CA Paris, Pôle 5 ch. 9, 4 décembre 2019, n° 19/10673
PARIS
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Selarl Axyme (ès qual.)
Défendeur :
Selarl JSA (ès qual.), Caisse d’Epargne et de Prévoyance Ile-de-France (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Picard
Conseillers :
Mme Rohart-Messager, Mme Delière
FAITS ET PROCÉDURE :
Par jugement du 30 août 2016, le tribunal de commerce de Créteil a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'égard de la SAS D., exploitant un restaurant [...], laquelle sera convertie en une procédure de liquidation judiciaire par jugement du même tribunal en date du 8 août 2017, qui a désigné la Selarl JSA, prise en la personne de Me S. en qualité de liquidateur judiciaire.
La SARL R.Paris a été créée le 23 octobre 2017 spécifiquement pour les besoins de la reprise du fonds de commerce et des actifs de la SAS D..
Par jugement du 4 octobre 2017, le tribunal de commerce de Créteil a arrêté un plan de cession au bénéfice de la société R.Paris, pour un montant de 255.000 euros, étant précisé que les sûretés lui étaient transférées et notamment les prêts contactés notamment auprès de la caisse d'épargne, pour lesquels les consorts D. étaient cautions.
L'acte de cession a été signé le 28 décembre 2017 et le montant du prix de cession a été payé.
Dans un rapport du 18 mars 2019, soit près de deux ans après l'adoption du plan de cession, la Selarl JSA ès qualité de liquidateur judiciaire de la SAS D., a signalé que le cessionnaire n'avait pas rendu compte des règlements effectués pour les prêts qui lui avaient transférés et a sollicité la convocation de la société R.Paris aux fins de prononcer la résolution du plan de cession, lui reprochant de ne s'être pas acquittée des échéances restant dues au titre des prêts garantis par des nantissements accordés par la Caisse d'Epargne, Olivier Bertrand Distribution et Heineken.
Par courrier du 19 avril 2019, le conseil des consorts D. a sollicité le renvoi de cette affaire, indiquant s'associer à la demande de renvoi effectué par la société R.PARIS compte tenu des pourparlers en cours avec la caisse d'épargne.
A l'audience du 24 avril 2019, le conseil de la société R.Paris a renouvelé sa demande de renvoi en confirmant au tribunal que des négociations étaient en cours avec la Caisse d'Epargne.
Néanmoins, par jugement du même jour, le tribunal de commerce de Créteil, qui avait refusé le renvoi de l'affaire alors qu'elle était appelée pour la première fois, a prononcé la résolution du plan de cession de la SAS D. au bénéfice de la société R.Paris, maintenu la Selarl JSA en qualité de liquidateur judiciaire de la société D. et décidé le maintien de l'activité pour une période de trois mois, soit jusqu'au 24 juillet 2019 afin de recueillir les offres de reprise.
Consécutivement à la résolution du plan de cession, par jugement du 7 mai 2019, le tribunal de commerce de Paris a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'encontre de la SARL R.Paris et nommé la SCP A. & R., prise en la personne de Maître Joanna R. ès qualités d'administrateur judiciaire et la Selarl Axyme, prise en la personne de Maître Didier C. ès qualités de mandataire judiciaire.
La société R.Paris a interjeté appel le 20 mai 2019 du jugement du tribunal de commerce de Créteil du 24 avril 2019 prononçant la résolution du plan de cession.
Vu les dernières conclusions de la SARL R.Paris, de la SCP A. & R. ès qualités d'administrateur judiciaire de la société R.Paris et la Selarl Axyme ès qualités de mandataire judiciaire de la société R.Paris notifiées par voie électronique le 24 octobre 2019, par lesquelles, il est demandé à la cour de':
- DÉCLARER RECEVABLE l'appel de la société R. PARIS ;
- ANNULER le jugement déféré ou, subsidiairement,
- REFORMER le jugement déféré en ce qu'il :
- Prononce la résolution du plan de cession de la SAS D. arrêté par le Tribunal de commerce de CRETEIL le 8 août 2017 au bénéfice de Monsieur Mohamed T. et de Monsieur Achemi T. agissant pour le compte de la société R. PARIS,
- Maintient : Madame Marie R., Juge-commissaire, la SELARL JSA, liquidateur,
- Décide, conformément aux dispositions de l'article R. 641-18 du Code de commerce, le maintien de l'activité pour une période de 3 mois, soit jusqu'au 24 juillet 2019, afin de recueillir les offres de reprise,
- Dit que ces offres devront être déposées chez le mandataire liquidateur au plus tard le 25 juin 2019 à 12 heures,
- Dit que le jugement sera publié conformément à la loi,
- Ordonne l'exécution provisoire,
- Dit que les dépens seront employés en frais privilégiés de liquidation judiciaire.
Et statuant à nouveau,
Vu l'article L. 641-11 du Code de commerce,
Vu les articles 700 et 699 du Code de procédure civile,
- DÉCLARER IRRECEVABLE la SELARL JSA, ès qualités de liquidateur judiciaire de la SAS D., de sa demande de résolution du plan de cession prononcé le 4 octobre 2017 par le Tribunal de commerce de Créteil ;
- DÉBOUTER la SELARL JSA, ès qualités de liquidateur judiciaire de la SAS D., de sa demande de résolution du plan de cession prononcé le 4 octobre 2017 par le Tribunal de commerce de Créteil ;
- CONDAMNER la SELARL JSA, ès qualités de liquidateur judiciaire de la SAS D., à payer à la société R. Paris la somme de 15.000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- CONDAMNER la SELARL JSA, ès qualités de liquidateur judiciaire de la SAS D., aux entiers dépens de première instance et d'appel dont distraction pour ceux d'appel au profit de Maître Christian V., conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.
Vu les conclusions d'intervention volontaire de Monsieur Gérard D., Madame Annunziata B. épouse D., Monsieur Benjamin D. et Monsieur Sébastien D. notifiées par voie électronique le 29 octobre 2019, par lesquelles, il est demandé à la cour de':
- Constater l'intervention volontaire de Monsieur Gérard D., Madame Annunziata B. épouse D., Monsieur Benjamin D. et de Monsieur Sébastien D. et la déclarer recevable en sa forme,
- Déclarer recevables Monsieur Gérard D., Madame Annunziata B. épouse D., Monsieur Benjamin D. et de Monsieur Sébastien D. comme n'ayant pas été parties, ni représentés en première instance,
- Déclarer Monsieur Gérard D., Madame Annunziata B. épouse D., Monsieur Benjamin D. et de Monsieur Sébastien D. bien fondés, comme ayant un intérêt à faire juger que la décision déférée soit infirmée en toutes ses dispositions,
- Dire que la prétention de Monsieur Gérard D., Madame Annunziata B. épouse D., Monsieur Benjamin D. et de Monsieur Sébastien D. se rattache incontestablement à l'objet des demandes dont se trouve saisie la Cour, dans la présente procédure,
Et statuant sur le fonds de la demande':
- Infirmer la décision déférée en toutes ses dispositions,
- Condamner la SARL R.Paris à exécuter de manière forcée les obligations souscrites au titre du plan de cession, celles du paiement des deux prêts Caisse d'épargne,
- Condamner la SARL R.Paris à payer la somme de 5.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens,
- Ordonner l'exécution provisoire de la décision à intervenir,
- Et ainsi, admettre au passif de la SARL R.Paris la créance des prêts, ainsi que la créance relative à l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.
Vu les dernières conclusions de la caisse d'épargne et de prévoyance Ile-De-France notifiées par voie électronique le 21 octobre 2019, par lesquelles, il est demandé à la cour de':
- Recevoir la CAISSE D'EPARGNE ET DE PRÉVOYANCE ILE-DE-FRANCE en son intervention volontaire et l'y déclarée bien fondée.
- Infirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu le 24 avril 2019 par le Tribunal de commerce de Paris (RG n°1019L00589).
- Condamner la SELARL JSA, ès qualités de liquidateur judiciaire de la SAS D., à payer à la CAISSE D'EPARGNE ET DE PRÉVOYANCE ILE-DEFRANCE la somme de 5.000 € en application de l'article 700 du Code de procédure civile.
- Condamner la SELARL JSA, ès qualités de liquidateur judiciaire de la SAS D., aux entiers dépens et autoriser maître Michèle S. à les recouvrer, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.
Vu les dernières conclusions de la Selarl JSA ès qualités de liquidateur judiciaire de la société D. notifiées par voie électronique le 23 octobre 2019, par lesquelles, il est demandé à la cour de':
- RECEVOIR la société JSA représentée par Me S. ès qualités, en ses demandes fins et conclusions,
Ce faisant,
- DÉCLARER la société R.PARIS, la SCP A. & R. prise en la personne de Maître Joanna R., ès qualités d'administrateur judiciaire de la société R.PARIS et la SELARL AXYME, prise en la personne de Maître Didier C., ès qualités de mandataire judiciaire de la société R.PARIS, irrecevables et mal fondés en leur appel, et les en débouter,
- CONSTATER l'inexécution par la société R.PARIS du plan de cession de la société D.,
- CONSTATER l'absence de violation des dispositions légales par la SELARL JSA, ès qualités,
- CONFIRMER le jugement dont appel en toutes ses dispositions,
- DÉBOUTER la société R.PARIS, la SCP A. & R. prise en la personne de Maître Joanna R., ès qualités d'administrateur judiciaire de la société R.PARIS et la SELARL AXYME, prise en la personne de Maître Didier C., ès qualités de mandataire judiciaire de la société R.PARIS, de l'ensemble de leurs demandes et conclusions,
- DÉBOUTER la CAISSE D'EPARGNE ET DE PRÉVOYANCE D'ILE DE France de l'ensemble de ses demandes et conclusions,
- CONDAMNER la société R.PARIS, la SCP A. & R. prise en la personne de Maître Joanna R., ès qualités d'administrateur judiciaire de la société R.PARIS et la SELARL AXYME, prise en la personne de Maître Didier C., ès qualités de mandataire judiciaire de la société R.PARIS, au paiement d'une somme de 10.000 €, au titre des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile, à la SELARL JSA, ès qualités,
- CONDAMNER la société R.PARIS, la SCP A. & R. prise en la personne de Maître Joanna R., ès qualités d'administrateur judiciaire de la société R.PARIS et la SELARL AXYME, prise en la personne de Maître Didier C., ès qualités de mandataire judiciaire de la société R.PARIS aux entiers dépens de première instance et d'appel.
A l'audience, Mme l'Avocat général sollicite l'infirmation du jugement.
Sur ce,
1. Sur le rabat de l'ordonnance de clôture
Des pièces nécessaires à la solution du litige ayant été communiquées après l'ordonnance de clôture, il convient de révoquer l'ordonnance de clôture.
2. Sur les interventions volontaires
La CAISSE D'EPARGNE ET DE PRÉVOYANCE ILE-DE-FRANCE, créancier dont la sûreté a été transférée et les consorts D., cautions ont déposé des conclusions d'intervention volontaire.
Selon l'article 554 du code de procédure civile, peuvent intervenir en cause d'appel dès lors qu'elles y ont intérêt les personnes qui n'ont été ni parties ni représentées en première instance.
En l'espèce, la CAISSE D'EPARGNE ET DE PRÉVOYANCE ILE-DE-FRANCE est un créancier dont la sûreté a été transférée et qui a conclu un accord avec la société R.PARIS et les consorts D. sont des cautions qui ont été poursuivies en paiement du fait de la procédure collective du fait de la société R.PARIS.
Il s'ensuit qu'elles ont intérêt à intervenir et en conséquence il convient de les recevoir en leur intervention.
3. Sur la nullité du jugement
La société R.PARIS sollicite la nullité du jugement pour défaut de respect du contradictoire, violation des droits de la défense et absence de rapport du juge-commissaire.
Elle indique que, alors qu'en première audience, son conseil avait sollicité un renvoi afin de communiquer des pièces et notamment de démontrer l'existence de pourparlers avancés avec les banques titulaires de sûretés, le tribunal a refusé tout renvoi et a fondé sa décision sur des éléments non communiquées aux débats puisque le jugement fait état d'informations fournies par la caisse d'épargne, la société Olivier Bertrand distribution et la société Heineken au liquidateur judiciaire, dont la société R.PARIS n'a pas reçu communication.
Par ailleurs, le jugement se fonde sur l'absence de justificatifs de ce que des négociations étaient en cours avec la caisse d'épargne, alors que précisément par courrier du 19 avril 2019 les consorts D., qui étaient cautions de la Sas D. ont informé le tribunal de la réalité des pourparlers.
Il résulte de l'ensemble de ces éléments que le tribunal n'a pas permis à la société R.PARIS d'exercer ses droits de la défense et de fournir toutes explications sur les griefs formulés par le liquidateur judiciaire.
De surcroît, alors qu'en application de l'article R. 662-12 du code de commerce, le tribunal statue sur rapport du juge-commissaire, sur tout ce qui concerne la sauvegarde, le redressement et la liquidation judiciaire, en l'espèce il résulte des termes mêmes du jugement qu'aucun rapport n'a été communiqué par le juge-commissaire au tribunal. Il s'agit d'une formalité substantielle d'ordre public de sorte que pour ce motif, ainsi que pour les motifs ci-dessus décrits, il convient de prononcer la nullité du jugement.
4. Sur l'évocation
La cour saisie de l'entier litige évoquera le fond du dossier.
La société R.PARIS soutient que le liquidateur judiciaire n'avait pas qualité pour solliciter la résolution du plan, en soulignant qu'elle avait bien exécuté ses engagements contenus dans le plan en réglant le montant du prix de cession et qu'il n'appartenait pas au liquidateur judiciaire de solliciter la résolution du plan pour défaut de paiement des créanciers titulaires de sûretés dont la charge lui avait été transférée et avec lesquels des pourparlers étaient en cours, et qui ont abouti avec le créancier principal, la caisse d'épargne.
Elle fait valoir que le respect du paiement de la charge des sûretés ne s'analyse pas en un engagement du repreneur, mais qu'il s'agit d'une disposition légale qui s'impose au repreneur et que seul le créancier titulaire de sûretés a intérêt à solliciter une résolution du plan de cession en cas de défaut de paiement.
Selon l'article 642-11 du code de commerce, si le cessionnaire n'exécute pas ses engagements, le tribunal peut, à la demande du ministère public, du liquidateur, d'un créancier, de tout intéressé ou d'office, après avoir recueilli l'avis du ministère public, prononcer la résolution du plan sans préjudice de dommages et intérêts.
Or l'engagement légal de payer les échéances restant à échoir d'un crédit, lorsqu'un bien grevé de sûretés, financé par ce prêt, a été cédé au repreneur, n'est pas pris à l'égard de la procédure collective, mais à l'égard du prêteur bénéficiant du transfert de la charge de la sûreté, qui seul a donc intérêt à agir en résolution du plan.
Il convient de souligner que, de leur côté, les créanciers titulaires de sûretés ne sollicitent pas la résolution du plan, mais au contraire la caisse d'épargne, principal créancier, demande l'infirmation du jugement compte tenu de l'accord intervenu avec la société R.Paris .
Il s'ensuit que le liquidateur judiciaire n'a pas intérêt à agir en résolution du plan en cas de défaut de paiement du crédit, alors que les engagements contenus dans le plan ont tous étés tenus et son action doit donc être déclarée irrecevable.
5. Sur les demandes des consorts D.
Les consorts D. sollicitent la condamnation de la SARL R.Paris à exécuter de manière forcée les obligations souscrites au titre du plan de cession, consistant en paiement des deux prêts Caisse d'épargne.
Cependant, la règle de l'arrêt des poursuites interdit toute action en justice consistant en une demande en paiement de sommes d'argent à l'égard la société R.Paris actuellement en procédure de redressement judiciaire.
Cette demande en paiement sera donc déclarée irrecevable.
Ils demandent également, dans le dispositif de leurs conclusions, d'admettre au passif de la société R.Paris la créance des prêts. Cependant, outre le fait qu'ils ne sont pas titulaires des créances de prêts dont ils sollicitent l'admission au passif, celle-ci est de la compétence exclusive du juge commissaire. Leur demande sera donc déclarée également irrecevable.
6. Sur les dépens et les frais hors dépens
Le liquidateur judiciaire, ès qualités, sera condamné aux dépens.
Aucune considération d'équité ne commande de faire application de l'article 700 du code de procédure civile au profit de quiconque.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Statuant publiquement, réputé contradictoirement et en dernier ressort,
RÉVOQUE l'ordonnance de clôture,
REÇOIT la CAISSE D'EPARGNE ET DE PRÉVOYANCE ILE-DE-FRANCE et les consorts D. en leur intervention volontaire,
PRONONCE la nullité du jugement,
Évoquant,
DÉCLARE irrecevable l'action en résolution du plan initiée par la Selarl JSA ès qualité de liquidateur judiciaire de la SAS D.,
DÉCLARE irrecevables les demandes d'exécution forcée et d'admission au passif présentées par les consorts D.,
CONDAMNE la Selarl JSA, ès qualité de liquidation judiciaire de la SAS D., aux dépens,
REJETTE les demandes d'indemnité pour frais hors dépens.