CA Colmar, 1re ch. civ., 11 décembre 2001, n° 00/01807
COLMAR
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Wagner
Défendeur :
Matrangolo
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Avocats :
Me Caminade, Me Zimmermann
Par acte sous seing privé du 15 octobre 1998 la S.à.R.L. NAT CENTER a vendu à M. Francesco Z..., un fonds de commerce de restaurant pizzeria à SELESTAT, pour un prix de 140.000 francs payable immédiatement pour un montant de 50.000 francs, et par mensualités de 7.500 francs en ce qui concerne le solde de 90.000 francs.
Les parties ont convenu de désigner un séquestre amiable en la personne de M. Pierre Y... qui a accepté sa mission :
- de payer, en cas d'opposition sur le prix de vente, les créanciers inscrits sur le fond,
- de remettre le prix au cédant sous différentes conditions.
La convention prévoyait en outre que dans le cas où le montant des inscriptions et oppositions serait supérieur à la somme séquestrée, le séquestre pourra, sans le concours et hors la présence des parties après le paiement des taxes et impôts privilégiés, remettre à la Caisse des Dépôts et consignations ou aux mains d'un séquestre judiciaire, à la charge des inscriptions grevant le fonds vendu et des oppositions frappant le prix, et ce même avant l'expiration du délai de trois mois prévu par l'article 19 de la loi du 29 juin 1935. M. Y..., a sollicité en référé le 7 décembre 1999 la désignation d'un séquestre judiciaire en faisant valoir qu'il avait rencontré de nombreuses difficultés, dans la mesure ou de nombreuses oppositions lui avaient été notifiées et où l'acheteur n'avait pas fait face aux montants auxquels il s'était engagé, et qu'il était fondé en application de la clause ci-dessus à demander la nomination d'un séquestre judiciaire pour lui remettre les sommes qu'il détenait.
L'acheteur qui a été assigné s'est opposé à cette demande.
Par ordonnance du 18 février 2000 le juge des référés de la chambre commerciale du tribunal de grande instance de COLMAR a débouté M. Y... de sa demande.
Le juge des référés a considéré que M. Y... demandait à ce qu'il soit mis fin à sa mission de séquestre qu'il avait acceptée irrévocablement, pour des raisons de convenances personnelles totalement étrangères aux hypothèses contractuellement et limitativement prévues permettant qu'il soit déchargé de sa mission. Il a par ailleurs retenu que seuls les créanciers ou le débiteur pouvaient solliciter la nomination d'un séquestre et qu'il n'y avait pas lieu d'engager des frais supplémentaires.
M. Pierre Y... a interjeté appel de cette ordonnance le 7 avril
2000.
Dans ses dernières conclusions du 27 février 2001 il demande à la Cour d'infirmer l'ordonnance entreprise, de mettre fin à sa mission, de désigner un séquestre pour distribuer les fonds dans les conditions prévues aux articles 1281-1 et suivants du nouveau Code de procédure civile, de condamner M. Z... aux dépens des deux instances et de rejeter ses prétentions au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
A l'appui de ses conclusions il fait valoir :
- que le montant des oppositions, qui s'élevait à 157.709,08 francs non compris la valeur d'un meuble, était largement supérieur au prix de vente ; que l'acquéreur n'a pas payé le solde du prix de vente de 90.000 francs, et qu'il n'exploite plus le fonds de commerce,
- qu'il n'a pas été désigné pour régler les litiges entre les parties à l'acte, ni entre celles-ci et les créanciers et qu'il n'a aucune compétence et aucun pouvoir à cet effet,
- qu'en application de la convention de séquestre il pouvait demander qu'il soit mis fin à son mandat soit en déposant les fonds à la Caisse des Dépôts et Consignations, soit entre les mains d'un séquestre judiciaire,
- que compte tenu des difficultés anormales qu'il a rencontrées dans l'exécution de sa mission il pouvait par application de l'article 1960 du Code civil en être dégagé pour motif légitime,
- qu'il avait en tout cas qualité pour demander la nomination d'un séquestre par application de l'article 1281-1 du Code civil et que les conditions de la rémunération sont expressément prévues par les textes.
Dans ses dernières conclusions du 15 novembre 2000 M. Z... demande à la Cour de rejeter l'appel comme irrecevable et mal fondé, de confirmer l'ordonnance entreprise, de débouter M. Y... de ses prétentions, de le condamner aux entiers frais et dépens et au paiement d'une indemnité de procédure de 10.000 francs pour les frais irrépétibles de première instance et d'appel.
A l'appui de ses conclusions il fait valoir :
- qu'il appartient à M. Y..., qui est expert-comptable qui a expressément accepté le mandat irrévocable de séquestre conventionnel, d'accomplir sa mission de distribution du prix conformément à la convention,
- qu'il ne peut, sans d'ailleurs justifier la régularité et le sérieux des oppositions sur le prix de vente, dont il fait état et en se prévalant d'hypothétiques conflits susceptibles d'intervenir entre les parties et les créanciers, demander à être déchargé de sa mission, tant en application des stipulations conventionnelles que des dispositions légales,
- qu'il n'a aucune qualité pour demander la désignation d'un séquestre judiciaire, et que c'est à bon droit et par des motifs exempts de critique que le premier juge a rejeté sa demande.
Vu le dossier de la procédure, les pièces régulièrement versées au dossier et les mémoires des parties auxquels la cour se réfère pour plus ample exposé de leurs moyens ;
Attendu qu'aucun moyen n'est développé à l'appui des conclusions tendant à faire déclarer l'appel irrecevable ;
Attendu qu'il est constant que M. Y... a été désigné comme séquestre conventionnel tant par le vendeur que par l'acheteur du fonds de commerce, mais qu'il n'a pas attrait le vendeur dans la présente procédure ;
Attendu qu'en appel il demande à être déchargé de ses fonctions pour motif légitime et la désignation d'un séquestre judiciaire pour exercer la mission qui lui avait été confiée ;
Attendu qu'il résulte des pièces versées aux débats, que le séquestre conventionnel a été saisi de contestations et d'oppositions sur le prix de vente pour un montant supérieur à ce prix et qu'il est par ailleurs constant que seul un montant de 50.000 francs a été payé par l'acquéreur, qui ne s'est pas acquitté du solde du prix ;
Attendu que la convention de séquestre prévoit que dans le cas où le montant des inscriptions et opposition serait supérieur à la somme séquestrée, le séquestre pourra sans le concours et hors la présence des parties, après paiement des taxes et impôts privilégiés remettre le dépôt à la Caisse de Dépôts et Consignations ou aux mains d'un séquestre judiciaire, ce qui entraînera sa décharge ;
Attendu qu'il n'est pas établi que le séquestre aurait payé les taxes et impôts privilégiés de sorte qu'il ne peut sur le fondement de la convention, soit remettre les fonds à la Caisse des Dépôts et Consignations soit à un séquestre judiciaire ;
Attendu que le séquestre conventionnel ne peut en application de l'article 1960 du Code civil être déchargé de ses fonctions avant la contestation terminée, que du consentement de toutes les parties intéressées ou pour une cause jugée légitime ;
Attendu que le fait que le séquestre amiable n'ait pas obtenu le paiement de la totalité du solde du prix de vente et qu'il se trouve ainsi en, raison de la carence de l'acquéreur et de l'inertie du vendeur, dans l'impossibilité d'exercer sa mission, constitue une cause légitime justifiant qu'il soit déchargé de sa mission, sans qu'il soit nécessaire que les parties y consentent ;
Attendu que la vente a eu lieu il y a plus de trois ans, qu'un délai avait été accordé à l'acquéreur jusqu'au 10 novembre 1999 pour payer le solde du prix de vente, que depuis cette date les créanciers opposants attendent d'être payés, que l'acquéreur qui ne veut pas payer n'a aucun intérêt à ce que cette affaire soit débloquée et que le vendeur qui ne percevra aucun fonds n'a pas plus d'intérêt à agir ;
que dans ces conditions le séquestre conventionnel qui se trouve confronté à des difficultés qui ne sont pas de son fait a intérêt et qualité pour solliciter en justice la désignation d'un séquestre judiciaire par application de l'article 1281-1 du nouveau Code de procédure civile ;
Que l'article 19 de la loi du 25 juin 1935 prévoit d'ailleurs que le tiers détenteur doit faire la répartition du prix dans le délai de trois mois de l'acte de vente et qu'à l'expiration de ce délai, la procédure prévue aux articles 1281-1 est applicable, et qu'il peut être déduit de ce texte qu'il existe une certaine urgence pour que la répartition du prix de vente d'un fonds de commerce se fasse dans de brefs délais ;
Attendu qu'il y a lieu dans ces conditions de faire droit à la demande de séquestre judiciaire, qui aura pour mission d'opérer conformément aux dispositions des articles 1281-1 et suivants du nouveau Code de procédure civile ;
Attendu que toute cette procédure a pour origine le défaut de paiement du solde du prix par l'acquéreur, de sorte que les dépens de première instance et d'appel doivent incomber à M. Z... ;
Attendu que l'équité n'exige pas qu'il soit fait droit aux demandes d'indemnité de procédure.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR,
Statuant publiquement et contradictoirement après en avoir délibéré en dernier ressort,
DECLARE l'appel recevable en la forme,
AU FOND :
INFIRME l'ordonnance entreprise,
DECHARGE M. Pierre Y... de sa mission de séquestre conventionnel,
DESIGNE Maître Anny HARQUET, mandataire liquidateur, demeurant 4, rue du Conseil Souverain à 68003 COLMAR CEDEX, en qualité de séquestre judiciaire en lui confiant la mission prévue par les articles 1281 et suivants du nouveau Code de procédure civile,
CONDAMNE M. Z... aux dépens de première instance et d'appel,
DIT n'y avoir lieu à application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.