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Décisions

CA Amiens, 1re ch. civ., 8 novembre 2022, n° 21/00473

AMIENS

Arrêt

Infirmation partielle

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Brillet

Conseillers :

M. Adrian, Mme Segond

Avocats :

Me David, Me Gillet, Me Grandet, Me Cazelles

TJ Senlis, du 8 déc. 2020

8 décembre 2020

DECISION :

Par acte notarié du 19 janvier 1979, [N] [XR] et son épouse [K] [L] ont emprunté à [O] [W] la somme de 456 068,78 francs à rembourser en deux ans au taux de 12 % l'an, outre une pénalité éventuelle de 3%, engagement garanti par une hypothèque de premier rang sur une maison sise [Adresse 13].

[O] [W] et [N] [XR] sont décédés.

Les héritiers de [O] [W]: [R] [I] épouse [W], sa veuve, [E], [G], [V], [M] [W], ses enfants (les consorts [W]), ont poursuivi une procédure de saisie-immobilière sur le bien hypothéqué à l'encontre de la veuve et de la fille de [N] [XR], [K] [L] épouse [XR] et [B] [XR] épouse [C], laquelle saisie a abouti à un jugement d'adjudication du 31 juillet 1991 au profit de la société Gestimmo au montant de 1 122 000 francs soit 171 047,80 €.

Cette adjudication a fait l'objet d'une folle enchère qui sera ultérieurement annulée pour avoir été diligentée frauduleusement par [Y] [C] fille de [B] [XR] épouse [C].

Au final, l'adjudication sera résolue avec le consentement de Gestimmo par arrêt de la cour d'appel de Paris du 10 janvier 2001 statuant sur renvoi après cassation (pièce [W] 10).

Les consorts [XR] sont redevenus propriétaire du bien de [Localité 18].

Quelques années plus tard, en 2005, les consorts [W] ont recommencé une procédure de saisie-immobilière sous la constitution de Maître [P] [A] succédant à son associée Maître [J], précédemment chargée du dossier (depuis 2001) , saisie dirigée contre les mêmes débiteurs: Mme [K] [L] veuve [XR] et sa fille Mme [B] [XR] épouse [C].

La nouvelle saisie est initiée par deux commandements des 14 novembre 2005 et 15 décembre 2005 pour une créance de 957 024, 16 € au taux de 15 %, commandements publiés le 24 février 2006 (pièces [W] 11 et 12).

Un jugement du tribunal de grande instance de Meaux du 10 août 2006, rendu entre les mêmes parties, valide les commandements, fixe les modalités de calcul de la créance et renvoie au 21 septembre 2006 pour la vente forcée, laquelle, pour une raison ignorée, n'aura pas lieu.

Mme [K] [L] veuve [XR] est décédée à son tour le [Date décès 9] 2008.

Maître [A], toujours chargé de la saisie, a sollicité par requête du 20 juin 2011 la désignation d'un administrateur provisoire à la succession de [K] [XR], ce qui fut fait par ordonnance du 8 juillet 2011 désignant Maître [H], lequel a estimé ne pas pouvoir intervenir en défense dans la procédure de saisie-immobilière, ce qui a conduit Maître [A] à déposer une nouvelle requête le 31 mai 2012 aux fins d'extension de la mission de l'administrateur, requête qui a été rejetée par ordonnance du tribunal de grande instance de Paris du 1er juin 2012 (en annexe à la pièce [W] 15).

Plus aucune diligence n'est connue. Les parties considérent la seconde procédure de saisie-immobilière comme éteinte par la prescription de trois ans (à l'époque) après la publication des commandements des 14 et 15 novembre 2005, soit une péremption au 26 février 2009.

En décembre 2013, les consorts [W] ont changé d'avocat au profit de Maître [Z] [X] et de la SCP Michel et Associés à qui les pièces du dossier furent transmises par la SCP [J] [A] par des courriers du 6 décembre 2013 (pièce [A] 17).

Par assignation en date du 13 avril 2018, sous la constitution de Maître [X], M. [H] [D] agissant en qualité de conjoint survivant de Mme [E] [W], et Mmes [G], [V] et [M] [W] (les consorts [W]), ont attrait Maître [P] [A] et la SCP [J] [A] devant le tribunal judiciaire de Senlis aux fins de les voir condamner à leur payer la somme de 181 800 € (valeur estimée du bien hypothéqué) à titre de dommages et intérêts avec intérêts au taux légal à compter du 18 juin 2013.

Précisément, ils ont reproché à l'avocat d'avoir laissé se prescrire l'action en paiement fondée sur l'acte notarié du 19 janvier 1979, cinq ans après l'entrée en vigueur de la loi du 18 juin 2008, soit une prescription à la date du 18 juin 2013, ce qui empêchait leur nouvel avocat de reprendre une procédure de saisie.

Ils proposaient à la juridiction le cas échant de désigner un expert pour mieux évaluer le coût de la maison qui n'avait pu être mise aux enchères.

Maître [A] et la SCP ont comparu.

Ils ont contesté avoir laissé se prescrire la créance au fond car la requête du 20 juin 2011 en désignation d'un administrateur provisoire avec mission de rechercher les héritiers de Mme [K] [L] veuve [XR] avait interrompu la prescription de cinq ans.

De toute façon l'action en responsabilité intentée contre eux a pour point de départ la fin de la mission de Maître [A], soit l'ordonnance du 1er juin 2012, et l'action en responsabilité est prescrite quand l'assignation est délivrée le 13 avril 2018.

Par jugement du 8 décembre 2020, dont les consorts [W] ont relevé appel, le tribunal a déclaré l'action recevable comme non prescrite, mais a débouté sur le fond les consorts [W] de leur action.

Le tribunal a estimé que l'action en responsabilité contre l'avocat avait commencé à se prescrire le 6 décembre 2013, lorsque Maître [A] et la SCP ont été déchargés du dossier de sorte que la prescription n'était pas acquise.

S'agissant de la créance née de la reconnaissance de dette de 1979, le tribunal a estimé que la prescription quinquennale de l'article 2224 du code civil avait été interrompue par la requête en désignation d' un administrateur provisoire du 20 juin 2011 et qu'elle n'était pas prescrite lorsque le dosssier a été transféré à Maître [X].

S'agissant de la péremption des commandements des 14 et 15 novembre 2005, le tribunal a jugé que Maître [A] était fautif de les avoir laissés se périmer, certes, mais que cette faute était restée sans préjudice particulier puisque, la créance n'étant pas prescrite, la saisie pouvait être réitérée. Ce dernier point n'est pas remis en question par les consorts [W], appelants.

Les consorts [W] ont relevé appel du jugement.

La cour se réfère aux dernières conclusions des parties par visa.

Vu les conclusions d'appelant n°2 notifiées par les consorts [W] le 15 octobre 2021 visant à l'infirmation du jugement.

Ils sollicitent de la cour de dire que Maître [A] et la SCP sont responsables pour avoir laissé la créance des consorts [W] se prescrire, de sorte que la saisie-immobilière ne pouvait plus avoir lieu et qu'ils ont ainsi perdu une chance très sérieuse de pouvoir se payer sur la vente de l'immeuble.

Avant-dire droit, sur le quantum de cette perte de chance, la cour devra désigner un expert immobilier avec mission de proposer à la cour l'évaluation de l'immeuble litigieux et surseoir à statuer en attendant.

Vu les conclusions notifiées par Maître [P] [A] et la SCP [J] [A] le 31 janvier 2022 sollicitant l'infirmation du jugement en ce qu'il a jugé que l'action contre Maître [P] [A] et la SCP [J] [A] n'était pas prescrite et la confirmation du jugement en ce qu'il a débouté les consorts [W] de leurs demandes.

A titre subsidiaire, ils demandent à ce que la perte de chance ne soit pas jugée supérieure à 50 % et à ce que l'expert immobilier éventuellement désigné estime la valeur du bien 'à sa valeur de 2013 exclusivement'.

MOTIFS

Les contours de la responsabilité civile de l'avocat ne font pas débat entre les parties.

Les consorts [W] sont très précis sur la faute qu'ils reprochent à Maître [A] et à la SCP :

'L'unique dommage dont les concluants poursuivent la réparation procéde de l'anéantissement de leur doit de créance par l'accomplissement de la prescription de l'action en paiement qu'ils reprochent à leur avocat de n'avoir pas interrompue en temps utile.

Même si la procédure sur requête doit être regardée comme inutile et source d'une perte de temps injustifiée, le temps perdu n'a jamais été reproché aux défendeurs (Maître [P] [A] et la SCP [J] [A]) dans ce procès, ni présenté comme générateur du préjudice dont la réparation avait été demandée', conclusions, page 17.

Plus précisément encore, pour eux, la faute de Maître [P] [A] et de la SCP [J] [A] consiste à ne pas avoir fait proroger les commandements des 14 novembre 2005 et 15 décembre 2015 de sorte que la péremption des commandements a laissé la créance sans cause interruptive et a donc laissé la créance au fond se prescrire au 18 juin 2013, idem, page 19.

Lorsque le dossier a été transmis en décembre 2013 à leur nouvel avocat, celui-ci ne pouvait ni reprendre la saisie en cours, périmée au 26 février 2009, ni entreprendre une nouvelle saisie-immobilière.

Il convient donc d'examiner la question de la prescrition de l'action en responsabilité contre l'avocat (1), avant d'examiner la question de la prescription de la créance au fond (2) avant d'étudier, le cas échéant, celle du préjudice et de sa réparation (3).

1. Sur la recevabilité de l'action en responsabilité contre l'avocat tirée de la prescription quinquennale.

Le tribunal a estimé que l'action en responsabilité avait commencé à se prescrire le 6 décembre 2013, lorsque Maître [A] et la SCP se sont déchargés du dossier de sorte que la prescription n'était pas acquise.

Selon l'article 2224 du code civil 'Les actions personnelles et mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer' ce qui suppose la manifestation du dommage.

L'article 2225 dispose que 'L'action en responsabilité dirigée contre les personnes ayant représenté ou assisté les parties en justice, y compris à raison de la perte ou de la destruction des pièces qui leur sont confiées, se prescrit par cinq ans à compter de la fin de leur mission'.

Le texte est clair sur le point de départ du délai quinquennal, il s'agit de la fin de la mission de l'avocat, sous réserve de la question de l'apparition du dommage.

Ainsi l'action en responsabilité contre un avocat au titre d'une faute commise dans son mandat d'interjeter appel se prescrit à partir du prononcé de l'arrêt qui constate l'irrecevabilité de l'appel (Civ.1re, 14 janvier 2016, n° 14-23.200 P sous l'article 2225 du code de procédure civile Dalloz, note 5).

L'assignation en responsabilité a été délivrée le 13 avril 2018.

Mme [K] [L] veuve [XR] est décédée le [Date décès 9] 2008 au cours de la procédure ré-initiée par les commandements des 14 et 15 novembre 2005, publiés le 26 février 2006.

Maître [A], toujours chargé de la saisie, a sollicité par requête du 20 juin 2011 la désignation d'un administrateur provisoire à la succession de [K] [XR], ce qui fut fait par ordonnance du 8 juillet 2011 désignant Maître [H], lequel a estimé ne pas pouvoir intervenir pour les débiteurs dans la procédure de saisie-immobilière, ce qui a conduit Maître [A] à déposer une nouvelle requête du 31 mai 2012 aux fins d'extension de sa mission qui a été rejetée par ordonnance motivée du tribunal de grande instance de Paris du 1er juin 2012 (pièce [W] 15).

Si les dernières diligences de Maître [A] se sont soldées par l'échec de l'ordonnance du 1er juin 2012, il n'en reste pas moins que les consorts [W] lui ont maintenu son mandat.

A compter d'un premier courrier du 14 mars 2013, sans réponse connue de la SCP, plusieurs courriers ont été adressés à la SCP [J] [A] par les consorts [W] qui lui reprochent d'une manière générale son inefficacité depuis 'plus de trente ans ce qui paraît incroyable' (courrier du 14 mars 2013, pièce [W] 20-1) et plus particulièrement son silence depuis le refus de l'administrateur judiciaire d'intervenir en défense dans la procédure de saisie-immobilière.

Dès ce premier courrier écrit par M. [D], celui-ci indique que 'l'administrateur judiciaire nommé dans le dossier [XR] me signale que vous auriez dû agir directement contre l'héritière Madame [C]'. Ce propos atteste de ce que l' ordonnance du 1er juin 2012 était connue par les consorts [W]. Néanmoins, ils le considérent toujours comme mandaté et l'interroge sur ce qu'il compte faire désormais. Il en est de même pour les trois courriers postérieurs des autres consorts [W] de mai et juin 2013 (pièces [W] 20-1 à 20-4).

Seuls les courriers du 6 décembre 2013 transmettant le dossier à Maître [X] actent la fin de la mission.

Ainsi, il n'est aucunement douteux en l'espèce que la prescription a commencé à courrir seulement le 6 décembre 2013, comme l'a bien jugé le tribunal, seule date assignable à la fin de la mission de sorte que la prescription quinquennale n'était pas acqusie lors de l'assignation du 13 avril 2018.

Le jugement doit être confirmé en ce qu'il a déclaré l'action en responsabilité recevable.

2. Sur la prescription de la créance née de l'acte notarié du 19 janvier 1979 et la responsabilité des intimés.

Maître [P] [A] et la SCP [J] [A] engageraient leur responsabilité professionnelle pour le cas où les défaillances dans la poursuite de la seconde saisie immobilière aurait eu pour conséquence la prescription de la créance au fond.

Mme [K] [L] veuve [XR] est décédée le [Date décès 9] 2008 au cours de la procédure ré-initiée par les commandements des 14 et 15 novembre 2005 publiés le 26 février 2006.

Maître [A], toujours chargé de la saisie, a sollicité par requête du 20 juin 2011 la désignation d'un administrateur provisoire à la succession de [K] [XR], ce qui fut fait par ordonnance du 8 juillet 2011 désignant Maître [H], lequel a estimé ne pas pouvoir intervenir pour les débiteurs dans la procédure de saisie-immobilière, ce qui a conduit Maître [A] à déposer une nouvelle requête du 31 mai 2012 aux fins d'extension de sa mission, laquelle, on l'a vu, a été rejetée par ordonnance motivée du tribunal de grande instance de Paris du 1er juin 2012.

Le tribunal a estimé que la prescription quinquennale de l'article 2224 du code civil avait été interrompue par la requête du 20 juin 2011 déposée par Maître [A] aux fins de désignation d' un administrateur provisoire et que la créance n'était pas prescrite lorsque le dosssier a été transféré à Maître [X] en décembre 2013. Il a en conséquence écarté la demande en condamnation de Maître [P] [A] et de la SCP [J] [A].

Les parties admettent que, quelque soit la prescription exacte applicable antérieurement, la loi du 17 juin 2008 a soumis la créance née de l'acte de 1979 au délai quinquennal de l'article 2224 du code civil de sorte que la créance serait prescrite le 18 juin 2013 s'il n'y a pas eu d'effet interruptif de la prescription.

La question se déplace sur les deux causes possibles d'interruption avancées par les parties.

A) La requête du 20 juin 2011.

L'article 2241 du code civil, succédant le 19 juin 2008 à l'ancien article 2244, dispose en des termes plus restrictifs que 'la demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription ainsi que le délai de forclusion'.

En premier lieu, la requête du 20 juin 2011 ne peut pas avoir maintenu l'effet interruptif des commandements des14 novembre et 15 décembre 2005 puisque ceux-ci avaient perdu leur validité le 26 février 2009, trois ans après leur publication, ce qui est admis par les parties.

En second lieu, il était de jurisprudence constante sous l'empire de l'ancien article 2244 qu'une requête gracieuse unilatérale ne pouvait être assimilée à une action en justice.

Ainsi une requête en ordonnance d'injonction de payer n'est pas une action en justice interruptive au sens de l'article 2244 (Paris 27 janvier 1988, cité note 26 sous l'article 2241 du code civil Dalloz), ainsi, une requête aux fins de désignation d'un expert fondée sur l'article 145 du code de procédure civile ne l'est pas (Civ.3e 9 novembre 2005, cité sous l'ancien article 2244, idem, note 1).

Cette position a été reprise sous l'empire du nouveau texte, plus restrictif, de l'article 2241. Ainsi pour une requête aux fins de désignation d'un expert fondée sur l'article 145 du code de procédure civile, peu important de savoir si elle a été signifiée à la partie adverse (Civ. 2éme 14 janvier 2021, n° 19-20316), ainsi pour une requête en inscription provisoire de nantissement (Civ. 2éme 22 septembre 2016, cité note 29 sous l'article 2241, idem).

Cette position n'a pas été rapportée au prétexte que, depuis la réforme de 2006, l'article 58 du code de procédure civile met la requête dans les modes possibles d'introduction de l'instance (requête aux fins d'assigner à jour fixe, requête en ordonnance d'injonction de payer). La jurisprudence reste ferme pour faire de la seule signification de l'ordonnance d'injonction de payer la cause de l'interruption et la doctrine maintient que tout acte interruptif doit avoir été signifié à celui qui est en train de prescrire (J.-J. Taisne, Jurisclasseur civil, code article 2240 à 2246, n° 58).

Rien n'empêchait Maître [A], soit de sommer Mme [B] [XR] épouse [C] de déclarer si elle acceptait la succession de sa mère et si elle avait connaissance d'autres héritiers, outre qu'elle avait déjà été visée par les commandements et que la saisie pouvait se poursuivre contre elle, sauf pour elle à solliciter l'interruption de l'instance, soit de solliciter la désignation de l'administrateur par la voie du référé en la mettant en cause, lui signifiant ainsi son intention de poursuivre le paiement de la créance et la procédure de saisie.

La requête purement unilatérale du 20 juin 2011, non signifiée à l'héritier connu, ne tendant qu'à faire connaître les héritiers de [K] [L] veuve [XR] ne peut donc avoir interrompu la prescription de la créance.

Il en serait de même pour la requête du 31 mai 2012 qui visait à faire intervenir l'administrateur qui a été rejetée (article 2243).

Le jugement mérite donc d'être réformé sur ce point.

B) Le commandement signifié à Maître [H] entre les deux requêtes.

Il est admis en jurisprudence que le commandement caduc perd son effet interruptif de prescription (Civ. 2e, 5 juill. 2017, n° 16-15.650) contrairement au commandement périmé (Civ. 2e, 11 janv. 2018, n° 16-27.889, AJDI 2018. 136 ).

Le défaut de publicité du commandement dans le délai imparti entraine sa caducité (R. 311-11 du code des procédures civiles d'exécution et Civ. 2e 5 janvier 2017, n° 15-25.692 P, cité sous l'article R.321-6 du code des procédures civiles d'exécution du code de procédure civile Dalloz)

La seconde requête du 21 mai 2012 (sous le nom de Maître [J]) indique qu'un commandement de payer valant saisie-immobilière a été signifié à l'étude de Maître [H], dont une colaboratrice a refusé de prendre l'acte, événement admis par les deux parties qui discutent en appel de sa portée, les avocats intimés soutenant qu'il a interrompu la prescription.

Il n'est pas allégué par la SCP que ce commandement aurait été publié et aucune pièce n'ntervient en ce sens. Il est donc devenu caduc de par l'effet de l'article R.311-11 du code des procédures civiles d'exécution et il n'a pas pu interrompre la prescription.

Il convient donc d'admettre l'argumentation développée par les consorts [W] à savoir que la SCP a effectivement laissé la créance au fond se prescrire au 18 juin 2013 et engage sa responsabilité de ce fait.

Le jugement sera donc réformé.

Maître [P] [A] et la SCP [J] [A] seront condamnés à réparer le préjudice résultant de cette faute.

3. Sur le préjudice.

A) Les appelants soutiennent que la créance des consorts [W] serait égale aujourd'hui à la somme de 1 169 979, 49 €.

Mmes [XR] et [C] étaient insolvables, incapables de rembourser la créance et elle se sont battues pour éviter la saisie de leur domicile. La fille de Mme [B] [C], [Y] [C], qui avait monté une SCI pour faire surenchère n'a pu en payer le prix et éviter son annulation par jugement du 2 janvier 1992 (voir pièce [W] 11). En outre il a pu être renoncé à la succession.

C'est bien la perte de la chance de se payer partiellement sur le bien hypothéqué qu'ont perdu les consorts [W] ,comme les deux parties l'admettent.

Cette perte de chance a été diminuée par l'inaction des consorts [W] entre la fin malheureuse de la première saisie en janvier 2011 et le début de la seconde saisie en novembre 2015.

En outre, il n'est pas certain qu'une troisième saisie aurait permis d'aller jusqu'à l'adjudication, les consorts [XR] et [C], habitant la maison, étant particulièrement pugnaces sur le plan procédural.

Par contre, l'immeuble faisait l'objet d'une hypothèque de premier rang et il n'est pas allégué d'autres créanciers privilégiés. Le prix d'adjudication serait revenu intégralement aux consorts [W].

Au regard de ces éléments, le prejudice doit être fixé àla perte de chance de 70 % d'obtenir la valeur de la maison vendue sur adjudication en 2013-2014, époque où aurait pu réussir la saisie.

B) La cour a également des éléments pour apprécier la valeur de l'immeuble en 2013-2014, sauf à tenir compte de l'érosion monétaire, sans retarder encore la fin du procès par une expertise.

Le jugement du tribunal de grande instance de Meaux qui ordonnait la vente en 2006 n'indique pas la mise à prix (pièce [W] 13).

Par contre, la maison et son terrain avait été adjugée 1 122 000 francs, soit 171 047,80 €, en 1991 (pièce [W] 5).

En 2018, dans leur assignation, les consorts [W] l'avaient évaluée à la valeur de 181 000 €, laquelle valeur, non reprise à hauteur d'appel, pourrait néanmoins avoir été sous-évaluée. Selon eux, en appel, le marché de l'immobilier donnerait un coût de 4 000 € le m² bâti dans ce quartier, actuellement, soit une valeur de 580 000 € pour 147 m²(pièces Damniani 25). Il y aurait lieu de tenir compte de l'état quelque peu dégradé du bien selon l'impression donnée par les photos (pièce [W] 22).

Toutefois, en l'état des conclusions des consorts [W] qui ne sollicitent que le sursis à statuer et l'expertise, la cour réouvrira les débats et renverra à la mise en état pour permettre aux parties de conclure sur la seule valeur de la maison en 2013-2014, érosion mnétaire comprise le cas échéant, et en tout cas pour permettre aux consorts [W] de chiffrer leur demande de condamnation.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, en dernier ressort,

Confirme le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Senlis le 8 décembre 2021 en ce qu'il a déclaré recevable l'action des consorts [W] : M. [H] [D] agissant en qualité de conjoint survivant de Mme [E] [W], et [G], [V] et [M] [W],

Infirme le même jugement en ce qu'il a débouté les consorts [W],

Statuant à nouveau,

Dit que Maître [P] [A] et la SCP [J] [A] engagent leur responsabilité pour avoir laissé la créance des consorts [W] se prescrire,

Dit que le préjudice réparable doit être évalué à hauteur de 70 % de la valeur du bien hypothéqué en 2013-2014, époque où la saisie aurait pu prospérer,

Rejette la demande d'expertise de la valeur du bien hypothéqué,

Ré-ouvre les débats sur la liquidation du préjudice,

Invite les parties à conclure sur la valeur du bien à l'époque de la perte de chance, en 2013-2014 et les consorts [W] à chiffrer leur demande de dommages et intérêts,

Renvoie à la mise en état du 15 février 2023 à 09h00,

Réserve les dépens et les frais irrépétibles.