CA Toulouse, 1re ch. sect. 1, 27 janvier 2020, n° 17/01820
TOULOUSE
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Défendeur :
Arterris (SCA), Egide (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Blume
Conseillers :
M. Desfontaine, M. Arriudarre
EXPOSE DU LITIGE
L'Earl des Trescats, exploitante agricole, a adhéré en qualité d'associé coopérateur à la société coopérative agricole La Toulousaine des Céréales aux droits de laquelle vient la coopérative agricole Arterris ( Sca Arterris) suivant acte de fusion absorption du 18 décembre 2008. Les adhérents bénéficient de différents services de la coopérative et notamment de la possibilité de s'approvisionner en matériels, engrais et produits divers contre apport de tout ou partie de leur production à la coopérative. Ils disposent d'un compte courant, mis en place lors de l'adhésion, sur lequel sont mises au crédit les productions apportées à la coopérative et au débit les fournitures et matériaux acquis auprès d'elle.
L'Earl des Trescats a été dissoute par l'arrivée de son terme en 2005 mais son compte courant ouvert auprès de la Sca Arterris a continué de fonctionner. M. G. a repris les engagements de cette société par convention en date du 24 février 2014.
Considérant que les dettes de la société et celles de M. G. avaient fusionné dans le compte courant, la Sca Arterris lui a demandé paiement du solde débiteur du compte.
Par acte du 1er septembre 2014, la Sca Arterris a fait assigner M. G. devant le tribunal de grande instance de Toulouse pour obtenir paiement du solde débiteur du compte ouvert en ses livres.
Par jugement contradictoire en date du 30 janvier 2017, assorti de l'exécution provisoire le tribunal a condamné M. G. à payer à la Sca Arterris la somme de 63 107,15 euros, outre intérêts conventionnels à compter du 1er février 2014 et capitalisation, celle de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens dont distraction au profit de la SCP C..
Pour ce faire, le tribunal a constaté que l'activité du compte courant s'était poursuivie après la dissolution de l'Earl des Trescats, que la dissolution n'a été portée à la connaissance des tiers que le 19 novembre 2012 par sa publication au registre du commerce et des sociétés, que par acte du 24 février 2014, le capital et le compte de cette société ont été transférés à M. G. qui lui a succédé dans tous ses droits et obligations, que le même jour, il a signé un bulletin d'adhésion au terme duquel il s'est engagé à reprendre la totalité des écritures au titre du compte adhérant du cédant même si cette demande a ensuite été rejetée, qu'il a donc été reconnu débiteur du compte courant.
M. Gérard G. a interjeté appel total de cette décision par déclaration en date du 24 mars 2017.
Celui-ci a été placé en redressement judiciaire par jugement du tribunal de grande instance de Toulouse. La Selas Egide, prise en la personne de Maître H., a été nommée en qualité de mandataire judiciaire.
Par acte d'huissier en date du 23 juin 2017, M. G. a assigné, à personne, la Selarl Egide.
M. G. a été placé en liquidation judiciaire par jugement du tribunal de grande instance de Toulouse en date du 17 septembre 2018.
Prétentions et moyens des parties,
Dans leurs conclusions (récapitulatives) transmises par voie électronique le 10 septembre 2019, M. G. représenté par la Selas Egide, demande à la cour de :
- réformer le jugement,
En conséquence,
- juger irrecevables les demandes formulées par la Sca Arterris à son encontre,
- débouter la Sca Arterris de ses demandes,
- condamner la Sca Arterris au paiement de la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la Sca Arterris aux entiers dépens,
A titre subsidiaire,
- fixer la créance de la Sca Arterris au passif de la procédure de liquidation judiciaire,
- débouter la Sca Arterris de sa demande au titre de l'application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la Sca Arterris au paiement des entiers dépens.
Il soutient en substance :
- que l'action de la Sca Arterris est irrecevable à l'encontre de M. G. puisque ce dernier ne s'est jamais engagé à reprendre les écritures comptables de l'Earl des Trescats, qu'il n'a jamais été contractuellement lié à la Sca Arterris, qu'il n'a jamais eu la qualité d'adhérent qui lui a été refusée le 17 avril 2014, qu'à défaut d'avoir cette qualité, il ne pouvait pas reprendre le compte courant de l'Earl des Trescats, que l'action de la Sca Arterris ne pouvait être dirigée qu'à l'encontre de l'Earl des Trescats et qu'elle aurait dû déclarer sa créance au passif de celle-ci,
- qu'il n'est pas démontré que les mouvements sur le compte de cette société apparus après sa dissolution lui sont imputables, que tous les extraits de compte pour cette période sont au nom de l'Earl jusqu'en 2012, qu'en l'absence de nom du cédant sur le bulletin d'adhésion, il ne peut pas être considéré qu'il s'est engagé à reprendre les écritures comptables de l'Earl des Trescats, que la Sca Arterris ne démontre pas davantage l'existence d'une société de fait après la dissolution de l'Earl,
- subsidiairement que la Sca Arterris n'établit pas l'obligation à paiement de M. G., qu'il n'a été destinataire d'aucune lettre de relance, que la production d'un décompte n'est pas suffisante en l'absence de facture, que les pièces relatives au compte courant ne le concernent pas puisqu'il n'a pas la qualité d'adhérent.
Dans ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 6 novembre 2017, la Sca Arterris, intimée, demande à la cour, au visa des articles 1134 et suivants du code civil, de l'article L 622-22 du code de commerce et de l'article 378 du code de procédure civile, de :
- constater que ses demandes sont recevables,
- rejeter l'ensemble des demandes de M. G.,
En conséquence,
- fixer sa créance au passif de la procédure de redressement judiciaire de M. G. à la somme de 81 114,31 euros,
- condamner solidairement M. G. et la Selas Egide, prise en la personne de Maître H., ès-qualités, à lui payer la somme de 2 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Elle fait valoir principalement :
- que son action est recevable puisque l'Earl des Trescats, constituée pour une durée de 20 ans en 1985, a été dissoute par l'arrivée de son terme, que son gérant, M. G. en a continué l'exploitation sous la forme d'une société de fait, que ses créances ont fusionné dans le compte avec celles de la société,
- que sa créance est fondée, qu'elle n'a pas à produire l'intégralité des factures en raison du fonctionnement du compte courant, que seul le solde de ce compte est réclamé, qu'il est justifié par un extrait du compte, qu'aucune contestation n'a été émise par M. G. à la réception des relevés de comptes, que celui-ci était parfaitement informé des opérations réalisées par l'Earl dont il a repris l'exploitation,
- que le taux d'intérêt est fixé par une délibération du conseil d'administration de la coopérative du 18 janvier 2010, que les agios réclamés sont justifiés, l'article 6.2 du règlement intérieur reprenant le taux d'intérêt et son calcul.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 8 octobre 2019.
L'affaire a été examinée à l'audience du 22 octobre 2019.
MOTIFS :
Sur la recevabilité des demandes de la Sca Arterris :
Les demandes présentées par la Sca Arterris contre M. G., en son nom personnel et non en qualité de gérant de l'Earl des Trescats, sont fondées sur la fusion qui s'est opérée, selon elle, à la suite de la poursuite de l'exploitation de cette société par ce dernier, entre les dettes et obligations de cette société de fait, dissoute depuis 2005, et ses propres dettes et obligations. Son action dirigée contre M. G., représenté par son mandataire judiciaire, est donc recevable faute de démontrer une absence de qualité à agir de ce dernier au sens de l'article 122 du code de procédure civile, seul fondement pouvant conduire à une irrecevabilité des demandes telles que présentées, à l'exclusion de articles 9 du code de procédure civile et 1134 du code civil visés, l'examen de l'existence d'une société de fait et de l'acquisition du statut d'associé coopérateur par M. G. relevant du fond. Les demandes de la Sca Arterris doivent être, en conséquent, déclarées recevables.
Sur le fond :
La Sca Arterris ne démontre pas que M. G. serait tenu des dettes de l'Earl des Trescats en raison de l'existence d'une société de fait résultant de la poursuite de l'activité de cette société par M. G. permettant de le condamner à paiement au titre des dettes et obligations de la société ni de l'utilisation, par ce dernier, du compte courant de la société entre 2005 et 2012.
La seule existence de mouvements opérés sur le compte courant de l'Earl des Trescats, adhérente de la Toulousaine des Céréales aux droits de laquelle vient la Sca Arterris, entre janvier 2006, soit après la dissolution de la société par l'arrivée de son terme prévu au 31 décembre 2005 en vertu de l'article 1844-7 1° du code civil et la publicité de cette dissolution le 10 décembre 2012, ne suffit pas à établir l'existence d'une société de fait en l'absence de tout élément relatif au nombre d'associés constituant l'Earl des Trescats, société qui n'est pas nécessairement uni-personnelle, l'extrait K-bis produit ne mentionnant que M. Gérard G. en qualité de gérant et la démission du gérant précédent, M. Yves G., depuis décédé, et le maintien d'une 'affectio societatis'. Rien ne permet par ailleurs d'établir que M. Gérard G. a été l'utilisateur du compte-courant ouvert au nom de l'Earl des Trescats, la Sca Arterris se contentant de procéder par affirmation.
Par ailleurs, l'éventuelle reconnaissance de l'existence d'une société de fait ne permet pas pour autant d'imputer le passif de ladite société à son ancien gérant, dont les fonctions ont cessé à la dissolution de la société, celui-ci n'étant pas tenu des dettes sociales.
La Sca Arterris n'établit pas davantage que M. G. est tenu du solde débiteur du compte-courant de l'Earl des Trescats en raison de la 'déclaration de transfert de capital et de compte' signée le 24 février 2014 et du 'bulletin d'adhésion, d'engagement et de compte courant suite à reprise d'engagement' signé le même jour.
L'article 7 des statuts de la Sca Arterris stipule que 'la qualité d'associé coopérateur est établie par la souscription ou par l'acquisition d'une ou plusieurs parts sociales de la coopérative', que 'l'admission des associés coopérateurs a lieu sur décision du conseil d'administration' et que 'en cas de mutation de propriété ou de jouissance d'une exploitation, le refus d'admission ne peut intervenir que dans les conditions prévues à l'article 18".
L'article 18 indique que 'l'associé coopérateur s'engage, en cas de mutation de propriété ou de jouissance d'une exploitation au titre de laquelle il a pris à l'égard de la coopérative les engagements prévus à l'article 8 ci-dessus, à transférer ses parts sociales d'activité au nouvel exploitant. Il doit faire l'offre de ces parts à ce dernier qui, s'il les accepte, sous réserve des dispositions des paragraphes 2 et 3 ci-après, sera substitué pour la période postérieure à l'acte de mutation, dans tous les droits et obligations du cédant vis-à-vis de la coopérative.' Ce même article précise qu'en cas de mutation de propriété, le cédant doit la dénoncer à la coopérative qui dispose d'un délai d'un mois, à compter de la réception de la dénonciation pour 'refuser l'admission du nouvel exploitant' par décision motivée de son conseil d'administration.
L'article 19 relatif à la cession des parts précise, quant à lui, que 'le conseil d'administration autorise le transfert de tout ou partie des parts visées à l'article 14 paragraphe 1 d'un associé coopérateur sous réserve des dispositions de l'article 7 dernier alinéa du paragraphe 5, à un ou plusieurs autres associés coopérateurs ou à un ou plusieurs tiers dont l'adhésion comme associé coopérateur a été acceptée. Sous réserve des dispositions prévues à l'article 18 ci-dessus, en cas de mutation de propriété ou de jouissance d'une exploitation, la cession ne peut valablement intervenir qu'après autorisation du conseil d'administration.'
Il résulte de l'ensemble de ces textes que le transfert d'exploitation et des parts de l'Earl des Trescats à M. G. était soumis à l'admission de ce dernier en qualité d'adhérent de sorte que les mentions contenues dans le document 'déclaration de transfert de capital et de compte' et le 'bulletin d'adhésion suite à reprise d'engagement' selon lesquelles M. G. s'est 'engagé à reprendre les parts souscrites' par l'Earl des Trescats et a 'accepté de prendre la totalité des écritures comptables inscrites dans le compte adhérent du cédant' sont dépourvues d'effet faute d'autorisation de la cession par le conseil d'administration et d'admission de M. G. en qualité de nouvel exploitant et associé coopérateur selon courrier en date du 17 avril 2014 l'informant du rejet de sa demande d'adhésion.
Le jugement doit donc être infirmé en ce qu'il a condamné M. G. à payer à la Sca Arterris la somme de 63 107,15 euros et cette dernière doit être déboutée de sa demande de voir fixer sa créance au passif de la procédure en redressement judiciaire de M. G..
Sur les demandes annexes :
La Sca Arterris, partie perdante, doit être condamnée à supporter les dépens de première instance et d'appel, le jugement étant infirmé de ce chef.
M. G., représenté par la Selas EGIDE, est en droit de réclamer l'indemnisation des frais non compris dans les dépens qu'il a dû exposer à l'occasion de cette procédure. La Sca Arterris sera donc tenue de lui payer la somme globale de 2 000 euros en application des dispositions de l'article 700 alinéa 1er 1° du code de procédure civile, le jugement devant être infirmé sur ce point.
Il n'est pas inéquitable de laisser à la charge de la Sca Arterris les sommes exposées à l'occasion de la présente instance et non comprises dans les dépens.
PAR CES MOTIFS :
La cour,
Infirme le jugement en toutes ses dispositions,
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Déboute la société coopérative agricole Arterris de l'ensemble de ses demandes,
La condamne à verser à M. Gérard G., représenté par Maître H. de la Selas Egide en qualité de mandataire liquidateur, la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
La déboute de sa demande fondée sur ces mêmes dispositions,
La condamne aux dépens de première instance et d'appel.