Cass. 1re civ., 13 avril 2023, n° 22-15.689
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
PARTIES
Demandeur :
Tnuva Alternative (Sté)
Défendeur :
Eurofood (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Guihal
Rapporteur :
Mme Champ
Avocat :
SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 2 mars 2022), la société de droit israélien Soy Magic Limited, devenue Tnuva Alternative, a accordé à la société de droit français Eurofood la distribution exclusive de plusieurs produits sous sa marque en Union européenne et en Suisse pour une durée de cinq ans à compter du 1er mars 2016, en contrepartie d'objectifs quantitatifs.
2. Invoquant des manquements contractuels et une rupture abusive du contrat, la société Eurofood a assigné la société Soy Magic Limited devant le tribunal de commerce de Paris.
Examen du moyen
Sur le moyen
Enoncé du moyen
3. La société Tnuva Alternative fait grief à l'arrêt de dire que les juridictions françaises sont compétentes et de renvoyer les parties devant le tribunal de commerce de Paris, alors :
« 1°/ que constitue une vente le contrat qui porte sur la fourniture à titre onéreux de choses déterminées à l'avance ; qu'en l'espèce, le contrat litigieux, intitulé "Sale of Soy Magic Products" soit "vente de Produits Soy Magic", avait pour objet principal de définir l'accord entre les parties "concernant la vente" par la société Soy Magic à la société Eurofood de produits à base de soja, "chaque vente et livraison [étant] régie uniquement par les conditions" édictées au contrat et cette dernière se voyant accorder par la première le droit de "vendre, commercialiser et distribuer les produits" déterminés à l'article 6 du même contrat ; qu'en conséquence, la société Tnuva Alternative concluait que "tant la qualification adoptée par les parties que le contenu du contrat sont ceux d'un contrat de vente" ; qu'en refusant pourtant de qualifier de contrat de vente ce contrat, qui ne comportait aucune clause d'approvisionnement exclusif à la charge de la société Eurofood ni aucune clause de garantie d'approvisionnement à la charge de la société Soy Magic, et en recherchant dès lors si, en application des principes dégagés par la Cour de justice de l'Union européenne pour les contrats de distribution exclusive, il devait être qualifié de contrat de prestation de service, la cour d'appel a violé les articles 1582 du code civil et 46 du code de procédure civile ;
2°/ qu''il est fait interdiction au juge de dénaturer l'écrit qui lui est soumis ; qu'en jugeant, pour qualifier le contrat du 8 mai 2016 de contrat de "fourniture de services", que l'article 18 de ce contrat prévoyait une garantie d'approvisionnement par la société Soy Magic, cependant que cette stipulation se bornait à imposer à la seule société Eurofood de commander à la société Soy Magic une quantité minimum annuelle de ses produits, la cour d'appel a violé l'article 1134 du code civil dans sa rédaction antérieure à celle de l'ordonnance du 10 février 2016, ensemble le principe précité ;
3°/ que, à tout le moins, la qualification d'une opération contractuelle dépend des conditions de fait dans lesquelles les prestations sont exécutées ; qu'en s'abstenant de rechercher, comme le lui demandait la société Tnuva Alternative, si, indépendamment même de la volonté exprimée par les parties, les conditions dans lesquelles le contrat litigieux avait été effectivement exécuté n'étaient pas caractéristiques de l'existence d'un contrat de vente, la société Eurofood s'étant bornée à prendre livraison des marchandises pour les revendre, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1582 du code civil et 46 du code de procédure civile ;
4°/ que, à tout le moins, en se bornant à relever, pour juger que la qualification de contrat de vente devait être écartée au profit de celle de contrat de prestation de service, que les prestations prévues par le contrat conclu le 8 mai 2016 ne se limitaient pas à la livraison et à l'enlèvement de marchandises puisque d'autres prestations étaient prévues par le contrat, sans rechercher, ce qui était pourtant indispensable pour identifier la prestation caractéristique du contrat en cause, si les prestations dont elle faisait état n'étaient pas seulement l'accessoire de la prestation principale de livraison et d'enlèvement des marchandises, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 46 du code de procédure civile ;
5°/ que le défaut de réponse à conclusions équivaut à un défaut de motifs ; qu'en s'abstenant de répondre au moyen de la société Soy Magic tiré de ce que la société Eurofood n'était en aucun cas en mesure d'offrir à ses clients des services et avantages différents de ceux qu'un simple revendeur peut offrir, cependant que cette circonstance était de nature à écarter la qualification de contrat de prestation de service, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
6°/ que le défaut de réponse à conclusions équivaut à un défaut de motifs ; qu'en jugeant que l'avantage accordé par la société Soy Magic consistant dans l'octroi d'un droit exclusif de distribution de ses produits concernant le marché casher de l'Union européenne et de la Suisse accordé à la société Eurofood avait une valeur économique et pouvait être considéré comme une rémunération, tout s'abstenant de répondre au moyen faisant valoir que l'exclusivité accordée par la société Soy Magic à la société Eurofood n'était liée qu'à la petite taille du marché de ses produits casher en Europe qui justifiait la présence d'un seul importateur), la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
7°/ qu'en tout état de cause, le juge ne peut statuer par voie de simple affirmation ; qu'en se bornant à affirmer, pour retenir la compétence des juridictions françaises, que la prestation caractéristique avait été exécutée en France, ce qui était contesté par la société Tnuva, et sans autrement étayer sa démonstration en fait, par référence à des éléments régulièrement produits, la cour d'appel a statué par un motif péremptoire et violé l'article 455 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
4. Il résulte de l'article 46 du code de procédure civile, que lorsqu'il n'y a ni convention internationale ni règlement européen relatif à la compétence judiciaire, la compétence internationale se détermine par extension des règles de compétence territoriale interne, de sorte que le demandeur peut, en matière contractuelle, saisir à son choix, outre la juridiction du lieu où demeure le défendeur, la juridiction du lieu de la livraison effective de la chose ou du lieu de l'exécution de la prestation de service.
5. Ayant constaté que la société Tnuva alternative demeurait en dehors de l'Union européenne et relevé, d'une part, que les livraisons successives de ses produits étaient régies par un contrat-cadre qui faisait participer la société Eurofood à sa stratégie commerciale et imposait à celle-ci des objectifs de vente contraignants, d'autre part, qu'elle consentait en contrepartie à la société Eurofood un droit personnel exclusif de distribution concernant le marché Kasher de l'Union européenne et de la Suisse, qu'elle s'interdisait de concurrencer Eurofood sur ce marché, qu'elle s'engageait à participer aux coûts de promotion et à transmettre à Eurofood toutes les commandes ou demandes de renseignements qu'elle recevait d'acheteurs des territoires concernés et que ces avantages avaient une valeur économique qui pouvait être considérée comme étant constitutive d'une rémunération, la cour d'appel, en exactement déduit, par une appréciation souveraine des éléments de preuve qui lui étaient soumis et sans dénaturation, que le contrat portait sur une prestation de service et que le lieu de son exécution se situait en France, de sorte que les juridictions françaises étaient compétentes.
6. Le moyen, irrecevable en sa quatrième branche, comme nouvelle et mélangé de fait et de droit, n'est pas fondé pour le surplus.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi.