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Décisions

Cass. 1re civ., 5 mars 2015, n° 13-27.219

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Batut

Avocats :

SCP Garreau, Bauer-Violas et Feschotte-Desbois, SCP Gaschignard

Poitiers, du 27 août 2013

27 août 2013

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que M. X... était associé du GAEC Le Portail, lequel a sollicité et obtenu l'attribution de la totalité des droits à paiement unique au titre de la surface exploitée avant le retrait de M. X... survenu le 1er juillet 2000 ; que celui-ci a assigné le GAEC Le Portail, devenu l'EARL Le Portail (la société), en paiement d'une certaine somme au titre des droits à paiement unique liés aux terres reprises lors de la scission de l'exploitation ;

Sur le moyen unique du pourvoi principal :

Attendu que la société fait grief à l'arrêt, statuant après expertise judiciaire, d'accueillir cette demande, alors, selon le moyen :

1°/ que le juge ne peut se fonder sur le rapport d'un expert judiciaire qui a été chargé de déterminer le bien-fondé des prétentions des parties, l'expert ne devant jamais porter d'appréciations d'ordre juridique ; qu'en refusant d'écarter le rapport de l'expert judiciaire à qui elle avait notamment confié la mission de fournir tous les éléments permettant de dire si les prétentions formulées par chacune des parties étaient conformes à la législation en vigueur à compter de l'année 2006 et de dire si la société avait bénéficié de droits à paiement unique qui auraient dû revenir à M. X..., missions nécessitant de porter des appréciations d'ordre juridique, ce que l'expert n'a pas manqué de faire, la cour d'appel a violé les articles 232 et 238 du code de procédure civile ;

2°/ qu'un acte administratif est une décision réputée faire grief lorsqu'il produit par lui-même des effets juridiques, qu'il modifie l'ordonnancement juridique, qu'il atteint les droits et obligations des administrés ; que tel est le cas de la décision par laquelle le préfet notifie de manière définitive à un exploitant agricole les droits à paiement unique dont
il dispose et que l'organisme payeur est fondé à mettre au paiement ; qu'en affirmant en substance que le préfet de la Vendée, qui était chargé pour le compte de l'organisme payeur de l'instruction des dossiers de demandes de droits à paiement unique dans son département, n'avait « pas pris une décision de nature administrative et n'avait pas tranché le conflit opposant le GAEC à M. X... », si bien que l'organisme payeur n'aurait fait « que procéder à un paiement sur la base de ce qui lui était demandé » par les parties, quant au contraire le préfet a, par ses décisions d'attribution définitive de droits à paiement unique, tranché entre ces derniers la question de l'appartenance des droits à paiement unique et fixé leur valeur faciale, en application des textes communautaires, la cour d'appel a violé les articles 33, 43 et 44 du règlement (CE) n° 1782/2003 du Conseil du 29 septembre 2003, ensemble les articles D. 615-1 et suivants et D. 615-62 et suivants du code rural et de la pêche maritime, dans leur rédaction applicable à la cause ;

3°/ que le juge administratif est seul compétent pour apprécier la légalité d'une décision administrative individuelle et les préjudices qui pourraient en résulter ; que la décision par laquelle le préfet notifie de manière définitive à un exploitant agricole les droits à paiement unique dont il dispose constitue un acte administratif individuel qui relève de la seule compétence pour en connaître du juge administratif ; qu'en reprochant donc à la société d'avoir porté atteinte aux droits à paiement unique de M. X..., quand la fixation de ceux-ci résulte d'une décision administrative individuelle susceptible de recours devant le juge administratif, également compétent pour apprécier les préjudices pouvant découler de son illégalité, la cour d'appel a violé l'article 1382 du code civil, ensemble l'article 13 de la loi des 16 et 24 août 1790 et le décret du 16 Fructidor An III ;

4°/ que les juges du fond ne peuvent s'abstenir de préciser le fondement juridique retenu pour justifier une condamnation ; qu'en considérant que la société avait porté atteinte aux droits à paiement unique de M. X... et s'était enrichi à son détriment, ce qui justifiait sa condamnation au paiement de dommages-intérêts, sans même indiquer quel texte la société aurait violé pour engager ainsi sa responsabilité, la cour d'appel n'a pas mis la Cour de cassation en mesure d'exercer son contrôle et violé ce faisant l'article 12 du code de procédure civile ;

Mais attendu, d'abord, que le moyen s'attaque en sa première branche au contenu de la mission de l'expert, telle que fixée par un arrêt avant dire droit qui n'a pas été frappé de pourvoi ;

Attendu, ensuite, qu'abstraction faite des motifs surabondants tenant à la nature juridique de l'acte notifiant les droits à paiement unique, la cour d'appel a justement retenu que le préfet n'avait pas tranché la contestation relative à l'appartenance de ces droits, en sorte que le juge judiciaire était compétent pour connaître de l'action en paiement engagée par M. X... ;

Attendu, enfin, qu'après avoir rappelé les dispositions réglementaires prévoyant la ventilation des droits à paiement unique en cas de scission d'exploitation, la cour d'appel a retenu qu'en s'accaparant l'intégralité des droits à paiement unique sur la totalité de la surface exploitée avant le retrait de M. X..., la société avait porté atteinte aux droits à paiement de celui-ci et s'était enrichi à son détriment, motifs dont il résultait que l'action en paiement était accueillie sur le fondement de l'enrichissement sans cause ;

D'où il suit que le moyen, irrecevable en sa première branche, n'est pas fondé pour le surplus ;

Mais sur le moyen unique du pourvoi incident, pris en sa première branche :

Vu l'article 455 du code de procédure civile ;

Attendu que pour fixer à 39 277,97 euros la somme due à M. X... au titre des droits à paiement unique, l'arrêt se borne à énoncer que l'expert n'a commis aucune erreur manifeste de calcul ;

Qu'en statuant ainsi, sans répondre aux conclusions de M. X..., qui faisait valoir une erreur d'addition dans le calcul de la perte nette totale des droits à paiement unique au cours des années 2006 à 2012, la cour d'appel a méconnu les exigences du texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la seconde branche du moyen unique du pourvoi incident :

REJETTE le pourvoi principal ;

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne l'EARL Le Portail à payer à M. X... la somme de 39 277,97 euros avec intérêts au taux légal à compter du 10 janvier 2007, l'arrêt rendu le 27 août 2013, entre les parties, par la cour d'appel de Poitiers ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Limoges.