CSA, 15 janvier 2008
CONSEIL SUPÉRIEUR DE L'AUDIOVISUEL (DEVENU L'ARCOM)
Avis
au Conseil de la concurrence portant sur la demande de mesures conservatoires de l’AFORST concernant les pratiques mises en œuvre par les sociétés France Télécom et France Télévisions
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Boyon
Vu la directive 89/552 CEE du Conseil visant à la coordination de certaines dispositions législatives, réglementaires et administratives des Etats membres relatives à l’exercice d’activités de radiodiffusion télévisuelle, modifiée par la directive 2007/65/CE du Parlement européen et du Conseil du 11 décembre 2007 ;
Vu la loi n°86-1067 du 30 septembre 1986 modifiée relative à la liberté de communication ;
Vu la loi n°2004-575 du 21 juin 2004 pour la confi ance dans l’économie numérique ;
Vu la loi n°2004-669 du 9 juillet 2004 relative au x communications électroniques et aux services de communication audiovisuelle ;
Vu le code de commerce, notamment les articles L. 420-1, L. 420-2, L. 420-4, L. 464-1 et R. 463-9 ;
Vu le code des postes et communications électroniques, notamment les articles L. 32 15°et L. 33-1 ;
Vu le décret n°93-535 du 27 mars 1993 modifié et c omplété, portant approbation du cahier des missions et des charges de la société nationale de programme Réseau France Outre-Mer ;
Vu le décret n°94-813 du 16 septembre 1994 modifié et complété, portant approbation des cahiers des missions et des charges des sociétés France 2 et France 3, notamment les annexes 1 et 2 ;
Vu le décret n°95-71 du 20 janvier 1995 modifié et complété, portant approbation du cahier des missions et des charges de France 5, notamment son annexe ;
Vu le décret n°2005-286 du 29 mars 2005 modifié, p ortant approbation du cahier des missions et des charges de la société France 4, notamment son annexe ;
Vu le contrat d'objectifs et de moyens 2007/2010, conclu le 27 avril 2007 entre France Télévisions et le Ministère de la culture et de la communication et le Ministère de l'économie et des finances ;
Vu la lettre C2006/02 du Ministre de l’économie, des finances et de l’industrie du 30 août 2006 aux conseils de la société Vivendi Universal, relative à une concentration dans le secteur de la télévision payante ;
Vu l’avis n°06-A-13 adopté par le Conseil de la co ncurrence le 13 juillet 2006 relatif à l’acquisition des sociétés TPS et CanalSatellite par Vivendi Universal et Groupe Canal+ ;
Vu l’avis adopté par le Conseil supérieur de l’audiovisuel le 23 mai 2006, à la demande du Conseil de la concurrence, sur le fondement des dispositions de l’article 41-4 de la loi n°86-1067 du 30 septembre 1986 rela tive à la liberté de communication ;
Vu le courrier du rapporteur général adjoint du Conseil de la concurrence au Conseil supérieur de l’audiovisuel en date du 21 novembre 2007 sollicitant les observations du Conseil supérieur de l’audiovisuel ;
Après en avoir délibéré le 15 janvier 2008, Emet l’avis suivant :
Les faits rapportés au Conseil supérieur de l’audiovisuel, dans le cadre de la demande d’avis du Conseil de la concurrence, portent sur l’accord conclu entre les sociétés France Télécom et France Télévisions aux termes duquel, sous la forme d’un service de « télévision de rattrapage », certains programmes des chaînes publiques seront distribués en exclusivité par l’opérateur auprès des abonnés au service télévisuel de ses offres « multiple play » et mobiles.
Le litige ne porte pas sur les modalités de la distribution en mode linéaire de programmes des chaînes publiques1 mais sur la distribution en mode non linéaire, c’est-à-dire à la demande de l’utilisateur, d’une partie des programmes déjà diffusés par France Télévisions.
L’Association française des opérateurs de réseaux et de services de télécommunications (AFORST), qui regroupe des opérateurs fixes concurrents de la société France Télécom, dénonce le caractère anticoncurrentiel de l’accord d’exclusivité dans la mesure où sa mise en œuvre les priverait de la possibilité de composer à leur tour une offre de contenus attractifs et contribuerait à renforcer la puissance de marché de l’opérateur historique sur le marché de détail du haut débit.
Le présent avis pourra éventuellement être complété ultérieurement par le Conseil dans le cadre de l’examen au fond de la saisine par le Conseil de la concurrence.
1 - Présentation des acteurs
1.1. France Télévisions
Le secteur public de la télévision en France est constitué des chaînes ARTE France2, La Chaîne parlementaire3, et des chaînes éditées par les sociétés de la holding France Télévisions SA.
France Télévisions SA regroupe plusieurs sociétés : France 2, France 3, France 4, France 5 et Réseau France Outre-mer (ci-après « RFO »). Les quatre premières exercent leur activité en France métropolitaine. La dernière recouvre le réseau des différentes chaînes qui diffusent outre-mer et la chaîne France Ô.
La société holding
Conformément à l’article 44 I de la loi du 30 septembre 1986, la société France Télévisions est « chargée de définir les orientations stratégiques, de coordonner et de promouvoir les politiques de programmes et l'offre de services, de conduire les actions de développement en veillant à intégrer les nouvelles techniques de diffusion et de production (…) ».
La société France Télévisions, qui détient la totalité du capital des sociétés France 2, France 3, France 5 et RFO et 89% du capital de la société France 44, a généré un chiffre d’affaires de près de 2,9 milliards d’euros en 2006 qui se répartit comme suit :
- Redevance : 1 834 M€ ;
- Publicité et parrainage : 834 M€ ;
- Autre : 185 M€.
France Télévisions Distribution (FTD)
Créée en 1991 sous la forme juridique d’une société anonyme, France Télévisions Distribution est une filiale de la holding France Télévisions. Sa mission est double :
- d’une part, elle commercialise les programmes du groupe France Télévisions ou de tout autre programme de télévision ou de cinéma dont un producteur lui a confié le mandat ;
- d’autre part, elle édite ces différents programmes sur tous types de supports et organise l’exploitation des droits dérivés.
Dans le cadre du présent avis, FTD intéresse le Conseil dans la mesure où elle intervient sur le marché amont de l’acquisition des droits d’exploitation pour la télévision de rattrapage et pour la vidéo à la demande (VàD).
France Télévisions interactive (FTVi)
La société France Télévisions Interactive (FTVi) assure la coordination et le développement des activités du groupe en matière de programmes et de services interactifs.
FTVi gère la production et l’édition des sites Internet des chaînes, leurs offres accessibles sur Internet mobile et en télévision interactive, leurs services télétexte, audiotel et SMS et leurs projets de télévision sur ADSL et de télévision sur les terminaux mobiles.
La société FTVi peut être conduite à acquérir les droits de différents contenus auprès de FTD en vue de l’exploitation des programmes concernés sur Internet.
1.2. France Télécom / Orange
La société France Télécom est le principal opérateur de communications électroniques en France. L’entreprise a généré un chiffre d’affaires de 51,7 milliards d’euros en 2006, pour l’ensemble du groupe dans le monde.
Elle commercialise, sous la marque Orange, ses offres de téléphonie mobile et des offres dites « multiple play », c’est-à-dire combinant un service d’accès Internet haut débit, de téléphonie illimitée et de télévision sur ADSL et éventuellement une offre de téléphonie mobile.
Au-delà de son rôle de distributeur de télévision payante, la société France Télécom entend se différencier de ses concurrents en mettant à disposition de ses abonnés des contenus exclusifs par :
- l’édition de services proposés en exclusivité dans ses offres télévisuelles (chaîne Orange Sport TV lancée le 6 septembre 2007) ;
- l’acquisition de contenus sportifs événementiels, proposés sur des chaînes dédiées ou en vidéo à la demande (VàD) et disponibles pour les seuls abonnés d'Orange (par exemple pour les événements sportifs suivants : Roland-Garros, les Jeux Olympiques, la Route du Rhum, le Tour de France) ;
- la constitution d'un catalogue de droits audiovisuels ;
- la création d'une filiale de production cinématographique qui pourrait coproduire une quinzaine de films par an.
Par ailleurs, la société France Télécom cherche à signer des accords cadres pour des droits VàD non exclusifs (ADSL, Mobile et Internet) avec les « majors » américaines (MGM, Paramount Pictures, 20th Century Fox), ainsi qu'avec les principales sociétés de production françaises (Pathé, Gaumont, EuropaCorp), afin d'enrichir l'offre de son service de vidéo à la demande « 24/24 Vidéo ».
La société France Télécom apparaît en conséquence comme le seul distributeur nouvel entrant sur le marché de l’audiovisuel à mettre en œuvre une politique de financement des contenus audiovisuels afin d’enrichir son offre de services.
1.3. L’AFORST (Association française des opérateurs de réseaux et de services de télécommunications)
L’association, créée le 12 juillet 2001, a vocation à défendre les intérêts des opérateurs concurrents de l’opérateur historique France Télécom.
A ce titre, elle regroupe les sociétés suivantes : Altitude Telecom, B3G Telecom, Bouygues Telecom, BT, Colt Télécommunication France, Completel, Hub Télécom, Ipnotic Telecom, Neuf Cegetel, Prosodie, SFR, Société Réunionnaise du Radiotéléphone (SRR), Telecom Italia, Verizon France.
2 - Description des services de télévision de rattrapage en France et à l’étranger
2.1. Le projet de service « Rewind TV » :
L’accord conclu entre les sociétés France Télécom et France Télévisions aux termes duquel, sous la forme d’un service de « télévision de rattrapage », certains programmes des chaînes publiques seront distribués en exclusivité par l’opérateur auprès des abonnés au service télévisuel de ses offres « multiple play » et mobiles.
Les programmes concernés pourront donc être accessibles dès le lendemain de leur diffusion et pour une durée devant s’établir à 7 jours pour les programmes de flux et entre 7 et 30 jours pour les programmes de stock.
Le lancement de l’offre est prévu au cours du premier trimestre 2008.
Le service sera disponible auprès de tout abonné à une offre de télévision de France Télécom, qui pourra procéder à un nombre illimité de visionnages sans possibilité de télécharger définitivement le programme. Le service est d’abord destiné aux abonnés à la télévision par ADSL même s’il pourra être aussi disponible sur mobiles.
Selon l’accord conclu entre les sociétés France Télévisions et France Télécom, l’offre « Rewind TV » sera disponible sur les supports suivants :
- sur ordinateur, simultanément sur les sites Internet de France Télévisions et de ses chaînes (notamment francetvod.fr, france2.fr, france3.fr) et sur le site Internet d’Orange5. La diffusion sur ce support n’est donc pas exclusive. Les programmes seront disponibles à titre payant ;
- sur téléviseur, en exclusivité pour les abonnés aux offres ADSL de la société France Télécom, sans surcoût pour l’abonné. La diffusion de ces programmes pourrait être accompagnée par de la publicité. France Télécom dispose d’une liberté éditoriale importante sur l’organisation des contenus mis à la disposition de ses abonnés ;
- sur récepteur mobile, en exclusivité dans l’offre 3G d’Orange.
Dans le cadre de l’accord entre les sociétés France Télévisions et France Télécom, les ayants droit perçoivent une rémunération forfaitaire en contrepartie des droits de télévision de rattrapage. Ce forfait est négocié par FTD qui dispose d’un montant global fixé par la société France Télécom. En plus de ce montant, le contrat entre France Télévisions et France Télécom prévoit le versement d’un forfait par mois et par abonné d’Orange ayant accès à l’offre télévisuelle, qui rémunère le caractère exclusif des droits négociés pour France Télécom par France Télévisions.
En pratique, FTD négocie avec les producteurs l’équivalent d’un contrat de distribution pour les droits exclusifs de télévision de rattrapage, assortis ou non des droits VàD, en non exclusif. Au moment de la négociation entre le producteur et FTD, cette dernière se rapproche de la société France Télécom afin que celle-ci lui confirme son intérêt pour le programme avant toute signature du contrat.
Selon les responsables de France Télévisions et les représentants des syndicats de producteurs, ces derniers ont toute latitude pour refuser de vendre leurs droits à FTD. Les forfaits versés aux producteurs pour la seule télévision de rattrapage oscilleraient entre 500 € et 2 000 € selon la durée et la notoriété du programme, pour un nombre de diffusions illimité et une période d’exclusivité variant selon le type de programmes entre 7 jours (programmes de flux) et 7 à 30 jours (programmes de stock).
Une fois les droits acquis par FTD, cette dernière les cède à la société France Télécom qui s’engage à acquitter le montant du forfait négocié avec le producteur auquel s’ajoute une commission particulière pour FTD rémunérant son rôle d’intermédiaire.
La société FTD peut alors céder les droits de télévision de rattrapage à sa filiale FTvI (France Télévisions Interactive) qui édite les services VàD de toutes les chaînes de France Télévisions.
La conclusion d’un accord d’exclusivité semble constituer une pratique nouvelle pour la société France Télévisions. Les derniers exemples de rétrocession de droits effectués par elle ont en effet donné lieu à des procédures d’appel d’offres (Jeux olympiques de Turin 2006, Tour de France 2007 en haute définition), pour l’acquisition de droits non exclusifs. La société France Télévisions affirme que cela ne lui a pas permis d’exploiter au mieux ses droits.
2.2. Services comparables de télévision de rattrapage en France
L’offre actuelle de programmes des chaînes hertziennes gratuites disponibles en télévision de rattrapage apparaît limitée.
Deux chaînes du secteur public proposent des services de télévision de rattrapage, disponibles uniquement sur Internet :
- Arte propose un service appelé « ARTE+7 » dont l’accès est gratuit ;
- France 5 propose un service sur le site france5.fr dont l’accès est gratuit ; les contenus mis à disposition sont essentiellement des documentaires.
Par ailleurs, la société TF1 propose sur son site tf1.fr une rubrique « vidéos » qui offre des contenus gratuits liés à des émissions diffusées sur son antenne. Le service propose des journaux télévisés, quelques émissions sportives et quelques émissions de flux. Une faible partie des programmes diffusés est disponible sur ce service et la date de diffusion du programme n’est souvent pas mentionnée.
La société M6, malgré l’annonce publique en janvier 2007 du lancement d’une offre de télévision de rattrapage de ses programmes, ne propose gratuitement sur son site que quelques magazines produits par des producteurs liés à la chaîne comme Capital, E=M6 ou encore Turbo. Ces programmes n’ont pas nécessairement été diffusés récemment sur la chaîne. La société M6 a affirmé son intention de lancer une offre de télévision de rattrapage plus complète, gratuite pour l’utilisateur car financée par de la publicité. Cette offre pourrait être accessible auprès de fournisseurs d’accès à Internet.
2.3. Le modèle économique de la télévision de rattrapage
Les offres de télévision de rattrapage proposées gratuitement aux téléspectateurs ne génèrent pas de recettes directes provenant des usagers, contrairement à la VàD payante, mais génèrent, pour le distributeur, un coût constitué principalement par la nécessaire rémunération des ayants droit6.
Ainsi, les droits de télévision de rattrapage ne sont pas intégrés aux droits de diffusion qu’acquièrent les diffuseurs et doivent donc être négociés de façon distincte, dans un contrat séparé, contre rémunération7.
Cette contrepartie financière peut prendre différentes formes :
- le partage, entre le producteur et le distributeur, des revenus publicitaires générés par la mise à disposition du programme. Cependant, ce mode de rémunération, assis sur un montant des recettes difficilement prévisible et souvent peu élevé, n’incite pas le producteur à céder ses droits. Il n’a pas été mis en œuvre à ce jour en France ;
- une rémunération forfaitaire versée au producteur par le distributeur, lequel définit les modalités de commercialisation permettant un retour sur investissement8.
L’enjeu de la télévision de rattrapage
Le développement des services non linéaires met en lumière la concurrence prévisible de la consommation des contenus sur demande et de la consommation traditionnelle liée à la diffusion simultanée.
Les chaînes de télévision, dont le modèle économique est fondé sur la publicité (marché de la télévision gratuite), y voient le risque d’une perte de revenus, au profit des plates-formes de distribution payante qui proposeront des contenus délinéarisés, indépendants de la grille des programmes et donc également des messages publicitaires.
Les grandes chaînes privées gratuites, dont les revenus publicitaires sont construits autour d’événements fédérateurs, générateurs d’audience, sont donc réticentes à l’idée de mettre à disposition leurs contenus en télévision de rattrapage. Le risque n’est pas négligeable de voir les téléspectateurs s’affranchir de la grille des programmes pour décider du moment de la consommation des contenus. Cette évolution pourrait provoquer une baisse de l’audience de la diffusion linéaire, laquelle ne serait pas compensée par des revenus supplémentaires du service en rattrapage.
Cependant, le développement d’un tel service, s’il rencontre une forte adhésion des téléspectateurs, contraindra les autres chaînes à rendre également leurs propres programmes disponibles en télévision de rattrapage, dans des conditions à définir.
2.4. Les offres de télévision de rattrapage à l’étranger
2-4-1 La situation aux Etats-Unis
La télévision de rattrapage est un service apparu aux Etats-Unis le 30 avril 2006, à l'occasion d'une expérimentation mise en place par le réseau ABC. Ce service, accessible via le site Internet d'ABC et baptisé « My ABC », a proposé durant 2 mois, en accès gratuit, les épisodes de 4 séries-phares du réseau, à partir de minuit le soir de leur diffusion.
Cette offre a enregistré 16 millions de téléchargements en 2 mois, soit environ dix fois plus que de téléchargements payants des mêmes programmes effectués via l'iTunes d'Apple sur une durée similaire.
Les études qualitatives effectuées ont démontré une forte satisfaction du public (84% des personnes interrogées se sont déclarées satisfaites de l'existence de ce service), dont le premier motif de recours à ce service était le rattrapage du cours du programme (pour 77% d'entre eux). En outre, la diffusion gratuite sur Internet ne semblait pas avoir entraîné de régression de l'audience télévisuelle du programme. Elle permettait de rassurer les annonceurs.
Le succès de cette offre a conduit CBS à mettre à son tour en place une offre similaire sur ses séries-phares. Pour sa part, ABC a lancé son service de télévision de rattrapage de façon permanente fin septembre 2006. Sur un an, 134 millions d'épisodes de séries de première partie de soirée ont été visionnés.
2-4-2 L’offre de télévision de rattrapage de la BBC
Dans la mesure où il a été lancé il y a plus d’un an et demi, en août 2006, le service de télévision de rattrapage de la BBC au Royaume-Uni peut renseigner sur l’évolution d’un service comparable en France.
Conformément à la nouvelle « BBC Royal Charter and Agreement », le projet de lancement par la BBC de nouveaux services dits de « catch-up TV » a été évalué suivant une procédure formelle de « Public Value Test » (PVT). Cette procédure se compose de deux études complémentaires : d’une part, un « Public Value Assessment » (PVA), commandé par le BBC Trust, pour s’assurer que le projet est dans l’intérêt du public britannique, et d’autre part, un « Market impact assessment » (MIA), réalisé par l’Ofcom, le régulateur britannique, pour évaluer l’impact des services proposés sur les marchés concernés. Cette étude de l’Ofcom publiée le 23 janvier 2007 est citée en référence par l’AFORST.
2.5. Sur la télévision de rattrapage par câble de la BBC
Ce service permet de rendre disponible gratuitement9 aux abonnés de ntl:Telewest (opérateur de câble numérique) et de Homechoice (opérateur de télévision sur IP) les contenus diffusés préalablement sur les chaînes de la BBC, pendant une durée de 7 jours, sous réserve d’obtention des droits.
A propos de ce service, certaines parties consultées par l’Ofcom lors du MIA avaient demandé que soit expressément prévue l’obligation pour la BBC de mettre ses contenus à disposition de tout autre fournisseur de service, si celui-ci remplissait un ensemble de critères minimum prédéfini.
L’Ofcom a jugé qu’une telle obligation serait disproportionnée, mais a toutefois précisé que si la BBC devait rendre ses contenus disponibles à d’autres fournisseurs, comme cela semble être prévu, elle devrait le faire dans des conditions de concurrence équitables10.
Sur la télévision de rattrapage sur Internet de la BBC (BBC iPlayer)
Il s’agit d’un service de télévision de rattrapage par Internet qui couvre une large proportion des programmes diffusés par la BBC. Il permet d’une part de visionner directement les programmes diffusés durant les 7 derniers jours (« streaming »), et d’autre part de conserver pendant 30 jours des programmes téléchargés (« download »). Le service de téléchargement a été lancé en juillet 2007. Il n’est pour l’instant disponible que via un logiciel Microsoft, ce qui a suscité une certaine controverse. Le BBC Trust, qui a autorisé le lancement du service, a demandé que l’accès à ce service soit élargi le plus rapidement possible.
En revanche, le service en « streaming » est disponible aux utilisateurs de Linux, Mac et Windows depuis le 25 décembre 200711, date à laquelle un service de « radio de rattrapage » a également été lancé.
Création d’une plate-forme commune de télévision de rattrapage
Le Conseil relève enfin que la BBC, ITV et Channel 4 ont annoncé fin novembre 2007 la création d’un service de programmes communs à la demande, à partir de 2008. Plus de 10 000 heures de programmes, actuels ou d'archives, devraient être disponibles. Le service sera géré par la branche commerciale « BBC Worldwide ». Il sera lancé initialement sur Internet. Certains programmes seront gratuits, d'autres pourront être loués ou achetés.
Les chaînes ITV et Channel 4 disposent déjà, à l’instar de la BBC, de leur propre service de télévision de rattrapage en ligne (itv.com et 4OD). Cette plate-forme commune, baptisée « Kangaroo », vise à permettre d’éviter la fragmentation des offres de télévision de rattrapage de ces différentes chaînes.
Le Conseil relève toutefois que la constitution de cette plate-forme commune s’est effectuée sans intervention des pouvoirs publics et sur la seule initiative des acteurs économiques, privés et publics.
3 - Difficultés résultant de la nature publique de France Télévisions et de l’accord d’exclusivité conclu avec France Télécom
Selon l’AFORST, la qualité de société nationale de programme, et les missions de service public qui s’y rattachent, des sociétés du groupe France Télévisions feraient obstacle à ce que celles-ci puissent conclure des accords exclusifs portant sur la distribution, de quelque manière que ce soit, de leurs émissions télévisées respectives.
Afin de vérifier cette incompatibilité invoquée par l’AFORST, le Conseil doit préalablement étudier la nature juridique du service de télévision de rattrapage et la mettre en rapport avec les missions de service public à la charge des sociétés du groupe France Télévisions.
3.1. La nature juridique du service de télévision de rattrapage
La loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confianc e dans l’économie numérique met en place un cadre juridique adapté aux enjeux de la convergence entre les activités de communications électroniques et de communication audiovisuelle.
Le schéma ci-dessous représente les différents types de « services de communication » prévus par la loi.
Ainsi, dans le cadre de la communication au public par voie électronique, entendue comme « toute mise à disposition du public ou de catégories de public, par un procédé de communication électronique, de signes, de signaux, d'écrits, d'images, de sons ou de messages de toute nature qui n'ont pas le caractère d'une correspondance privée », l’article 1er de la loi du 21 juin 2004 distingue deux catégories de services qui sont soumis à des régimes juridiques différents.
Dans la première catégorie figurent les services de communication audiovisuelle, laquelle désigne « toute communication au public de services de radio ou de télévision, quelles que soient les modalités de mise à disposition auprès du public, ainsi que toute communication au public par voie électronique de services autres que de radio et de télévision et ne relevant pas de la communication au public en ligne ».
Par ailleurs, pour la première fois, la radio et la télévision font l’objet d’une définition mettant en avant le caractère simultané de la réception de ces services pour l’ensemble du public12. Les services concernés relèvent des dispositions de la loi du 30 septembre 1986 et notamment des modes de régulation mis en œuvre par le Conseil.
Par opposition, l’autre catégorie concerne les services qui se rattachent à la communication au public en ligne définie comme « toute transmission, sur demande individuelle, de données numériques n'ayant pas un caractère de correspondance privée, par un procédé de communication électronique permettant un échange réciproque d'informations entre l'émetteur et le récepteur ». Ces services relèvent du droit commun (en particulier le droit pénal et celui de la propriété intellectuelle), ainsi que du droit sui generis instauré notamment pour établir le régime de responsabilité des prestataires techniques d’Internet13.
Compte tenu de ces définitions législatives, le Conseil considère que la télévision de rattrapage :
1°) s’apparente à « un échange réciproque d'informations entre l'émetteur et le récepteur »,
2°) suppose « sur demande individuelle » de l’utilisateur, la transmission de contenus audiovisuels sous forme « de données numériques » et
3°) ne revêt pas le « caractère de correspondance privée ».
Dans ces circonstances, il semble que la télévision de rattrapage puisse relever de la définition des services de communication au public en ligne et, dès lors, relever du régime juridique tel que prévu par loi du 21 juin 2004 et non pas celui tel que prévu par la loi du 30 septembre 1986 qui régit, notamment, les missions de service public dont est chargé le groupe France Télévisions.
Toutefois, la rédaction de l’article 48-1-A de la loi du 30 septembre 1986 pourrait conduire le Conseil à considérer que la télévision de rattrapage, si elle n’est pas un service linéaire, doit néanmoins être incluse dans l’interdiction faite à la société France Télévisions de consentir des exclusivités portant sur la reprise, quelles qu’en soient ses modalités, de ses programmes.
3.2. L’ambiguïté des dispositions de l’article 48-1-A de la loi du 30 septembre 1986 nécessite un approfondissement de l’analyse
L’article 48-1-A, issu de la loi n° 2000-719 du 1 er août 2000, dispose que « les sociétés nationales de programme ne peuvent accorder ni maintenir, de quelque manière que ce soit, un droit exclusif de reprise de leurs programmes diffusés par voie hertzienne terrestre ».
L’applicabilité de cette disposition au service de télévision de rattrapage objet du litige ne va pas de soi.
Plusieurs arguments semblent s’opposer à l’application de l’article 48-1-A de la loi du 30 septembre 1986 à ce service :
Le Conseil note que le service « Rewind TV » se rattache à la communication au public en ligne (accès à la demande) et non à la communication audiovisuelle. Or, le législateur, à travers la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique, a entendu établir une claire séparation entre les services de communication audiovisuelle (principalement les services de radio et de télévision), qui sont régis par la loi du 30 septembre 1986, et les services de communication au public en ligne (principalement les sites Internet et la vidéo à la demande). Ces derniers sont soumis à un régime juridique plus souple, distinct de celui mis en place par la loi du 30 septembre 1986.
Le Conseil remarque également que l’introduction de l’article 48-1-A a été motivée par la volonté de mettre fin à l’exclusivité dont bénéficiait TPS pour la diffusion par satellite des chaînes publiques (mais également de TF1 et de M6) et de garantir aux abonnés à la plate- forme concurrente CanalSatellite un accès aisé (par l’intermédiaire du décodeur) aux chaînes qu’ils financent partiellement grâce à la redevance audiovisuelle.
L’examen des débats parlementaires fait ressortir que la notion de « reprise [des] programmes » était entendue comme étant la reprise intégrale et simultanée des chaînes publiques par un distributeur de services.
L’article 48-1-A a en effet été débattu concomitamment à l’article 34-3 (devenu l’article 34-2 depuis la loi n° 2004-669 du 9 juill et 2004), créant à l’égard des distributeurs par satellite une obligation de reprise des chaînes publiques : « Sur le territoire métropolitain, tout distributeur de services par satellite met gratuitement à la disposition de ses abonnés les services des sociétés nationales de programmation mentionnées au I de l'article 44 et de la chaîne culturelle européenne issue du traité du 2 octobre 1990 qui sont diffusés par voie hertzienne terrestre en mode analogique, sauf si ces dernières sociétés estiment que l'offre de services est manifestement incompatible avec le respect de leurs missions de service public ».
Le législateur a ainsi prévu une obligation réciproque : d’une part, l’interdiction, pour les chaînes publiques, de conclure des contrats d’exclusivité pour la reprise de leurs programmes par un distributeur ; d’autre part, l’obligation, pour les distributeurs par satellite14, de reprendre les chaînes publiques, sauf opposition motivée de leur part.
A l’inverse, dans le sens d’une applicabilité au service litigieux de l’article 48-1-A, le Conseil remarque que :
- les travaux préparatoires ne sauraient prévaloir sur la lettre d’une disposition législative suffisamment claire15 ;
- s’agissant des termes utilisés, il existe au moins un cas, dans la loi de 1986, où le mot « reprise » ne vise pas un service dans son entier mais seulement une partie de ses émissions16 et que, dans cette loi, un « programme » signifie plus souvent une émission17 qu’un service18 ; ces éléments permettent de soutenir que « la reprise des programmes », mentionnée à l’article 48-1-A, peut inclure la retransmission d’émissions isolées ;
- le législateur a édicté cette interdiction d’exclusivité en considération de la spécificité des sociétés nationales de programmes, qui éditent des services majoritairement financés par la redevance, ce qui justifie que l’ensemble des téléspectateurs puisse accéder le plus largement possible à leurs programmes et s’oppose donc à toute exclusivité, quelle qu’en soit la nature ;
- le Conseil constitutionnel, dans ses différentes décisions relatives à l’audiovisuel, affirme « qu’en définitive, l’objectif à réaliser est que les auditeurs et les téléspectateurs qui sont au nombre des destinataires essentiels de la liberté proclamée par l’article 11 de la Déclaration [des droits de l’homme et du citoyen] de 1789 soient à même d’exercer leur libre choix sans que ni les intérêts privés ni les pouvoirs publics puissent y substituer leurs propres décisions, ni qu’on puisse en faire les objets d’un marché » (décisions n° 86-217 DC, n° 93-333 DC et n°2000-433 DC). Cette analyse peut inciter l’insta nce de régulation à interpréter de la façon la plus large les dispositions de la loi qui tendent à garantir les droits des téléspectateurs.
Le Conseil constate ainsi l’existence d’une réelle ambiguïté de la loi sur la portée de l’article 48-1-A. Il souhaite donc, dans le cadre de la transposition de la directive 2007/65/CE du 11 décembre 2007 relative aux « Services de médias audiovisuels », que le législateur clarifie cette disposition en définissant l’étendue des exclusivités que peut consentir le groupe public en ce qui concerne les services non linéaires.
En tout état de cause, l'argument tiré du non-respect de l'article 48-1-A ne paraît pas affecter la solution qui pourrait être apportée au présent litige par le Conseil de la concurrence au titre de l’application du code de commerce.
3.3. L’évolution législative
Le Conseil souligne également que la séparation juridique actuelle entre les services de communication audiovisuelle et les services de communication au public en ligne est appelée, pour partie, à évoluer sous l’effet de la transposition en droit interne de la directive 2007/65/CE du 11 décembre 2007 relative aux services de médias audiovisuels.
En effet, le texte communautaire permet aux Etats membres d’imposer aux services de médias non linéaires, c’est-à-dire à une proportion importante des services actuellement couverts par la notion de communication au public en ligne, dont la télévision de rattrapage et la vidéo à la demande, certaines des obligations qui, jusque-là, n’étaient imposées qu’aux seuls services de communication audiovisuelle.
4 - Délimitation des marchés pertinents concernés et position des acteurs
4.1. Le marché de la télévision payante
Dans le cas de la télévision gratuite, une relation commerciale s'établit entre l’éditeur et l'annonceur. Dans le cas de la télévision payante, une relation commerciale s’établit entre le distributeur et l’abonné au service. Partant notamment de cette constatation, les autorités de concurrence tant communautaire19 que nationale20 et également le Conseil supérieur de l’audiovisuel21 retiennent que la télévision payante et la télévision gratuite constituent deux marchés distincts.
Remarque liminaire
Les services de télévision de rattrapage entretiennent des liens avec le marché de la télévision gratuite et le marché publicitaire, dans la mesure où la rémunération versée par les annonceurs est susceptible de varier, selon que la publicité sera à nouveau diffusée lors du visionnage en rattrapage ou selon que de nouveaux écrans publicitaires seront insérés dans les programmes accessibles en rattrapage.
Par suite, le Conseil remarque que le développement des nouveaux services de la télévision de rattrapage pourrait constituer une nouvelle source de financement pour les éditeurs de chaînes gratuites.
Périmètre
Toutefois, l’accès à un service de télévision de rattrapage suppose nécessairement l’abonnement préalable à une offre de télévision payante par ADSL ou par câble22 ou bien un abonnement à Internet, pour la consommation à l’acte. Pour l’utilisation du service en situation de mobilité, il suppose l’abonnement à une offre de téléphonie mobile et d’une option télévisuelle.
En conséquence, puisque la télévision de rattrapage n’est accessible qu’après abonnement à une offre d’un distributeur de services, elle relève majoritairement du marché de la télévision payante.
Evolution récente du marché de la télévision payante
En raison du développement rapide des offres « multiple play » des opérateurs de communications électroniques en France, le marché aval de la télévision payante, c’est-à-dire le lieu où se rencontrent l’offre des distributeurs de services et la demande des consommateurs, connaît une forte croissance. Ce phénomène est accentué par l’apparition d’offres comparables sur le câble et par le lancement de la télévision numérique terrestre (TNT) payante.
Dans ce contexte est intervenue en 2006 la fusion entre les sociétés TPS et Canal+23. L’opération de concentration a été autorisée sous réserve pour les sociétés Vivendi et Groupe Canal+ de respecter une liste de 59 engagements. Ils doivent contribuer, en particulier, à préserver la dynamique concurrentielle du marché de la distribution de télévision payante, en imposant notamment la mise à disposition, au bénéfice des distributeurs tiers, de certaines chaînes appartenant à l’entité fusionnée, ou en interdisant les exclusivités pour la vidéo à la demande.
Malgré ce dispositif, les opérateurs ADSL semblent rencontrer d’importantes difficultés pour se positionner sur le marché en tant que distributeurs de services attractifs. En effet, ils se trouvent confrontés aux options suivantes, non exclusives les unes des autres :
- ou ils accèdent au bouquet constitué CanalSat DSL, pour lequel ils ne maîtrisent ni le contenu, ni la promotion publicitaire, ni la relation avec le client final, ni même la numérotation. Dans ce cas, ils jouent le rôle limité de transporteurs de contenu, leur marge est réduite24 et leur perspective de croissance, en tant que distributeur, fortement contrainte. En outre, leur possibilité de différenciation, non seulement à l’égard de la société CanalSatellite sur le marché « aval », mais aussi de leurs concurrents opérateurs de communications électroniques25, apparaît particulièrement réduite ;
- ou ils composent par eux-mêmes un bouquet de chaînes qui leur est propre. Dans ce cas, ils sont confrontés aux contrats d’exclusivité de distribution consentis par les groupes TF1, M6, Lagardère et Canal+ au bénéfice de la société CanalSatellite26. Ils ne disposent alors que des 7 chaînes dont la mise à disposition a été imposée par les pouvoirs publics dans le cadre des engagements résultant de la fusion. Or, le nombre relativement réduit de chaînes rendues accessibles n’apparaît pas suffisant pour la constitution d’une offre attractive et permettant de se différencier. Ce point est d’ailleurs confirmé par la Commission européenne qui indique, dans la décision récente SFR/Télé 2 France, que « le développement de la pression concurrentielle des opérateurs DSL est (…) limité, du fait principalement de leur impossibilité d’accéder assez largement aux programmes et aux chaînes de télévision, lesquels sont actuellement détenus par Vivendi, directement ou indirectement, via des droits de diffusion, d’exploitation ou de distribution exclusifs »27 ;
- ou ils créent leurs propres chaînes. Dans ce cas, ils retrouvent une marge de manœuvre économique et éditoriale mais au prix d’un investissement important que seule la société Orange a consenti à ce stade28.
Toutefois, ces difficultés peuvent en partie être compensées par le développement de nouveaux services. En effet, par rapport aux autres distributeurs de télévision payante, par satellite ou par la TNT, les opérateurs ADSL et les câblo-opérateurs bénéficient de l’avantage concurrentiel que représente la possibilité technique d’une voie de retour. A ce titre, ils sont en mesure de proposer une offre complète de services non linéaires, en particulier la vidéo à la demande et la télévision de rattrapage.
La télévision de rattrapage apparaît donc comme un moyen d’assurer la différenciation des offres de la société France Télécom à la fois par rapport aux offres de la société CanalSatellite mais également au regard des autres bouquets de services télévisuels composés par les opérateurs ADSL concurrents ou les câblo- opérateurs.
A ce stade, la télévision de rattrapage peut s’analyser comme un service lié au marché de la télévision payante. Celui-ci se décompose classiquement en un marché amont, intermédiaire et aval. Le service de télévision à la demande doit également être pris en compte. Dans ce cadre, le Conseil estime nécessaire d’analyser le positionnement de la télévision de rattrapage au sein du marché de la télévision payante.
Position des acteurs sur le marché aval
Comme indiqué supra, le marché aval de la télévision payante est le lieu où se rencontrent l’offre des distributeurs de services et la demande des consommateurs. Le nombre total d’abonnements à la chaîne premium Canal+, y compris dans son format numérique Canal+ le Bouquet29, ainsi qu’aux offres de télévision payante de la société CanalSatellite s’élève, au 31 décembre 2006, à 8,6 millions30.
Les câblo-opérateurs comptent environ 2 millions d’abonnements31 à des offres de télévision payante hors service antenne.
Les opérateurs ADSL comptent aujourd’hui environ 3 millions d’abonnés recevant une offre de télévision. Parmi ceux-ci, la société France Télécom dispose de 975 000 abonnés32 à une offre haut débit comportant une option télévisuelle.
En conséquence, la part de marché de la société France Télécom, en nombre d’abonnements, sur le marché aval de la télévision payante est inférieure à 7,5%.
Position des acteurs sur le marché amont
Les développements qui suivent cherchent à analyser la position de France Télévisions sur le marché amont de l’acquisition de droits d’exploitation pour la distribution de contenus en télévision de rattrapage.
Ainsi qu’il a été rappelé ci-dessus, la mise à disposition de programmes en télévision de rattrapage n’est possible qu’après avoir acquis les droits auprès des producteurs. Par conséquent, il existe bien un lien entre le service de télévision de rattrapage et une activité amont d’acquisition des droits d’exploitation pour ce service. Il s’agit dans ce cadre d’analyser l’influence de France Télévisions sur cette activité amont.
Pour apprécier l’influence du groupe public vis-à-vis des ayants droit, il pourrait être envisagé d’examiner la part des contenus diffusés en mode linéaire sur les chaînes publiques concernées par le service « Rewind TV ». D’une présomption d’influence sur la diffusion gratuite pourrait alors naître une présomption d’influence sur la télévision de rattrapage.
Le tableau figurant en annexe 1 détaille la structure des programmes diffusés par l’ensemble des chaînes hertziennes numériques gratuites entre 18h et 23h au premier semestre 2007.
Rapportés à l’ensemble de la TNT gratuite pour la même période, les contenus constituant l’offre « Rewind TV » représentent près de 9 500 heures, dont 3 300 sur les antennes de France Télévisions, soit près de 35% du total.
Ce pourcentage global masque toutefois les fortes variations qui peuvent être observées selon les genres de programmes. Ainsi, les chiffres mettent en évidence la forte présence des chaînes publiques dans l’offre de magazines et de documentaires (respectivement 57% et 81% des programmes sur la tranche horaire couverte par le service) ainsi que dans l’offre de divertissements (30,6% de l’offre de programmes). Pour ce qui concerne la fiction, si un quart du volume diffusé est proposé par les chaînes publiques, la situation est contrastée selon qu’il s’agit de fictions françaises (le groupe France Télévisions est alors majoritaire) ou de fictions étrangères (15%, loin derrière des chaînes comme NT1 ou NRJ 12).
Compte tenu du nombre de chaînes éditées par le groupe public, la société France Télévisions joue un rôle prépondérant en matière d’acquisition des droits pour la télévision gratuite. Par suite, il n’est pas exclu que cette influence puisse s’exercer sur l’acquisition des droits d’exploitation pour la télévision de rattrapage.
4.2. Le marché de la vidéo à la demande (VàD) et le service de télévision de rattrapage
La question posée par la requérante porte sur le service de télévision de rattrapage. Celui-ci a été largement, jusqu’à aujourd’hui, considéré comme une modalité particulière de la vidéo à la demande. C’est donc ce marché qui semble subir l’impact le plus directde l’accord conclu entre France Télévisions et France Télécom.
La question se pose cependant à ce stade de savoir dans quelle mesure la télévision de rattrapage peut s’apparenter à un marché distinct de la vidéo à la demande au sein de la télévision payante.
4-2-1 Le marché de la vidéo à la demande
Dans le cadre d’un service de vidéo à la demande, le distributeur met à la disposition du public, pendant une durée déterminée, un programme que le consommateur peut visionner au moment de son choix, en contrepartie du paiement d’une somme déterminée.
A partir de la position de la Commission européenne qui distingue différents type de diffusions télévisuelles, le Conseil de la concurrence a reconnu la particularité de la vidéo à la demande en lui conférant le caractère d’un marché autonome, notamment par rapport au service de paiement à la séance33.
La question se pose cependant de savoir jusqu’à quel point les modalités très particulières du service de la télévision de rattrapage permettrent de le rattacher au marché de la vidéo à la demande.
4-2-2 Distinction entre vidéo à la demande et télévision de rattrapage
La télévision de rattrapage peut avoir pour vocation principale de permettre aux téléspectateurs qui n’auraient pas pu regarder un programme lors de sa diffusion initiale d’y accéder malgré tout, pendant une période limitée, mais en s’affranchissant de la contrainte horaire liée à la grille de diffusion.
Il s’apparente à un nouveau mode de consommation de la télévision, mais sur un mode non linéaire.
Comme la VàD, il appartient à la catégorie des services non linéaires. Toutefois, il s’en distingue à plusieurs titres :
D’abord par son lien éditorial avec le service de télévision. Contrairement à la VàD, l’attractivité du programme mis à la disposition du public par l’intermédiaire d’un service de télévision de rattrapage dépend étroitement de sa diffusion initiale sur la chaîne dont il est issu. Il tire donc sa valeur du lien qui existe initialement avec l’éditeur. Par ailleurs, au moment de la diffusion à l’antenne, la chaîne est en mesure d’assurer la promotion du programme qui sera rendu accessible après sa diffusion en mode de rattrapage. Enfin, parmi l’ensemble des services non linéaires mis à la disposition du consommateur, la proximité éditoriale maintenue avec la chaîne (identité, logo, couleur…) constitue un élément d’attractivité, de différenciation et un gage de qualité du programme lui-même.
Ensuite, par son mode de commercialisation : principalement la gratuité pour les services de télévision de rattrapage, contrairement à la VàD, quasi systématiquement payante.
Enfin par la durée systématiquement limitée de la mise à disposition des contenus, étroitement liée à la diffusion.
Le Conseil relève également que les droits de propriété intellectuelle sont commercialisés de façon distincte pour la vidéo à la demande et pour la télévision de rattrapage.
Les principales différences entretenues par ces deux types de services peuvent être présentées sous la forme du tableau qui suit :
Ainsi, le mode de commercialisation, la demande des consommateurs et des distributeurs, la durée de mise à disposition des contenus et la relation avec les ayants droit, marquent autant de différences entre le service de vidéo à la demande et le service de télévision de rattrapage de sorte qu’ils apparaissent difficilement substituables34. Il n’est donc pas impossible que ces deux types de services puissent appartenir à des marchés distincts.
Le Conseil estime qu’il n’est pas impossible que la télévision de rattrapage apparaisse comme un service complémentaire d’une diffusion linéaire de la télévision et qu’il se distingue de plus en plus de la vidéo à la demande.
4.3. Le marché de détail du haut débit
La société France Télécom est active sur le marché de détail de l’accès haut débit, sur lequel elle dispose d’une part de marché légèrement inférieure à 50%. Sur les marchés de gros correspondants35, le régulateur sectoriel a d’ailleurs considéré qu’elle exerçait une influence significative36. Cette première analyse a ensuite été confirmée par le Conseil de la concurrence37 puis notifiée à la Commission européenne.
L’AFORST considère, dans sa saisine, qu’il existe un lien entre la position de France Télécom sur ce marché et sa position sur le marché de la distribution de télévision payante. La question se pose de savoir si par un lien de connexité, la puissance de marché de France Télécom sur le haut débit est susceptible d’être renforcée par la constitution, au sein de la composante télévisuelle d’une offre « multiple play », d’une offre comportant des contenus de France Télévisions en exclusivité.
5 - Analyse des pratiques dénoncées
L’AFORST dénonce dans l’acte de saisine du Conseil de la concurrence le caractère anticoncurrentiel de l’accord d’exclusivité dans la mesure où sa mise en œuvre :
- priverait ses membres de la possibilité de composer à leur tour une offre de contenus attractifs, et
- contribuerait à renforcer la puissance de marché de l’opérateur historique sur le marché de détail du haut débit.
L’AFORST demande en conséquence au Conseil de la concurrence de prononcer des mesures conservatoires.
L’article L. 420-1 du code de commerce dispose que « sont prohibées, même par l’intermédiaire direct ou indirect d’une société du groupe implantée hors de France, lorsqu’elles ont pour objet ou peuvent avoir pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur un marché, les actions concertées, conventions, ententes expresses ou tacites ou coalitions, notamment lorsqu’elles tendent à :
1°) Limiter l’accès au marché ou le libre exercice de la concurrence par d’autres entreprises ;
2°) Faire obstacle à la fixation des prix par le li bre jeu du marché en favorisant artificiellement leur hausse ou leur baisse ;
3°) Limiter ou contrôler la production, les débouch és, les investissements ou le progrès technique ;
4°) Répartir les marchés ou les sources d’approvisi onnement ».
Au vu des auditions réalisées par les services du Conseil ainsi que des pièces versées au dossier, il ne semble pas que l’accord conclu entre les sociétés France Télévisions et Orange ait eu pour objet de restreindre ou de fausser le libre jeu de la concurrence.
En revanche, il apparaît que cet accord est susceptible d’entraîner un effet sur les conditions d’exercice de la concurrence en ce qui concerne les marchés de la télévision payante et du haut débit.
5.1. Sur l’acquisition des droits pour la télévision de rattrapage
Ainsi qu’il a été explicité supra, la télévision de rattrapage implique l’acquisition de droits spécifiques auprès des producteurs. Il pourrait donc exister à l’avenir, en même temps qu’un marché de la télévision de rattrapage, un marché amont de l’acquisition des droits pour ce service.
Compte tenu de sa puissance d’achat, la société France Télévisions pourrait chercher, en même temps qu’elle acquiert les droits pour la diffusion télévisée gratuite, à acquérir les droits exclusifs pour une exploitation par un service de télévision de rattrapage. Le partenariat dénoncé conduirait alors à limiter l’accès au marché amont des opérateurs DSL concurrents de la société Orange et pourrait constituer une pratique anticoncurrentielle.
Sur le marché de l’édition de vidéogrammes, de telles pratiques ont déjà été sanctionnées par le Conseil de la concurrence. Ainsi, dans la décision n° 99-D-85 du 22 décembre 1999, celui-ci a pu indiquer « qu’en subordonnant par le moyen de clauses types insérées dans les contrats son engagement de financer les oeuvres audiovisuelles à l’acceptation du producteur délégué de confier, dès la signature du contrat de coproduction, l’édition de l’œuvre sous forme de vidéogrammes à titre exclusif à une de ses filiales, la société TF1, qui, tenue de consacrer une part de son budget au financement d’oeuvres audiovisuelles, joue ainsi un rôle déterminant dans la production de ces oeuvres et qui, par ailleurs, occupe la première place en termes d'audience et de revenus publicitaires parmi les chaînes de télévision hertzienne, met en œuvre une pratique qui a pour objet et peut avoir pour effet de fausser le jeu de la concurrence sur le marché aval de l’édition vidéographique »38.
Dans le cadre de l’élaboration du présent avis, les représentants du syndicat des producteurs indépendants ont affirmé que la société France Télévisions ne subordonnait pas l’achat des droits de diffusion à la vente concomitante des droits pour une exploitation sur un service de télévision de rattrapage. Les conventions laisseraient donc aux producteurs toute latitude pour ne pas céder les droits d’exploitation en télévision de rattrapage à FTD.
Toutefois, la pratique révèle que les contrats de pré-achat ou de co-production signés par France Télévisions contiennent des clauses de priorité sur l’acquisition des droits pour l’exploitation en télévision de rattrapage. Il semble en outre que ce type de stipulations figure également dans les contrats proposés par les autres chaînes hertziennes gratuites de télévision.
Il n’est donc pas exclu que, sur l’éventuel marché amont de l’acquisition des droits pour la télévision de rattrapage, les pratiques mises en œuvre par France Télévisions conduisent à restreindre la capacité des opérateurs ADSL à négocier librement avec les ayants droit.
5.2. La réalité de l’atteinte à la concurrence sur le marché de détail du haut débit
L’accord critiqué est également susceptible d’entraîner des effets sur les conditions de développement de la concurrence en ce qui concerne le marché du haut débit.
L’analyse montre en effet que l’offre de contenus, tant linéaires que non linéaires, constitue pour le client potentiel une motivation significative dans la décision de souscrire à l’offre « multiple play » d’un opérateur ADSL39.
L’offre « Rewind TV » peut être considérée comme le premier service important de télévision de rattrapage en France. Il regroupe en effet les programmes de cinq chaînes à forte notoriété, proposés sur trois supports de diffusion différents (ADSL, Mobile et Internet).
En disposant, de manière exclusive, en rattrapage, de certains programmes diffusés par les chaînes du groupe France Télévisions, qu’elle met à disposition de façon gratuite contrairement à la vidéo à la demande, la société France Télécom pourrait donc se trouver favorisée, d’autant plus qu’il s’agit d’un service innovant qui peut s’appuyer sur l’important volume de programmes dont dispose France Télévisions, aussi bien de flux que de stock, populaires et fédérateurs (« Plus belle la vie », « Envoyé Spécial », « Thalassa », « PJ », « Avocat et associés », « La Crim’ »…).
Le seul fait de proposer dans son offre une partie importante des programmes de France Télévisions disponibles en rattrapage peut en effet contribuer au renforcement de l’attractivité globale des offres haut débit de la société France Télécom. De même, des clients qui n’auraient pas initialement choisi de bénéficier de la gamme complète des services de France Télécom disponibles grâce au haut débit pourraient, de ce fait, être incités à élargir leur abonnement en souscrivant aux offres d’accès à la télévision.
Le Conseil relève donc le potentiel de différenciation, par rapport à l’offre des concurrents, d’une telle offre. Cette constatation doit cependant être relativisée.
Un effet commercial dont l’importance doit être mesurée
En premier lieu, le Conseil relève que l’offre de contenus qui sera proposée dans le service « Rewind TV » apparaît limitée.
Ainsi, les films et les émissions sportives ne sont pas disponibles en télévision de rattrapage et les journaux télévisés ne sont pas soumis à l’exclusivité. Ces contenus représentent près de 900 heures de diffusion sur les chaînes de France Télévisions, sur un total de 1700 heures consacrées à ce type de programmes sur l’ensemble des chaînes de la TNT gratuite au premier semestre 2007. Dans le périmètre de l’accord, demeurent les genres suivants : « fiction audiovisuelle », « animation », « magazines », « documentaires » et « autres divertissements ». Rapportés à l’ensemble des chaînes de la TNT gratuite, ces différents genres représentent, au premier semestre 2007, près de 9 500 heures, dont 3 300 sur les antennes de France Télévisions, soit près de 35% du total (annexe 1).
Bien que ces programmes présentent une attractivité certaine, ils ne constituent pas, contrairement au sport, au cinéma, et aux séries américaines à succès, des contenus premium, au sens du Conseil de la concurrence, qui génèrent les audiences les plus importantes.
En deuxième lieu, la télévision de rattrapage fait partie de la composante télévisuelle des offres « multiple play » aux côtés de l’offre de téléphonie et d’accès à Internet. Elle représente une offre supplémentaire de contenus à la demande qui doit cependant être envisagée en tenant compte de tous les autres services non linéaires, notamment de vidéo à la demande, qui sont également proposés à l’abonné. On peut noter à ce propos que la télévision de rattrapage n’est pas le seul service qui permette à un opérateur de différencier son offre. Ainsi, Neuf Cégétel propose en exclusivité à ses abonnés le catalogue musical d’Universal. La société France Télévisions a récemment rendu disponibles, en exclusivité VàD, ADSL et mobile, les Jeux Olympiques, la Route du Rhum, le Tour de France, la Coupe du monde de Rugby (ces deux dernières compétitions en exclusivité haute défintion).
En troisième lieu, les concurrents de France Télécom, notamment Free et Neuf Cegetel, pourraient être en mesure de proposer à leurs abonnés une offre similaire, par exemple avec les contenus de TF1, de M6 ou d’autres chaînes de la télévision numérique terrestre, en mode rattrapage. Toutefois, comme le Conseil l’a rappelé, ces acteurs se montrent à l’heure actuelle réticents à mettre leurs contenus à disposition en mode non linéaire. Il n’en reste pas moins que, si l’offre de télévision de rattrapage de France Télécom est un succès, les autres chaînes historiques ne pourront éviter longtemps de proposer ce type de services aux téléspectateurs, au risque, s’ils s’abstenaient, de laisser le champ libre à l’offre concurrente de France Télévisions sur la télévision de rattrapage.
En conséquence, la réalité de l’atteinte à la concurrence sur le marché de détail du haut débit d’une offre enrichie de services de télévision de rattrapage dans le cadre de l’un des services d’une offre « multiple play » doit être relativisée.
Cela étant, l’accès non linéaire aux services audiovisuels est appelé à progresser dans la mesure où il existe une forte demande de consommation de contenus en mode « point-à-point » sur un nombre toujours plus important de terminaux. C’est en considération du développement de ces usages que le Parlement européen et le Conseil ont adopté le 11 décembre 2007 la directive 2007/65/CE relative aux « Services de médias audiovisuels » afin que le Etats membres contribuent à l’essor des nouveaux services à la demande, au besoin en fixant les conditions de leur régulation40.
A ce titre, le Conseil considère que la durée de l’accord, fixée à trois ans, présente le risque de figer l’évolution des nouveaux services non linéaires et des marchés correspondants.
La contribution au progrès économique de l’offre « Rewind TV »
En cas de contribution au progrès économique et sous réserve de ne pas éliminer la concurrence, les restrictions au libre jeu de la concurrence sur le marché du haut débit peuvent relever d’un régime d’exemption.
L’article L. 420-4 I du code de commerce prévoit notamment que les dispositions précitées de l’article L. 420-1 ne s’appliquent pas aux pratiques « dont les auteurs peuvent justifier qu’elles ont pour effet d’assurer un progrès économique, y compris par la création ou le maintien d’emplois, et qu’elles réservent aux utilisateurs une partie équitable du profit qui en résulte, sans donner aux entreprises intéressées la possibilité d’éliminer la concurrence pour une partie substantielle des produits en cause (…) ».
Le Conseil observe que le lancement de la télévision de rattrapage nécessite l’accord des ayants droit, et donc une rémunération spécifique. La télévision de rattrapage n’ayant à l’heure actuelle pas de modèle économique, puisqu’il s’agit d’une diffusion gratuite avec peu ou pas de publicité, France Télévisions n’a ni les moyens financiers, ni même un intérêt objectif à négocier cette rémunération des ayants droit. Seule l’exclusivité accordée à France Télécom a permis de dégager les ressources nécessaires pour créer le marché.
En outre, il est probable que cet accord d’exclusivité contribue, par effet d’entraînement, à conforter l’équilibre entre les producteurs et les autres chaînes intéressées par le développement d’une offre comparable. Cet équilibre est nécessaire, car le développement de l’éventuel nouveau marché de la télévision de rattrapage ne peut exister sans l’accord explicite, et donc l’accès à une rémunération, des titulaires de droits de propriété intellectuelle.
5.3. Conclusion
S’il est vrai que l’accès exclusif au service de télévision de rattrapage peut contribuer à promouvoir l’attractivité et la différenciation des offres de France Télécom, le champ couvert par le service « Rewind TV » reste limité puisqu’il ne concerne qu’une partie non premium des programmes de France Télévisions.
Toutefois, compte tenu du rôle important que la consommation non linéaire de la télévision est susceptible de jouer à moyen terme, il apparaît nécessaire de s’assurer que la durée de l’accord d’exclusivité n’entrave pas l’émergence d’offres attractives dans le cadre des bouquets ADSL et ne conduise pas à une atteinte substantielle à la concurrence sur le marché du haut débit.
6 - Analyse en termes de mesures conservatoires
L’article L. 464-1 du code de commerce dispose que : « Le Conseil de la concurrence peut […] prendre les mesures conservatoires qui lui sont demandées ou celles qui lui apparaissent nécessaires. Ces mesures ne peuvent intervenir que si la pratique dénoncée porte une atteinte grave et immédiate à l'économie générale, à celle du secteur intéressé, à l'intérêt des consommateurs ou à l'entreprise plaignante ».
Sur l’atteinte grave et immédiate au secteur des communications électroniques et à l’intérêt des opérateurs membres de l’AFORST
Au regard de ce qui précède, le service « Rewind TV » apparaît comme accessoire à la composante télévisuelle des offres « multiple play ». En termes de contenus, il ne propose que des programmes à caractère non premium de France Télévisions.
Les distributeurs alternatifs restent libres de développer leur propre service de télévision de rattrapage et, en tout état de cause, leur équilibre économique n’apparaît pas menacé de façon immédiate par le lancement prochain du service de France Télécom.
En conséquence, le partenariat exclusif litigieux ne semble pas porter une atteinte grave et immédiate au marché du haut débit.
Sur l’atteinte grave et immédiate à l’intérêt des consommateurs
A terme, une organisation des services de télévision de rattrapage fondée sur l’exclusivité n’apparaît pas bénéfique à l’ensemble des consommateurs. En effet, la télévision de rattrapage qui associerait sur un mode exclusif les programmes d’une chaîne à la plate-forme de distribution d’un opérateur ADSL ou d’un câblo-opérateur, ne permettrait pas aux consommateurs de bénéficier de tous les avantages des services non linéaires.
En effet, un mode de distribution de la télévision de rattrapage systématiquement caractérisé par un lien exclusif entre une chaîne et un opérateur ADSL ferait perdre à la télévision de rattrapage les synergies qui résultent de la possibilité, pour un abonné, de visionner tout contenu télévisuel diffusé, quelle que soit la chaîne éditrice.
La télévision de rattrapage, privée de cette synergie, serait moins attractive pour les téléspectateurs et réduirait la dynamique propre à un tel service innovant pour assurer l’efficacité de la concurrence sur le marché de la télévision payante.
7 - Conclusion
Le Conseil constate l’existence d’une réelle ambiguïté de la loi du 30 septembre 1986 sur la portée de l’article 48-1-A, qui interdit à certaines chaînes publiques d’accorder des droits exclusifs de reprise de leurs programmes, sans préciser si cette prohibition concerne également les services non linéaires tels que la télévision de rattrapage. Il souhaite donc, dans le cadre de la transposition de la directive 2007/65/CE du 11 décembre 2007 relative aux « Services de médias audiovisuel », que le législateur clarifie cette disposition en définissant l’étendue des exclusivités que peut consentir le groupe public en ce qui concerne les services non linéaires.
Du point de vue du droit de la concurrence, le Conseil relève que le partenariat permet une rémunération du segment amont de la chaîne de la valeur de la télévision payante et apparaît ainsi bénéfique au développement du marché émergent. Quant à l’exclusivité, l’analyse montre que, bien qu’elle prive une partie des consommateurs de l’accès au service, elle permet dans un premier temps l’émergence du service lui-même.
A court terme, dans la mesure où il se développe dans un cadre limité, ce service innovant ne semble pas entraîner d’effet anticoncurrentiel majeur sur le marché du haut débit. En conséquence, le Conseil estime que les conditions ne sont pas réunies à ce stade pour justifier l’adoption de mesures conservatoires.
A plus long terme cependant, un développement des services de télévision de rattrapage dans le cadre d’exclusivités associant une chaîne à un opérateur ADSL ou à un câblo-opérateur pourrait nuire à l’intérêt des consommateurs qui ne tireraient pas profit de l’ensemble des possibilités offertes par les nouveaux usages d’un service télévisuel en mode non linéaire. Il peut également apparaître préjudiciable au développement de la concurrence sur le marché du haut débit.
C’est pourquoi, le Conseil estime nécessaire d’examiner à nouveau, dans quelques mois, les conditions dans lesquelles le service « Rewind TV » a été accueilli par les consommateurs afin de s’assurer, s’il se révèle être un succès, qu’il peut être concurrencé par le lancement de nouveaux services comparables.
Dans ces circonstances, il apparaît souhaitable que le Conseil de la concurrence puisse à nouveau évaluer l’impact du service sur le fonctionnement du marché, plusieurs mois ou un an après son lancement, et décide alors d’éventuelles mesures conservatoires permettant de remédier aux dysfonctionnements éventuellement constatés sur le marché.
Notes :
1 En effet, en application des dispositions de l’article 34-2 de la loi du 30 septembre 1986, l’ensemble des distributeurs de services sont tenus de reprendre dans leurs bouquets les différentes chaînes publiques. Cette obligation de reprise des chaînes publiques (« must carry ») a pour corollaire l’obligation de principe pour les chaînes publiques de livrer leur signal à tous les distributeurs de services (« must offer »).
2 Article 45 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 19 86.
3 Article 45-2 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986.
4 La société ARTE France SA détient 11% de la société France 4.
5 A l’exception des programmes produits par Warner, pour lesquels France Télécom a directement négocié les droits.
6 La location de bande passante peut constituer un coût supplémentaire pour la mise à disposition du service sur Internet ; de même il existe des coûts fixes de développement de la plate-forme.
7 Les syndicats de producteurs audiovisuels ont conclu récemment des accords-cadres avec certains diffuseurs et éditeurs de services Internet sur la base de ces principes (accord USPA/Arte, accord USPA/DailyMotion, projet d’accord USPA/Canal+).
8 La société Arte, par exemple, a décidé de rémunérer les ayants droit des œuvres que son site « plus7.arte.tv » propose en télévision de rattrapage par un forfait de 1 000 € environ par programme. Ce modèle apparaît structurellement déficitaire dans la mesure où l’offre de télévision de rattrapage de la chaîne est gratuite et sans publicité.
9 Pour rappel, la BBC ne dispose pas de recettes publicitaires.
10 Etude de l’Ofcom « BBC new on-demand proposals, Market impact assessment » du 23 janvier 2007, page 57, paragraphes 4.43 à 4.47.
11 Extrait du communiqué de presse de la BBC du 16 octobre 2007, sur le lancement de cette offre : « The BBC iPlayer on-demand streaming service will complement the download service currently available. This non-exclusive relationship is part of the BBC's strategy to reinvent bbc.co.uk to ensure that all its rich-media content is accessible to the widest audience possible ».
12 L’article 1er II in fine de la loi du 21 juin 2004 dispose ainsi que le service de télévision désigne « tout service de communication au public par voie électronique destiné à être reçu simultanément par l'ensemble du public ou par une catégorie de public et dont le programme principal est composé d'une suite ordonnée d'émissions comportant des images et des sons ».
En outre, le service de radio désigne « tout service de communication au public par voie électronique destiné à être reçu simultanément par l'ensemble du public ou par une catégorie de public et dont le programme principal est composé d'une suite ordonnée d'émissions comportant des sons ».
13 Article 6 de la loi du 21 juin 2004 susvisée.
14 Une telle disposition n’était pas nécessaire pour les câblo-opérateurs, déjà tenus de reprendre ces chaînes, comme l’ensemble des chaînes hertziennes analogiques.
15 CE, Ass., 28 mai 1971, Barrat, Rec. 387 ; Cass. civ. 15 mars 1995, Cie d’assurances Le Continent,
Bull. 1995 I-102.
16 Article 34-5, relatif à la reprise « de l’ensemble des programmes régionaux » de France 3.
17 Exemples où le mot « programme » est clairement utilisé au sens d’ « émission » : article 15 : « les programmes mis à disposition du public par un service de communication audiovisuelle » ; article 19 :
« un service de radio ou de télévision dont les programmes contribuent à l’information politique et générale » ; article 20-3 : « les services […] sont tenus de diffuser […] des programmes courts » ; article 28 : « la convention porte notamment sur […] la diffusion de programmes éducatifs », « la totalité de leurs programmes, à l’exception des messages publicitaires », « la convention peut toutefois prévoir des dérogations justifiées par les caractéristiques de certains programmes », « la diffusion des programmes culturels », « les données associées au programme principal destinées à l’enrichir et à le compléter », « la diffusion de programmes consacrés à la culture scientifique » ; article 29 : « la contribution à la production de programmes réalisés localement », « les services dont les programmes musicaux constituent une proportion importante de la programmation » ; article 30-1 :
« en matière de production et de diffusion en haute définition de programmes, en particulier d’œuvres audiovisuelles et cinématographiques » ; article 34-5 : « programmes régionaux » de France 3.
18 Exemples où le mot « programme » est clairement utilisé au sens de « service » : article 3-1 : « les offres de programmes des distributeurs de services » ; article 13 : « les journaux et les bulletins d’information, les magazines et les autres émissions des programmes » ; article 41-3 : « la reprise intégrale d’un programme national » ; article 45-1 : « L’Assemblée nationale et le Sénat produisent et font diffuser […] un programme » (la chaîne parlementaire).
19 Il résulte en effet des décisions de la Commission européenne rendues dans l’affaire 94/922/CE du 9 novembre 1994, MSG Media Service, et dans les affaires Bertelsmann/CLT du 7 octobre 1996 et Bertelsmann/Kirch/Premiere du 27 mai 1998 que le marché de la télévision à péage constitue un marché de produits distinct de celui de la télévision de libre accès. Cette approche a été confirmée dans la décision 2004/311/CE dans l’affaire COMP/M.2876, Newscorp./Telepiu du 2 avril 2003.
20 Dans l’avis n° 06-A-13 du 13 juillet 2006 précité, le Conseil de la concurrence indique « la situation actuelle du marché français, tant technologique qu’économique, conduit à considérer comme fondée la distinction jurisprudentielle entre la télévision à accès libre et la télévision à accès payant » (§ 188). 21 Avis du CSA du 23 mai 2006 relatif à la demande d’avis du Conseil de la concurrence portant sur la prise de contrôle exclusif de TPS et CanalSatellite par Vivendi / Groupe Canal+.
22 Composante télévisuelle des offres « multiple play ».
23 La fusion a été autorisée par le Ministre de l’économie et des finances dans la décision du 31 août 2006 susvisée.
24 La rémunération du distributeur par l’éditeur Groupe Canal+ s’élève à environ 1,50 € par mois et par abonné.
25 Opérateurs ADSL et câblo-opérateurs.
26 Accords dits « Cérès », signés corrélativement à la fusion TPS / Canal+.
27 Décision n°COMP/M.4504-SFR/Télé2 France, 18 juill et 2007, § 70.
28 Avec la création de la chaîne Orange Sport TV.
29 5,1 millions d’abonnés pour Canal+ le Bouquet.
30 Source : Groupe Canal+.
31 Source : CSA.
32 Source : France Télécom.
33 Avis, n° 06-A-13 susvisé, § 76.
34 Pour délimiter un marché du secteur audiovisuel, les autorités de concurrence tiennent compte d’un faisceau d’indices concordants afin de vérifier son caractère autonome. La décision du ministre de l’économie et des finances C2006/02 précitée, indique que ces indices portent notamment sur « la structure de l’offre et de la demande, des modes et des périodes de diffusion, des différences en termes de contenus acquis, au regard notamment des préférences des clients directs (les éditeurs de services linéaires ou non linéaires) et des consommateurs finals, ainsi que des différences en termes de négociations commerciales et de valorisation économique ».
35 Marché de la fourniture en gros d'accès dégroupé (y compris l'accès partagé) aux boucles et sous- boucles métalliques pour la fourniture de services à large bande et de services vocaux (marché 11 dans la recommandation du 11 février 2003 de la Commission européenne) ; marché de la fourniture en gros d'accès à large bande livrés au niveau régional (marché 12).
36 Décision n° 05-0275 du 19 mai 2005 (marché 11) et décision n° 05-0278 du 19 mai 2005 (marché 12).
37 Avis n° 05-A-03 du 31 janvier 2005 relatif à une demande d'avis présentée par l'Autorité de régulation des télécommunications en application de l'article L. 37-1 du code des postes et communications électroniques.
38 En conséquence, la société TF1 s’était trouvée condamnée au paiement d’une amende de 10 000 000 de Francs. Cette décision a été confirmée par le juge judiciaire, CA Paris, 21 novembre 2000, Société TF1 c/ Editions Montparnasse et société Citel ; Cass. com., 26 novembre 2003, Société TF1, Bull. 203 IV n° 178, p. 195.
39 Commission européenne, 18 juillet 2007, affaire COMP/M.4504, SFR/Télé2 France, § 64.
40 Directive 2007/65/CE du Parlement européen et du Conseil modifiant la directive 89/552/CE du Conseil visant à la coordination de certaines dispositions législatives, réglementaires et administratives des Etats membre relatives à l’exercice d’activités de radiodiffusion télévisuelle, JOUE
L 332, 18 décembre 2007, p. 27.