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Décisions

CA Agen, ch. civ., 3 avril 2007, n° 06/00332

AGEN

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Défendeur :

Airship Management Services Europe (SARL), Yalta (SCI)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Imbert

Avoué :

SCP Narran

Avocats :

Me Monod, Me Despres

TI Lectoure, du 21 juill. 2005

21 juillet 2005

FAITS ET PROCÉDURE

Le 1er novembre 2002 la SCI YALTA dont les associés sont Pierre P. et Catherine P. a donné à bail à la SARL AIRSHIP MANAGEMENT SERVICES EUROPE (AMSE) représentée par son gérant Pierre P. les locaux à usage de dépôt dont elle est propriétaire ... pour une durée de vingt-trois mois expirant le 30 septembre 2004 moyennant le versement d'un loyer mensuel de 1 000 € payable trimestriellement et d'avance. La SARL AMSE y a notamment entreposé les éléments d'un dirigeable qu'elle avait acquis en Allemagne quelques mois auparavant.

Constatant la défaillance du preneur à partir du mois de février 2003, et après l'avoir mis en demeure de remplir son obligation puis lui avoir fait délivrer un commandement visant la clause résolutoire le 12 octobre 2004, la SCI YALTA a saisi le Tribunal d'Instance de LECTOURE, lequel par jugement du 21 juillet 2005 a joint l'instance à celle d'appel en cause de Pierre P., dit n'y avoir lieu à surseoir à statuer, condamné la SARL AMSE à payer à la SCI YALTA les sommes de 17 000 € au titre des loyers impayés et de 1 922 € au titre des taxes d'habitation, a condamné Pierre P. à relever et garantir cette dernière de toute condamnation, a condamné la SCI

YALTA à payer à la SARL AMSE la somme de 2 000 € au titre du dépôt de garantie et déclaré celle-ci irrecevable en sa demande de remboursement de la somme de 5 826.94 €.

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Pierre P. a relevé appel de cette décision dans des formes et des délais qui n'apparaissent pas critiquables.

Il conteste devoir garantir la SARL AMSE des condamnations prononcées à l'encontre de cette dernière au motif que le bail ne peut s'analyser en une convention réglementée au sens de l'article L 223-19 du Code de commerce que la société n'aurait pas approuvé, alors qu'il s'agit en réalité d'une opération courante au sens de l'article L 223-20 du même Code.

En tout état de cause il n'était que l'exécutant de l'associé majoritaire parfaitement informé de la situation qui l'avait chargé de rechercher un hangar sécurisé et qui a de fait donner son accord sans juger utile de convoquer une assemblée générale des associés. D'ailleurs la SARL AMSE a payé les loyers en qualité de locataire sans objection jusqu'au mois d'avril 2003 et continue d'occuper les locaux.

Soutenant que celle-ci n'a en conséquence subi aucun préjudice et qu'elle lui a d'ailleurs donné quitus de sa gestion au 31 décembre 2003, il poursuit l'infirmation de ce chef de la décision déférée et sollicite la condamnation de la SARL AMSE à lui payer la somme de 4 000 € au titre des frais irrépétibles exposés devant la Cour.

* * *

La SCI YALTA avance également que les associés Alain B. et Jean-Claude A., ce dernier gérant de la SARL AMSE depuis le 1er janvier 2003, avaient une parfaite connaissance de la convention qu'ils ont de fait approuvé.

Elle soutient de même que le preneur occupe toujours les lieux ainsi qu'en atteste un constat du 17 octobre 2006 et ce sans droit ni titre, ce qui la conduit à conclure d'abord à la confirmation de la condamnation prononcée en sa faveur, ensuite à la résolution du bail pour défaut de paiement des loyers et de justification de la souscription d'une assurance locative, enfin à la condamnation de la SARL AMSE à lui payer la somme de 17 000 € correspondant aux loyers échus entre les mois de mai 2003 et de septembre 2004, une indemnité mensuelle d'occupation qu'il convient de fixer à 1 000 € à compter du 30 septembre 2004 et jusqu'à la libération effective des lieux, la somme provisionnelle de 27 000 € , celle de 4 000 € au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, de même que d'ordonner son expulsion passé le délai de huit jours suivant la signification de la décision sous astreinte de 150 € par jour de retard.

* * *

La SARL AIRSHIP MANAGEMENT SERVICES EUROPE expose que l'assemblée des associés du 26 juin 2003 n'a pas donné quitus de sa gestion à Pierre P. ni approuvé la location de l'entrepôt en exécution de l'article L 223-19 du Code de commerce qui ne saurait constituer une convention courante au regard de son activité habituelle.

Elle en invoque d'ailleurs la nullité pour absence de cause pour cette raison que le bailleur n'a acquis les locaux que le 14 décembre 2002 et pour fraude dès lors que Pierre P. savait qu'il démissionnerait trois jours plus tard.

Invoquant l'absence d'accord par les autres associés à la conclusion du bail et ajoutant que le second loyer trimestriel n'a été versée le 5 février 2003 que sous la contrainte, elle souligne qu'elle a quitté

les lieux le 12 mars 2003 en sorte qu'aucune indemnité ne saurait être due. Pierre P. doit être en conséquence tenu de la garantir des conséquences d'une opération préjudiciable à raison de la poursuite d'un bail ne prévoyant pas une faculté de rupture anticipée et mettant les gros travaux à la charge du preneur.

Elle poursuit donc à titre principal l'infirmation de la décision entreprise qui l'a condamnée à payer à la SCI YALTA les loyers et les taxes et en conséquence de la nullité le remboursement des loyers pour 6 000 € et sollicite subsidiairement la confirmation du chef de la décision ayant condamné Pierre P. à la garantir comme la condamnation à la restitution du dépôt de garantie, outre celle in solidum de la SCI YALTA et de Pierre P. à lui payer la somme de 5 000 € au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

MOTIFS

- sur la nature de la convention d'occupation

Attendu en premier lieu que l'acte en date du 1er novembre 2002 intitulé convention d’occupation précaire (bail de dérogation)' aux termes duquel la SCI YALTA a consenti à la SARL AMSE représentée par son gérant Pierre P. une convention d'occupation précaire avec effet immédiat, portant sur les locaux sis ..., désignés comme un atelier et un entrepôt industriel, est expressément conclu en application de l’article 3-2 du décret n° 53-960 du 30 septembre 1953" devenu L. 145-5 du Code de commerce ; et que sont effectivement réunies au cas précis les conditions d'un bail entrant dans ce cadre juridique le faisant échapper au statut des baux commerciaux dès lors à la fois que les parties ont entendu placer la convention sous l'empire de ce texte pour une durée inférieure à deux années et que la conclusion du bail et l'entrée dans les lieux du preneur sont intervenues de manière concomitante ;

Attendu que la circonstance que la SCI YALTA immatriculée le 22 octobre 2001 n'ait été propriétaire des locaux qu'à compter du 14 décembre 2002 n'est pas de nature à entraîner la nullité de cette convention, comme le prétend désormais et sans la moindre démonstration la SARL AMSE, ni pour absence de cause dès lors que dans ce contrat par nature synallagmatique le bailleur en dépit de la circonstance relevée a immédiatement rempli son obligation de délivrance, ni pour fraude pour cette seule raison, d'ailleurs inopérante au regard des éléments requis pour caractériser cette notion, que Pierre P. aurait su le 14 décembre 2002 qu'il donnerait sa démission de ses fonctions de gérant lors de l'assemblée générale des associés de la SARL AMSE tenue le 17 décembre suivant ; que le moyen soulevé pour la première fois en cause d'appel qui manque en fait et en droit sera en conséquence rejeté ;

Attendu, la convention ayant dès lors été valablement conclue entre les parties, qu'elle devait s'exécuter jusqu'à son terme en l'absence de disposition permettant sa résiliation anticipée pour cesser sans formalité, dès lors en particulier que le bailleur n'était aucunement tenu en application des dispositions de l'article 1737 du Code civil de notifier un congé ;

Qu'il s'ensuit cette conséquence pour le preneur qu'il est tenu du paiement des loyers et des charges convenues jusqu'au terme du contrat ;

Attendu en second lieu que la SCI YALTA ne saurait sérieusement faire la démonstration que le preneur se serait maintenu dans les lieux, au-delà du terme et jusqu'à ce jour, en invoquant la présence dans les locaux loués de remorques appartenant à celui-ci au double prétexte qu'un premier constat établi le 25 juillet 2003 mentionne la présence 'd'un porte-voiture double essieu, d'une remorque à plateau sur lequel est stocké (sic) des rouleaux de moquette, d'une remorque grise fermée à double essieu sur laquelle figure l'inscription Commerzbank, Luftshiff-Tour 2001", et qu'un second constat du 17 octobre 2006 qui ne relève plus que la présence des deux dernières apporte cette précision qu'elles sont respectivement immatriculées MOL 04657 et B 04736, sans toutefois que les photographies produites (pièces 20), non tirées de l'un de ces constats, ne fassent suffisamment la preuve de cette présence en ce lieu et à une date qui resterait encore à préciser ;

Que rien ne permet en effet de considérer avec une certitude suffisante que l'une ou l'autre de ces remorques serait la propriété de la SARL AMSE, au demeurant immatriculée B-AM 915, alors même que les pièces échangées accréditent l'existence de plusieurs remorques dont l'une ou plusieurs non davantage identifiées sont la propriété de Pierre P. ainsi que l'atteste d'abord Claude T. le 9 janvier 2004 lorsqu'il indique que celui-ci mettait fréquemment à disposition de l'entreprise ses véhicules personnels notamment une remorque plateau-voiture qu'il a achetée en Allemagne...', que le démontre ensuite l'assignation délivrée par le même devant le juge des référés le 3 décembre 2003 afin de récupérer une remorque et que le mentionne enfin le constat du 5 février 2003 lorsqu'il relève que Jean-Claude A. demande à Pierre P. de retirer son camion et deux remorques immatriculées MOL 439 U et 5858 LM 32, le tout alors qu'il est encore fait état des difficultés rencontrées pour procéder au changement d'immatriculation d'une remorque que l'ensemble de ces éléments serait bien en peine de parvenir à identifier ; que la preuve d'une occupation des lieux par le preneur postérieurement au terme de la convention et spécialement à la date du 17 octobre 2006 n'est dès lors pas rapportée ;

Que l'on conçoit mal d'ailleurs l'intérêt qui serait celui de la SARL AMSE de continuer d'occuper un local en vertu d'un bail qu'elle s'est refusée à accepter et qu'elle soutient avoir définitivement libéré le 12 mars 2003, époque à partir de laquelle elle a cessé d' acquitter le loyer ; qu'elle a clairement manifesté cette intention dès le mois de février, ainsi que le relève le bailleur lors de sa première réclamation le 10 février 2003 qui consent à ne pas s'opposer à ce départ dès l'instant que le montant du bail soit 16 000 € sera soldé ; et qu'elle a tout aussi clairement eu recours à un huissier le 5 février 2003 pour pénétrer dans les lieux afin de récupérer du matériel lui appartenant, avant d'acquérir une remorque le 17 février 2003, et de louer une grue le 19 février suivant, l'ensemble lui permettant de transporter à destination de la région parisienne la nacelle du dirigeable entreposée dans le local, ainsi que le confirment les factures produites et le témoignage apporté par Claude T. dans son attestation du 1er février 2004 ; qu'il est permis d'en déduire que ce local ne présentait dès lors pour elle plus aucune utilité ;

Et que si nul ne conteste au cas précis qu'après avoir en exécution des articles 6° et 7° du bail versé le premier loyer payable trimestriellement et d'avance et le dépôt de garantie exigibles l'un et l'autre le 1er novembre 2002, la SARL AMSE, désormais représentée par son nouveau gérant, n'a effectué aucun autre paiement hormis celui exigible le 1er février 2003, réglé en présence de Maître SERRA le 5 février 2003 pour les raisons exposées plus haut ;

Qu'au résultat de ce qui précède c'est à bon droit que le premier juge a considéré que la convention avait cessé avec la survenance du terme contractuellement prévu et a exactement tiré les conséquences de sa décision en condamnant d'une part le preneur au paiement des loyers et des taxes d'habitation dus jusqu'à cette date et d'autre part le bailleur à restituer le dépôt de garantie versé lors de l'entrée en jouissance ;

- sur les conséquences d'une convention conclue entre la société et son gérant

Attendu que ne saurait être considérée comme une opération courante la signature d'un bail dérogatoire engageant la société pour une durée de vingt-trois mois sans possibilité de donner un congé anticipé dès lors qu'une telle convention n'entre pas dans l'activité habituelle de la société telle que celle-ci relève de son objet social ; que l'opération litigieuse ne peut en conséquence être exclue au visa de l'article L 223-20 du Code ce commerce des dispositions réglementées par l'article L. 223-19 du même code ;

Et que nul ne conteste qu'alors qu'il était gérant de la SARL AMSE, Pierre P. n'a pas présenté à l'assemblée, ni communiqué aux associés, un rapport sur la convention intervenue entre la SCI YALTA dont il était le co-gérant et la société qu'il représentait alors, ni qu'à l'occasion de l'assemblée générale ordinaire du 26 juin 2003 lors de laquelle ce rapport a été fait, celle-ci a refusé d'approuver les conventions visées à l'article L 223-19 du Code de commerce comme d'ailleurs de lui donner quitus de sa gestion au 31 décembre 2003 ;

Attendu que s'il découle des courriers électroniques échangés à partir de la fin de l'année 2000 entre les associés Alain B. et Pierre P. que celui-ci se préoccupait de rechercher un site pour y baser le dirigeable, rien ne permet de retenir qu'un accord se soit effectivement dégagé en faveur de la solution qu'il a ensuite adoptée dès lors que le 20 décembre 2002 Alain B. lui faisait part de l'existence de locaux à Gonesse et de l'objectif consistant à faire voler le dirigeable dans la région parisienne le 1er avril suivant ; que l'attestation de Claude T. selon laquelle il avait été convenu que l’appareil démonté serait finalement stocké ...à Fleurance' est rédigée en des termes trop vagues pour établir un tel accord ; et que le courrier adressé par le nouveau gérant, Jean-Claude A. le 7 janvier 2003, qui dans le droit fil de l'information connue de tous depuis le 20 décembre précédent envisage le transfert du dirigeable à Gonesse, ne peut évidemment valoir approbation du choix de la solution adoptée par son prédécesseur ; et que l'appelant ne justifie d'aucune situation d'urgence ayant imposé la solution dont il découle de l'ensemble qu'il l'a de fait seul prise ;

Que la régularisation de la convention par la société ne peut davantage découler de l'exécution de son obligation au paiement des loyers dus en contrepartie de l'occupation des locaux dès lors que les écritures comptables constatant le 22 novembre 2002 le paiement du premier loyer et du dépôt de garantie sont l'oeuvre de Pierre P. et que celui effectué par Jean-Claude A. le 5 février 2003 et concernant le second trimestre de location a été réalisé dans des conditions excluant le déroulement d'une relation normale entre bailleur et preneur, en présence d'un huissier et afin de reprendre possession du dirigeable et d'en organiser le transport en région parisienne dès le 19 février suivant ;

Qu'ainsi, demeurant le fait que l'irrégularité ne peut être couverte par la simple connaissance de l'existence de la convention par les associés, rien n'établit comme le soutiennent ensemble l'appelant et le bailleur que Pierre P. ait été mandaté à l'effet de passer la convention, ni qu'Alain B. et Jean-Claude A. l'aient ensuite acceptée avant qu'en revanche l'assemblée générale ordinaire du 26 juin 2004 ne refuse à la fois d'approuver ladite convention et de donner quitus au gérant pour sa gestion arrêtée au 31 décembre 2002 incluant l'opération litigieuse ;

Or attendu que les conventions non approuvées produisent leurs effets, à charge pour le gérant de supporter les conséquences du contrat préjudiciable à la société ;

Que ce préjudice consiste en l'occurrence en le paiement d'un loyer ne présentant plus aucune contrepartie utile à partir du mois de mai 2003, sans possibilité offerte au preneur de résilier un bail conclu pour une durée de vingt-trois mois, à la seule initiative de son gérant par ailleurs co-gérant de la société bailleresse ; que le premier juge l'a exactement chiffré à la somme des loyers impayés par la société et que celle-ci devait supporter ;

Qu'il convient au résultat de l'ensemble de confirmer la décision déférée en toutes ses dispositions, de condamner l'appelant qui succombe aux dépens ainsi qu'au paiement de la somme de 1 200 € au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile à la société AMSE sans qu'une même condamnation n'apparaisse justifié en équité au profit de la SCI YALTA.

PAR CES MOTIFS

LA COUR

Statuant en audience publique, par arrêt contradictoire et en dernier ressort, après en avoir délibéré conformément à la loi,

Déclare l'appel recevable en la forme,

Confirme la décision déférée,

Y ajoutant,

Condamne Pierre P. à payer à la SARL AIRSHIP MANAGEMENT SERVICES EUROPE la somme de 1 200 € sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,

Rejette toute autre demande et dit inutiles ou mal fondées celles plus amples ou contraires formés par les parties,

Condamne Pierre P. aux dépens,

Autorise, conformément aux dispositions de l'article 699 du Nouveau Code de Procédure civile, les SCP NARRAN et VIMONT, avoués, à recouvrer directement contre la partie condamnée, ceux des dépens dont elles ont fait l'avance sans avoir reçu provision.