arrêt de la Cour de cassation. Elles sollicitent donc la récusation de M E. qui a précédemment connu de l'affaire.
Dans leur lettre du 12 janvier 2016, ils ajoutent que les affaires en cause avaient fait l'objet d'une demande de jonction mais que celle ci a été rejetée par la 16ème chambre du tribunal de commerce composée notamment de M. E.. Ils soutiennent néanmoins que ces affaires ont une même cause : la prétendue inéxecution du pacte d'associé en vertu duquel M. F. était mandataire social. Elles relèvent que le jugement rendu le 23 mai 2014 constitue une des pièces de l'affaire appellée à l'audience devant la 7ème chambre, à l'appui de laquelle la société SEEM et M. B. sollicitent le versement d'indemnités conséquentes.
Les requérants font valoir que la connaissance que le juge peut avoir du litige à l'occasion de fonctions antérieures et les actes qu'il a accomplis peuvent susciter chez le justiciable la crainte que ce magistrat et le tribunal dont il est membre, n'offrent pas de garantie suffisantes d'impartialité. Ils considèrent que la connaissance antérieure que M. E. a acquise de l'affaire a nécessairement créé un a priori sur leur comportement de nature à influencer le jugement lors de l'examen de la nouvelle instance.
Il convient de rappeler les faits suivants : la société SEEM spécialiste des services à l'énergie, a conclu un accord avec le fonds d'investissement luxembourgeois Cube energy géré par la société Natixis, en vue de mettre en oeuvre un partenariat global. Ce rapprochement s'est réalisé au sein de la société Neoelectra et il a été établi un pacte d'associé entre la société SEEM et la société Cube energy , les 3 personnes physiques créatrices de la société SEEM intervenant à l'acte, aux termes duquel M F. directeur général de la société SEEM est devenu président de la société Néoelectra.
La société Neoelectra a formé le projet d'acquérir la société I. mais à cette occasion, sont apparues des divergences entre les partenaires tant sur la viabilité de l'opération que sur sa conduite. La mésentente s'est instaurée et la société SEEM a intenté une action en justice contre son partenaire la société Cube energy en vue de voir résilier les contrats qui les liaient pour manquements à la loyauté et c'est dans ce contexte qu'est intervenue la révocation de M. F..
Dans le jugement portant sur la révocation de M. F., le tribunal a retenu que celle ci n'était ni abusive ni brutale mais néanmoins vexatoire et lui a alloué la somme de 250 000 € à titre de dommages intérêts.
Le tribunal dont faisait partie M E. a ainsi porté une appréciation sur le comportement de la société Neoelectra et sur celui de son associé majoritaire, la société Cube energy condamnée à garantir et ces deux sociétés peuvent légitimement craindre que cette appréciation affecte celle que le tribunal présidé par M. E. devra effectuer sur le comportement respectif des 2 partenaires SEEM et Cube energy et de la société Neoelectra devenue I. infra .
Aussi il y a lieu de faire droit à la demande de récusation de M E..
PAR CES MOTIFS
Dit qu'il y a lieu à récusation de M. E. dans les affaires pendantes devant le tribunal de commerce de Paris enregistrées sous le n ° RG 2011090329 et 201 2072198,
Laisse les dépens à la charge du Trésor public.