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Décisions

Cass. com., 30 novembre 2010, n° 09-71.954

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Favre

Avocats :

Me Blondel, SCP Baraduc et Duhamel, SCP Boré et Salve de Bruneton

Rennes, du 16 sept. 2008

16 septembre 2008

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Rennes, 16 septembre 2008), que la société Alimentation canine (la société débitrice), qui fabriquait des aliments pour chiens de compagnie à partir de produits d'origine animale, a été mise en redressement judiciaire par un jugement désignant Mme Z... en qualité d'administrateur ; que, le plan de cession totale des actifs de la société débitrice ayant été arrêté en faveur de la société Nouvelle alimentation canine (société NAC), Mme Z... a passé avec elle les actes nécessaires à la réalisation de la cession, dont l'acte de vente du fonds de commerce, établi le 8 octobre 2002 par M. Y..., avocat ; que, par arrêté du 13 juillet 2005, le préfet a mis en demeure la société NAC de régulariser la situation de son exploitation au regard de la législation applicable aux installations classées pour la protection de l'environnement, en déposant une demande d'autorisation ; que la société NAC a assigné l'administrateur et l'avocat rédacteur de l'acte de cession en responsabilité personnelle pour ne pas l'avoir informée de la nécessité d'une telle autorisation ;

Sur le premier moyen et la première branche du second moyen du pourvoi principal, réunis :

Attendu que Mme Z... fait grief à l'arrêt de l'avoir déclarée responsable alors, selon le moyen :

1°/ que l'administrateur judiciaire ne saurait être tenu des obligations contractuelles qui pèsent sur le débiteur, soumis à la procédure, qui est seul partie au contrat conclu avec le cessionnaire à la suite d'une cession d'actifs ; qu'en déduisant la faute de Mme Z..., administratrice judiciaire, de ce que l'entreprise cédée était présentée comme ayant une capacité de production supérieure à deux tonnes, seuil au-delà duquel une autorisation particulière, subordonnée à la réalisation de travaux, était requise, calquant ainsi les obligations de l'administratrice judiciaire sur celles de la débitrice, cédante, la cour d'appel a violé l'article 1382 du code civil ;

2°/ qu'en toute hypothèse, la responsabilité personnelle encourue par un administrateur judiciaire, lorsqu'il gère la société soumise à une procédure collective, est, comme celle du dirigeant auquel il se substitue, subordonnée à l'existence d'une faute séparable de ses fonctions ; qu'en déduisant la faute de Mme Z... de ce que, tenue en sa qualité d'administratrice judiciaire au respect des obligations légales et conventionnelles incombant au chef d'entreprise, elle aurait dû s'enquérir des autorisations requises au titre de la législation sur les installations classées et en informer les repreneurs potentiels, quand une telle faute n'était pas séparable de ses fonctions, la cour d'appel a derechef violé l'article 1382 du code civil ;

3°/ qu'en toute hypothèse, l'administrateur judiciaire n'est tenu qu'à une obligation de moyens ; qu'en déduisant la faute de Mme Z... de ce qu'elle aurait dû s'enquérir des autorisations requises au titre de la législation sur les installations classées et en informer les cessionnaires, sans relever que l'administratrice judiciaire avait eu les moyens de s'aviser de l'irrégularité de l'installation au regard de la législation applicable, quand la préfecture du Finistère l'avait assurée du contraire, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du code civil ;

4°/ que les renseignements délivrés par l'administration sont présumés exacts, de sorte que l'administrateur judiciaire est en droit de s'y fier ; qu'en jugeant que Mme Z... ne pouvait invoquer les « carences de la préfecture » du Finistère, qui ne lui avait pas signalé la nécessité d'obtenir l'autorisation litigieuse, sans indiquer les raisons pour lesquelles l'administratrice judiciaire aurait dû soupçonner le caractère erroné de la lettre par laquelle la préfecture du Finistère lui avait fait savoir que « le bon état d'entretien des locaux et du matériel permet d'envisager une reprise des activités et de reconduire l'attestation d'enregistrement sous le n° 29. 016. 70, attribuée à l'atelier le 16 octobre 2000 », la cour d'appel a derechef privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du code civil ;

5°/ que le préfet est le représentant de l'État dans sa circonscription et s'exprime au nom de tous les services placés sous sa direction ; qu'en affirmant que Mme Z... avait commis une faute, bien qu'elle ait interrogé la direction des services vétérinaires de la préfecture du Finistère qui lui avait donné des assurances quant à la conformité des installations litigieuses à la réglementation applicable, au nom de la préfecture, dès lors qu'elle s'était abstenue d'interroger la direction régionale de l'industrie, de la recherche et de l'environnement, quand la réponse de la préfecture engageait l'État, et tous les services placés sous l'autorité du préfet, parmi lesquels figurent ceux de la direction régionale de l'industrie, de la recherche et de l'environnement, la cour d'appel a violé l'article 1er du décret du 10 mai 1982, dans sa rédaction applicable à la cause, ensemble l'article 1382 du code civil ;

6°/ que l'acheteur professionnel est tenu de se renseigner sur la chose objet du contrat de vente, de sorte qu'il ne saurait se prévaloir de son ignorance lorsqu'il aurait dû y remédier ; qu'en jugeant que Mme Z... ne pouvait invoquer la connaissance, non démontrée, par le repreneur de la législation applicable, sans rechercher, comme il le lui était demandé, si le repreneur n'aurait pas, à tout le moins, dû se renseigner sur la situation des actifs acquis au regard de la législation applicable, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du code civil ;

Mais attendu, en premier lieu, que l'administrateur du redressement judiciaire est personnellement responsable des fautes qu'il commet dans l'exercice de ses fonctions, notamment en n'informant pas, en vue de l'accomplissement de sa mission légale de passer tous les actes nécessaires à la réalisation de la cession des actifs, le futur repreneur de la situation de l'exploitation au regard de la législation pertinente ; que la cour d'appel en a exactement déduit que Mme Z... devait indiquer aux repreneurs potentiels l'irrégularité de la situation de l'entreprise au regard de la législation relative aux installations classées pour la protection de l'environnement ;

Attendu, en second lieu, qu'après avoir relevé que, dans le bilan économique et social établi par elle, Mme Z... avait mentionné que la capacité de production de la société débitrice était de 4 tonnes par jour, quantité supérieure au seuil au-delà duquel l'activité de préparation d'aliments pour animaux de compagnie à partir de produits alimentaires d'origine animale nécessite une autorisation administrative en application de la législation sur les installations classées, l'arrêt retient que Mme Z... n'avait pas interrogé le préfet sur la situation de l'entreprise au regard de cette législation spécifique, mais s'était bornée à lui demander si l'exploitation respectait les normes sanitaires et, n'ayant reçu qu'une réponse positive limitée à leur application, avait, néanmoins, affirmé par écrit au candidat cessionnaire que l'activité qu'il se proposait de reprendre n'était soumise à aucune norme particulière ; que, par ces constatations et appréciations, la cour d'appel a légalement justifié sa décision ;

Attendu, enfin, qu'ayant retenu que le repreneur n'avait pas une connaissance personnelle de la législation applicable et que l'administrateur lui avait donné, à cet égard, les assurances nécessaires, faisant ainsi ressortir que l'administrateur avait manqué à l'obligation de moyen pesant sur lui, la cour d'appel a répondu aux conclusions évoquées par la sixième branche ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Et sur la seconde branche du second moyen du pourvoi principal et le moyen unique du pourvoi incident, rédigés en termes semblables, réunis :

Attendu que Mme Z... et M. Y...font grief à l'arrêt de les avoir condamnés in solidum au paiement d'une provision à valoir sur l'indemnisation du préjudice de la société NAC alors, selon le moyen, que le propre de la responsabilité civile est de replacer la victime dans la situation où elle se serait trouvée si l'acte dommageable ne s'était pas produit ; qu'en jugeant que, par la faute de Mme Z... et de M. Y..., la société cessionnaire s'était trouvée contrainte de supporter le coût de la mise en conformité et qu'elle avait perdu une chance d'y échapper, sans rechercher si, dans l'hypothèse où la société NAC n'aurait pas acquis les actifs litigieux, sa situation aurait été meilleure, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du code civil ;

Mais attendu qu'ayant retenu que le préjudice de la société NAC consistait en la perte d'une chance, dans une proportion qu'elle a souverainement appréciée, la cour d'appel n'avait pas à effectuer une recherche qui ne lui était pas demandée ; que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE les pourvois tant principal qu'incident.