CSA, 21 mai 2014, n° 2014-8
CONSEIL SUPÉRIEUR DE L'AUDIOVISUEL (DEVENU L'ARCOM)
Avis
saisine de la société beIN Sports France relative à des pratiques mises en œuvre par le groupe Canal Plus et la Ligue Nationale de Rugby
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Schrameck
Vu le code de commerce, notamment son article R. 463-9 ;
Vu la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 modifiée relative à la liberté de communication ;
Vu la lettre du ministre de l’économie, des finances et de l’industrie du 30 août 2006, aux conseils de la société Vivendi Universal, relative à une concentration dans le secteur de la télévision payante ;
Vu la décision n°12-DCC-100 du 23 juillet 2012 de l’Autorité de la concurrence relative à la prise de contrôle exclusif de TPS et CanalSatellite par Vivendi et Groupe Canal Plus ;
Vu l’avis n° 2012-10 du 2 mai 2012 à l’Autorité de la concurrence sur la nouvelle notification de l’acquisition des sociétés TPS et CanalSatellite par les sociétés Vivendi et Groupe Canal Plus ;
Vu le courrier du 3 avril 2014 de l’Autorité de la concurrence invitant le Conseil supérieur de l’audiovisuel à formuler ses observations sur la saisine de la société beIN Sports France relative à des pratiques mises en œuvre par le groupe Canal Plus et la Ligue Nationale de Rugby ;
Vu les demandes d’informations du Conseil supérieur de l’audiovisuel à la société beIN Sports France, au groupe Canal Plus et à la Ligue Nationale de Rugby en date du 11 avril 2014 ;
Vu la réponse du groupe Canal Plus en date du 28 avril 2014 ;
Vu la réponse de la société beIN Sports France en date du 2 mai 2014 ; Vu la réponse de la Ligue National de Rugby en date du 28 avril 2014 ;
Après en avoir délibéré, Émet l’avis suivant :
Le 11 mars 2014, la société beIN Sports France a saisi l’Autorité de la concurrence de pratiques mises en œuvre par la société La Société d’Edition de Canal+, la société Groupe Canal+ (ci-après le groupe Canal Plus) et la Ligue Nationale de Rugby (LNR).
Les faits à l’origine de la saisine portent sur l’attribution des droits de diffusion des rencontres du championnat de France de rugby du Top 14 au groupe Canal Plus en 2011 et en 2014.
Le 14 décembre 2011, la LNR et le groupe Canal Plus ont conclu un contrat relatif à l’attribution des droits d’exploitation audiovisuelle du championnat de France de rugby du Top 14 pour une période de cinq ans, avec une possibilité pour la LNR de résilier le contrat entre le 1er septembre et le 31 décembre 2013.
Seul le groupe Canal Plus s’était porté candidat et il avait remporté les droits pour un montant annuel de […] M€, dont […] M€ de part variable liée à l’évolution du parc d’abonnés. Au cours de l’année 2013, la LNR a envisagé de faire jouer la clause de résiliation anticipée et a étudié plusieurs options : renégociation du contrat ; sortie du contrat et négociation d’un nouveau contrat de gré à gré ou par le biais d’un appel d’offres ou toute autre consultation.
Ainsi, la LNR a lancé, le 12 septembre 2013, une consultation des principaux acteurs du marché de l’audiovisuel afin de décider de résilier ou non de façon anticipée le contrat signé en 2011.
Le 2 décembre 2013, le groupe Canal Plus a présenté une offre à la LNR, que cette dernière n’a pas jugé satisfaisante.
Le 4 décembre 2013, la LNR a ensuite lancé un appel d’offres pour les droits d’exploitation audiovisuelle du Top 14 pour les saisons 2014-2015 à 2017-2018.
Le groupe Canal Plus a indiqué à la LNR, qu’il estimait cette résiliation contraire à une exécution loyale du contrat. Le 9 décembre 2013, la LNR a indiqué au groupe Canal Plus qu’elle n’avait pas l’intention de procéder au retrait de l’appel d’offres et qu’elle estimait avoir respecté ses obligations contractuelles. Par conséquent, le groupe Canal Plus a entamé une série d’actions judiciaires à l’encontre de la LNR.
Par un communiqué de presse en date du 10 janvier 2014, la LNR a annoncé sa décision d’interrompre l’appel d’offres qu’elle avait lancé le 4 décembre 2013. Le groupe Canal Plus a alors proposé à la LNR de reprendre les négociations sur la base de la dernière offre remise le 2 décembre 2013. Une offre ferme a été remise et acceptée par la LNR le 14 janvier 2014.
Selon la société beIN Sports France, le groupe Canal Plus disposerait de positions dominantes sur l’ensemble des marchés de la télévision payante et aurait commis des abus :
- en obtenant en 2011 un droit de priorité à exercer lors de la remise sur le marché des droits de diffusion du championnat du Top 14 ;
- en mettant en œuvre à la fin de l’année 2013 une stratégie d’intimidation à l’encontre de la LNR lors de la remise sur le marché des droits de diffusion du championnat du Top 14
- en obtenant au mois de janvier 2014 le renouvellement de son contrat en 2014 dans le cadre d’une négociation de gré à gré.
La société beIN Sports France considère également que le groupe Canal Plus et la LNR ont réalisé une entente prohibée. En premier lieu, le nouveau contrat exclusif, conclu au mois de janvier 2014, aurait conféré au groupe Canal Plus un droit de priorité entraînant un verrouillage du marché. En second lieu, l’interruption de la procédure de mise en concurrence et la conclusion d’un contrat de gré à gré d’une durée de cinq ans auraient pour objet et pour effet d’évincer les concurrents du groupe Canal Plus. Les pratiques en cause auraient ainsi pour objet et pour effet de marginaliser et d’exclure les chaînes beIN Sports « des marchés d’acquisition de droits sportifs, plus particulièrement du marché des droits du Top 14 ».
Dans l’attente de la décision à intervenir au fond, la société beIN Sports France demande également à l’Autorité de la concurrence de prononcer des mesures conservatoires. Elle considère que les pratiques mises en œuvre portent une atteinte grave et immédiate à l’économie du secteur de la télévision payante, aux intérêts des consommateurs ainsi qu’à la société beIN Sports France. Elle demande par conséquent les mesures suivantes :
- enjoindre au groupe Canal Plus et à la LNR de suspendre l’exécution de l’accord qu’ils ont conclu ;
- enjoindre au groupe Canal Plus de s’abstenir de toute communication afférente à cet accord, notamment à des fins d’utilisation publicitaire ou commerciale ;
- ordonner la publication d’un extrait de la décision préalablement soumis à l’agrément de l’Autorité, dans un quotidien national d’information générale et dans le journal L’Equipe, aux frais du groupe Canal Plus.
L’article L. 464-1 du code de commerce dispose que l'Autorité de la concurrence « peut, à la demande du ministre chargé de l'économie, des personnes mentionnées au dernier alinéa de l'article L. 462-1 ou des entreprises et après avoir entendu les parties en cause et le commissaire du Gouvernement, prendre les mesures conservatoires qui lui sont demandées ou celles qui lui apparaissent nécessaires.
Ces mesures ne peuvent intervenir que si la pratique dénoncée porte une atteinte grave et immédiate à l'économie générale, à celle du secteur intéressé, à l'intérêt des consommateurs ou à l'entreprise plaignante.
Elles peuvent comporter la suspension de la pratique concernée ainsi qu'une injonction aux parties de revenir à l'état antérieur. Elles doivent rester strictement limitées à ce qui est nécessaire pour faire face à l'urgence ».
Les présentes observations portent en premier lieu sur l’analyse concurrentielle des pratiques et l’existence d’un problème potentiel au fond. Elles portent en second lieu sur la demande de mesures conservatoires et l’existence d’une condition d’urgence.
Le Conseil complètera ultérieurement le présent avis par des observations sur le fond de la saisine. Il procèdera alors à des auditions des parties à la procédure, qu’il n’a pas été en mesure de réaliser dans le cadre de la présente instruction de la demande de mesures conservatoires, en raison notamment du délai inhérent à l’instruction de ce type de demande.
L’analyse concurrentielle des pratiques
Des mesures conservatoires peuvent être décidées « dès lors que les faits dénoncés, et visés par l’instruction dans la procédure au fond, apparaissent susceptibles, en l’état des éléments produits aux débats, de constituer une pratique contraire aux articles L. 420-1 ou L. 420-2 du Code de commerce »1.
Conformément à la pratique décisionnelle de l’Autorité de la concurrence en matière de mesures conservatoires, le Conseil formule des observations sur le périmètre des marchés pertinents concernés par les pratiques, le pouvoir de marché des acteurs et l’objet des pratiques.
1.1 Les marchés pertinents
Dans sa saisine au fond, la société beIN Sports France fait référence aux définitions de marchés retenues précédemment par les autorités de concurrence en matière d’acquisition de programmes sportifs, d’édition de chaînes et de distribution de services de télévision payante.
Sur les marchés amont de l’acquisition de programmes sportifs, elle considère en particulier que le championnat de France de rugby du Top 14 présente toutes les caractéristiques d’un marché pertinent distinct et que cette compétition revêt un caractère premium au sens de la pratique décisionnelle.
Le Conseil formule des observations sur ces deux questions dans la mesure où elles sont liées à la détermination de l’importance du pouvoir de marché de la LNR et celle du Top 14 dans le développement de la concurrence sur le marché de l’édition de chaînes de télévision payante.
1.1.1 Le caractère premium du championnat de rugby du Top 14
D’une manière générale, la pratique décisionnelle des autorités de concurrence identifie parmi les droits de diffusion de compétitions sportives des contenus premium, susceptibles de générer des taux d’audience élevés, s’agissant des chaînes de télévision gratuite, ou de constituer des moteurs d’abonnements pour les chaînes payantes.
Traditionnellement, le football est la discipline qui propose aux chaînes un certain nombre de droits premium. A cet égard, la décision du 23 juillet 2012 de l’Autorité de la concurrence énumère trois compétitions qui constituent des droits sportifs premium, pour les besoins de l’injonction. Il s’agit des droits de diffusion des rencontres du championnat de France de football de Ligue 1, des championnats de football étrangers attractifs et de la Ligue des champions de football.
A ce stade de la procédure, le Conseil considère, que des compte tenu des résultats des enquêtes relatives aux intentions d’abonnement liées à la détention des droits de diffusion du Top 14 de rugby, ces droits constituent des droits premium au sens de la pratique décisionnelle, c’est-à-dire des « moteurs d’abonnements »2.
Les dirigeants du groupe Canal Plus ont ainsi déclaré : « Sur les trois événements qui motivent l'abonnement des fans de sport - la Ligue 1, la Ligue des champions et le Top 14 de rugby, nous avons amélioré notre offre »3.
Dans sa réponse à la demande d’informations du Conseil, le groupe Canal Plus a indiqué que « le Top 14 réalise de bonnes audiences et est susceptible de constituer un facteur non négligeable de motivation d’abonnement ».
L’étude IPSOS qui a été communiquée par la société beIN Sports France dans le cadre de la présente procédure confirme l’importance du Top 14 parmi les abonnés aux chaînes Canal+4. Ainsi, près d’un quart des abonnés aux chaînes Canal+ serait disposé à s’abonner aux chaînes beIN Sports, pour un tarif de 11€ par mois, dans l’hypothèse d’une acquisition de l’exclusivité de diffusion de l’ensemble des rencontres du Top 14.
Par ailleurs, le fait que la motivation d’abonnement du Top 14 puisse être inférieure à celle de certaines compétitions de football, telles que la Ligue 1, n’empêche pas cette compétition d’être qualifiée comme droit sportif premium au sens de la pratique décisionnelle.
Les informations communiquées au Conseil par le groupe Canal Plus montrent par ailleurs que le Top 14 atteint des niveaux de « satisfaction record » auprès des abonnés aux chaînes Canal+, en augmentation depuis 2007. Les audiences réalisées par la diffusion des rencontres du Top 14 sont également en augmentation. Sur la chaîne Canal +, l’audience moyenne des rencontres est passée de 655 000 lors de la saison 2008-2009 à 719 000 lors de la saison 2012/-2013. L’audience moyenne des demi-finales est passée de 767 000 à 1 135 000 sur la même période5.
En outre, contrairement à des événements exceptionnels se déroulant sur une période limitée dans le temps, comme les jeux olympiques ou la coupe du monde de football, les droits du Top 14 permettent d’alimenter la grille des programmes sur une grande partie de l’année et constitue un programme « feuilletonnant » particulièrement recherché par les chaînes payantes.
En conclusion, le Conseil estime que les droits du championnat du Top 14 constituent des droits sportifs premium au sens de la pratique décisionnelle dans la mesure où ils semblent permettre de recruter de nouveaux abonnés mais aussi de les fidéliser.
1.1.2 Le marché concerné par l’acquisition du championnat de rugby du Top 14
La pratique décisionnelle des autorités de concurrence a défini un ensemble de marchés pertinents relatifs à l’acquisition de droits de diffusion de compétitions sportives :
- les droits acquis pour une diffusion en paiement à l’acte ;
- les droits relatifs à la Ligue 1 de football ;
- les droits autres que ceux relatifs à la Ligue 1 portant sur les compétitions régulières de football qui ont lieu chaque année et auxquelles participent des équipes françaises ;
- les droits relatifs aux championnats de football étrangers les plus attractifs ;
- les droits relatifs aux autres compétitions de football ;
- les droits relatifs aux événements d’importance majeure autres que footballistiques ;
- les droits relatifs aux compétitions sportives, autres que footballistiques et hors événements d’importance majeure.
Selon la pratique décisionnelle actuelle des autorités françaises de concurrence, les droits de diffusion du Top 14 sont commercialisés sur le marché pertinent des droits relatifs aux compétitions sportives, autres que footballistiques et hors événements d’importance majeure qui comprend une quarantaine de compétitions, ainsi que, s’agissant de la finale du Top 14, sur le marché des droits relatifs aux événements d’importance majeure autres que footballistiques.
Le Conseil estime que cette définition de marché, qui a été consacrée en 2006 lors de l’acquisition de TPS et Canalsatellite par le groupe Canal Plus, pourrait évoluer dans la mesure où ce marché intègre des droits de diffusion de compétitions dont la nature, l’attractivité et la valeur sont très hétérogènes. Il regroupe ainsi des droits qui constituent des moteurs d’abonnements et participent à l’amélioration de l’image des chaînes, comme le Top 14 et la Coupe d'Europe de rugby ou le Championnat du monde de Formule 16, mais aussi un ensemble de compétitions sportives dont l’attractivité et la valeur sont moindres.
Selon le Conseil, les droits premium commercialisés sur ce marché (hors football), notamment ceux qui portent sur des compétitions saisonnières et organisées sur plusieurs mois, sont susceptibles d’appartenir à un marché distinct des autres droits sportifs.
Il considère ainsi qu’un marché de l’acquisition des droits sportifs premium autres que footballistiques pourrait être considéré comme pertinent au sens du droit de la concurrence.
En effet, le degré de substituabilité entre les droits footballistiques premium et les autres droits sportifs premium pourrait être limité par la nécessité pour une chaîne qui voudrait concurrencer les chaînes Canal+ de proposer une programmation pluridisciplinaire. Une chaîne premium doit être en mesure de proposer une gamme diversifiée de programmes sportifs, dans la mesure où l’intérêt attaché à chaque discipline varie selon les téléspectateurs7. Par ailleurs, les autorités de concurrence ont reconnu de manière constante une spécificité du football par rapport aux autres disciplines sportives.
Enfin, s’agissant de la définition du marché dont le périmètre serait restreint au Top 14, le Conseil estime également qu’à ce stade de la procédure, elle ne peut non plus être exclue, en raison notamment du niveau de la compétition par rapport aux autres championnats nationaux de rugby8 et de son importance culturelle dans plusieurs régions françaises. Il s’agit d’une différence importante avec d’autres compétitions premium, telles que le Championnat du monde de Formule 1. Ces éléments ne sont toutefois pas suffisants pour conclure à l’existence d’un marché pertinent de l’acquisition des droits du Top 14 et des compétitions qui, comme la Coupe d’Europe de rugby, pourraient exercer une pression concurrentielle sur la LNR.
1.2 La position de la Ligue Nationale de Rugby
Les observations du Conseil portent sur la position sur le marché de la LNR.
Au regard de la pratique décisionnelle des autorités de concurrence françaises en matière de mesures conservatoires9, il apparaît nécessaire de procéder à une première analyse du pouvoir de marché de la LNR.
La position de la LNR sur le marché n’a encore jamais été analysée par les autorités de concurrence dans le cadre d’une opération de concentration ou d’une affaire contentieuse.
Dans sa saisine au fond, la société beIN Sports ne fournit pas d’estimation des parts de marché de la LNR en tant que vendeur de droits de diffusion, puisqu’elle avance l'hypothèse de l’existence d’un marché distinct des droits du Top 14, sur lequel la LNR serait par voie de conséquence en situation de monopole.
Les services de Conseil ont procédé à plusieurs estimations des parts de marché de la LNR, en se basant, d’une part sur le périmètre actuel du marché de l’acquisition de droits de diffusion des compétitions sportives autres que footballistiques (hors événements d’importance majeure), et, d’autre part sur un marché comprenant les droits de diffusion des compétitions sportives premium autres que footballistiques.
Dans le cadre de la première hypothèse, la part de marché de la LNR, calculée sur la base des investissements prévus dans le contrat de 2011, est de 17,5%. Ses principaux concurrents sont la Formula One Constructors Association (FOCA) (17%), la Fédération française de tennis (10%), l’European Rugby Cup (ERC) (8%), organisatrice de la Coupe d’Europe, et l'International Rugby Board (IRB) (6%). Les autres investissements sur le marché sont réalisés par plus d’une quarantaine d’offreurs, dont seule une quinzaine détient une part de marché individuelle supérieure à 1%.
En tenant compte des investissements que réalisera le groupe Canal Plus au titre du contrat conclu au mois de janvier 2014, les services du Conseil estiment que la part de marché de la LNR serait de 34 % à la date du présent avis.
Dans le cadre de l’hypothèse d’un marché qui comprendrait les droits sportifs premium autres que footballistiques, la part de marché de la LNR serait d’environ 30%, sur la base des investissements prévus dans le contrat de 2011 et d’environ 50% sur la base du nouveau contrat.
Au-delà du niveau exact de la part de marché de la LNR, l’attractivité croissante des droits de diffusion du Top 14 est susceptible de conférer à la LNR un pouvoir de marché. En dehors de certaines compétitions de football (Ligue 1, Ligue des Champions, championnat de football anglais de Premier League), il s’agit en effet des droits sportifs les plus attractifs, probablement devant le Championnat du monde de Formule 1. Le doublement du montant investi par le groupe Canal Plus pour l’acquisition du Top 14 illustre l’attractivité croissante de cette compétition et son importance pour le modèle économique des chaînes Canal+.
En conclusion, les parts de marché de la LNR en tant que vendeur varient significativement en fonction du périmètre du marché pertinent considéré. En tout état de cause, le Conseil estime qu’il n’est pas exclu que la LNR dispose d’un pouvoir de marché significatif, en raison notamment de l’attractivité particulière de cette compétition.
1.3 L’objet des pratiques
La société beIN Sports France estime que les pratiques mises en œuvre par le groupe Canal Plus et la LNR sont susceptibles de constituer des pratiques contraires aux articles L. 420-1 et L. 420.2 du code de commerce, ainsi qu’aux articles 101 et 102 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne.
Selon elle, le groupe Canal Plus a commis un abus de position dominante, en obtenant en 2011 un droit de priorité à son profit, en mettant en œuvre une « stratégie d’intimidation » particulièrement agressive à l’encontre de la LNR et en obtenant le renouvellement de son contrat en 2014 dans le cadre d’une négociation de gré à gré. La société beIN Sports France considère également qu’en mettant en œuvre ces pratiques, le groupe Canal Plus et la LNR auraient réalisé une entente prohibée. Les pratiques du groupe auraient pour objet et pour effet de marginaliser et d’exclure les chaînes beIN Sports « des marchés d’acquisition de droits sportifs, plus particulièrement du marché des droits du Top 14 ».
Les observations du Conseil concernent l’octroi du droit de préemption en 2011 puis les négociations de gré à gré entre la LNR et le groupe Canal Plus en 2013 et 2014.
1.3.1 L’octroi du droit de préemption en 2011
La société beIN Sports France soutient dans sa saisine que le groupe Canal Plus semble avoir obtenu en 2011 un droit de priorité à son profit qui lui permettait, à l’issue d’une période de trois ans, de préempter les droits du championnat du Top 14. Elle rappelle également que les autorités de concurrence ont sanctionné l’octroi d’un droit de priorité à des entreprises en position dominante et qu’une telle pratique peut également constituer une entente prohibée.
En réponse à la demande d’informations du Conseil, le groupe Canal Plus a communiqué le contrat conclu qu’il a conclu en 2011 avec la LNR.
A cet égard, il apparaît qu’il ne contient pas de clause attribuant un droit de priorité au groupe Canal Plus. L’article 15 relatif à la durée stipule que :
« 15.1. Le Contrat prend effet à partir du 1er juillet 2011 et se terminera le 30 juin 2016 ou au plus tard quinze (15) jours après la Finale clôturant la Saison 2015/2016, si la Finale a lieu postérieurement au 30 juin 2016. Sauf en cas de résiliation anticipée du Contrat (notamment par application de la Section 15.2), la LNR s’engage à ne pas procéder avant le lendemain de la Finale de la Saison 2014/2015 à une mise sur le marché des droits d’exploitation audiovisuelle de la Compétition objets du Contrat pour les saisons 2016/2017 et suivantes.
15.2. La LNR aura la faculté de mettre un terme au Contrat à l’issue de la Saison 2013/2014, de manière unilatérale et sans qu’aucune pénalité ne puisse lui être réclamée par CANAL+ ni CANAL+ DISTRIBUTION, sous réserve de notifier à CANAL+ et CANAL+ DISTRIBUTION une telle résiliation par lettre recommandée avec demande d’avis de réception adressée au plus tôt le 1er septembre 2013 et au plus tard le 31 décembre 2013.
En cas de résiliation du Contrat par la LNR à l’issue de la Saison 2013/2014 en application de l’alinéa ci-dessus, les droits d’exploitation audiovisuelle concédés aux termes des présentes ne pourront être attribués par la LNR pour les Saisons suivantes qu’à l’issue d’une mise sur le marché transparente et non discriminatoire telle qu’une consultation ou un appel à candidature qui ne pourra débuter qu’après la notification à CANAL+ et CANAL+ DISTRIBUTION de la décision de la LNR d’exercer sa faculté de résiliation anticipée au Contrat au terme de la Saison 2013/2014.
En tout état de cause, si la LNR décide de mettre un terme au Contrat à l’issue de la Saison 2013/2014, elle ne pourra attribuer les droits d’exploitation audiovisuelle objet de celui-ci pour les Saisons 2014/2015 et suivantes qu’à compter du 1er janvier 2014. »
Le Conseil rappelle que le droit unilatéral de résiliation de la LNR résulte de l’engagement relatif à l’acquisition des droits des évènements sportifs annuels réguliers pris par le groupe Canal Plus lors de l’acquisition des sociétés TPS et Canalsatellite en 2006, et qui n’est plus en vigueur aujourd’hui. Celui-ci disposait que :
« Pour les contrats futurs, portant sur des événements sportifs annuels réguliers, limiter la durée des contrats avec les détenteurs de droits à trois ans et, dans l’hypothèse où les droits seraient vendus pour une durée supérieure, offrir aux détenteurs de droits la faculté de résilier le contrat unilatéralement et sans pénalités à l’expiration d’une durée de trois ans.
Pour rendre effectif cette deuxième partie de l’engagement, ne pas mettre en œuvre des pratiques incitant les détenteurs de droits à accepter l’offre et notamment, ne pas offrir aux détenteurs de droits de prime d’acquisition pour les années d’exploitation postérieures à la troisième année. »
Le ministre de l’économie avait considéré que :
« si les détenteurs de droits auront effectivement la faculté de restructurer leurs appels d’offres afin de susciter de nouvelles candidatures, il n’est pas exclu cependant que GCP soit en position d’écarter ou de restreindre la concurrence des opérateurs alternatifs.
En effet, ainsi qu’il ressort de l’instruction, compte tenu de sa puissance financière, de sa capacité à être présent sur l’ensemble des droits commercialisés, de son savoir- faire, de sa capacité à rentabiliser les coûts mis en jeu sur la base d’abonnés la plus large du secteur de la télévision payante, GCP pourrait être en mesure d’inciter les détenteurs de droits à conclure des contrats pour une longue durée, ou à lier les droits relatifs à la diffusion en clair avec ceux de la diffusion payante, lorsque ceux-ci sont vendus séparément ».
En conclusion, au vu des éléments dont il dispose, la lettre du contrat de 2011 ne comporte pas de droit de préemption bénéficiant au groupe Canal Plus.
1.3.2 La négociation de gré à gré d’un contrat de cinq ans
La société beIN Sports France estime que les conditions d’attribution des droits de diffusion du Top 14 au mois de janvier 2014 constituent une entente prohibée et un abus de position dominante du groupe Canal Plus. Selon elle, l’absence de procédure de mise en concurrence établit le caractère anticoncurrentiel de la négociation entre le groupe Canal Plus et la LNR.
Les services du Conseil ont demandé au groupe Canal Plus et à la LNR de fournir une description des conditions d’acquisition des droits d’exploitation audiovisuelle du Top 14. Les développements ci-après décrivent, à partir des informations communiquées par le groupe Canal Plus et la LNR, le déroulement de leurs négociations et exposent l’analyse du Conseil sur la pratique contestée par la société beIN Sports France.
1.3.2.1 Le déroulement des négociations
Dans sa réponse à la demande d'informations du Conseil, le groupe Canal Plus a indiqué qu’afin d’évaluer l’opportunité de prolonger le contrat conclu en 2011 au-delà de 2016, plusieurs rendez- vous avec la LNR se sont tenus au mois de juin 2013.
Le 12 septembre 2013, la LNR a ensuite lancé une consultation des principaux acteurs du marché de l’audiovisuel10 afin qu’ils apportent à la LNR « un éclairage sur l’intérêt qui pourrait être porté au TOP 14 et à la PRO D2 dans les prochaines saisons ». Selon le groupe Canal Plus, cette consultation avait nécessairement pour finalité de permettre à la LNR de décider de résilier ou non de façon anticipée le contrat de 2011. A cet égard, la LNR a rappelé au Conseil qu’en 2011, le groupe Canal Plus avait été le seul acteur à se porter candidat à l’acquisition des droits et que le montant des droits, de […] M€, dont […] M€ variables, ne correspondait pas, selon elle, à une juste valeur des droits.
Le 24 septembre 2013, le comité de pilotage créé par la LNR a auditionné les divers acteurs du marché. Selon le groupe Canal Plus, cette initiative ne saurait être assimilée à un appel d’offres.
A l'issue de la consultation, le comité de pilotage de la LNR a travaillé pendant plusieurs mois à la préparation d’un éventuel appel d’offres. La LNR a indiqué au Conseil que le code du sport ne l’obligeant pas à organiser un appel d’offres, elle a étudié toutes les options : « (i) renégociation du contrat ou (ii) sortie du contrat et négociation d’un nouveau contrat (a) de gré à gré ou (b) par le biais d’un appel d’offres ou toute autre consultation ».
Le groupe Canal Plus a déclaré qu’à la suite de cette consultation du marché, la LNR a décidé d’engager des négociations de gré à gré avec lui pour proroger le contrat jusqu’au terme de la saison 2018-2019 moyennant de nouvelles conditions financières à compter de la saison 2014-2015. Durant les mois d’octobre et de novembre 2013, des discussions engagées entre le groupe Canal Plus et la LNR se seraient poursuivies et auraient conduit le groupe Canal Plus à remettre à la LNR une offre de contrat le 2 décembre 2013.
Dans sa réponse au Conseil, il a indiqué que la LNR avait le même jour adressé au groupe Canal Plus un courrier de résiliation du Contrat, alors qu’il pensait « être sur le point de conclure un nouvel accord avec la LNR ».
Le 4 décembre 2013, la LNR a ensuite lancé un appel d’offres pour l’acquisition des droits de diffusion du Top 14 pour les saisons 2014-2015 à 2017-2018.
Le groupe Canal Plus a dénoncé par courrier cette initiative auprès de la LNR, l'estimant contraire à une exécution loyale du contrat, et l’a mise en demeure d’informer le marché que l’appel d’offres était sans objet.
Le 9 décembre 2013, la LNR a indiqué au groupe Canal Plus qu’elle n’avait pas l’intention de procéder au retrait de l’appel d’offres et qu’elle estimait avoir respecté ses obligations contractuelles.
Le groupe Canal Plus a par conséquent :
- introduit une requête le 9 décembre 2013 auprès du Président du Tribunal de grande instance de Paris afin qu’un huissier soit nommé pour procéder à la saisie d’un ensemble de documents au sein de la LNR ;
- saisi le 20 décembre 2013 le TGI de Paris d’une requête afin d’être autorisée à assigner à jour fixe la LNR pour faire juger que le contrat de 2011 a été résilié, d’une part de façon déloyale et abusive, d’autre part de manière frauduleuse ;
- été parallèlement autorisée, le 30 décembre 2013 et afin que la procédure à jour fixe ne soit pas privée d’intérêt par le déroulement de l’appel d’offres lancé par la LNR, à assigner en référé d’heure à heure la LNR afin de voir suspendre cet appel d’offres jusqu’à ce que le TGI de Paris se prononce.
Le groupe Canal Plus a précisé que l’assignation en référé d’heure à heure a été signifiée à la LNR le 31 décembre 2013. L’audience s’est tenue le 8 janvier 2014 et le délibéré a été fixé au 13 janvier 2014 à 14h, alors que la fenêtre de réponse à l’appel d’offres était fixée entre 13h et 15h.
Le 10 janvier 2014, le Comité directeur de la LNR a annoncé sa décision d’interrompre l’appel d’offres qu’elle avait lancé le 4 décembre 2013. Dans sa réponse aux demandes d’informations du Conseil, la LNR a déclaré qu’elle a arrêté la procédure d’appel d’offres pour « reprendre la maîtrise du calendrier et se laisser le temps de la réflexion ».
Le groupe Canal Plus a alors proposé à la LNR de reprendre les négociations sur la base de la dernière offre remise le 2 décembre 2013. Il a déclaré au Conseil que des discussions avaient eu lieu au cours du week-end des 11 et 12 janvier 2014 et qu’après une nouvelle réunion le 13 janvier, une offre ferme a été remise et acceptée par la LNR le 14 janvier 2014. Le groupe s’est par conséquent désisté des procédures judiciaires qu’il a engagées.
1.3.2.2 L’analyse du Conseil
La société beIN Sports France considère que l’arrêt de la procédure d’appel à la concurrence et l’obtention du renouvellement de gré à gré « in extremis et dans le secret, avant même que beIN SPORT n’ait pu remettre son offre à la LNR » revêt un caractère anticoncurrentiel. Selon elle, l’absence d’appel d’offres constitue une « restriction par objet » au sens du droit de la concurrence. L’entente prohibée se matérialiserait par le fait que la LNR aurait, d'une part cédé à la demande du groupe Canal Plus d’arrêter la procédure de mise en concurrence, d’autre part accepté d’attribuer les droits d’exploitation audiovisuelle du Top 14 au groupe Canal Plus pour une durée de cinq ans.
Le Conseil formule des observations qui concernent l’absence de mise en concurrence et la durée du contrat.
Sur l’absence de mise en concurrence
La LNR estime qu’elle n’avait pas d’obligation légale d’organiser ou de maintenir son appel d’offres. Selon elle, « en application des articles R.333-2 et R.333-3 du Code du sport, un appel d’offres n’est obligatoire qu’en cas de cession par la fédération à la ligue de tout ou partie des droits d'exploitation audiovisuelle. Or la LNR ne fait que commercialiser les droits d’exploitation audiovisuelle du Top 14, par délégation de la Fédération Française de Rugby, qui en reste l’unique propriétaire ».
Le Conseil constate que la faculté pour la LNR de résilier le contrat à l’issue d’une période de trois ans et l’obligation de mise en concurrence des chaînes résulte d’un risque d’atteinte à la concurrence identifié par le ministre de l’économie en 2006 lors de l’acquisition des sociétés TPS et Canalsatellite et de l’engagement pris par le groupe Canal Plus.
Bien qu’en 2013, cet engagement ne fût plus en vigueur, le déroulement des négociations avec la LNR illustre le risque identifié par le ministre de l’économie il y a huit ans.
Dans la lettre du 30 août 2006, relative à une concentration dans le secteur de la télévision, le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie a indiqué que « le droit commun de la concurrence fait tout d’abord peser sur les détenteurs de droits dits « centralisés » ou les opérateurs en position dominante une obligation de mise en concurrence non discriminatoire ».
A cet égard, en dépit de la consultation des acteurs du marché au mois de septembre 2013 et de la procédure d’appel d’offres ouverte le 4 décembre 2013, il semble que la société beIN Sports France n’a pas été en mesure de proposer une offre ferme à la LNR et d’exercer de pression concurrentielle sur le groupe Canal Plus pour l’attribution des droits de diffusion du Top 14, alors même qu’il s’agit des droits premium les plus attractifs en dehors des compétitions de football.
Si la LNR n’avait pas l’obligation de résilier le contrat de 2011, l’attribution des droits de diffusion du Top 14 dans le cadre d’une procédure de gré à gré semble également en contradiction avec la lettre de l’accord conclu en 2011. En effet, le contrat de 2011 n’offrait la possibilité à la LNR d’attribuer les droits « qu’à l’issue d’une mise sur le marché transparente et non discriminatoire telle qu’une consultation ou un appel à candidature qui ne pourra débuter qu’après la notification à CANAL+ et CANAL+ DISTRIBUTION de la décision de la LNR d’exercer sa faculté de résiliation anticipée au Contrat au terme de la Saison 2013/2014 ».
En conclusion, selon le Conseil, l’absence de mise en concurrence des chaînes pour l’acquisition des droits de diffusion du Top 14 est une pratique susceptible d’être contraire aux articles L. 420-1 et L.420-2 du code de commerce ainsi qu’aux stipulations du contrat de 2011 liant la Ligue Nationale de Rugby au groupe Canal Plus.
La durée du contrat d’exclusivité
La pratique des droits exclusifs, qu’elle soit analysée au regard du droit des ententes ou vue comme une pratique unilatérale, n’est pas interdite per se. Il ressort de la pratique décisionnelle qu’accorder des droits exclusifs doit être fait pour une durée proportionnée à l’exploitation de ces droits par l’acquéreur. La durée doit être suffisante pour permettre l’amortissement du coût de l’investissement réalisé. Elle est appréciée de manière différente selon les caractéristiques du marché et la nature des droits cédés.
Selon le Conseil, l’analyse des effets potentiels du contrat d’exclusivité pour la diffusion des rencontres du Top 14 doit tenir compte de l’importance des droits en cause pour les chaînes de télévision et de la durée du contrat.
A cet égard, il a été vu dans les développements consacrés à la définition des marchés pertinents qu’il ne pouvait être exclu, à ce stade de la procédure, que les droits du Top 14 soient des droits premium au sens de la pratique décisionnelle. La croissance du montant investi par le groupe Canal Plus, qui est passé de […] M€ par an à […] M€ par an, est de nature à illustrer l’attractivité croissante de cette compétition.
Par ailleurs, le groupe Canal Plus a acquis l’intégralité des droits de diffusion de la compétition, ce qui est également de nature à renforcer les effets des pratiques qui sont dénoncées par la société beIN Sports France. Le Conseil relève à cet égard que la procédure d’appel d’offres qui a été lancée par la LNR au mois de décembre 2013 prévoyait un allotissement des droits de diffusion, ce qui aurait permis potentiellement la diffusion de la compétition sur plusieurs chaînes, à l’instar de compétitions comme la Ligue 1 ou la Ligue des Champions de football.
La durée des contrats d’exclusivité est également un déterminant important de ses effets potentiels d’éviction.
En l’espèce, le Conseil constate que les pratiques de la LNR et du groupe Canal Plus ont pour effet de priver les chaînes concurrentes des chaînes Canal+ de la possibilité de se voir attribuer les droits du Top 14 pendant une durée de huit années. En effet, le contrat conclu en 2011 porte finalement sur les saisons 2011-2012 à 2013-2014 et le nouveau contrat porte sur les saisons 2014-2015 à 2018-2019. S’agissant de la durée de cinq ans du nouveau contrat, le Conseil relève que la procédure d’appel d’offres lancée au mois de décembre 2013 prévoyait une durée plus courte, de quatre ans.
Au regard de la pratique décisionnelle des autorités de concurrence, des engagements pris par le groupe Canal Plus en 2006 et de la réglementation relative à la commercialisation de certaines compétitions sportives, le Conseil estime que cette durée est susceptible de constituer une pratique prohibée par les articles L. 420-1 et L. 420-2 du code de commerce.
Selon la Commission européenne, la durée de ces contrats peut constituer une restriction potentielle si elle est disproportionnée, c'est-à-dire lorsqu’elle excède ce qui est nécessaire à l’amortissement de l’investissement. En effet, une durée d’exclusivité excessive ou une exclusivité attachée au contenu et non à l’existence des droits peut entraîner un cloisonnement du marché.
Dans une décision du 23 juillet 2003, la Commission européenne a recommandé que la cession des droits médiatiques de la Ligue des champions de football soit conclue pour une durée n’excédant pas trois ans. Dans une décision du 19 janvier 2005, la Commission a validé le système de vente centralisée mis en œuvre par la Ligue allemande de football pour les championnats de première division et de deuxième division, en raison notamment de l’engagement pris de proposer des lots pour une durée limitée à trois ans.
Dans sa décision 97-D-71 du 21 octobre 1997, le Conseil de la concurrence a condamné le fait pour la Ligue nationale de football11 d’attribuer à Adidas une exclusivité de cinq ans sans appel à la concurrence, cette circonstance démontrant que le contrat avait été conclu au détriment des autres fabricants d’articles sportifs. Dans sa décision 98-D-31 du 13 mai 1998, le Conseil de la concurrence a également estimé qu’une exclusivité de quatre ans accordée par la Fédération française d’escrime à deux fabricants d’équipements était anormalement longue et a enjoint à cette fédération de la limiter à deux ans et de procéder, à l’échéance du contrat, à la mise en concurrence de différents fournisseurs d’équipements d’escrime.
Dans ses engagements pris en 2006 lors de l’acquisition des sociétés TPS et Canalsatellite, le groupe Canal Plus avait également limité la durée de ses contrats d’acquisition de droits de diffusion de compétitions régulières à trois ans et accepté le principe d’une remise en concurrence des droits à intervalle régulier. Cet engagement peut laisser penser qu’une durée de trois ans est suffisante pour permettre l’amortissement du coût de l’investissement réalisé.
En application des articles R. 333-2 et R. 333-3 du code du sport, lorsqu’elle commercialise les droits des championnats de France de football de première division et de deuxième division, la LFP doit prévoir, outre une procédure d’appel à candidatures et un découpage des droits d’exploitation audiovisuelle en plusieurs lots distincts, une durée de commercialisation qui ne peut excéder quatre ans. Ces dispositions permettent une animation de la concurrence des chaînes à intervalles réguliers.
En conclusion, la négociation de gré à gré entre la LNR et le groupe Canal Plus a permis à ce dernier, sans faire face de manière effective à la pression concurrentielle des chaînes beIN Sports, d’acquérir l’ensemble des droits de diffusion du Top 14. En dépit de l’engagement pris en 2006 et des stipulations du contrat de 2011, les pratiques dénoncées peuvent être assimilées à une préemption de fait, qui permettent au groupe Canal Plus de bénéficier d’une exclusivité totale sur des droits particulièrement attractifs, pour une durée de huit années.
2 Les demandes de mesures conservatoires
Aux termes de l’article L. 464-1 du code de commerce, « l’Autorité de la concurrence peut (…) prendre les mesures conservatoires qui lui sont demandées ou celles qui lui apparaissent nécessaires. Ces mesures ne peuvent intervenir que si la pratique dénoncée porte une atteinte grave et immédiate à l’économie générale, à celle du secteur intéressé, à l’intérêt des consommateurs ou à l’entreprise plaignante. Elles peuvent comporter la suspension de la pratique concernée ainsi qu’une injonction aux parties de revenir à l’état antérieur. Elles doivent rester strictement limitées à ce qui est nécessaire pour faire face à l’urgence ».
La société beIN Sports France demande à titre conservatoire les mesures suivantes :
- enjoindre au groupe Canal Plus et à la LNR de suspendre l’exécution de l’accord qu’ils ont conclu ;
- enjoindre au groupe Canal Plus de s’abstenir de toute communication afférente à cet accord, notamment à des fins d’utilisation publicitaire ou commerciale ;
- ordonner la publication d’un extrait de la décision préalablement soumis à l’agrément de l’Autorité, dans un quotidien national d’information générale et dans le journal L’Equipe, aux frais du groupe Canal Plus.
Elle considère que ses demandes sont strictement proportionnées.
Lorsqu’elle statue sur une demande de mesures conservatoires, l’Autorité apprécie si trois critères cumulatifs sont remplis : la gravité de l’atteinte, l’immédiateté de l’atteinte et si ces deux premiers critères sont remplis, le lien de causalité entre les faits dénoncés et l’atteinte.
Les observations du Conseil portent sur la gravité et l’immédiateté des atteintes.
2.1 La gravité des atteintes
La société beIN Sports France considère que les pratiques du groupe Canal Plus et de la LNR portent une atteinte grave aux intérêts de ses chaînes, à l’économie du secteur de la télévision payante et aux intérêts des consommateurs.
Les pratiques porteraient atteinte aux intérêts de la société beIN Sports France en « l’excluant du marché des droits du Top 14, en empêchant son développement et en conduisant à son exclusion des marchés de la télévision payante ». Le fait d’avoir octroyé les droits de diffusion du Top 14 dans le cadre d’une procédure de gré à gré constituerait également une atteinte grave pour le secteur de la télévision payante, qui renforcerait artificiellement les barrières à l’entrée sur les marchés et leur « tendance monopolistique ». Enfin, selon la société beIN Sports France, les téléspectateurs souhaitant regarder les rencontres du Top 14 n’auront pas d’autre choix que de s’abonner aux chaînes Canal+ et à l’option Rugby+, ce qui représenterait un coût d’abonnement très élevé. A cet égard, l’exclusivité de diffusion des rencontres du Top 14 pourrait, selon elle, entraîner une augmentation des prix des abonnements.
La société beIN Sports France estime que les pratiques en cause limitent le développement d'une concurrence réelle sur les marchés de la télévision payante et « figent la position ultra- dominante » des chaînes Canal+. Selon elle, les pratiques dénoncées limitent également l'accès des distributeurs sur le marché intermédiaire à une alternative concurrentielle en termes de prix et de qualité et partant, « confortent la position ultra-dominante » du groupe Canal Plus sur le marché de la distribution.
Le Conseil formule plusieurs observations.
L’entrée sur les marchés de l’acquisition de droits sportifs premium et sur celui de l’édition de chaînes premium se caractérise par l’ampleur des investissements et l’importance des barrières à l’entrée, qui sont liées notamment à la nécessité de disposer d’un parc d’abonnés étendu.
Les nouveaux entrants sur le marché font généralement face à des problèmes de rentabilité durant les premières années d’exploitation.
Le Conseil constate à cet égard que les chaînes beIN Sports ne sont pas dans une situation d’équilibre financier, et ne peuvent être comparées à celles des chaînes Canal + qui sont actives depuis presque trente ans. Ainsi, le chiffre d’affaires réalisé en France par les chaînes beIN Sports en 2013 s’est élevé à […] M€ alors que ses investissements dans les droits de diffusion de programmes ont dépassé […] M€.
A cet égard, la situation des chaînes beIN Sports ne diffère pas, sur ce point, de celle d’une chaîne comme Orange Sport, qui a été active sur le marché de 2008 à 2012. Les chaînes beIN Sports disposent néanmoins d’un parc d’abonnés plus étendu qu’Orange Sport, qui n’a jamais dépassé 400 000 abonnés. Depuis leur lancement au mois de juillet 2012, les chaînes beIN Sports sont passées de […] à […] abonnés au mois de mars 2014. Au mois de juillet 2013, les chaînes disposaient déjà de […] abonnés.
D’après les informations qui ont été communiquées au Conseil, il semblerait que les pratiques en cause sont susceptibles d’avoir évité une perte d’abonnés pour les chaînes Canal+. De la même manière, la diffusion du Top 14 sur les chaînes beIN Sports, à titre exclusif ou non, aurait été susceptible d’accélérer le développement de leur base d’abonnés.
L’étude réalisée par la société IPSOS pour le compte de la société beIN Sports France montre ainsi que l’obtention des droits du Top 14 constituait une opportunité de développement importante du parc d’abonnés des chaînes.
Selon la société beIN Sports France, cette étude, qui mesure l’intention des abonnés aux chaînes Canal+ de souscrire à l’offre de beIN Sports dans l’hypothèse où celle-ci se verrait attribuer tout ou partie des droits du Top 14, montre que plus d’un million d’abonnés aux chaînes Canal+ étaient prêts à s’abonner aux chaînes beIN Sports si celles-ci avaient diffusé l’ensemble des rencontres du Top 14. […] % des abonnés aux chaînes Canal+ ont ainsi déclaré dans le cadre de l’enquête avoir l’intention de s’abonner à ces chaînes si elles diffusaient l’intégralité des rencontres du Top 14. Selon la société beIN Sports France, les chaînes Canal+ ayant environ 5 millions d’abonnés, dont il faut retrancher ceux qui sont déjà abonnés aux chaînes beIN Sports (environ […]), le chiffre de […] % correspond à environ […] d’abonnés. Elle considère également qu’il convient d’ajouter des abonnés primo- accédants à ces nouveaux abonnés potentiels. Selon la société beIN Sports France, ces personnes peuvent être intéressées par le Top 14 mais n’ont jamais souscrit à une offre aux chaînes Canal+, en raison notamment de leur coût. La société beIN Sports France estime que le nombre des abonnés primo-accédants pourrait être d’environ […]. Ainsi, selon ses estimations, les chaînes beIN Sports auraient pu recruter environ […] d’abonnés supplémentaires, si elles avaient acquis les droits d’exploitation audiovisuelle du Top 14. Ces projections de la société beIN Sports France semblent optimistes en ce qu’elles conduiraient à un doublement du parc d’abonnés de beIN Sports à raison de l’acquisition des seuls droits du Top 14. En outre elles reposent sur une hypothèse d’exploitation exclusive desdits droits de diffusion et sont fondées sur une simple enquête déclarative.
Afin d’éclairer l’Autorité de la concurrence sur cette question, le Conseil reproduit ci-dessous une analyse de la société Natixis sur les enjeux liés à l’attribution des droits de diffusion du Top 14 qui tend à confirmer que les chaînes Canal+ ont évité une perte d’abonnés grâce à la conclusion du nouveau contrat en 2014.La banque d’investissements considère en effet que l’attribution des droits de diffusion du Top 14 est « un contrat qui était clef pour Canal+. Sa perte aurait pu avoir un impact important sur sa base d'abonnés. Le Top 14 est en effet une compétition particulièrement appréciée des abonnés de C+ (audience > à 1,5 M pour certains matchs). C'était l'un des derniers contrats importants remis en jeu jusqu'au prochain appel d'offres des droits de la L1 en 2016 (sauf à imaginer une rupture anticipée de la part de la LNF). Cette attribution permet ainsi au groupe de renforcer encore un peu plus l'aspect "premium" de son offre face à beIN Sports. Et devrait permettre à Canal+ de stabiliser sa base d'abonnés jusqu'en 2016 » 12.
La société Natixis estime également les chaînes beIN Sports ne disposeraient plus « d'aucun levier pour conquérir de nouvelles PdM (pas de nouveaux droits importants en jeu et impossibilité de baisser les prix déjà très bas) »13.
A cet égard, les droits du Top 14 figurent parmi les droits sportifs premium les plus attractifs que la société beIN Sports France n’a jusqu’à présent pas acquis. Le niveau de l’investissement annuel dans le Top 14 du groupe Canal Plus dépasse désormais celui de son investissement dans le championnat de football anglais de Premier League et représente environ deux fois et demie le montant investi dans le Championnat du monde de Formule 1.
Si, depuis le début de l’année 2014, la société beIN Sports France a acquis des droits de diffusion de compétitions sportives très attractives, telles que la Ligue 1 et la Ligue des Champions de football, celles-ci étaient déjà diffusées sur les chaînes beIN Sports et ne sont pas de ce fait susceptibles d’améliorer sensiblement l’attractivité des chaînes.
Parmi les droits les plus attractifs qui n’ont jamais été diffusés sur les chaînes beIN Sports, le Conseil ne dispose pas, à l’heure actuelle, d’informations sur la remise sur le marché en 2014 de droits premium dont l’attractivité serait comparable au Top 14, dans des disciplines autres que le football. En effet, si la programmation des chaînes beIN Sports en matière de football peut être considérée comme de qualité équivalente à celle des chaînes Canal+, elles ne disposent pas de droits sportifs premium dans d’autres disciplines, alors qu’il s’agit d’une caractéristique importante de l’offre des chaînes Canal+.
Au cours de cette année, la société beIN Sports France aura l’opportunité d’acquérir les droits de diffusion de la Coupe d’Europe de rugby mais l’attractivité de cette compétition, dont les droits de diffusion ont été acquis pour un montant annuel de 14 M€ lors du précédent appel d’offres, est sensiblement inférieure au Top 14, en raison notamment de l'histoire du championnat de France de rugby de première division, organisé sous une forme ou une autre depuis 1892 (contre 1995 pour la Coupe d'Europe) et de l'enracinement patrimonial de cette compétition dans plusieurs régions de France.
Ainsi, il apparaît que les perspectives de développement du portefeuille de droits sportifs premium des chaînes beIN Sports sont limitées, à brève échéance.
Les informations qui ont été communiquées au Conseil dans le cadre de la présente saisine ne lui permettent pas de prévoir les effets des pratiques sur le développement du parc d’abonnés des chaînes.
Cette incertitude résulte notamment du fait que les chaînes beIN Sports n’ont jamais diffusé le championnat du Top 14 et qu’elles sont parvenues à atteindre près de […] d’abonnés en moins de deux années d’exploitation. Entre le mois de janvier 2014 et le mois de mars 2014, le nombre d’abonnés aux chaînes beIN Sports a cru de près de […] abonnés.
A cet égard, le développement de la concurrence dépend d’autres déterminants, telles que l’attractivité des chaînes OCS, qui sont désormais commercialisées par certains distributeurs de manière couplée avec beIN Sports, ou les conditions de distribution des chaînes beIN Sports par Canal + Distribution, les opérateurs ADSL et les câblo-opérateurs.
S’agissant des atteintes aux intérêts des consommateurs, les pratiques de la LNR et du groupe Canal Plus n’aboutissent pas non plus à une dégradation de la situation dans la mesure où les abonnés aux chaînes Canal Plus et aux chaînes beIN Sports bénéficieront des mêmes offres lors de la diffusion de la prochaine saison du Top 14 au mois d’août 2014.
Le Conseil ne dispose pas d’éléments pour exclure toute augmentation des prix des chaînes Canal+, il relève que si le montant des droits de diffusion du Top 14 a doublé, pour atteindre […] M€ par an, l’investissement supplémentaire consenti par le groupe Canal Plus représente moins de […] % du coût de grille des chaînes Canal+. En outre, le groupe Canal Plus conserve la possibilité de réaliser des économies sur d’autres postes de coûts.
En conclusion, si le groupe Canal Plus dispose encore de positions prépondérantes sur les marchés de l’édition de chaînes premium et de la distribution, l’entrée sur le marché des chaînes beIN Sports a permis un développement de la concurrence aux niveaux intermédiaire et aval. Toutefois, les chaînes beIN Sports demeurent dans une phase d’entrée sur le marché, qui se caractérise par le renforcement de son portefeuille de droits, un développement important de la base d’abonnés et une absence d’équilibre financier. S’il appartient à l’Autorité de la concurrence de déterminer la gravité des pratiques et dans quelle mesure l’absence de diffusion du Top 14 sur les chaînes beIN Sports a des effets négatifs sur le développement de leur parc d’abonnés, au vu des informations dont il dispose, le Conseil ne peut exclure l’existence de tels effets.
2.2 L’immédiateté de l’atteinte
Des mesures conservatoires peuvent être sollicitées « pour empêcher un événement devant survenir dans un très proche avenir. L’immédiateté peut dans ce cas être caractérisée par le caractère imminent de l’échéance. L’intervention de l’Autorité peut également être sollicitée pour mettre fin en urgence à un comportement récent qu’il conviendrait de stopper afin que le dommage ne puisse se matérialiser ou prendre de l’ampleur »14.
La société beIN Sports estime que « la perspective d’une concurrence accrue à court terme caractérise l’urgence de mettre fin aux pratiques ». Les effets seraient « très difficilement réversibles », dès lors que la période actuelle présenterait une « importance déterminante pour que la structuration du marché s’opère selon les mérites respectifs ». Elle rappelle à cet égard l’imminence de l’attribution des droits de diffusion des rencontres de la Ligue des Champions et de la Ligue 1 de football. L’urgence de la situation serait d’autant plus caractérisée que les abonnés aux chaînes Canal+ devraient « attendre un an au minimum pour pouvoir se désabonner ».
Le Conseil constate que l’absence d’acquisition des droits du Top 14 n’a pas empêché la société beIN Sports France d’acquérir de nouveau les droits de diffusion de la Ligue des Champions et de la Ligue 1 de football.
S’agissant de l’importance de la période actuelle pour le développement de la concurrence, le Conseil estime que dans l’hypothèse où l’Autorité de la concurrence caractériserait des effets déjà négatifs sur le développement du parc d’abonnés des chaînes et liés à la conclusion du nouveau contrat, l’urgence à prononcer la mesure de suspension de l’accord pourrait être caractérisée.
Dans sa décision 03-MC-01 du 23 janvier 2003, le Conseil de la concurrence avait enjoint à la LFP et au groupe Canal Plus de suspendre les effets de la décision d’attribution des droits de diffusion des rencontres de la Ligue 1, en raison notamment du caractère difficilement réversible des pertes d’abonnés, mais les pratiques en cause avaient abouti à une perte de droits de diffusion pour la société TPS, ce qui constitue une différence avec les effets des pratiques dénoncées par la société beIN Sports.
2.3 Sur le caractère strictement limité à ce qui est nécessaire pour faire face à l’urgence
Dans sa réponse à la demande d’informations du Conseil, la LNR indique que le prononcé de mesures conservatoires enjoignant la LNR et Canal+ de suspendre le contrat relatif au Top 14 aurait des « conséquences d’une extrême gravité, non seulement pour la LNR, mais également pour le rugby français dans son ensemble et, in fine, pour le public ». Elle précise notamment qu’une suspension du contrat aurait pour effet de « priver les clubs des ressources nécessaires à leur fonctionnement alors que l’embauche des joueurs aura déjà été effectuée » et risquerait également de remettre en cause les causes les contrats de sponsoring. En outre, la LNR souligne que la mesure demandée « pourrait remettre en cause le bon déroulement du début du Top 14 en empêchant son démarrage prévu le 15 août 2014 ».
A cet égard, dans l’hypothèse où l’Autorité de la concurrence déciderait de prononcer des mesures conservatoires, il importera de s’assurer de l’absence de fragilisation de la situation financière des clubs et de détérioration des conditions de diffusion des rencontres qui viendrait pénaliser les téléspectateurs, de tenir compte des contraintes d’organisation du Top 14, tout en permettant à la société beIN Sports France de se porter candidat, dans un délai raisonnable, à l’attribution des droits de diffusion du Top 14.
3 Conclusion
S’agissant des marchés concernés, le Conseil formule des observations sur le point de savoir si le championnat de France de rugby du Top 14 présente les caractéristiques d’un marché pertinent distinct et si cette compétition revêt un caractère premium au sens de la pratique décisionnelle.
Les droits du championnat du Top 14 constituent, selon lui, des droits sportifs premium au sens de la pratique décisionnelle dans la mesure où ils semblent permettre de recruter de nouveaux abonnés mais aussi de les fidéliser.
S’agissant de la définition du marché dont le périmètre serait restreint au Top 14, le Conseil estime également qu’à ce stade de la procédure, elle ne peut non plus être exclue, en raison notamment du niveau de la compétition par rapport aux autres championnats nationaux de rugby et de son importance culturelle dans plusieurs régions françaises. Il s’agit d’une différence importante avec d’autres compétitions premium, telles que le Championnat du monde de Formule 1. Ces éléments ne sont toutefois pas suffisants à ce stade pour conclure à l’existence d’un marché pertinent de l’acquisition des droits du Top 14 et des compétitions qui, comme la Coupe d’Europe de rugby, pourraient exercer une pression concurrentielle sur la LNR.
S’agissant du pouvoir de marché des acteurs, le Conseil considère qu’en dépit des incertitudes qui existent sur le périmètre du marché pertinent sur lequel les droits du Top 14 sont commercialisés, il n’est pas exclu que la LNR dispose d’un pouvoir de marché significatif, en raison notamment de l’attractivité particulière de cette compétition.
Sur l’objet des pratiques, il constate, au vu des éléments dont il dispose, que le contrat de 2011 ne comporte pas de droit de préemption bénéficiant au groupe Canal Plus. Il considère en revanche que l’absence de mise en concurrence et la négociation de gré à gré entre le groupe Canal Plus et la LNR pour l’acquisition des droits de diffusion du Top 14 est une pratique susceptible d’être contraire aux articles L. 420-1 et L.420-2 du code de commerce. Selon lui, la négociation de gré à gré entre la LNR et le groupe Canal Plus a permis à ce dernier, sans faire face de manière effective à la pression concurrentielle des chaînes beIN Sports, d’acquérir l’ensemble des droits de diffusion du Top 14. En dépit de l’engagement pris en 2006 et des stipulations du contrat de 2011, les pratiques dénoncées peuvent être assimilées à une préemption de fait, qui permettent au groupe Canal Plus de bénéficier d’une exclusivité totale sur des droits particulièrement attractifs, pour une durée de huit années.
Sur la demande de mesures conservatoires, le Conseil estime que l’entrée sur le marché des chaînes beIN Sports a permis un développement de la concurrence aux niveaux intermédiaire et aval. Toutefois, les chaînes beIN Sports demeurent dans une phase d’entrée sur le marché, qui se caractérise par un développement important de la base d’abonnés et une absence d’équilibre financier. S’il appartient à l’Autorité de la concurrence de déterminer la gravité des pratiques et dans quelle mesure l’absence de diffusion du Top 14 sur les chaînes beIN Sports a des effets négatifs sur le développement de leur parc d’abonnés, au vu des informations dont il dispose, le Conseil ne peut exclure l’existence de tels effets.
Dans l’hypothèse où l’Autorité de la concurrence déciderait de prononcer des mesures conservatoires, le Conseil estime qu’il importera de s’assurer de l’absence de fragilisation de la situation financière des clubs et de détérioration des conditions de diffusion des rencontres qui viendrait pénaliser les téléspectateurs, de tenir compte des contraintes d’organisation du Top 14, tout en permettant à la société beIN Sports France de se porter candidat, dans un délai raisonnable, à l’attribution des droits de diffusion du Top 14.
Notes :
1 Cour de cassation, 8 novembre 2005, TPS.
2 C2006-02 / Lettre du ministre de l’économie, des finances et de l’industrie du 30 août 2006, aux conseils de la société Vivendi Universal, relative à une concentration dans le secteur de la télévision payante ; Décision n° 10- DCC-11 du 26 janvier 2010 relative à la prise de contrôle exclusif par le groupe TF1de la société NT1 et Monte- Carlo Participations ; Commission européenne, Group Canal+/RTL/GJCD, COMP/M.2483, 13 novembre 2001.
3 M. Rodolphe Belmer, cité dans Le Qatar à l’écran de l’été sportif, Le Monde Télévisions, 27-28 mai 2012. Soulignement ajouté.
4 Ipsos, Rapport d’intention d’abonnement à beIN SPORTS auprès des abonnés Canal+ 2013, Septembre 2013.
5 Source Médiamétrie – Médiamat, cible individus 4+.
6 Cette compétition, qui était précédemment diffusée sur des chaînes gratuites, a été acquise par le groupe Canal Plus en contrepartie d’un investissement de […] M€ par an.
7 Voir OFCOM Pay TV Statement, Pay-TV Statement, 31 mars 2010, 5.92, p. 114.
8 Les effectifs des équipes disputant le Top 14 intègrent la plupart des meilleurs joueurs internationaux évoluant en Europe.
9 Décision n° 03-MC-01 du 23 janvier 2003 relative à la saisine et à la demande de mesures conservatoires présentées par la société TPS.
10 Communiqué de presse de la LFP, 12 septembre 2013, « Droits audiovisuels du TOP 14 et de la PRO D2 ».
11 Précédente appellation de la Ligue de football professionnel.
12 Natixis, Mail Sectoriel, Recherche Actions, Media, 15 janvier 2014.
13 Natixis, Mail Sectoriel, Recherche Actions, Media, 15 janvier 2014.
14 Décision n° 13-D-04, 14 févr. 2013.