Livv
Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 6 avril 2023, n° 20/13348

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Transports Rondelli (SARL)

Défendeur :

Suez Eau France (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Prigent

Conseillers :

Mme Renard, Mme Soudry

Avocats :

Me Braun, Me Masquelier, Me Fertier, Me Jourdan

T. com. Paris, 13e ch., du 27 juill. 202…

27 juillet 2020

FAITS ET PROCÉDURE :

La société Suez Eau France (ci-après société Suez) exploite des stations d'épuration pour le compte de collectivités territoriales ou d'établissements publics. Ces stations produisent des déchets dont il faut assurer le transport, en vue de leur traitement et valorisation, dans des centres de traitement appropriés.

La société Transports Rondelli (ci-après société Rondelli) est spécialisée dans le secteur d'activité des transports routiers de fret de proximité.

La société Suez a confié à la société Rondelli le transport de certains types de déchets produits par certaines stations qu'elle exploite, situées dans le quart sud-est de la France.

Par courriel du 30 mars 2016, la société Suez a transmis à la société Rondelli un dossier relatif à un appel d'offres, auquel elle a participé.

Par lettre du 5 décembre 2016, la société Suez a informé la société Rondelli que son offre n'avait pas été retenue et lui a indiqué les modalités de la fin de leurs relations commerciales selon le calendrier suivant :

- Arrêt des transports de déchets et sables d'Aquaviva à compter du 1er juin 2017,

- Arrêt des transports des autres stations en bennes ampliroll à compter du 1er septembre 2017,

- Arrêt des transports de boues de Nobilis à compter du 1er décembre 2017.

S'estimant victime d'une rupture brutale des relations commerciales, la société Rondelli a, par acte du 29 mars 2018, assigné la société Suez devant le tribunal de commerce de Paris en vue de voir engager sa responsabilité et indemniser ses préjudices.

Par jugement du 27 juillet 2020, le tribunal de commerce de Paris a :

- Débouté la société Rondelli de sa demande au titre de la rupture brutale de la relation commerciale établie ;

- Débouté la société Rondelli de ses demandes au titre d'éviction irrégulière ;

- Condamné la société Rondelli à payer à la société Suez la somme de 3.000 euros, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Rejeté comme inopérantes ou mal fondées toutes conclusions plus amples ou contraires au jugement et en a débouté respectivement les parties ;

- Ordonné l'exécution provisoire ;

- Condamné la société Rondelli aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 78,36 euros dont 12,85 euros de TVA.

Par déclaration du 22 septembre 2020, la société Rondelli a interjeté appel du jugement en ce qu'il a :

- Débouté la société Rondelli de sa demande au titre de la rupture brutale de la relation commerciale établie ;

- Débouté la société Rondelli de ses demandes au titre d'éviction irrégulière ;

- Condamné la société Rondelli à payer à la société Suez la somme de 3.000 euros, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Rejeté comme inopérantes ou mal fondées toutes conclusions plus amples ou contraires au jugement et en a débouté respectivement les parties ;

- Ordonné l'exécution provisoire ;

- Condamné la société Rondelli aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 78,36 euros dont 12,85 euros de TVA.

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Dans ses dernières conclusions, notifiées par le RPVA le 2 avril 2021, la société Rondelli demande à la cour de :

- Ecarter la fin de non-recevoir tirée du non-respect du principe d'estoppel ;

- Déclarer la société Rondelli dans son argumentation (sic) ;

- Déclarer recevable l'appel de la société Rondelli ;

- Infirmer le jugement du 27 juillet 2020 du tribunal de commerce de Paris en ce qu'il a :

* Débouté la société Rondelli de sa demande au titre de la rupture brutale de la relation commerciale établie ;

* Débouté la société Rondelli de ses demandes au titre d'éviction irrégulière ;

* Condamné la société Rondelli à payer à la société Suez la somme de 3.000 euros, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

* Rejeté comme inopérantes ou mal fondées toutes conclusions plus amples ou contraires au présent jugement et débouté respectivement les parties ;

* Ordonné l'exécution provisoire du présent dispositif ;

* Condamné la société Rondelli aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 78,36 euros dont 12,85 euros de TVA.

Par conséquent,

- Juger qu'il appartenait à la société Suez de respecter un préavis suffisant ;

- Juger que le préavis aurait dû être de deux ans ;

- Juger que la société Suez a commis une faute en ne respectant pas les dispositions du code des marchés publics, ce au préjudice de la société Rondelli ;

- Condamner la société Suez à payer à la société Rondelli la somme de 416.547,54 euros, à titre de dommages et intérêts pour la rupture brutale de la relation commerciale établie ;

- Condamner la société Suez à payer à la société Rondelli la somme de 81.108,10 euros HT avec intérêts au taux légal à compter de la présente assignation à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait de la perte d'une chance sérieuse du bénéfice qu'elle pouvait escompter réaliser par l'obtention du marché, et la somme de 278 euros au titre des frais qu'elle a inutilement engagés pour participer à l'appel d'offres ;

- Débouter la société Suez de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions ;

- Condamner la société Suez à payer à la société Rondelli la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de première instance ;

- Condamner la société Suez à payer à la société Rondelli la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de l'appel.

Dans ses dernières conclusions, notifiées par le RPVA le 1er septembre 2021, la société Suez demande à la cour, au visa de l'article L.442-6, I, 5° du code de commerce, de :

Confirmer le jugement du 27 juillet 2020 du tribunal de commerce de Paris en ce qu'il a :

- Débouté la société Rondelli de sa demande au titre de la rupture brutale de la relation commerciale établie ;

Débouté la société Rondelli de ses demandes au titre d'éviction irrégulière ;

- Condamné la société Rondelli à payer à la société Suez la somme de 3.000 euros, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Ordonné l'exécution provisoire du présent dispositif ;

- Condamné la société Rondelli aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 78,36 euros dont 12,85 euros de TVA.

Par conséquent,

- Débouter la société Rondelli de ses demandes aux fins d'infirmation du jugement du 27 juillet 2020 ;

- Juger qu'il y a lieu de substituer les motifs du jugement du tribunal de commerce de Paris du 27 juillet 2020, et ainsi juger que les relations d'affaires entre les sociétés Suez et Rondelli n'étaient pas établies, au sens de l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce ;

Si la cour d'appel devait retenir l'existence d'une faute de nature à engager la responsabilité de la société Suez,

Infirmer le jugement du tribunal de commerce de Paris du 27 juillet 2020 en ce qu'il a rejeté comme inopérantes ou mal fondées toutes conclusions plus amples ou contraires au présent jugement et en a débouté respectivement les parties ;

Juger que les conclusions de la société Suez relatives au prétendu préjudice dont se prévaut la société Rondelli au titre de la rupture brutale et de l'éviction irrégulière du marché sont recevables et bien fondées ;

Par conséquent,

Débouter la société Rondelli de l'ensemble de ses demandes en réparation ;

En tout état de cause,

Constater que la société Rondelli n'apporte pas la preuve de son préjudice ;

En conséquence,

Débouter la société Rondelli de l'ensemble de ses demandes ;

Condamner la société Rondelli à payer à la société Suez la somme de 5.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamner la société Rondelli aux entiers dépens de première instance et d'appel, dont distraction au profit de la SELARL JRF & Associés, représentée par Me Stéphane Fertier, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

La cour renvoie, pour un plus ample exposé des faits, prétentions et moyens des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, en application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 10 novembre 2022.

MOTIFS

Sur le principe de l'estoppel

La société Suez prétend que la société Rondelli est irrecevable, en vertu du principe de l'estoppel, à soutenir d'une part, que leur relation aurait duré 17 ans alors qu'elle aurait reconnu devant le tribunal de commerce une ancienneté de 11 ans, et d'autre part, qu'elle n'aurait bénéficié que d'un préavis de six mois alors qu'elle aurait reconnu devant le tribunal de commerce avoir bénéficié d'un préavis de douze mois.

La société Rondelli dément avoir reconnu de tels faits devant le tribunal de commerce.

En vertu du principe de l'estoppel, nul ne peut se contredire au détriment d'autrui. Le comportement visé au titre de l'estoppel doit être constitutif d'un changement de position, en droit, par une partie de nature à induire l'adversaire en erreur sur ses intentions. En outre, la seule circonstance qu'une partie se contredise au détriment d'autrui n'emporte pas nécessairement fin de non-recevoir.

Ce principe correspond à une exigence de loyauté procédurale.

Les éléments constitutifs de l'estoppel sont les suivants :

1/ une contradiction dans l'attitude procédurale qui se manifeste par un changement de position d'une partie,

2/ la volonté de tromper les attentes de son adversaire en ruinant ses attentes légitimes nées de la position initiale,

3/ une modification contrainte des moyens de défense de l'adversaire par l'effet de ce changement d'attitude.

En l'espèce, si le tribunal de commerce de Paris indique, dans les motifs de sa décision, que la société Rondelli reconnaît une ancienneté de relations avec la société Suez de onze années et avoir exécuté un préavis de douze mois, il ne précise aucunement si cette "reconnaissance " a été faite à l'audience ou dans les conclusions de la société Rondelli ou si encore elle résulte de son interprétation des faits. En l'absence de tout revirement établi sur ces points, aucune contradiction dans l'attitude procédurale ne saurait être reprochée à la société Rondelli. En tout état de cause, il n'est démontré aucune volonté de la société Rondelli de tromper les attentes de la société Suez ni aucune nécessité pour cette dernière de changer ses moyens de défense.

Dès lors, le principe de l'estoppel n'est pas applicable.

Sur la rupture brutale des relations établies

Selon l'article L. 442-6, I, 5 du code de commerce, dans sa rédaction applicable au litige, engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels.

Sur le caractère établi de la relation commerciale

Les parties s'opposent quant au caractère établi de leur relation.

La société Rondelli soutient que lorsque le dernier contrat a été résilié, elle entretenait avec la société Suez une relation stable, suivie et habituelle et que rien ne laissait présager une rupture. Elle prétend que le fait que les différents contrats les liant aient été conclus pour une durée déterminée ou ne prévoyaient pas de clause de reconduction tacite n'empêchait pas une relation stable et continue. Elle ajoute que le fait que le volume d'affaires ait baissé à compter de 2012/2013 n'emportait pas une précarisation de la relation dès lors que ce volume restait significatif et que cette baisse était liée à l'ouverture d'une nouvelle station d'épuration permettant de réduire le transport de boues. Elle conteste toute participation à un appel d'offres préalablement à la conclusion du contrat de 2013 et affirme que seuls les prix ont été renégociés à cette occasion.

La société Suez réplique que les relations d'affaires avec la société Rondelli, malgré leur durée, étaient par nature fluctuantes et incertaines et ne revêtaient donc pas un caractère établi. Elle fait à cet égard valoir que les contrats conclus étaient tous à durée déterminée et avaient des périmètres variables et des conditions juridiques et économiques diverses. Elle ajoute que les volumes étaient en baisse constante depuis 2012. Enfin elle affirme qu'elle avait recours à des appels d'offres depuis 2013 pour sélectionner ses prestataires.

Pour être qualifiée d'établie au sens du texte précité, une relation commerciale doit faire naître, dans l'esprit des parties, une croyance légitime en sa poursuite.

Une relation commerciale établie peut notamment résulter d'une succession de contrats à durée déterminée, dès lors que les circonstances permettent aux parties de s'attendre légitimement à la signature d'un nouveau contrat à l'échéance du précédent.

En l'espèce, si les contrats produits aux débats régissant les relations commerciales (contrat du 20 mai 2005, contrat du 1er juin 2007, contrat du 17 mars 2009, contrat du 30 avril 2010 et contrat du 21 mai 2013) ont tous été conclus à durée déterminée, il n'en demeure pas moins que cette succession de contrats à durée déterminée, pour partie renouvelables tacitement, depuis 2005, pouvait laisser espérer à la société Rondelli une poursuite des relations.

Il convient en outre de relever que malgré la baisse du volume d'affaires confié à la société Rondelli par la société Suez à partir de 2012, baisse notamment liée à la création d'une nouvelle station d'épuration équipée d'une nouvelle technologie permettant la production de boues séchées et ainsi la réduction des coûts de transport des boues auprès de prestataires extérieurs, la relation litigieuse présentait une intensité certaine puisqu'elle portait sur des flux de plusieurs centaines de milliers d'euros et représentait environ 80% du chiffre d'affaires de la société Rondelli.

En revanche, rien n'exclut qu'une relation établie devienne précaire du fait de l'évolution des relations entre les parties. Une telle précarisation peut notamment résulter de la décision de l'une des parties de mettre l'autre en concurrence avec des tiers.

La société Suez prétend avoir procédé à un appel d'offres pour mettre en concurrence la société Rondelli avec d'autres prestataires dès 2013, ce que la société Rondelli dément.

Pour établir la mise en concurrence, la société Suez verse aux débats plusieurs courriels adressés au mois de mars 2013 à des entreprises concurrentes sans qu'il ne soit toutefois établi que la société Rondelli ait été avisée de cette mise en concurrence. Une telle information ne saurait résulter du courriel daté du 19 mars 2013 adressé à la société Rondelli intitulé "consultation pour le transport des déchets solides de l'ER Côte d'Azur" dans lequel il est indiqué : "Nous avons le plaisir de vous adresser notre dossier de consultation pour le transport des déchets solides de l'ER Côte d'Azur.

Vous trouverez en pièce jointe le projet de contrat qu'il faudra nous retourner signé et paraphé sur chacune des pages.

Contrat (PJ)

Merci de vous rapprocher de chacun des responsables de stations afin de remplir l'annexe 6 Inventaire des contenants par station.

Cahier des charges et bordereau des prix (Annexe 2)

Remplir le bordereau de prix & renvoyer le fichier sous excel.

Dans l'attente de votre offre, nous retourner au plus tard le 26 mars 2013 à 12h00 par retour de mail".

En effet, en l'absence d'autres éléments et notamment du dossier de consultation joint à l'envoi, il ne résulte pas d'un tel courriel la manifestation claire de la part de la société Suez de sa volonté de recourir à un appel d'offres et d'inscrire pour le futur de la relation établie avec la société Rondelli dans un cadre précaire.

La réponse de la société Rondelli à ce courriel ne manifeste pas davantage la délivrance d'une telle information puisqu'elle se contente d'indiquer, dans un courriel du 26 mars 2013, "Bonjour, ci-joint nos propositions de prix. Bonne réception."

A l'inverse, l'information délivrée par la société Suez sur sa volonté de procéder à une mise en concurrence en 2016 est tout à fait claire puisqu'elle indique, dans un courriel du 30 mars 2016 : "Nous avons le plaisir de vous adresser notre dossier de consultation pour le transport des déchets solides de l'entreprise régionale Côte d'Azur.

Si vous souhaitez répondre à cette consultation, merci de vous conformer au règlement de consultation ci-joint.

Dans l'attente de votre offre, à nous retourner au plus tard le 25 avril 2016 à 12h00 par retour de mail (')"

Le règlement de consultation joint à ce courriel précise qu'il s'agit d'un appel d'offres et que les contrats seront attribués selon la procédure négociée avec une mise en concurrence préalable. Il est également précisé que les offres recevables et conformes au cahier des charges seront jugées en fonction des critères d'attribution définis selon une grille de notation annexée au courriel.

L'absence de toute ambiguïté quant à la volonté de la société Suez de recourir à une mise en concurrence résulte enfin de la réponse de la société Rondelli qui a indiqué dans un courriel du 23 avril 2016 : "Veuillez trouver ci-joint réponse à votre appel d'offre".

En conséquence, en l'absence de toute information claire délivrée par la société Suez à la société Rondelli quant à sa volonté de procéder à une mise en concurrence en 2013, la relation établie entre elles n'est pas devenue précaire à compter de cette date.

Ainsi, au moment de l'annonce de la mise en concurrence de 2016, la société Rondelli n'avait aucune raison de douter de la pérennité des relations établies avec la société Suez. Les dispositions de l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce sont donc applicables.

Sur le caractère brutal de la rupture des relations commerciales pour insuffisance du préavis

La société Rondelli soutient qu'elle n'a bénéficié que d'un préavis de six mois, soit une durée insuffisante au regard de l'ancienneté de la relation commerciale établie qu'elle estime à 17 ans et au regard de son état de dépendance économique à l'égard de la société Suez. Elle estime en effet qu'un délai de 24 mois aurait dû lui être accordé.

La société Suez réplique qu'un délai de vingt mois de préavis a été respecté. Elle considère ce délai suffisant au regard de l'ancienneté de 11 ans des relations. Elle dénie toute dépendance économique de la société Rondelli à son égard en soulignant que cette dernière avait fait le choix de ne pas diversifier sa clientèle alors même qu'elle était avisée de la stratégie qu'elle mettait en place visant à réduire ses coûts de transport.

L'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce vise à sanctionner, non la rupture elle-même, mais sa brutalité caractérisée par l'absence de préavis écrit ou l'insuffisance de préavis.

Le délai de préavis doit s'entendre du temps nécessaire à l'entreprise délaissée pour se réorganiser en fonction de la durée, de la nature et des spécificités de la relation commerciale établie, du produit ou du service concerné.

Les parties s'opposent quant à la durée de leur relation commerciale.

Il ressort néanmoins des pièces versées aux débats que la société Rondelli ne justifie d'aucune relation directe avec la société Suez avant 2004, les factures produites étant au nom de différents prestataires lui ayant sous-traité les commandes de la société Suez. En outre, la société Rondelli ne démontre pas que la société Suez a voulu inscrire la relation nouée directement à partir 2004 dans la continuité de celle établie avec les cocontractants antérieurs, et ce, d'autant plus qu'il s'agissait de plusieurs prestataires différents.

En revanche, la société Rondelli verse aux débats une commande du 9 juillet 2004 concernant des rotations semestrielles sur plusieurs stations d'épuration du sud-est de la France pour un montant de 196.394 euros HT, commande qui a été suivie dès le 2 mai 2005 d'autres commandes en vertu d'un contrat du 20 mai 2005 concernant la desserte des mêmes stations d'épuration. Dans ces conditions, il convient de retenir l'existence d'une relation établie entre la société Rondelli et la société Suez à compter du 9 juillet 2004.

Par ailleurs, contrairement à ce que soutient la société Suez, le point de départ du délai de préavis ne saurait être le 30 mars 2016, date à laquelle elle a avisé la société Rondelli du recours à un appel d'offres, dès lors que la date de rupture n'y était pas précisée.

En effet, si la notification du recours à un appel d'offres, dès lors qu'elle manifeste l'intention de son auteur de ne pas poursuivre la relation commerciale aux conditions antérieures, constitue le point de départ du préavis dû au contractant avec lequel la relation était établie, la notification de l'intention de rompre la relation n'est régulière et le préavis ne commence à courir que si la date de la rupture est précisée.

En l'espèce, ce n'est que par lettre du 5 décembre 2016 que la société Suez a informé la société Rondelli que son offre n'avait pas été retenue et lui a indiqué une date de rupture au 1er décembre 2017. La société Rondelli prétend en outre n'avoir reçu cette lettre qu'au mois de janvier 2017. La société Suez ne verse aux débats aucun justificatif de la date d'expédition à la société Rondelli du courrier litigieux. Cette dernière reconnaît néanmoins l'avoir reçue au mois de janvier 2017 sans indiquer de date précise.

Dans ces conditions, la date du 2 janvier 2017 sera retenue comme point de départ du délai de préavis.

En outre, le préavis doit s'effectuer dans les conditions antérieures. Or il est constant que la société Suez a réduit le volume d'affaires confiées à la société Rondelli dès le 1er juin 2017, en supprimant la desserte de la station d'Aquaviva, puis à compter du 1er septembre 2017, en supprimant la desserte des autres stations en benne ampliroll.

Ainsi le préavis réellement exécuté n'a duré que cinq mois. Cette durée apparaît manifestement insuffisante au regard de l'ancienneté de plus de douze ans des relations établies entre la société Rondelli et la société Suez.

En revanche, contrairement à ce qu'elle prétend, la société Rondelli n'établit aucune dépendance économique à l'égard de la société Suez ; une telle dépendance n'étant pas susceptible de résulter uniquement du pourcentage du chiffre d'affaires réalisé avec cette dernière. Il sera à cet égard souligné qu'aucune exclusivité ne liait les deux sociétés et qu'eu égard à la baisse du volume d'affaires confié depuis 2012, il incombait à la société Rondelli de diversifier sa clientèle, ce qu'elle s'est abstenue de faire.

Il sera toutefois tenu compte du volume d'affaires réalisé qui s'est élevé à 492.557 euros pour l'exercice 2014/15, 492.628 euros pour l'exercice 2015/16 et à 400.879 euros pour l'exercice 2016/17.

Eu égard à l'ensemble de ces éléments, le délai de préavis qui aurait dû être observé doit être fixé à dix mois.

Sur le préjudice

La société Rondelli soutient que son préjudice résultant de l'insuffisance du préavis doit être indemnisé par l'allocation d'une somme de 416.547,54 euros correspondant à la marge brute escomptée pendant les 18 mois manquants de préavis.

La société Suez réplique que la société Rondelli ne produit aucun élément probant au soutien de sa demande indemnitaire et notamment des charges déduites.

S'agissant du préjudice consécutif à la brutalité de la rupture, celui-ci est constitué du gain manqué pendant la période d'insuffisance du préavis et s'évalue donc en considération de la marge brute escomptée durant cette période, le dit préavis devant préalablement être estimé et fixé, étant précisé que la dépendance économique du partenaire victime de la rupture à l'égard de l'auteur de la rupture est un critère d'allongement de sa durée.

La société Rondelli affirme que sa perte de marge brute s'établit à 277.698 euros en moyenne par an correspondant au chiffre d'affaires réalisé avec la société Suez sur les trois dernières années précédant la rupture des relations duquel elle a déduit les charges d'exploitation liées aux prestations effectuées pour la société Suez (ces charges étant liées aux frais de carburants, aux frais de sous-traitance de transport, aux frais de déchetterie, aux frais liés à l'entretien du matériel de transport et aux péages d'autoroute).

La société Suez conteste ce calcul et soutient que toutes les charges exposées dans le cadre des prestations effectuées à son profit n'ont pas été déduites.

Il convient toutefois de relever que la société Suez ne produit aucun élément de preuve permettant de contester la marge brute revendiquée par la société Rondelli qui produit à l'appui de ses demandes des documents comptables ainsi que le détail des soldes intermédiaires de gestion qui démontrent l'exactitude du calcul de sa marge. En outre, elle ne démontre pas que les charges qui figurent dans les soldes intermédiaires de gestion et qui n'ont pas été déduites du chiffre d'affaires réalisé avec elle ont été exposées pour les besoins des prestations effectuées à son profit.

Au vu des éléments produits, il y a lieu de retenir que la marge brute annuelle moyenne réalisée par la société Rondelli avec la société Suez s'établit, selon le calcul proposé par la société Rondelli, à 277.698 euros sur les trois dernières années précédant la rupture de sorte que l'insuffisance de cinq mois de préavis sera réparée par l'allocation d'une somme de 115.707 euros [(277.698/12)x 5 mois]. Le jugement sera réformé sur ce point.

Sur l'éviction irrégulière de l'appel d'offres

La société Rondelli revendique également une indemnisation en soutenant avoir été évincée irrégulièrement par la société Suez de l'appel d'offres lancé. Elle prétend en effet que les règles de légalité et de transparence des procédures d'appel d'offres n'ont pas été respectées. Elle entend ainsi demander réparation pour les frais inutilement engagés pour répondre à l'appel d'offres ainsi que pour le gain manqué auquel elle pouvait prétendre avec le nouveau marché conclu pour une durée de trois ans renouvelables tacitement.

La société Suez réplique que la société Rondelli a participé en toute connaissance de cause à l'appel d'offres qu'elle a régulièrement lancé. Elle fait valoir qu'elle a sélectionné les candidats en fonction des critères qu'elle avait porté à la connaissance de tous les soumissionnaires. Elle ajoute que le code des marchés publics n'est pas applicable au litige.

A l'appui de sa demande d'indemnisation, la société Rondelli ne démontre aucunement que la société Suez aurait commis une faute en ne respectant pas les règles qu'elle avait elle-même édictées dans le cadre de son appel d'offres. Il sera relevé que les règles des marchés publics sont inapplicables à un marché privé.

Dans ces conditions, la responsabilité de la société Suez ne saurait être engagée et le jugement entrepris sera confirmé en qu'il a rejeté les demandes d'indemnisation formée de ce chef.

Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile

La société Suez succombe à l'instance. Les dispositions du jugement relatives aux dépens et aux frais irrépétibles seront infirmées. La société Suez sera condamnée à supporter les dépens de première instance et d'appel. Elle sera également condamnée à verser à la société Rondelli une somme de 8.000 euros au titre des frais irrépétibles exposés en première instance et en appel. La demande de la société Suez au titre de l'article 700 du code de procédure civile sera rejetée.

PAR CES MOTIFS,

La cour,

INFIRME le jugement sauf en ce qu'il a débouté la société Transports Rondelli de ses demandes au titre de l'éviction irrégulière de l'appel d'offres ;

Statuant à nouveau,

DIT que le principe de l'estoppel n'est pas applicable ;

DIT que les relations entre la société Transports Rondelli et la société Suez Eau France présentaient un caractère établi ;

DIT que le préavis de cinq mois observés par la société Suez Eau France avant la rupture des relations commerciales établies était insuffisant et qu'un préavis de dix mois aurait dû être observé ;

DECLARE la société Suez Eau France responsable à l'égard de la société Transports Rondelli du préjudice résultant de la rupture brutale des relations commerciales établies ;

CONDAMNE la société Suez Eau France à payer à la société Transports Rondelli une somme de 115.707 euros de dommages et intérêts en réparation du préjudice financier résultant de l'insuffisance du préavis observé ;

CONDAMNE la société Suez Eau France à payer à la société Transports Rondelli une somme de 8.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

REJETTE la demande de la société Suez Eau France au titre des frais irrépétibles ;

CONDAMNE la société Suez Eau France aux dépens de première instance et d'appel.