CA Douai, 1re ch. sect. 2, 13 février 2013, n° 11/05224
DOUAI
Arrêt
Confirmation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Zenati
Conseillers :
M. Poupet, Mme Bonnemaison
La société AUTOGESTION a été constituée par acte sous seing privé du 30 décembre 1992 sous forme de société anonyme à conseil d'administration, avec un capital social divisé en 100 012 actions réparties ainsi qu'il suit :
- 100 000 actions à Didier MAS de T.,
- 2 actions à Anne B., son épouse,
- 2 actions à chacun de leurs quatre enfants, Sylvain, Fabienne, Angélique et Anne-Priscille,
- 2 actions à Dorothée B., épouse de Sylvain MAS de T..
Le 29 janvier 1993, Monsieur Didier MAS de T. et Madame Anne B. ont consenti à leurs enfants une donation-partage portant sur des parts sociales de ladite société avec réserve d'usufruit.
La nouvelle répartition du capital social était la suivante :
ACTIONNAIRES
ACTIONS
ACTIONS
ACTIONS
pleine propriété
nue-propriété
usufruit
Didier MAS de T.
7290
92710
Anne B.
2
Sylvain MAS de T.
2
26710
Dorothée B.
2
Fabienne MAS de T.
2
22000
Angélique MAS de T.
2
22000
Anne-Priscille MAS de T.
2
22000
sous-total
7302
92710
92710
TOTAL
100012
Le 17 juin 1997, l'assemblée générale extraordinaire de la société AUTOGESTION a adopté la forme de la société anonyme à directoire et conseil de surveillance.
L'article 15 des statuts, mis à jour le 30 juin 2001, stipule que l'usufruitier seul exerce le droit de vote attaché aux actions dont la propriété est démembrée.
Lors de l'assemblée générale extraordinaire du 16 juin 2009, la société anonyme AUTOGESTION a été transformée en société en commandite par actions, la résolution ayant été adoptée par 100 002 voix pour et dix voix contre. La même assemblée a désigné la société AUTOGERANCE, dont la gérante est Madame Anne-Priscille MAS de T., en qualité de commandité gérant pour une durée de dix ans.
Sylvain, Fabienne et Angélique MAS de T. ainsi que Dorothée B. ont fait assigner la société AUTOGESTION devant le tribunal de commerce de Lille par acte du 17 septembre 2009 afin de voir annuler l'article 15 des statuts ainsi que les délibérations de l'assemblée générale extraordinaire du 16 juin 2009 et prononcer l'extinction de l'usufruit issu du démembrement des titres résultant de la donation-partage du 29 juin 1993.
Le tribunal de commerce a sursis à statuer dans l'attente de la décision du tribunal de grande instance dans une instance parallèle.
En effet, Sylvain, Fabienne et Angélique MAS de T. ont également fait assigner leurs parents et leur s'ur Anne-Priscille devant le tribunal de grande instance de Lille par acte du 20 avril 2010 afin, principalement, de voir prononcer, sur le fondement de l'article 618 du code civil, l'extinction de l'usufruit dont bénéficie leur père.
Par jugement contradictoire du 9 juin 2011, le tribunal de grande instance de Lille les a déboutés de leurs demandes et les a condamnés aux dépens et à payer aux défendeurs une indemnité de 3 000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile.
Sylvain, Fabienne et Angélique MAS de T. ont relevé appel de cette décision le 21 juillet 2011 et demandent à la cour, au visa de l'article 618 du code civil, de :
- prononcer l'extinction absolue de l'usufruit dont Monsieur et Madame Didier MAS de T. sont bénéficiaires,
- dire qu'en conséquence, chacun des donataires bénéficiera, à due proportion des attributions qui lui ont été faites par l'acte de donation-partage du 29 janvier 1993, du droit de vote attaché aux actions qui lui ont été attribuées,
- condamner les intimés à payer à chacun des appelants une indemnité de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens dont distraction au profit de Maître L..
Ils soutiennent à cet effet :
- qu'en tant qu'associés commanditaires, et par l'effet de la loi et des statuts de la société, ils sont totalement assujettis à la volonté de l'associé commandité, notamment en matière de nomination et de révocation du gérant, d'approbation des comptes, d'affectation des résultats, de modification des statuts ou de la forme sociale de la société,
- que la transformation de la société, décidée par le seul Didier MAS de T., a donc porté atteinte à la substance des parts sociales, leur faisant perdre leur valeur et les rendant difficilement cessibles, et résulte d'un abus, par l'usufruitier, de ses droits.
Les intimés concluent à la confirmation du jugement et à la condamnation des appelants à leur verser la somme de dix mille euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens, dont distraction au profit de la SCP D. & F..
Ils font valoir en ce sens que la modification de la forme sociale de la société AUTOGESTION, décidée pour éviter les incidences néfastes que le conflit familial existant entre actionnaires pouvait avoir sur sa gestion, son fonctionnement et son avenir, et après approbation par le conseil de surveillance comprenant alors des membres extérieurs à la famille MAS de T., n'a nullement altéré la substance et la valeur des actions, distinctes des pouvoirs de décision qui leur sont attachés, mais assuré au contraire la pérennité du groupe.
SUR CE
Attendu qu'aux termes de l'article 578 du code civil, l'usufruit est le droit de jouir des choses dont un autre a la propriété comme le propriétaire lui-même, mais à la charge d'en conserver la substance ;
qu'en vertu de l'article 618 du même code, les juges peuvent prononcer l'extinction de l'usufruit en raison de l'abus que l'usufruitier fait de sa jouissance soit en commettant des dégradation sur le fonds, soit en le laissant dépérir faute d'entretien ;
qu'en l'espèce, la chose dont la propriété est démembrée n'est pas un fonds mais la quasi-totalité des actions représentant le capital social de la société AUTOGESTION ;
que les appelants, dont la position revient finalement à considérer que, par définition, une action de société en commandite vaut moins qu'une action de société anonyme compte tenu des faibles pouvoirs des associés commanditaires, affirment que la modification de la forme sociale de la société AUTOGESTION entraîne une diminution de la valeur de ses actions, voire « les prive de toute valeur », mais ne le démontrent pas ;
que certes, la société en commandite par action distingue les associés qui assurent la gestion de la société - les commandités - de ceux qui détiennent le capital - les commanditaires - ; que cependant, l'affirmation des appelants selon laquelle en tant que commanditaires, ils sont totalement « assujettis » à l'associé commandité (la société Autogérance dirigée par Anne-Priscille Mas de T.) doit être relativisée dès lors que les commanditaires participent aux assemblées générales, que si certaines décisions ne peuvent être prises par eux qu'avec l'accord des commandités, ces derniers ne peuvent pour autant prendre lesdites décisions seuls, que la gestion des commandités est contrôlée par un conseil de surveillance composé de commanditaires, étant en outre rappelé que les commandités sont tenus indéfiniment des dettes sociales tandis que les commanditaires n'en répondent que dans la proportion de leurs apports ;
que surtout, la valeur d'une action - la valeur de négociation, non la valeur nominale ' dépend de plusieurs facteurs et qu'il ne ressort nullement de la démonstration des appelants que l'étendue des droits associés à l'action soit un facteur prépondérant, notamment par rapport aux performances de la société et à son secteur d'activité ;
qu'à cet égard, et indépendamment de ce que le capital social est inchangé, les appelants n'apportent nullement la preuve d'une baisse avérée ou prévisible et inévitable des résultats de la société ni, a fortiori, d'une baisse imputable à la modification de sa forme sociale ; qu'il ressort en revanche de l'ensemble des pièces produites, et notamment des divers procès-verbaux d'assemblée générale, que Monsieur Didier MAS de T. n'est animé que par la volonté de préserver et de voir prospérer le groupe qu'il a créé ;
que dans ces conditions, Sylvain, Fabienne et Angélique MAS de T. ne peuvent valablement reprocher à l'usufruitier qu'est leur père d'avoir « dégradé » ou « laissé dépérir » le bien sur lequel porte l'usufruit et que leur demande tendant à voir prononcer l'extinction de cet usufruit a été à bon droit rejetée par le tribunal dont la décision doit par conséquent être confirmée ;
Attendu que l'article 696 du code de procédure civile dispose que la partie perdante est condamnée aux dépens ;
qu'il serait inéquitable, vu l'article 700 du même code, de laisser aux intimés la charge intégrale des frais irrépétibles qu'ils ont été contraints d'exposer pour assurer la défense de leurs intérêts en cause d'appel ;
PAR CES MOTIFS
LA COUR
Confirme le jugement en toutes ses dispositions ;
Déboute Sylvain, Angélique et Fabienne MAS de T. de toutes leurs demandes ;
Les condamne solidairement à payer à Didier MAS de T., Anne B. et Anne-Priscille MAS de T., ensemble, une indemnité de trois mille euros (3 000) par application de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel ;
Les condamne solidairement aux dépens qui pourront être recouvrés par la SCP D. & F. conformément aux dispositions de l'article 699 dudit code.