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Décisions

CA Riom, 3e ch. civ. et com. réunies, 16 janvier 2019, n° 18/01510

RIOM

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Défendeur :

Quatre Vingt Deux Degrés (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Riffaud

Conseillers :

M. Kheitmi, Mme Theuil-Dif

T. com. Aurillac, du 22 juin 2018, n° 20…

22 juin 2018

Exposé du litige :

La société QUATRE VINGT DEUX DEGRES (QVDD), autrefois dénommée CHADASAYGAS, a été constituée sous forme de SAS par une assemblée générale du 27 janvier 2011.

M. Charles M. est titulaire d'une action de cette société.

A la même date a été constituée la société en commandite par actions (SCA CHADASAYGAS) dont la dénomination originaire était société ELECTERRE DE FRANCE et dont le changement de dénomination procède d'une assemblée générale du 21 août 2011.

Cette personne morale est constituée entre un associé commandité, la SAS QVDD et des associés commanditaires, dénommés actionnaires, parmi lesquels figurent M. Charles M..

Considérant que depuis le 30 décembre 2011 certaines opérations ou omissions au sein de la SAS QVDD lui apparaissaient contrevenir à l'intérêt social, M. M. a, par lettre recommandée avec avis de réception du 6 mars 2017, interrogé M. Olivier B. (président de la SAS) sur les points suivants :

- la renonciation par la SAS QVDD à sa rémunération en qualité de gérante de la SCA CHADASAYGAS ;

- l'absence de nomination d'un commissaire aux comptes de la SAS CHADASAYGAS ;

- la démission de la SAS CHADASAYGAS de ses fonctions de gérant de la société QVDD et la nomination corrélative de la société FONTANGES à cette même fonction.

Non satisfait des réponses apportées par M. B. par une lettre du 12 avril 2017, M. M. a, par acte d'huissier de justice du 2 novembre 2017, fait assigner la SAS QVDD devant le président du tribunal de commerce d'Aurillac, statuant en matière de référé, aux fins d'obtenir l'organisation d'une mesure d'expertise de gestion au visa des articles L. 225-231, L. 226-1 et L 227-1 et suivants du code de commerce.

Par ordonnance du 22 juin 2018, le président du tribunal de commerce d'Aurillac a déclaré irrecevable la demande de M. M. et l'a condamné aux dépens ainsi qu'au paiement d'une indemnité de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Suivant déclaration électronique reçue au greffe de la cour le 17 juillet 2018, M. M. a interjeté appel de cette décision, visant l'intégralité du dispositif de l'ordonnance.

Par ordonnance du 28 août 2018, le président de la 3ème chambre civile et commerciale a, au visa des dispositions des articles 905-1 et 905-2 du code de procédure civile, prévu l'examen de l'affaire à l'audience du 21 novembre 2018 et dit que l'instruction de l'affaire serait close le 15 novembre de la même année.

Aux termes de ses dernières écritures notifiées et remises au greffe le 27 septembre 2018 au moyen de la communication électronique, M. M. demande à la cour, au visa des articles L. 225-231 et L. 227-1 du code de commerce, L. 227-1 et suivants ainsi que L. 226-1 et suivants de ce même code, d'infirmer l'ordonnance critiquée et de :

- ordonner une expertise de gestion et désigner tel expert qu'il plaira avec pour mission de présenter un rapport sur les points suivants :

* déterminer si la SAS QVDD a effectivement et régulièrement, soit dans le respect des dispositions légales et statutaires, renoncé au titre des exercices 2011 à 2014 inclus à percevoir la rémunération fixe dont elle devait bénéficier en sa qualité de commanditée conformément à l'article 14 des statuts de la SCA CHADASAYGAS, et ce dans quelles conditions ;

* préciser si, au sens des dispositions de l'article L. 233-16 du code de commerce, la SAS QVDD, en sa qualité de gérante commanditée unique se trouvait en situation de contrôle de la SCA CHADASAYGAS, de sorte qu'il incombait à son président en exercice de proposer à l'assemblée générale des associés de nommer un commissaire aux comptes afin de respecter les dispositions de l'article L. 227-9-1 du code de commerce ;

* déterminer si la SAS QVDD a, préalablement à la tenue de l'assemblée générale extraordinaire de la SCA CHADASAYGAS du 23 juin 2015, effectivement et régulièrement démissionné de ses fonctions de gérante commanditée de la société CHADASAYGAS, et en ce cas dans quelles conditions ;

* indiquer si, conformément aux dispositions de l'article 13 des statuts de la SCA CHADASAYGAS, la SAS QVDD a proposé à l'assemblée générale mixte de la société CHADASAYGAS réunie le 23 juin 2015 de nommer en qualité de commanditée la société FONTANGES, en un tel cas préciser dans quelles conditions cette proposition a été formulée et si elle l'a été régulièrement, c'est-à-dire dans le respect des dispositions légales et statutaires ;

* déterminer le nombre d'actions dont demeure propriétaire la SAS QVDD au sein de la SCA CHADASAYGAS ;

- dire que les frais d'expertise seront mis à la charge de la SAS QVDD ;

- débouter cette dernière de ses demandes ;

- la condamner aux dépens de première instance et d'appel ainsi qu'au paiement d'une somme de 6 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Il soutient que l'article 22 des statuts intitulé « Règlement des conflits » et prévoyant le règlement amiable des litiges, ne concerne que les litiges entre actionnaires et que l'interprétation du premier juge est erronée. Il fait valoir à cet égard qu'il n'existe pas de litige entre actionnaires et que l'assignation est diligentée à l'encontre de la SAS QVDD et non à l'encontre d'un actionnaire de cette dernière. Au surplus, il avance que cet article a d'autant moins vocation à s'appliquer que l'expertise de gestion n'a pas pour objectif de régler un conflit mais bien d'établir des faits et de recueillir des informations. Il ajoute qu'à supposer que l'article 22 des statuts soit applicable, la demande d'information par courrier avant la saisie du juge des référés constitue une tentative de règlement amiable. Il entend préciser à cet égard que la jurisprudence pose que la clause de tentative de règlement amiable non assortie de conditions particulières de mise en œuvre ne constitue pas une procédure de conciliation obligatoire préalable à la saisine du juge dont le non-respect caractérise une fin de non-recevoir. Il soutient que tel est le cas de la clause de l'article 22 des statuts. Ainsi, il considère que sa demande est recevable.

Sur le fond de sa demande, il considère que les conditions requises pour engager une procédure d'expertise de gestion sont remplies puisqu'il dispose de 11 % du capital social de la SAS, qu'il a préalablement posé ses questions par écrits au président de la SAS et que les réponses de ce dernier sont insuffisantes.

Il prétend que les opérations qu'il entend soumettre à expertise sont bien des actes de gestion dans la mesure où aucune assemblée générale de la SAS ne s'est réunie depuis le 30 décembre 2011. Les actes réalisés possèdent ainsi nécessairement la qualification d'acte de gestion. Il fait valoir que les seules informations dont il dispose ressortent des procès-verbaux des assemblées de la SCA CHADASAYGAS, laquelle a notamment pris acte de la démission de la SAS de ses fonctions de gérante sans qu'il n'en sache davantage. Il sollicite, notamment sur ce point, une expertise de gestion afin de faire la lumière sur les opérations qu'il détaille dans le dispositif de ses conclusions et dont il questionne la conformité à l'intérêt social de la SAS QVDD.

Aux termes de ses dernières écritures notifiées le 25 octobre 2018 au moyen de la communication électronique, la SAS QUATRE VINGT DEUX DEGRÉS, demande à la cour, au visa de l'article 122 du code de procédure civile, de :

- confirmer l'ordonnance entreprise et dire bien fondée la fin de non-recevoir élevée par elle concernant l'absence de procédure de conciliation préalable à la présente instance ;

- déclarer, en conséquence, irrecevable l'action de M. M. ;

Surabondamment, au visa de l'article L. 225-231 du code de commerce et de la jurisprudence,

- dire l'action de M. M. irrecevable et mal fondée, en ce qu'il sollicite une prétendue « expertise de gestion » pour porter des appréciations de nature juridique sur les différentes décisions de la SAS par rapport à la loi et aux statuts ;

- dire en outre ses demandes infondées et échappant qui plus est aux pouvoirs du juge des référés ;

- condamner M. M. au paiement d'une somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens dont distraction au profit de Me R..

La SAS QVDD soutient que l'article 22 de ses statuts impose un mécanisme de recours préalable à un mode de règlement amiable des litiges et que ne respectant pas cette stipulation, qui constitue une fin de non-recevoir, la demande doit être jugée irrecevable. Elle considère que la lecture du premier juge était la bonne et, qu'à tort, M. M. soutient que cette clause ne concerne que les litiges entre actionnaires. Pour elle sont visés les différends entre actionnaires, les différends relatifs aux affaires sociales et ceux relatifs à l'exécution des dispositions statutaires.

Elle ajoute qu'il est bien question d'un conflit, M. M. étant en conflit ouvert avec elle et son dirigeant à tel point qu'il multiplie les demandes et en saisit la justice. Elle soutient que l'article 22 des statuts ne peut être écarté au motif que l'expertise en gestion ne trancherait pas le conflit puisque l'existence de celui-ci suffit à permettre l'application de la stipulation statutaire.

La société QVDD, fait en outre valoir que la lettre de M. M. du 6 mars 2017, sollicitant des informations, ne saurait valoir tentative de règlement amiable au sens de l'article 22 des statuts comme étant une demande présentée par voie d'avocat.

Elle prétend enfin que, contrairement à ce qui est invoqué par M. M., l'article 22 des statuts fait référence expresse aux modes d'arbitrage, conciliation ou transaction et en particulier à la conciliation.

Elle conclut dans ces conditions à l'irrecevabilité de la demande et la confirmation de l'ordonnance entreprise sur ce point.

Surabondamment, la SAS QVDD fait valoir que sous couvert d'une demande d'expertise de gestion, M. M. forme des demandes tendant à l'appréciation juridique des opérations de gestion qui ne relèvent pas du domaine d'un technicien mais, au contraire, de l'appréciation de la juridiction du fond.

La clôture de l'instruction a été prononcée le 15 novembre 2018 et l'affaire fixée pour plaidoiries à l'audience du 21 novembre 2018.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

Une règle statutaire instituant un recours préalable aux modes alternatifs de règlement des litiges avant la saisine du juge constitue une fin de non-recevoir au sens des dispositions de l'article 122 du code de procédure civile ; elle a pour effet de rendre irrecevable une action judiciaire introduite en contradiction de ses termes.

En l'espèce, l'article 22 des statuts de la SAS QVVD prévoit que : « Tous différends susceptibles de surgir pendant la vie de la société, ou au cours des opérations de liquidation, entre les actionnaires, relatifs aux affaires sociales ou à l'exécution des dispositions statutaires, seront réglés à l'amiable ; à défaut, en privilégiant des voies extrajudiciaires (arbitrage, conciliation, transaction, etc.), et en veillant à ce que les conflits de personnes ne grèvent pas l'exercice ou la notoriété de la société. »

La rédaction de cette clause qui vise tous les différends susceptibles de surgir tant pendant le cours de la vise sociale qu'au cours de la liquidation de la personne morale, est particulièrement large et vise tant les différends entre actionnaires, que les différends relatifs aux affaires sociales ou encore les différends relatifs à l'application des dispositions statutaires. Et c'est donc de façon exagérément restrictive, que M. M. qui, au demeurant, possède cette qualité, tente de réduire la portée de cette clause aux seuls différends entre actionnaires.

Cette clause énumère, par ailleurs, les différentes modalités qu'est susceptible de prendre cette procédure de règlement des litiges et il était loisible à M. M. de l'engager avant de saisir le juge des référés. Et la lettre recommandée adressée le 6 mars 2017 par son avocat au président de la SAS QVDD, pour obtenir des réponses précises et circonstanciées ainsi que des pièces justificatives sur la renonciation de la SAS QVDD à sa rémunération en qualité de gérante commanditée, à l'absence de nomination d'un commissaire aux comptes et sur la démission de la SAS QVDD de ses fonctions de gérant de la CHADASAYGAS, lui indiquant qu'il se réserve le droit d'agir en référé aux fins de nomination d'un expert judiciaire, constitue la mise en demeure préalable à la mise en œuvre des dispositions de l'article L. 225-231 du code de commerce et non le préalable à l'engagement d'une procédure de règlement du différend opposant M. M. au dirigeant de la SAS QVVD.

Ainsi, c'est à bon escient, que le président du tribunal de commerce a considéré qu'il n'avait pas été satisfait au regard préalable à un mode alternatif de règlement des différends prévus par les statuts de la SAS QVDD.

Au demeurant, il apparaît que les faits dénoncés par M. M. sont parfaitement connus et circonstanciés et que, sous le couvert d'une expertise de gestion, il tend, en réalité, à faire réaliser par un technicien une analyse juridique de la régularité des décisions critiquées qu'il appartiendra, le cas échéant, à la juridiction saisie du fond du litige d'effectuer pour déterminer si ces décisions encourent effectivement les critiques énoncées par le requérant.

En conséquence, la décision critiquée sera confirmée et M. M. condamné aux dépens de l'instance et à verser à la SAS QVDD une indemnité complémentaire de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS :

La cour, après en avoir délibéré, statuant publiquement, en référé, par arrêt contradictoire et en dernier ressort, mis à la disposition des parties au greffe de la juridiction ;

Confirme l'ordonnance ;

Condamne M. Charles M. aux dépens et à verser à la SAS QUATRE VINGT DEUX DEGRES une indemnité complémentaire de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.