CA Orléans, ch. com. économique et financière, 20 janvier 2022, n° 20/01113
ORLÉANS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Société Générale (SA)
Défendeur :
Fond Commun de Titrisation Castanea
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Caillard
Conseillers :
Mme Chenot, Mme Delons
EXPOSE DU LITIGE :
Selon convention sous seing privé du 6 décembre 2011, la SA Société générale (la Société générale) a consenti à la société DML Constructions, représentée par son gérant, M. G...-A... E..., une ouverture de crédit de trésorerie en compte courant de 100 euros.
Par avenant du 22 mai 2013, cette ouverture de crédit a été portée à 10 000 euros.
Selon acte sous seing privé du 17 mai 2013, la Société générale a par ailleurs consenti à la société DML Constructions un prêt d'investissement d'un montant de 5 400 euros, remboursable en quarante-huit mensualités de 123,63 euros incluant les intérêts au taux conventionnel de 4,70 % l'an.
Selon acte sous seing privé du 4 décembre 2013, la Société générale a enfin consenti à la société DML Constructions un second prêt d'investissement d'un montant de 17 132 euros, remboursable en trente-six mensualités de 503,52 euros incluant les intérêts au taux conventionnel de 3,70 % l'an.
Selon acte sous seing-privé du 14 janvier 2014, M. G...-A... E... s'est rendu caution solidaire, avec le consentement exprès de son épouse, Mme F... C..., de l'ensemble des engagements souscrits par la société DLM Constructions envers la Société générale, dans la limite de 78 000 euros incluant le principal, les intérêts et autres accessoires, et ce pour une durée de dix ans.
La société DML Constructions a été placée en liquidation judiciaire par un jugement du tribunal de commerce de Blois en date du 17 juillet 2015, publié le 31 juillet suivant au Bodacc.
Par courrier recommandé en date du 17 septembre suivant, la Société générale a déclaré entre les mains du mandataire à la liquidation judiciaire de la société DML Constructions, à titre chirographaire, une créance d'un montant de 2 760,51 euros au titre du solde du compte à vue de ladite société, une créance d'un montant de 3 418,47 euros au titre du crédit souscrit le 17 mai 2013 et une créance de 11 587,38 euros au titre du crédit souscrit le 4 décembre 2013.
Par courrier en date du 12 mai 2016 adressé sous pli recommandé réceptionné le 14 mai 2016, la Société générale a mis en demeure M. E... de lui régler les sommes dues par la société DML Constructions en exécution de son engagement de caution.
La Société générale a réitéré sa mise en demeure par courrier recommandé du 29 septembre 2017 réceptionné le 3 octobre suivant, puis a fait assigner M. E... en paiement devant le tribunal de grande instance de Blois par acte du 18 janvier 2018
Par jugement contradictoire du 6 février 2020, le tribunal judiciaire de Blois a :
- débouté la Société générale de sa demande en paiement
- condamné la Société générale à payer à M. E... la somme de 1 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile
- condamné la Société générale aux entiers dépens.
Pour statuer comme il l'a fait, le premier juge a retenu qu'en application des dispositions combinées des articles 2290 du code civil et L. 643-1 du code de commerce, la déchéance du terme résultant de la liquidation judiciaire du débiteur principal n'a d'effet qu'à l'égard de celui-ci et, sauf clause contraire, est sans incidence sur la situation de la caution poursuivie en paiement.
Relevant ensuite, d'une part que le contrat de cautionnement en vertu duquel la Société générale agit ne comporte aucune clause prévoyant que la déchéance du terme à l'égard du débiteur principal produit déchéance du terme à l'égard de la caution ; d'autre part que la Société générale ne justifie pas avoir prononcé la déchéance du terme de ses concours à l'égard de M. E..., il en a déduit que l'établissement bancaire devait être débouté de toutes ses prétentions.
La Société générale a relevé appel de cette décision par déclaration du 25 juin 2020, en critiquant expressément tous les chefs du jugement en cause.
Dans ses dernières conclusions notifiées le 1er décembre 2020, signifiées le 3 décembre suivant à M. E..., la Société générale et le Fonds commun de titrisation Castanéa, intervenant volontairement comme venant aux droits de la Société générale en vertu d'un bordereau de cession de créances du 3 août 2020, demandent à la cour, au visa des articles 1134 devenu 1103 du code civil et 2298 du même code, de :
- infirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de blois en date du 6 février 2020 en ce qu'il a :
> débouté la Société générale de sa demande en paiement formée à l'encontre de M. E... en sa qualité de caution personnelle de la société DML Constructions
> condamné la Société générale à payer à M. E... la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile
> condamné la Société générale aux entiers dépens
- dire et juger le fonds commun de titrisation Castanea ayant pour société de gestion la société Equitis gestion et représenté par la société MCS et associes agissant en qualité de recouvreur recevable et bien fondé en son action et ses demandes
- débouter M. E... de toutes ses demandes, fins et conclusions
En conséquence,
- condamner M. E... à payer les sommes suivantes au fonds commun de titrisation Castanea ayant pour société de gestion la société Equitis gestion et représenté par la société MCS et associes agissant en qualité de recouvreur :
> 2 820,38 euros au titre du compte de trésorerie, avec intérêts à compter du 13 octobre 2017 et jusqu'à complet paiement
> 13 553,79 euros au titre du prêt de 5 400 euros avec intérêts de 7,70 % à compter du 13 octobre 2017 et jusqu'à complet paiement.
> 4 070,64 euros au titre du prêt de 17 132 euros avec intérêts de 8,70% à compter du 13 octobre 2017 et jusqu'à complet paiement
- ordonner la capitalisation des intérêts par année entière
- condamner M. E... à payer au fonds commun de titrisation Castanea ayant pour société de gestion la société Equitis gestion et représenté par la société MCS et associes agissant en qualité de recouvreur en application de l'article 700 du code de procédure civile :
> la somme de 2 000 euros au titre des frais engagés en première instance
> la somme de 2 000 euros au titre des frais engagés en appel
- condamner M. E... aux dépens de première instance et d'appel lesquels seront recouvrés par la SCP Referens conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile
Au soutien de ses prétentions, le fonds de titrisation Castanéa fait valoir, d'une part que la Société générale n'avait pas à informer la caution des conséquences d'un défaut de paiement alors que la déchéance du terme est intervenue de droit, en application des dispositions de l'article L. 643-1 du code de commerce, par l'effet de la liquidation judiciaire de la débitrice principale ; d'autre part que le contrat de cautionnement prévoit en son article IV intitulé « mise en jeu de la caution » que « en cas de défaillance du cautionné pour quelque cause que ce soit, la caution sera tenue de payer à la banque ce que lui doit le cautionné, "y compris les sommes devenues exigibles par anticipation" ». Elle en déduit que M. E... est débiteur à son égard, en sa qualité de caution, de toutes les sommes devenues exigibles par l'effet de la liquidation judiciaire de la société DML Constructions.
L'instruction a été clôturée par ordonnance du 30 septembre 2021, pour l'affaire être plaidée le 18 novembre 2021 et mise en délibéré à ce jour, sans que M. E..., assigné en les formes de l'article 659 du code de procédure civile, ait constitué avocat.
SUR CE, LA COUR :
Il résulte de l'article 472 du code de procédure civile que si, en appel, l'intimé ne conclut pas, il est néanmoins statué sur le fond, et que la cour ne fait droit aux prétentions de l'appelant que dans la mesure où elle les estime régulières, recevables et bien fondées, étant précisé que la cour doit statuer sur les prétentions de première instance de l'intimé lorsque celles-ci ont été accueilles par le premier juge, puisqu'elle en est saisie par l'effet dévolutif de l'appel.
Sur la demande principale en paiement
Selon l'article L. 643-1 du code de commerce, le jugement qui ouvre ou prononce la liquidation judiciaire rend exigibles les créances non échues.
La déchéance du terme convenu résultant du jugement qui ouvre ou prononce la liquidation judiciaire du débiteur principal n'a cependant d'effet qu'à l'égard de ce dernier, et ne peut être étendue à la caution, sauf clause contraire (v. par ex. Com. 8 mars 1994, n° 92-11.854).
En l'espèce, la liquidation judiciaire de la société DML Constructions, prononcée le 17 juillet 2015, a rendu exigibles les créances de la Société générale du fait de la clôture du compte courant de la débitrice principale et de la déchéance du terme des deux prêts.
Le contrat de cautionnement conclu le 14 janvier 2014 entre les parties contient à son article 4 intitulé « mise en jeu de la caution » la stipulation suivante : « en cas de défaillance du cautionné pour quelque cause que ce soit, la caution sera tenue de payer à la banque ce que lui doit le cautionné, y compris les sommes devenues exigibles par anticipation ».
En application de cette clause par laquelle la caution s'est engagée à régler les sommes devenues exigibles par anticipation, étant observé qu'à la date à laquelle M. E... a été assigné (18 janvier 2018), les deux prêts étaient en outre arrivés à leur terme contractuel, et que le solde débiteur du compte courant était devenu exigible de la caution dès le 17 juillet 2015, date à laquelle ce compte avait été clôturé par l'effet de la liquidation judiciaire (v. par ex. Com. 13 décembre 2016, n° 14-16.037), il ne peut être retenu que la créance de la Société générale ne serait pas exigible à l'égard de M. E....
Selon l'article 2288 du code civil, celui qui se rend caution d'une obligation, se soumet envers le créancier à satisfaire à cette obligation, si le débiteur n'y satisfait pas lui-même.
Chacun des deux contrats de prêts dits « d'investissement » comporte en ses articles 14 et 15 une clause selon laquelle le solde dû en cas de résiliation anticipée porte de plein droit intérêts au taux conventionnel majoré de 4 % l'an.
Au vu des pièces produites, notamment les conventions de crédit en compte courant et les contrats de prêts, la déclaration de créance de la Société générale au passif de la liquidation judiciaire de la société DML Constructions et les décomptes arrêtés au 13 octobre 2017, M. E... sera condamné, par infirmation du jugement entrepris, à payer au fonds commun de titrisation Castanéa, qui justifie venir aux droits de la Société générale, les sommes suivantes :
- 2 820,38 euros au titre du solde du compte courant, avec intérêts au taux légal à compter du 14 octobre 2017 sur la somme de 2 756,20 euros
- 4 070,64 euros au titre du prêt du 17 mai 2013, avec intérêts au taux conventionnel majoré de 8,70 % l'an sur la somme de 3 340,82 euros à compter du 14 octobre 2017
- 13 553,79 euros au titre du prêt du 4 décembre 2013, avec intérêts au taux conventionnel majoré de 7,70 % l'an sur la somme de 11 381,34 euros à compter du 14 octobre 2017
En application de l'article 1154 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, la capitalisation des intérêts est de droit à compter de la demande qui en est faite.
En l'espèce, la capitalisation annuelle des intérêts a été sollicitée par la Société générale dès son assignation signifiée le 18 janvier 2018 devant le premier juge.
Les intérêts dus pour au moins une année entière sur les condamnations pécuniaires prononcées contre M. E... à l'égard du fonds de titrisation Castanéa produiront donc eux-mêmes intérêts à compter du 18 janvier 2018.
Sur les demandes accessoires
M. E..., qui succombe au sens de l'article 696 du code de procédure civile, devra supporter les dépens de première instance et d'appel et sera débouté de sa demande fondée sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Sur ce dernier fondement, M. E... sera condamné à régler au fonds commun de titrisation Castanéa, à qui il serait inéquitable de laisser la charge de la totalité de ses frais irrépétibles, une indemnité de procédure 1 500 euros.
PAR CES MOTIFS
INFIRME la décision entreprise en toutes ses dispositions critiquées,
STATUANT À NOUVEAU sur les chefs infirmés et y ajoutant :
CONDAMNE M. A... E... à payer au fonds commun de titrisation Castanéa, venant aux droits de la SA Société générale :
- la somme de 2 820,38 euros au titre du solde du compte courant, avec intérêts au taux légal à compter du 14 octobre 2017 sur la somme de 2 756,20 euros
- la somme de 4 070,64 euros au titre du prêt du 17 mai 2013, avec intérêts au taux conventionnel majoré de 8,70 % l'an sur la somme de 3 340,82 euros à compter du 14 octobre 2017
- la somme de 13 553,79 euros au titre du prêt du 4 décembre 2013, avec intérêts au taux conventionnel majoré de 7,70 % l'an sur la somme de 11 381,34 euros à compter du 14 octobre 2017
ORDONNE la capitalisation annuelle des intérêts selon les modalités de l'article 1154 ancien du code civil à compter du 18 janvier 2018,
CONDAMNE M. A... E... à payer au fonds commun de titrisation Castanéa venant aux droits de la SA Société générale la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
REJETTE la demande de M. E... formée sur le même fondement,
CONDAMNE M. A... E... aux dépens première instance et d'appel,
ACCORDE à la SCP Référens le bénéfice des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile pour les dépens de l'instance d'appel.