CA Angers, ch. com. A, 26 mars 2019, n° 17/00982
ANGERS
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Atelier Richet (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Van Gampelaere
Conseillers :
Mme Le Bras, Mme Couturier
Avocat :
SCP Avocats Défense et Conseil
FAITS ET PROCÉDURE
Le 20 mai 2014, La SELARL B. concept agencement (la société BCA), agissant en qualité d'entreprise principale, a sous-traité à la SARL Atelier Richet (la société Richet) le lot 'menuiseries intérieures extérieur terrasse' dans le cadre d'un marché principal de réaménagement du Bar des plantes - [...].
Le contrat de sous-traitance mentionnait que le maître de l'ouvrage était M. Emmanuel C..
Par jugement du 27 mai 2015, une procédure de sauvegarde a été ouverte à l'égard de la société BCA, Maître M. étant désigné en qualité de mandataire judiciaire.
Indiquant ne pas avoir été réglée de sa prestation par la société BCA, la société Richet a déclaré sa créance au passif de la sauvegarde de cette société.
Par actes du 8 septembre 2015 la société Richet a fait assigner en paiement devant le tribunal de commerce d'Angers, la société BCA, Maître M. alors mandataire judiciaire et M. Emmanuel C..
Par ordonnance du 1er mars 2016, le juge commissaire a admis la créance de la société Richet au passif de la société BCA pour la somme de 22 165 euros.
Par jugement du 11 mai 2016, la société BCA a été placée en liquidation judiciaire, Maître M. étant désigné en qualité de liquidateur judiciaire.
Par acte du 14 octobre 2016, la société Richet a appelé à la cause Maître M. pris alors en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société BCA.
Pour solliciter la condamnation de M. Emmanuel C. à lui régler le solde des sommes lui restant dues au titre du contrat de sous-traitance, elle lui a reproché, sur le fondement de l'article 14-1 de la loi du 31 décembre 1975, d'avoir omis de vérifier si l'entrepreneur principal s'était bien acquitté de ses obligations à l'égard de sons sous-traitant.
M. Emmanuel C. a conclu au débouté faisant valoir, en substance, que le sous traitant était lui-même à l'origine de son préjudice en n'ayant pas respecté les termes du contrat de sous traitance.
Il a en outre fait observer que les travaux de menuiserie confiés à la société Richet ne constituaient pas des travaux de bâtiment la rendant éligible au bénéfice de la loi du 31 décembre 1975.
Par jugement du 15 mars 2017, le tribunal de commerce d'Angers a :
- ordonné la jonction des procédures,
- pris acte de ce que la créance de la société Richet avait été fixée au passif de la liquidation judiciaire de la société BCA par décision du juge commissaire,
- débouté la société Richet de sa demande d'action directe contre M. Emmanuel C., eu égard à la loi du 31 décembre 2015,
- condamné la société Richet aux dépens et à payer à M. C. la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- déclaré son jugement opposable à Maître M. ès qualités,
- rejeté le surplus des demandes.
Par déclaration reçue au greffe le 11 mai 2017, enrôlée sous le N° 17-982, la société Richet a interjeté appel de cette décision, intimant M. Emmanuel C..
Les deux parties ont conclu.
Une ordonnance du 17 décembre 2018 a clôturé l'instruction de l'affaire.
MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, il est renvoyé, en application des dispositions des articles 455 et 954 du code de procédure civile, à leurs dernières conclusions respectivement déposées au greffe :
- le 21 novembre 2018 pour l'appelante
- le 19 novembre 2018 pour l'intimée.
Aux termes desquelles, les parties forment les demandes qui suivent.
La société Richet précise expressément que, contrairement à ce qu'a indiqué le tribunal, elle n'entend nullement fonder sa demande sur l'action directe du sous-traitant contre le maître de l'ouvrage et elle demande à la cour, au visa de l'article 1382 ancien du code civil et des articles 3, 14 et 14-1 de la loi du 31 décembre 1975 de :
- la déclarer recevable et bien fondée en son appel,
- infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
- condamner M. Emmanuel C. à lui payer la somme de 22 165 euros outre les intérêts de droit à compter de la mise en demeure du 16 avril 2015 outre la somme de 8 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner M. C. aux dépens de première instance et d'appel.
M. Emmanuel C. demande à la cour de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a rejeté les demandes de la société Richet à son encontre et a condamné cette dernière à lui payer une indemnité de procédure de 1 000 euros.
Il sollicite la condamnation de l'appelante à lui payer la somme de 3 000 euros au titre de ses frais irrépétibles d'appel et à supporter la charge des dépens, lesquels seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
MOTIFS DE LA DÉCISION
La société Richet produit aux débats le contrat de sous traitance la liant à la société BCA relativement à l'exécution du lot menuiseries intérieures extérieur terrasse que lui avait confié l'entreprise principale.
Pour poursuivre le paiement de sa créance entre les mains de M. Emmanuel C., la société Richet se prévaut des dispositions de l'article 14-1 de la loi du 31 décembre 1975 relative à la sous traitance qui dispose :
«Pour les contrats de travaux de bâtiment et de travaux publics :
- le maître de l'ouvrage doit, s'il a connaissance de la présence sur le chantier d'un sous-traitant n'ayant pas fait l'objet des obligations définies à l'article 3 ou à l'article 6, ainsi que celles définies à l'article 5, mettre l'entrepreneur principal ou le sous-traitant en demeure de s'acquitter de ces obligations. Ces dispositions s'appliquent aux marchés publics et privés ;
- si le sous-traitant accepté, et dont les conditions de paiement ont été agréées par le maître de l'ouvrage dans les conditions définies par décret en Conseil d'Etat, ne bénéficie pas de la délégation de paiement, le maître de l'ouvrage doit exiger de l'entrepreneur principal qu'il justifie avoir fourni la caution.
Les dispositions ci-dessus concernant le maître de l'ouvrage ne s'appliquent pas à la personne physique construisant un logement pour l'occuper elle-même ou le faire occuper par son conjoint, ses ascendants, ses descendants ou ceux de son conjoint.
Les dispositions du deuxième alinéa s'appliquent également au contrat de sous-traitance industrielle lorsque le maître de l'ouvrage connaît son existence, nonobstant l'absence du sous-traitant sur le chantier. Les dispositions du troisième alinéa s'appliquent également au contrat de sous-traitance industrielle.»
L'article 14-1 susvisé est applicable aux contrats de travaux du bâtiment, cette condition s'appréciant par référence au marché principal et non pas, comme le soutient l'intimé, au regard de la consistance du lot faisant l'objet du contrat de sous traitance.
En l'espèce le marché principal portait sur le réaménagement total du Bar des plantes ainsi qu'en atteste un compte rendu de chantier qui établit que le marché principal portait sur des travaux d'électricité, de plâtrerie, de plomberie sanitaire, de sols scellés et faïence, d'agencement du bar, de menuiseries intérieures et extérieures et terrasse, de groupe froid et de matériel de cuisine.
Il s'agissait donc bien, au regard de sa nature et de sa consistance, d'un contrat de travaux de bâtiment au sens de l'article 14-1. en application duquel le maître de l'ouvrage est tenu, dès qu'il a connaissance de l'intervention d'un sous-traitant identifié sur le chantier, de mettre en demeure l'entrepreneur principal de faire agréer son sous-traitant et ses conditions de paiement.
Le maître de l'ouvrage qui manque à son obligation légale est tenu au paiement de dommages intérêts à l'égard du sous-traitant.
Il incombe en premier lieu à la société Richet de rapporter la preuve, par tout moyen s'agissant d'un élément de fait, de ce que M. Emmanuel C. avait connaissance de son intervention sur le chantier en qualité de sous-traitant et de justifier de la date à laquelle le maître de l'ouvrage a eu cette connaissance.
L'appelante verse aux débats des comptes rendus de chantiers à l'entête de la société BCA relatifs à des réunions des 3 juin 2014, 10 juin 2014 et 24 juin 2014.
Même si ces comptes rendus ne sont pas signés par l'entreprise principale, la précision des détails qui y figurent et leur entête établissent à suffisance qu'ils ont bien été rédigés par la société BCA.
Le premier compte rendu ne mentionne pas la présence de M C. sur le chantier.
Au contraire le deuxième compte rendu de chantier mentionne clairement que M. C. était présent lors de la réunion de chantier du 10 juin 2014.
Ce compte rendu établit que la société Richet était présente lors de cette réunion au cours de laquelle il a été convenu, en présence du maître de l'ouvrage, que l'entreprise interviendrait la semaine suivante pour commencer les finitions intérieures et que l'intimée devait mettre en fabrication la terrasse pour venir l'installer à partir du 23 juin dernier délai.
Le compte rendu du 24 juin 2014 mentionne également la présence de M. C. lors de cette réunion et il détaille de manière précise l'ensemble des consignes qui ont été données à la société Richet pour qu'elle termine l'ensemble de ses travaux tant intérieurs qu'extérieurs.
Au contraire de ce que soutient l'intimé qui prétend ne pas en avoir été destinataire les comptes rendus de chantier comporte la mention 'pour information : Maître d'ouvrage'.
Alors que la preuve est ainsi rapportée à suffisance de ce que M. C. était présent sur le chantier les 10 et 24 juin 2014, les explications qui ont, lors de ces réunions été échangées entre l'entreprise principale et la société Richet, ont été de nature à l'édifier, s'il ne le savait pas déjà, sur le fait que la société BCA, avec laquelle il avait seule contracté, avait manifestement sous-traité ses travaux à la société Richet, clairement identifiée dans les comptes rendus, s'agissant du lot menuiserie et terrasse.
Il résulte de ce qui précède que la société Richet établit qu'au plus tard au 24 juin 2014, M. Emmanuel C. a eu connaissance de sa présence sur le chantier en qualité de sous-traitant.
L'intimé ne justifie pas ni même ne soutient avoir accepté l'appelante et avoir agréé ses conditions de paiement au sens de l'article 14-1 de la loi du 31 décembre 1975 renvoyant à l'article 3 de la même loi.
Il ne soutient pas plus avoir mis en demeure la société BCA d'avoir à présenter son sous-traitant à son agrément.
Sa faute est ainsi caractérisée.
Pour s'exonérer des conséquences de cette responsabilité il oppose à la société Richet le fait qu'elle serait à l'origine de son propre dommage.
Il fait ainsi observer que le contrat de sous traitance rappelait qu'avant l'exécution des travaux objet du contrat, l'entrepreneur principal devait, conformément à l'article 3 de la loi du 31 décembre 1975, faire accepter son sous-traitant et agréer ses conditions de paiement par le maître de l'ouvrage, qu'il était encore prévu que l'entreprise principale informerait le sous-traitant de la décision du maître de l'ouvrage et que le contrat de sous traitance serait résilié de plein droit en cas de refus d'acceptation du sous-traitant ou d'agrément de ses conditions de paiement par le maître de l'ouvrage.
Il déduit de ces dispositions contractuelles que la société BCA et la société Richet avaient fait de l'agrément du sous-traitant par le maître de l'ouvrage une condition essentielle de leur convention et que, dès lors, la société Richet a commis une faute en n'engageant pas les démarches pour se faire agréer.
Cependant alors que la loi du 31 décembre 1975 n'impose au sous-traitant aucune diligence particulière à l'égard de l'entrepreneur principal ou du maître de l'ouvrage, l'intimé ne peut reprocher à la société Richet de n'avoir pas fait de démarches propres à l'obtention de son agrément étant observé que le contrat de sous traitance mis en avant par M. Emmanuel C. ne met non plus aucune obligation de cet ordre à la charge de la société Richet.
M. C. qui a failli à son obligation doit indemniser la société Richet.
A ce titre, il ne peut être tenu de payer, à titre de dommages et intérêts, que les sommes que le sous-traitant aurait pu obtenir au titre de l'action directe ou de la délégation de paiement c'est à dire celles dont le maître de l'ouvrage était encore redevable à l'égard de l'entrepreneur principal à la date à laquelle il a eu connaissance de la présence du sous-traitant sur le chantier.
Il appartient au maître de l'ouvrage de rapporter la preuve de la date et du montant des sommes qu'il a versées à l'entreprise principale en paiement des travaux faisant l'objet du contrat de sous traitance litigieux.
En l'espèce M. C. ne produit aucune pièce propre a établir qu'il avait déjà au 24 juin 2014 réglé à la société BCA des sommes en paiement des travaux sous traités.
Le marché de travaux litigieux portait sur un marché ferme de 31 000 euros HT.
L'appelante verse aux débats sa facture et le relevé des règlements qu'elle a reçus de la société BCA au vu desquels l'intimé sera, par infirmation du jugement, condamné à titre de dommages intérêts à payer à la société Richet le solde de sa facture, soit la somme de 22 165 euros outre les intérêts de droit à compter de la mise en demeure du 16 avril 2015.
Les dispositions du jugement entrepris seront infirmées qui ont condamné la société Richet aux dépens et au paiement d'une indemnité de procédure.
L'appelant qui succombe supportera la charge des dépens de première instance et d'appel, sera condamné au paiement d'une indemnité de procédure de 3 000 euros et sera débouté de sa propre demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement et contradictoirement,
Infirme le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la société Atelier Richet de sa demande en paiement dirigée contre M. Emmanuel C. et l'a condamnée aux dépens et au paiement d'une indemnité de 1 000 euros,
Confirme le jugement entrepris pour le surplus,
Statuant des chefs infirmés et y ajoutant,
Condamne M. Emmanuel C. à payer à la société Atelier Richet, à titre de dommages intérêts, la somme de 22 165 euros outre les intérêts de droit à compter de la mise en demeure du 16 avril 2015,
Condamne M. Emmanuel C. à payer à la société Atelier Richet une indemnité de procédure de 3 000 euros,
Condamne M. Emmanuel C. aux dépens de première instance et d'appel,
Rejette le surplus des demandes.