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Décisions

CA Montpellier, 2e ch., 25 octobre 2011, n° 10/08036

MONTPELLIER

Arrêt

Infirmation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bachasson

Conseillers :

M. Prouzat, Mme Olive

Avoués :

SCP Garrigue, SCP Negre - Pepratx Negre

Avocats :

Me Calmels, Me Cros

T. com. Montpellier, du 27 août 2010, n°…

27 août 2010

FAITS et PROCEDURE MOYENS et PRETENTIONS DES PARTIES :

Par courrier du 24 juin 2008, Michel Guyon L. a adressé à la SARL Sud Séchage, société exerçant à Sète une activité de commerce de gros de bois et matériaux de construction, dont il venait de visiter les locaux, une offre d'acquisition d'un matériel de scierie lui appartenant, aux conditions suivantes :

« Ensemble bâti avec chariot et mécanisation + empilage + dépilage + déligneuse + tronçonneuse + pont roulant + dock de chargement.

Ensemble bâti 150 avec chariot et mécanisation + aspiration + cyclone.

Le contenu des 2 salles d'affûtage.

Prix : entre 80 000 € et 100 000 € suivant le temps que vous nous laissez pour faire le démontage ».

Par jugement du 10 juillet 2008, le tribunal de commerce de Sète a prononcé la liquidation judiciaire de la société Sud Séchage et désigné maître Michel Strebler en qualité de liquidateur.

Ayant été informé de la liquidation judiciaire de la société, M. G. a, par courrier du 1er août 2008, confirmé au liquidateur son offre d'acquisition du matériel pour la somme de 80 000,00 euros ; il a ensuite sollicité, le 26 août, la liste du matériel de scierie, affûtage, aspiration, compresseur, séchage, élévateur et bureaux, qui aurait été répertorié par votre huissier sur l'entreprise Sud Séchage.

Maître Strebler a, par requête déposée le 12 septembre 2008, demandé au juge commissaire de se prononcer sur l'offre d'achat et par ordonnance du 17 septembre 2008, ce dernier a ordonné, sur le fondement des articles L. 621-9 et L. 642-19 du code de commerce, la vente de gré à gré à M. G. du matériel d'exploitation, du matériel roulant, du matériel de scierie et d'affûtage et du matériel de bureau appartenant à la société Sud Séchage, à l'exception de tout actif revendiqué, moyennant le prix de 80 000,00 euros, payable comptant à l'enlèvement.

Dès le 19 septembre 2008, maître Strebler a sollicité le paiement du prix de vente à M. G., qui lui a alors indiqué qu'à défaut d'un inventaire détaillé du matériel, il ne pourrait donner suite à son offre d'achat, craignant qu'entre sa visite de l'entreprise et le prononcé de l'ordonnance du juge commissaire, une partie de celui-ci ait disparu.

Maître Strebler lui ayant communiqué, le 26 novembre 2008, un procès-verbal d'inventaire dressé le 20 octobre 2008, M. G. a, par courrier du 16 décembre 2008, informé celui-ci qu'il n'envisageait plus de poursuivre son projet d'acquisition, après avoir relevé que le procès-verbal d'inventaire ne portait mention d'aucune salle d'affûtage, d'aucun compresseur, d'aucune chaudière, d'aucune cellule de séchoir, ni d'aucun chariot à grumes.

Le 5 février 2009, maître Strebler lui a fait délivrer, en vain, une sommation d'avoir à prendre possession du matériel et à s'acquitter du prix de vente.

Par acte du 23 septembre 2009, maître Strebler, pris en sa qualité de liquidateur à la liquidation judiciaire de la société Sud Séchage, a donc fait assigner M. G. devant le tribunal de commerce de Montpellier en vue d'obtenir le paiement de la somme de 80 000,00 euros au titre du prix de vente, outre intérêts, l'enlèvement sous astreinte du matériel et l'indemnisation des préjudices annexes, subis.

En cours d'instance, M. G. a été mis en redressement judiciaire par un jugement du tribunal de commerce de Saintes en date du 5 novembre 2009, qui a également désigné maître Sylvie Devos Bot en qualité de mandataire judiciaire.

Maître Strebler ès qualités a déclaré la créance à la procédure collective de M. G. et appelé en cause maître Devos Bot.

Par un jugement du 27 août 2010, le tribunal a notamment :

- dit que la vente est parfaite depuis le 19 septembre 2008,

- condamné en conséquence M. G. à payer à Maître Strebler ès qualités la somme de 80 000,00 euros assortie des intérêts au taux légal à compter du 19 septembre 2008,

- condamné M. G.L. à payer à maître Strebler la somme de 100,00 euros par jour de retard commençant à courir 8 jours après la signification de la décision,

- condamné, au titre de la réparation des préjudices subis, M. G. à payer à maître Strebler le montant du loyer (soit 4218,88 € HT par mois) à compter du 1er octobre 2008,

- déclaré le jugement opposable à maître Devos Bot,

- condamné M. G. à payer à maître Strebler la somme de 1000,00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

M. G. a régulièrement relevé appel de ce jugement par déclaration faite le 7 octobre 2010 au greffe de la cour.

L'ensemble des parties a constitué avoué et conclu.

L'ordonnance de clôture, prise initialement le 13 septembre 2011, a été révoquée et une nouvelle clôture de l'instruction a été prononcée le 27 septembre 2011, préalablement à l'ouverture des débats.

M. G. conclut, par infirmation du jugement, au rejet de l'ensemble des demandes présentées par maître Strebler et à la fixation au passif de la liquidation judiciaire de la société Sud Séchage de la somme de 4 000,00 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Au soutien de son appel, il fait essentiellement valoir que :

- l'offre d'achat, consécutive à sa visite des locaux en juin 2008, avant l'ouverture de la liquidation judiciaire de la société Sud Séchage, concernait l'intégralité des matériels alors présents sur les lieux,

- il est évident qu'une fois la procédure collective ouverte, cette offre était sous la condition suspensive de l'établissement d'un inventaire et d'un recollement par rapport à celui ci lors de la livraison, ce dont il résulte qu'en l'absence d'un inventaire, réalisé préalablement à l'ordonnance du juge commissaire, la vente ne saurait être considérée comme parfaite au sens de l'article 1583 du code civil

- l'ordonnance du 17 septembre 2008 se trouve entachée d'illégalité, dès lors que la description des matériels n'y est pas définie, le liquidateur, comme le juge commissaire, se trouvant, en effet, faute d'inventaire, dans l'impossibilité de décrire les actifs susceptibles de faire l'objet d'une revendication par un tiers,

- cette ordonnance ne précise, en outre, ni le délai d'enlèvement du matériel, ni le délai de règlement, et le juge commissaire ne pouvait qu'autoriser la vente de gré à gré et non, comme il l'a fait, ordonner la vente,

- s'il s'est porté acquéreur des matériels d'équipement de la société Sud Séchage, il ne saurait être tenu de régler le loyer des locaux de la société, alors que maître Strebler s'est abstenu de résilier le contrat de location et qu'il ne démontre pas en quoi la présence de ces matériels dans les locaux justifiait la poursuite du bail.

Formant appel incident, maître Strebler ès qualités demande à la cour de réformer le jugement et, en conséquence, de :

A titre principal :

Vu les articles 1134 et 1138 du code civil,

- condamner M. G. à lui payer, au titre du prix de la vente du 17 septembre 2008, la somme de 80 000,00 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter de cette date,

A titre subsidiaire :

Vu les articles 1146 et 1147 du code civil,

- condamner M. G. à lui payer, à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice tiré de la perte des matériels vendus, et en raison de la faute tirée de l'inexécution de la vente, la somme de 80 000,00 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 17 septembre 2008,

En toute hypothèse :

- dire et juger n'y avoir lieu à statuer sur sa demande tendant à la condamnation de M. G. d'avoir à procéder sous astreinte à l'enlèvement des matériels achetés,

- dire et juger M. G. débiteur, au titre de la réparation des préjudices subis, du montant du loyer et des indemnités d'occupation, soit 4212,88 euros HT par mois, à compter du 1er octobre 2008 jusqu'au 1er février 2011, soit la somme de 117 960,64 euros HT ou 141 080,85 euros TTC,

- condamner M. G. à lui payer, à titre de créance postérieure au jugement du 5 novembre 2009, la somme de 74 739,30 euros (loyers et indemnités d'occupation du 5 novembre 2009 au 1er février 2011),

- fixer sa créance à la procédure de redressement judiciaire de M. G., à titre de créance antérieure au jugement du 5 novembre 2009, à la somme de 147 341,61 euros [80 000 € (prix de cession ou dommages et intérêts) + 66 341,61 € (loyers du 1er octobre 2008 au 5 novembre 2009) + 1000 € (frais irrépétibles de 1ère instance), outre les intérêts au taux légal depuis le 17 septembre 2008 sur la somme de 80 000 €].

Il sollicite, par ailleurs, la confirmation du jugement en ce qu'il a déclaré opposable le jugement à maître Devos Bot et condamné M. G. à lui payer la somme de 1000,00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ; enfin, il demande que celui-ci soit condamné à lui payer la somme de 2500,00 euros en remboursement de ses frais irrépétibles exposés en appel.

Il fait notamment valoir que :

- les engagements de M. G. doivent être appréciés au regard de son offre du 1er août 2008, qui a été acceptée, faite par un commerçant averti, dans la branche d'activité considérée, après visite des locaux et évaluation des matériels,

- l'offre, qui mentionne avec précision l'objet de la vente et le prix proposé, est une offre ferme, qui n'a été soumise à aucune condition particulière, suspensive ou résolutoire,

- la vente est donc devenue parfaite à la suite de l'ordonnance du juge commissaire prononcée 17 septembre 2008, l'article L. 622-6 du code de commerce n'imposant nullement l'établissement d'un inventaire comme préalable à la cession de gré à gré des meubles du débiteur,

- reprenant précisément les termes de l'offre de M. G., cette ordonnance a acquis force de chose jugée, à défaut de recours, et empêche ainsi l'intéressé de se rétracter,

- la perte des matériels, objet de la vente, enlevés le 1er février 2011 par la société Derichebourg Environnement, propriétaire des locaux, doit être assumée par M. G., qui avait été mis en demeure, à plusieurs reprises, d'avoir à prendre possession des matériels et qui avait été informé que la société Derichebourg allait procéder à la reprise de l'immeuble loué,

- son abstention constitue, d'ailleurs, une faute contractuelle de sa part, la perte des matériels constituant un préjudice pour la liquidation judiciaire de la société Sud Séchage, lequel doit être estimé à 80 000,00 euros,

- de même, l'abstention de M. G. à prendre possession des matériels l'a contraint à poursuivre le bail des locaux, à défaut d'une autre solution plus économique.

Maître Devos Bot ès qualités déclare, pour sa part, faire siennes les moyens et prétentions développés par M. G..

MOTIFS de la DECISION :

L'article L. 642-19, alinéa 1er, du code de commerce, dans sa rédaction issue de la loi n° 2005-845 du 26 juillet 2005, dispose qu'après avoir entendu les observations des contrôleurs, le juge commissaire ordonne la vente aux enchères publiques ou autorise la vente de gré à gré des autres biens du débiteur, ce dernier étant entendu ou dûment appelé ; il est à cet égard de principe que la vente de gré à gré d'un élément de l'actif mobilier du débiteur en liquidation judiciaire est parfaite dès l'ordonnance du juge commissaire qui l'autorise, sous la condition suspensive que la décision acquière force de chose jugée.

En l'occurrence, M. G., qui a eu connaissance, dès le 25 septembre 2008, de l'ordonnance du juge commissaire à la liquidation judiciaire de la société Sud Séchage, ne prétend pas avoir formé un recours à l'encontre de cette décision ayant ordonné la vente du matériel d'exploitation, du matériel roulant, du matériel de scierie et d'affûtage et du matériel de bureau de cette société, à l'exception de tout actif revendiqué, moyennant le prix de 80 000,00 euros.

Il importe néanmoins de rechercher si l'intéressé n'avait pas lui-même assorti son offre d'achat de conditions, dont la défaillance aurait été de nature à entraîner rétroactivement la caducité de la vente.

A cet égard, il résulte des pièces produites que M. G. a, le 1er août 2008, réitéré auprès de maître Strebler, en sa qualité de liquidateur à la liquidation judiciaire de la société Sud Séchage, l'offre d'achat des matériels d'exploitation de la société, précédemment formulée par courrier du 24 juin 2008, et qu'il a ensuite, le 26 août 2008, soit antérieurement à la saisine du juge commissaire, demandé à maître Strebler de lui faire parvenir la liste des matériels répertoriés par son huissier de justice (sic) ; il a renouvelé, le 12 septembre 2008, sa demande visant à obtenir la liste complète et détaillée des matériels, ayant appris que son offre allait être déposée au greffe du tribunal de commerce ; lorsque M. G. a ainsi réitéré son offre d'achat, plus d'un mois s'était écoulé depuis sa visite des locaux de la société Sud Séchage, ayant déterminé son offre du 24 juin 2008, et la liquidation judiciaire de la société avait été entre temps prononcée par un jugement du tribunal de commerce de Sète en date du 10 juillet 2008, lequel avait notamment désigné maître P. Gauthier, huissier de justice, afin qu'il soit procédé à l'inventaire et à la prisée du patrimoine du débiteur.

L'offre d'achat réitérée de M. G. ne pouvait, à l'évidence, porter que sur les matériels visés dans son courrier du 24 juin 2008, sous réserve qu'ils se trouvent encore en nature dans les locaux de l'entreprise lors de l'établissement de l'inventaire, devant être dressé à l'ouverture de la procédure de liquidation judiciaire ; l'article L. 622-6 du code de commerce, dans sa rédaction de la loi du 26 juillet 2005, dispose, en effet, que dès l'ouverture de la procédure, il est dressé un inventaire et réalisé une prisée du patrimoine du débiteur ainsi que des garanties qui le grèvent et que cet inventaire, remis à l'administrateur et au mandataire judiciaire, est complété par le débiteur par la mention des biens qu'il détient susceptibles d'être revendiqués par un tiers.

Certes, c'est à juste titre que maître Strebler soutient que l'article L. 622-6 n'impose pas l'établissement d'un inventaire comme préalable à la vente de gré à gré des meubles du débiteur.

Pour autant, il se déduit de la teneur des courriers de M. G. des 1er, 26 août et 12 septembre 2008, que l'offre de celui-ci a été faite sous la réserve que les matériels d'exploitation visés dans son courrier du 24 juin 2008, se retrouvent encore dans les locaux de l'entreprise après sa mise en liquidation judiciaire ; il n'a sollicité, à plusieurs reprises, auprès de maître Strebler la communication de l'inventaire des biens de l'entreprise que pour s'assurer que ceux, qu'il offrait d'acquérir, étaient bien présents.

En saisissant le juge commissaire, le 12 septembre 2008, deux mois après le jugement d'ouverture, afin qu'il se prononce sur l'offre d'achat de M. G., maître Strebler ne pouvait ignorer la réserve dont cette offre se trouvait assortie.

La recherche de la commune intention des parties contractantes conduit donc à considérer que la vente autorisée par le juge commissaire aux termes de son ordonnance du 17 septembre 2008, l'a également été sous la condition suspensive de l'établissement d'un inventaire, faisant apparaître que les matériels décrits dans le courrier de M. G. du 24 juin 2008, existaient encore en nature dans le patrimoine de l'entreprise ; selon que cette condition, implicitement mais nécessairement stipulée, défaillait ou pas, la vente serait devenue caduque ou aurait été confirmée, rétroactivement.

Or, le procès-verbal d'inventaire dressé le 20 octobre 2008 par maître P. Gautier, huissier de justice, trois mois après l'ouverture de la procédure collective, tel qu'il a été communiqué à M. G. le 26 novembre 2008, met en évidence le fait qu'une partie significative des matériels mentionnés dans le courrier de celui-ci du 24 juin 2008, a depuis lors disparu ; aucune réponse n'a été apportée par maître Strebler à M. G., qui, par courrier du 3 décembre 2008, relevait notamment que le procès-verbal d'inventaire ne fait mention d'aucune salle d'affûtage, d'aucun compresseur, d'aucune chaudière, d'aucune cellule de séchoir, ni d'aucun chariot à grumes.

Il convient dès lors de considérer que la condition liée à l'établissement d'un inventaire, démontrant que les matériels, objet de l'offre d'achat, se trouvaient toujours dans le patrimoine de la société Sud Séchage lors de l'ouverture de la procédure collective, ne s'est pas réalisée, sans qu'il puisse être imputé à M. G., auquel n'incombait d'ailleurs pas l'établissement d'un tel inventaire, d'avoir empêché l'accomplissement de la condition ; il s'ensuit que la vente autorisée par l'ordonnance du juge commissaire du 17 septembre 2008 est devenue caduque en raison de la défaillance de la condition, qui y était stipulée.

Le jugement entrepris doit en conséquence être infirmé et maître Strebler, débouté de l'ensemble de ses prétentions, dirigées à l'encontre de M. G., tant en ce qui concerne le paiement du prix de vente que l'allocation de dommages et intérêts complémentaires.

Au regard de la solution apportée au règlement du litige, chacune des parties conservera à sa charge les dépens personnellement exposés en première instance et en cause d'appel ; il n'y a pas lieu, dans ces conditions, à l'application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS :

La cour,

Infirme le jugement entrepris et statuant à nouveau,

Déboute maître Strebler, pris en sa qualité de liquidateur à la liquidation judiciaire de la société Sud Séchage, de l'ensemble de ses prétentions, dirigées à l'encontre de M. G.,

Dit que chacune des parties conservera à sa charge les dépens personnellement exposés en première instance et en cause d'appel, les dépens d'appel étant recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile,

Rejette les demandes présentées sur le fondement de l'article 700 du même code.