Cass. com., 26 janvier 2022, n° 20-16.425
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme DARBOIS
1. Selon l'arrêt attaqué (Rouen, 12 mars 2020) et les productions, la société de droit japonais San-Ei Gen FFI Inc. et la société de droit anglais Phillips San-Ei Gen Hydrocolloids ResearchLimited (les sociétés San-Ei) ont déposé, le 7 avril 2004, une demande internationale de brevet PCT, publiée sous le n° WO 2004/089991, sous priorité d'une demande japonaise du 7 avril 2003, et sont co-titulaires du brevet européen n° EP 1 611159 intitulé « gomme arabique modifiée issue d'Acacia Sénégal » (le brevet EP 159), issu de cette demande PCT, désignant notamment la France et délivré le 14 juillet 2010.
2. Par acte du 29 mai 2012, la société Nexira, mise en demeure de cesser de commercialiser ses produits, que les sociétés San-Ei prétendaient constituer la contrefaçon de leur brevet EP 159, a assigné ces sociétés en annulation de la partie française de ce brevet.
3. Postérieurement à cette assignation, les sociétés San-Ei ont fait procéder à des saisies-contrefaçons au siège de la société Nexira et dans les locaux de son site industriel puis l'ont assignée en contrefaçon le 12 mars 2013 mais, par une ordonnance non frappée de recours du 19 décembre 2013, le juge de la mise en état a annulé l'acte introductif d'instance.
4. A la suite de l'annulation de la partie française du brevet des sociétés San-Ei par un jugement du 28 mai 2015 non frappé d'appel, la société Nexira a assigné ces dernières en paiement de dommages-intérêts pour procédure abusive.
Moyens
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa quatrième branche, ci-après annexé
Motivation
5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Moyens
Et sur le moyen, pris en ses première, deuxième, troisième et cinquième branches
Enoncé du moyen
6. Les sociétés San-Ei font grief à l'arrêt de les condamner, in solidum, à payer à la société Nexira la somme de 104 499,45 euros à titre de dommages-intérêts et celle de 20 000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile, alors :
« 1°/ que l'action en justice constitue un droit dont l'exercice ne dégénère en faute qu'en présence d'un abus ; qu'une action en justice engagée pour la défense d'un titre valable ne peut être fautive ; qu'un brevet européen est présumé valable aussi longtemps qu'il n'a pas été annulé ; qu'en imputant à faute aux sociétés San-Ei la procédure de saisie-contrefaçon et l'action en contrefaçon engagées sur le fondement d'un brevet européen, présumé valide au moment où elles ont été intentées, la cour d'appel a violé les articles 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 1240 du code civil, ensemble les articles 64 de la Convention sur le brevet européen et L. 613-1 du code de la propriété intellectuelle ;
2°/ que l'action en justice constitue un droit dont l'exercice ne dégénère en faute qu'en présence d'un abus ; qu'en se bornant à énoncer, pour affirmer que les sociétés San-Ei avaient commis une faute en engageant une procédure de saisie-contrefaçon et une action en contrefaçon, que l'ajout ayant justifié l'annulation de leur brevet n'avait pu échapper à des sociétés agissant dans le secteur concerné et caractérisait leur volonté de déstabiliser un concurrent, d'autant que le tribunal de grande instance de Paris était déjà saisi par la société Nexira d'une action en annulation du brevet, la cour d'appel, qui a statué par des motifs impropres à caractériser la faute qu'auraient commise les sociétés San-Ei dans l'exercice de leur droit d'agir, ni la connaissance du secteur concerné, ni le fait que la société Nexira ait introduit une action en annulation, n'impliquant, de la part des sociétés San-Ei, la conscience de la nullité de leur brevet, a privé sa décision de base légale au regard des articles 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 1240 du code civil ;
3°/ que le seul fait d'agir en conscience de l'irrecevabilité ou du mal-fondé de ses prétentions ne suffit pas à caractériser un abus du droit d'agir ; qu'à supposer même que les sociétés San-Ei aient engagé une procédure de saisie-contrefaçon et une action en contrefaçon en conscience de ce que leur brevet était entaché de nullité, cette circonstance ne suffisait pas à caractériser une faute faisant dégénérer l'exercice de leur droit en abus ; qu'en affirmant le contraire, la cour d'appel a de nouveau privé sa décision de base légale au regard des articles 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 1240 du code civil ;
5°/ que l'action en justice constitue un droit dont l'exercice ne dégénère en faute qu'en présence d'un abus ; qu'en se bornant à énoncer, pour affirmer que les sociétés San-Ei avaient commis une faute en engageant une procédure de saisie-contrefaçon et une action en contrefaçon, que, lors des pourparlers engagés en janvier 2012, la société Nexira avait exposé son argumentation tendant à démontrer à ces sociétés la nullité de leur brevet et prévenu qu'en cas d'engagement d'une procédure à son encontre elle demanderait et obtiendrait la nullité du brevet, la cour d'appel, qui a statué par des motifs impropres à caractériser la faute qu'auraient commise les sociétés San-Ei dans l'exercice de leur droit d'agir, a privé sa décision de base légale au regard des articles 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 1240 du code civil. »
Motivation
Réponse de la Cour
7. L'arrêt relève, d'abord, que la validité du brevet des sociétés San-Ei a été remise en cause, par le jugement du 28 mai 2015, de manière rétroactive, du fait de l'extension de l'objet de la revendication n° 1 du brevet EP 159 au-delà de la demande initiale, ce qui n'avait pu échapper à des sociétés professionnelles de la production d'acides organiques, de colorants et arômes alimentaires et caractérisait leur volonté de déstabiliser un concurrent sur le marché français.
8. Il retient, ensuite, que des pourparlers avaient été engagés en janvier 2012 au cours desquels la société Nexira avait exposé son argumentation tendant à démontrer à ces sociétés la nullité de leur brevet et prévenu qu'en cas d'engagement d'une procédure à son encontre, elle demanderait et obtiendrait l'annulation du brevet.
9. En l'état de ces constatations et appréciations, faisant ressortir que l'action en contrefaçon litigieuse, formée par les sociétés San Ei, professionnelles du secteur concerné, après l'action en nullité intentée par la société Nexira, cependant qu'elles avaient procédé à une extension de revendication dans un but contestable et dont elles connaissaient la fragilité, connaissance qui ne pouvait qu'être confortée par les pourparlers menés avec la société Nexira et par l'action formée par cette dernière, ne s'expliquaient que par la volonté de persister à perturber déloyalement un concurrent, la cour d'appel a pu, par ces seuls motifs, estimer que ces sociétés avaient fait dégénérer en abus leur droit d'agir en justice et a légalement justifié sa décision.
10. Le moyen n'est donc pas fondé.
Dispositif
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne les sociétés San-Ei Gen FFI Inc. et Glyn O. Phillips-San-Ei Gen HydrocolloidsResearch Limited aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par les société San-Ei Gen FFI Inc. et Glyn O. Phillips-San-Ei Gen Hydrocolloids Research Limited et les condamne in solidum à payer à la société Nexira la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-six janvier deux mille vingt-deux.