Décisions

Cass. com., 13 avril 2023, n° 20-17.368

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Vigneau

Rapporteur :

Mme Bellino

Avocat général :

M. Douvreleur

Avocats :

SCP Ohl et Vexliard, SCP Thouvenin, Coudray et Grévy

Cass. com. n° 20-17.368

12 avril 2023

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 6 février 2020), le 28 juillet 2010, des dysfonctionnements sont apparus sur des appareils électriques équipant une agence de la société Cafpi, qu'une expertise amiable a attribué à une surtension provoquée par une rupture du circuit neutre du réseau de distribution.

2. La société Aviva assurances (la société Aviva) a partiellement indemnisé la société Cafpi.

3. Le 27 mai 2015, soutenant que les dommages étaient imputables à la société Enedis, les sociétés Cafpi et Aviva l'ont assignée en indemnisation sur le fondement des articles 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016, et L. 121-12 du code des assurances. La société Enedis, faisant valoir que seules les règles de la responsabilité du fait des produits défectueux étaient applicables, leur a opposé la prescription triennale de leur action.

4. Par un arrêt du 10 novembre 2021, la Cour de cassation a saisi la Cour de justice de l'Union européenne (la CJUE) d'une question préjudicielle portant sur l'interprétation de l'article 2 et de l'article 3, paragraphe 1, de la directive 85/374/CEE du Conseil du 25 juillet 1985 relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des Etats membres en matière de responsabilité du fait des produits défectueux, telle que modifiée par la directive 1999/34/CE du Parlement européen et du Conseil du 10 mai 1999 (la directive 85/374/CEE).

5. La CJUE a répondu à la question préjudicielle par un arrêt du 24 novembre 2022 (C-691/21).

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

6. Les sociétés Cafpi et Aviva font grief à l'arrêt de déclarer irrecevable, comme prescrite, leur action en responsabilité du fait des produits défectueux, alors « que selon l'article 1386-6, devenu 1245-5, du code civil, est producteur, lorsqu'il agit à titre professionnel, le fabricant d'un produit fini, le producteur d'une matière première, le fabricant d'une partie composante ; que selon l'article 1386-3, devenu 1245-2 du même code, l'électricité est considérée comme un produit ; qu'en retenant la qualité de producteur de la société Enedis cependant que celle-ci, en sa qualité de gestionnaire du réseau électrique, est chargée de transporter et de distribuer l'électricité en provenance du producteur de celle-ci et que sa seule intervention sur la puissance de l'énergie transportée ne fait pas d'elle le producteur d'un produit fini nouveau,

"l'électricité distribuée", distinct de l'électricité qui lui est ainsi fournie, la cour d'appel a violé par fausse application l'article 1386-6, devenu 1245-5, du code civil, ensemble l'article 1386-3, devenu 1245-2, du même code. »

Réponse de la Cour

7. Selon l'article 2 de la directive 85/374/CEE, pour l'application de cette directive, le terme « produit » désigne également l'électricité et, selon l'article 3, paragraphe 1, le terme « producteur » désigne le fabricant d'un produit fini, le producteur d'une matière première ou le fabricant d'une partie composante, et toute personne qui se présente comme producteur en apposant sur le produit son nom, sa marque ou un autre signe distinctif.

8. La directive 85/374/CEE a été transposée en droit interne par la loi n° 98-389 du 19 mai 1998 aux articles 1386-1 à 1386-18, devenus 1245 à 1245-17, du code civil.

9. Aux termes de l'article 1386-3, devenu 1245-2, du code civil, l'électricité est considérée comme un produit et, aux termes de l'article 1386-6, devenu 1245-5, alinéa 1er, du même code, est producteur, lorsqu'il agit à titre professionnel, le fabricant d'un produit fini, le producteur d'une matière première, le fabricant d'une partie composante.

10. Répondant à la question préjudicielle précitée, la CJUE a dit pour droit :

« L'article 3, paragraphe 1, de la directive 85/374/CEE du Conseil, du 25 juillet 1985, relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des Etats membres en matière de responsabilité du fait des produits défectueux, telle que modifiée par la directive 1999/34/CE du Parlement européen et du Conseil, du 10 mai 1999, doit être interprété en ce sens que le gestionnaire d'un réseau de distribution d'électricité doit être considéré comme étant un « producteur », au sens de cette disposition, dès lors qu'il modifie le niveau de tension de l'électricité en vue de sa distribution au client final. »

11. Elle a, à cet effet, précisé qu'un gestionnaire d'un réseau de distribution d'électricité ne se limite pas à livrer de l'électricité, mais participe au processus de sa production en modifiant une de ses caractéristiques, à savoir sa tension, en vue de la mettre en état d'être offerte au public aux fins d'être utilisée ou consommée (point 45).

12. Il en résulte que le gestionnaire d'un réseau de distribution d'électricité doit être considéré comme un « producteur », au sens de l'article 1386-6, devenu 1245-5, alinéa 1er, du code civil, dès lors qu'il modifie le niveau de tension de l'électricité en vue de sa distribution au client final.

13. Le moyen, qui postule le contraire, n'est donc pas fondé.

Sur le moyen, pris en sa seconde branche

Enoncé du moyen

14. Les sociétés Cafpi et Aviva font le même grief à l'arrêt, alors « que le régime de la responsabilité du fait des produits défectueux n'exclut pas l'application d'autres régimes de responsabilité contractuelle ou extra contractuelle, pourvu que ceux-ci reposent sur des fondements différents de celui d'un défaut de sécurité du produit litigieux, tels notamment la faute ; qu'en retenant, pour statuer comme elle l'a fait, que la localisation de la surtension et la rupture du neutre étaient une question distincte relevant de la question du lien de causalité entre le défaut de sécurité du produit et le dommage cependant qu'il lui appartenait de rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si ces éléments, tels que constatés par les experts, n'étaient pas de nature à caractériser un manquement de la société Enedis à ses obligations et à entraîner sa responsabilité contractuelle, exclusive du régime de prescription propre à la responsabilité du fait des produits défectueux, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1386-6, devenu 1245-5 et 1386-17, devenu 1245-16, du code civil, ensemble l'article 1147 du code civil dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016. »

Réponse de la Cour

15. Il résulte de l'article 1386-18, devenu 1245-17, du code civil, que, si le régime de la responsabilité du fait des produits défectueux n'exclut pas l'application d'autres régimes de responsabilité contractuelle ou extracontractuelle, c'est à la condition que ceux-ci reposent sur des fondements différents.

16. Ayant retenu, en premier lieu, que l'électricité constitue au sens de l'article 1386-3 du code civil un produit, en deuxième lieu, qu'il était établi que le dommage était consécutif à une surtension, liée elle-même à une rupture du neutre du réseau de distribution triphasé d'[Enedis], en troisième lieu, que cette surtension était constitutive d'un défaut de sécurité, ce dont elle a déduit que le litige ressortait du seul régime de la responsabilité pour produits défectueux, dès lors que l'action était dirigée contre Enedis, qui est un producteur, en raison d'un défaut de sécurité du produit litigieux, la cour d'appel, qui a ainsi exclu que le manquement invoqué à l'obligation de résultat d'entretien des branchements du réseau constitue un fondement distinct du défaut du produit en cause et procédé à la recherche prétendument omise, a légalement justifié sa décision.

17. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.