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Décisions

Cass. 2e civ., 24 octobre 2019, n° 18-15.994

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Pireyre

Avocats :

SCP Lyon-Caen et Thiriez, SCP Waquet, Farge et Hazan

Aix-en-Provence, du 1 mars 2018

1 mars 2018

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 1er mars 2018), que la société Couleurs et privilège, qui exploitait une résidence hôtelière pour laquelle elle avait souscrit, auprès de la société Generali IARD (la société Generali), une police d'assurance « Multirisque hôtel/restaurant 100 % Pro » a été placée en redressement judiciaire par jugement du 22 janvier 2010 ; qu'un arrêt du 13 juillet 2011 a ordonné la cession du fonds de commerce de la société débitrice au profit de la société Odalys résidences (la société Odalys) ; que dans la nuit du 2 au 3 septembre 2011, un incendie s'est déclaré dans la résidence hôtelière, provoquant des dégâts matériels justifiant la fermeture totale de l'établissement du 3 septembre au 17 octobre 2011 et sa fermeture partielle jusqu'en juin 2012 ; qu'un acte de « cession d'entreprise » a été signé par l'administrateur judiciaire de la société Couleurs et privilège et la société Odalys le 5 octobre 2011 avec effet au 1er octobre 2011 ; que la société Generali ayant refusé de prendre en charge les pertes d'exploitation de la société Odalys, celle-ci l'a assignée en indemnisation ;

Sur le moyen unique, pris en sa première branche :

Attendu que la société Generali fait grief à l'arrêt de constater que la société Odalys a la qualité d'assurée et de la condamner à indemniser la société Odalys de sa perte d'exploitation à hauteur de 413 493 euros avec intérêts de droit à compter du 1er juillet 2012, alors, selon le moyen, que l'assurance continue de plein droit au profit de l'héritier ou de l'acquéreur à charge par celui-ci d'exécuter toutes les obligations dont l'assuré était tenu vis-à-vis de l'assureur en vertu du contrat ; qu'en l'absence d'aliénation de la chose assurée, la transmission du contrat d'assurance ne peut être invoquée ; que la société Generali faisait valoir dans ses conclusions d'appel, sans être contredite, que la société Couleurs et privilège exploitait les appartements de la résidence qui lui étaient donnés à bail commercial par leurs différents propriétaires et qu'elle n'en était pas propriétaire ; que la cession du fonds de commerce n'a donc pu transmettre à la société Odalys la propriété de ces appartements ou a fortiori de la résidence, lesquels n'ont dès lors fait l'objet d'aucune aliénation ; qu'en retenant néanmoins que la cession du fonds de commerce de la société Couleurs et privilège constitue une aliénation de la chose assurée de sorte que l'article L. 121-10 du code des assurances a vocation à s'appliquer en l'espèce, la cour d'appel a violé ce texte par fausse application ;

Mais attendu, selon l'article L. 121-10 du code des assurances, qu'en cas de décès de l'assuré ou d'aliénation de la chose assurée, l'assurance continue de plein droit au profit de l'héritier ou de l'acquéreur, à charge par celui-ci d'exécuter toutes les obligations dont l'assuré était tenu vis-à-vis de l'assureur en vertu du contrat ; que cette disposition impérative, qui ne distingue pas selon que le transfert de propriété, porte sur un bien mobilier ou immobilier, corporel ou incorporel ni selon le mode d'aliénation de la chose assurée, s'applique en cas de cession d'un fonds de commerce ordonnée lors d'une procédure de redressement judiciaire ; qu'ayant constaté qu'un acte de « cession d'entreprise » avait été signé le 5 octobre 2011, la cour d'appel en a exactement déduit que l'article L. 121-10 du code des assurances avait vocation à s'appliquer et que la transmission du contrat d'assurance accessoire à cette cession d'actif s'était effectuée de plein droit ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le moyen unique, pris en sa deuxième branche :

Attendu que la société Generali fait le même grief à l'arrêt, alors, selon le moyen, que sauf résiliation, l'assurance continue de plein droit au profit de l'héritier ou de l'acquéreur, mais à charge par lui notamment de payer, en qualité de débiteur principal, les primes à échoir à compter de l'aliénation ; que l'assuré initial, s'il informe l'assureur de l'aliénation de la chose assurée en respectant certaines formes, reste tenu des primes échues, mais est libéré des primes à échoir ; que s'il ne procède pas à cette information, il reste tenu de l'ensemble des primes échues, en qualité de débiteur principal, et des primes à échoir, en qualité de simple garant de leur paiement par l'héritier ou l'acquéreur ; que l'assureur est donc toujours en droit d'opposer à celui qui se prévaut de la transmission, accessoire à la cession de la chose assurée, de la garantie résultant du contrat d'assurance, son refus de payer les primes échues à compter de la date de prise d'effet de la cession ; qu'il résulte des constatations de la cour d'appel que le contrat de cession prenait effet rétroactivement au 1er octobre 2011 ; que le paiement des primes d'assurance pour la période du 1er octobre 2011 au 31 mars 2012 incombait donc, à titre principal, à la société Odalys, qui ne pouvait se prévaloir de la garantie de la société Generali en sa qualité d'assurée, tout en refusant d'assurer les obligations découlant de cette qualité ; qu'en retenant néanmoins, tout à la fois, que la société Odalys a acquis la qualité d'assuré du fait de la cession et que, pour autant, elle n'est pas tenue d'assurer le paiement desdites primes parce qu'elle a indiqué son intention de résilier la police, la cour d'appel a violé l'article L. 121-10 du code des assurances ;

Mais attendu d'abord que la cour d'appel n'a pas retenu que la société Odalys n'était pas tenue d'assurer le paiement des primes parce qu'elle avait indiqué son intention de résilier la police ;

Attendu, ensuite, que si l'article L. 121-10 du code des assurances met à la charge de l'acquéreur de la chose assurée toutes les obligations dont l'assuré était tenu vis-à-vis de l'assureur en vertu du contrat d'assurance, et notamment celle d'acquitter les primes à échoir à compter de l'aliénation, l'exécution de ces obligations n'est pas une condition de la continuation de plein droit de l'assurance au profit de l'acquéreur mais un effet de la transmission active et passive du contrat ;

D'où il suit que le moyen, qui manque partiellement en fait, est pour le surplus inopérant ;

Sur le moyen unique, pris en ses troisième et quatrième branches :

Attendu que la société Generali fait encore le même grief à l'arrêt, alors, selon le moyen :

1°/ que la société Generali faisait valoir dans ses conclusions d'appel qu'elle avait versé une indemnité au titre des préjudices matériels à la société Odalys pour la double raison qu'elle ne contestait pas devoir à la société Couleurs et privilège, en sa qualité d'assurée au moment du sinistre, une indemnité au titre de ses dommages matériels et parce que la société Couleurs et privilège était libre de disposer de cette indemnité et donc de prévoir, comme elle l'avait fait dans l'acte de cession du 5 octobre 2011, une simple délégation de paiement, relative à la seule indemnisation des préjudices matériels, au profit de la société Odalys ; qu'en revanche, l'acte de cession ne stipulait pas une telle délégation de paiement au titre de la perte d'exploitation ; que, bien au contraire, il stipulait expressément que les indemnités dues au titre de la perte d'exploitation de la société Couleurs et privilège et donc jusqu'au jour de la cession, seraient versées au liquidateur de cette société, mais n'envisageait à aucun moment l'indemnisation de prétendues pertes d'exploitation postérieures à la cession et que prétendre le contraire revenait à dénaturer l'acte ; que la cour d'appel, qui a retenu qu'en « régl(ant) à la société Odalys, directement, les indemnités correspondant aux préjudices matériels », la société Generali « a bien reconnu et considéré la société Odalys comme l'assuré à compter du 1er octobre 2011 aux lieu et place de la société Couleurs et privilege », sans répondre aux conclusions précitées de la société Generali, a méconnu les exigences de l'article 455 du code de procédure civile ;

2°/ que faute d'avoir recherché comme le lui demandait expressément la société Generali , si l'acte de cession du 5 octobre 2011 ne stipulait pas une simple délégation de paiement, relative à la seule indemnisation des préjudices matériels, au profit de la société Odalys , ce qui justifiait que la compagnie d'assurances ait versé l'indemnité correspondante à cette société, et si, en revanche, cet acte de cession ne stipulait pas le versement des indemnités dues au titre de la perte d'exploitation de la société Couleurs et privilège, donc jusqu'au jour de la cession, au liquidateur de la société Couleurs et privilège, sans envisager à aucun moment l'indemnisation de prétendues pertes d'exploitation postérieures à la cession, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1342-2, alinéa 1er, du code civil ;

Mais attendu qu'ayant retenu que la société Odalys avait la qualité d'assurée, qu'il y avait continuité des effets du contrat d'assurance entre la société Couleurs et privilège et la société Odalys, que la section III 1-A du contrat d'assurance « Multirisque Hôtel Restaurant 100 % Pro » prévoyait sans ambiguïté la prise en charge des pertes d'exploitation susceptibles d'être subies par l'assurée, qu'il était prévu que la période d'indemnisation s'achève au jour de la reprise normale d'activité dans les conditions les plus diligentes à dire d'expert sans pouvoir excéder deux ans et que la perte d'exploitation de la société Odalys en lien direct avec le sinistre couvrait la période comprise entre le 1er octobre 2011 et le 30 juin 2012, la cour d'appel qui n'avait pas à répondre à des conclusions inopérantes relatives à l'absence de mention dans l'acte de cession d'entreprise de l'indemnisation des pertes d'exploitation postérieures à la cession, a par ces seuls motifs légalement justifié sa décision ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi.