Cass. 2e civ., 9 décembre 1997, n° 95-10.798
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Zakine
Rapporteur :
M. Buffet
Avocat général :
M. Joinet
Avocat :
SCP Lyon-Caen, Fabiani et Thiriez
Attendu, selon l'arrêt attaqué et les productions, que la société Sofralait, dans le cadre de la réglementation des quotas laitiers, a assujetti au prélèvement supplémentaire M. et Mme X..., dont la production de lait excédait les quantités de référence qui leur étaient attribuées;
que les époux X... et le commissaire à l'exécution du plan de continuation de leur entreprise, contestant le montant des pénalités qui étaient appliquées, ont assigné la société Sofralait en référé, en demandant la désignation d'un expert et la suspension par la société Sofralait de l'exécution du prélèvement des pénalités laitières;
que la société Sofralait a interjeté appel de deux ordonnances de référé qui avaient successivement, l'une ordonné une expertise et la suspension du prélèvement par la société Sofralait du solde des pénalités de la campagne 1992-1993 jusqu'au dépôt du rapport de l'expert, l'autre la suspension du prélèvement des pénalités à hauteur de 70 % des sommes réclamées au titre de la campagne 1993-1994 ainsi que la restitution par la société Sofralait, dans la même limite, des sommes prélevées par elle depuis le 24 juin 1994 ;
Sur le premier moyen, pris en ses première et troisième branches :
Attendu qu'il est fait grief à l'arrêt d'avoir confirmé la première ordonnance de référé en ce qu'elle avait désigné un expert, alors, selon le moyen, que d'une part la cour d'appel ne pouvait déduire la légitimité de la demande des époux X... du seul souci de clarifier les conditions dans lesquelles la société Sofralait applique la réglementation des quotas laitiers, sans caractériser l'existence d'un litige précis dont la solution dépendrait de la preuve de fait précis dont il ne serait nécessaire d'apporter la preuve par ce moyen, alors que la société Sofralait faisait valoir que les pénalités contestées ressortaient de l'application pure et simple de règlements et de décisions administratives et que tous les renseignements et documents que l'expert avait été chargé par le premier juge de recueillir avaient été par ses soins, conformément à ses obligations légales, fournis à l'Administration ; qu'en ne caractérisant pas autrement ledit litige et un risque quelconque de dépérissement des preuves, la cour d'appel, qui n'a pas mis la Cour de Cassation en mesure d'exercer son contrôle, a privé sa décision de base légale au regard de l'article 145 du nouveau Code de procédure civile;
alors que, d'autre part, la société Sofralait faisait valoir qu'à l'exception des quantités effectivement livrées ne donnant lieu à aucune contestation, la détermination des pénalités litigieuses ne dépendait que de l'application de règlements et de décisions administratives dont la preuve ne requérait aucune mesure d'instruction;
qu'en ne s'expliquant pas sur la nécessité de recourir à une mesure d'expertise pour statuer éventuellement sur le bien fondé des pénalités contestées, la cour d'appel a privé son arrêt de base légale au regard de l'article 145 du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu que l'existence d'un litige sur les pénalités afférentes aux campagnes 1992-1993 et 1993-1994 avait été relevée par le juge des référés, et que c'est dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation que la cour d'appel, par motifs propres et adoptés, a retenu qu'en raison des conditions, peu logiques et demeurant inexpliquées en dépit des conclusions de la société Sofralait, dans lesquelles cette société avait calculé les pénalités laitières à l'égard des époux X..., la demande d'expertise était légitime ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le premier moyen, pris en sa quatrième branche :
Attendu qu'il est fait grief à l'arrêt d'avoir désigné un expert alors, selon le moyen, qu'en étendant l'expertise à l'ensemble du fonctionnement de Sofralait, même dans ses rapports avec d'autres producteurs et sur une période de 10 ans, y compris les années pendant lesquelles aucun prélèvement supplémentaire n'avait été appliqué aux époux X..., sans s'expliquer autrement que par une pure et simple affirmation sur la nécessité de ses investigations au regard des faits dont pourrait dépendre la solution d'un éventuel litige portant sur lesdites pénalités, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 145 du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu que ce grief se heurte au pouvoir souverain reconnu aux juges du fond pour fixer l'étendue de la mission donnée à l'expert ;
D'où il suit que le moyen ne peut être accueilli ;
Sur le second moyen :
Attendu qu'il est fait grief à l'arrêt d'avoir ordonné la suspension du prélèvement des pénalités laitières et de toute mesure d'exécution tendant au paiement de celles-ci, alors, selon le moyen que de première part la cour d'appel, qui ne constate pas que les mesures ordonnées étaient requises par l'urgence, a privé son arrêt de base légale au regard de l'article 808 du nouveau Code de procédure civile;
alors que, de deuxième part, en ne s'expliquant pas sur le caractère sérieux de la contestation à laquelle se heurtait la demande des époux X... de suspension de tout prélèvement des pénalités laitières que commandait nécessairement le fait incontesté que leurs livraisons de lait excédaient le quota qui leur avait été fixé par le préfet et l'ONILAIT pour les quantités indiquées, lesquelles étaient dès lors obligatoirement soumises à prélèvement, sous la seule déduction possible et appliquée d'un "prêt de quota" réglementairement plafonné, l'arrêt n'a pas légalement justifié sa décision au regard de l'article 808 du nouveau Code de procédure civile ; alors enfin que la cour d'appel, qui n'a caractérisé ni l'existence ni l'objet du différend susceptible de justifier ces mesures, a, de plus fort, privé sa décision de base légale au regard de cette disposition ;
Mais attendu que l'arrêt constate l'existence d'une contestation portant sur le prélèvement des pénalités et relève, par motifs adoptés, que le prélèvement à compter du 22 août 1994 par la société Sofralait de la totalité de la paie de lait privait les époux X... de tout revenu;
qu'ainsi la cour d'appel n'a pas encouru les griefs du moyen en ordonnant souverainement une mesure que justifiaient l'urgence et l'existence d'un différend ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Mais sur le premier moyen, pris en sa deuxième branche :
Vu l'article 232 du nouveau Code de procédure civile ;
Attendu que le juge ne peut recourir à une mesure d'expertise que pour éclairer une question de fait qui requiert les lumières d'un technicien ;
Attendu que la mission donnée à l'expert par le juge des référés et confirmée par la cour d'appel comporte celle de "rechercher et vérifier si Sofralait, depuis la mise en vigueur de la législation sur les quotas laitiers, gère en conformité avec la réglementation en vigueur, pour chaque campagne, les quotas laitiers ainsi que la gestion du prélèvement des pénalités et notamment auprès d'ONILAIT" ;
Qu'en demandant ainsi à l'expert de se prononcer sur une question de droit, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
Et vu l'article 627 du nouveau Code de procédure civile ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a donné à l'expert la mission citée à la deuxième branche du premier moyen, l'arrêt rendu le 23 novembre 1994, entre les parties, par la cour d'appel de Rennes ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi.