CSA, 17 décembre 2009
CONSEIL SUPÉRIEUR DE L'AUDIOVISUEL (DEVENU L'ARCOM)
Avis
relative à un différend opposant les sociétés BFM TV et Canal+ Distribution
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Boyon
Vu la loi no 86-1067 du 30 septembre 1986 modifiée relative à la liberté de communication, notamment son article 17-1 ;
Vu le décret no 2006-1084 du 29 août 2006 pris pour l'application de l'article 17-1 de la loi du 30 septembre 1986 et relatif à la procédure de règlement des différends par le Conseil supérieur de l'audiovisuel ;
Vu le règlement intérieur du Conseil supérieur de l'audiovisuel ;
Vu la demande de règlement de différend, enregistrée le 10 juin 2009, présentée par la société BFM TV, dont le siège social est 12, rue d'Oradour-sur-Glane, 75015 Paris, représentée par Me François Molinié ;
Le différend porte sur la numérotation de la chaîne BFM TV dans le plan de services de l'offre Canalsat distribuée par la société Canal+ Distribution.
La société BFM TV demande au Conseil d'enjoindre à la société Canal+ Distribution de placer la chaîne BFM TV, d'une part, sur le numéro 15 du plan de services du distributeur et, d'autre part, à la suite immédiate des chaînes I>Télé et LCI dans le bloc thématique « information » ;
En premier lieu, la société BFM TV soutient que l'article 34-4 de la loi du 30 septembre 1986 obligerait les distributeurs attribuant aux chaînes « historiques » de la télévision numérique terrestre (TNT) leur numéro logique, à l'e ffectuer également pour les autres chaînes de la TNT. La possibilité pour les distributeurs de services d'organiser leur plan de services selon un classement thématique ne pourrait être utilisée pour contourner cette obligation de non-discrimination. La société estime, au surplus, que la composition du premier bloc thématique de l'offre Canalsat, consacré aux « grandes chaînes généralistes », serait hétérogène. Enfin, elle considère que l'antériorité d'occupation du numéro ne pourrait être invoquée pour maintenir la chaîne TPS Star sur le numéro 15. Le respect de la numérotation logique primerait sur l'ancienneté d'occupation d'un numéro ;
En second lieu, la société BFM TV considère que le placement de la chaîne BFM TV dans le bloc thématique « information » serait contraire aux principes d'équité et de non-discrimination. Le Conseil ne serait pas tenu par sa précédente décision de règlement du différend relatif à la numérotation opposant les sociétés Canal+ Distribution et BFM TV. Les chaînes I>Télé, LCI et BFM TV auraient chacune aujourd'hui une programmation fondée sur un suivi permanent de l'actualité généraliste. La chaîne Euronews, placée actuellement à la suite immédiate de I>Télé et LCI dans le plan de services de Canalsat, ne serait en revanche pas une chaîne d'information généraliste, dès lors qu'elle traiterait presque exclusivement de l'actualité internationale et européenne. À cet égard, le critère de similitude de programmation devrait, selon la société BFM TV, primer sur celui de l'antériorité d'occupation du numéro dans la détermination de la numérotation dans chaque thématique ;
En conséquence, la société BFM TV demande au Conseil d'enjoindre à la société Canal+ Distribution :
* de respecter, dans l'offre de services Canalsat, la numérotation logique attribuée par le Conseil supérieur de l'a udiovisuel aux chaînes de la TNT gratuite, notamment, d'affecter le numéro 15 à la chaîne BFM TV ;
* de numéroter la chaîne BFM TV de manière équitable et non discriminatoire dans le classement thématique des chaînes d'i nformations généralistes du plan de services de l'offre Canalsat ;
Vu les observations en défense, enregistrées le 1er juillet 2009, présentées par la société Canal+ Distribution, dont le siège social est 1, place du Spectacle, 92863 Issy-les-Moulineaux cedex 9, représentée par Me Pascal Wilhelm ;
La société Canal+ Distribution soutient que la demande de la société BFM TV visant à obtenir le placement de sa chaîne sur le numéro 15 sur le fondement de l'article 34-4 de la loi du 30 septembre 1986 s'inscrirait dans une démarche de régulation sectorielle de portée générale pour laquelle le Conseil serait incompétent ;
Elle estime également que les demandes de BFM TV relèveraient, en méconnaissance du principe de l'autorité de la chose jugée, d'une question déjà tranchée par le Conseil le 5 juin 2007 dans le cadre du règlement d'un premier différend relatif à la numérotation opposant les sociétés Canal+ Distribution et BFM TV ;
La société Canal+ Distribution considère que l'article 34-4 n'interdirait pas, dans le cadre de la reprise des chaînes dans des blocs thématiques, d'attribuer à des chaînes de la TNT une numérotation correspondant à la numérotation logique définie par le Conseil. Les termes de cet article seraient clairs et n'a uraient donc pas à faire l'objet d'une interprétation se référant aux débats parlementaires, qui en tout état de cause confirmeraient l'interprétation de Canal+ Distribution. L'a pplication de l'article 34-4 dans le sens voulu par la société BFM TV porterait manifestement atteinte au principe de liberté du commerce ;
S'agissant du placement de la chaîne BFM TV à la suite immédiate des chaînes I>Télé et LCI, la société Canal+ Distribution soutient qu'elle serait libre de déterminer dans un bloc thématique les numéros attribués aux chaînes, et ce au nom du principe de la liberté du commerce et de l'industrie ;
En conséquence, la société Canal+ Distribution demande au Conseil :
* de juger que la demande visant à ce que l'ensemble des chaînes de la TNT gratuite soit numéroté de 1 à 18 selon leur numérotation logique est irrecevable ;
* de constater que la société Canal+ Distribution respecte les dispositions de l'article 34-4 de la loi du 30 septembre 1986 ;
* de constater qu'aucune pratique discriminatoire à l'égard de la société BFM TV ne saurait être imputée à la société Canal+ Distribution dans le cadre de la gestion de son plan de services ;
* de déclarer en conséquence les demandes de la société BFM TV infondées ;
Vu les observations en réplique, enregistrées le 13 juillet 2009, présentées par la société BFM TV ;
La société BFM TV soutient que sa demande, portant sur l'attribution du numéro 15 dans le plan de services de l'offre Canalsat et non sur la numérotation des autres nouvelles chaînes de la TNT, aurait bien un caractère individuel et qu'elle serait recevable ;
Vu les observations, enregistrées le 24 juillet 2009, présentées par la société Canal+ Distribution et tendant aux mêmes fins ;
Vu les observations, enregistrées le 1er septembre 2009, présentées par la société BFM TV et tendant aux mêmes fins ;
Vu les observations, enregistrées le 18 septembre 2009, présentées par la société Canal+ Distribution ;
La société Canal+ Distribution soutient que l'opportunité et la portée du questionnaire adressé aux tiers intéressés seraient contestables. Les questions posées ne viseraient nullement le seul plan de services de l'offre Canalsat et la numérotation de la chaîne BFM TV. Elle estime également que les distributeurs concurrents de la société Canal+ Distribution et les éditeurs des chaînes « historiques » auraient dû être considérés comme tiers intéressés.
Enfin, elle considère que les réponses des sociétés France Télévisions, Direct 8, LCP-Assemblée nationale, Public Sénat et Jeunesse TV ne seraient pas pertinentes ;
En conséquence, la société Canal+ Distribution demande au Conseil d'écarter des débats les observations communiquées par les sociétés France Télévisions, Direct 8, LCP-Assemblée nationale, Public Sénat et Jeunesse TV ;
Vu les observations, enregistrées le 23 septembre 2009, présentées par la société BFM TV et tendant aux mêmes fins ;
La société BFM TV rappelle que la société Canal+ Distribution lui a adressé le 15 septembre 2009 un courrier par lequel elle annonce son intention de procéder à une modification de son plan de services, effective à partir du 13 octobre 2009, en déplaçant le bloc thématique « information » des numéros 40 à 49 aux numéros 50 à 59. Cette modification serait contraire aux dispositions de la délibération du 24 juillet 2007 du Conseil relative à la numérotation et aux exigences du législateur. La société BFM TV aurait été informée moins d'un mois avant sa mise en oeuvre, et la société Canal+ Distribution n'aurait pas indiqué les motifs justifiant ce changement de numérotation ;
Vu les observations, enregistrées le 23 septembre 2009, présentées par la société Canal+ Distribution ;
La société Canal+ Distribution soutient que la modification de la place du bloc thématique « information » dans le plan de services ne pourrait être soulevée dans le cadre du présent différend. Elle estime que la modification envisagée du plan de services de l'offre Canalsat ne concernerait pas la numérotation de la chaîne BFM TV dans le bloc thématique « information », la chaîne demeurant placée en quatrième place au sein de cette thématique ;
En conséquence, la société Canal+ Distribution demande au Conseil de décider qu'aucun texte, notamment la délibération du Conseil du 24 juillet 2007, n'impose à la société Canal+ Distribution le respect d'un préavis d'un mois avant la modification du placement des thématiques dans son plan de services ;
Vu les observations, enregistrées le 25 septembre 2009, présentées par la société BFM TV et tendant aux mêmes fins ;
Vu la décision du 3 juillet 2009 par laquelle le Conseil supérieur de l'audiovisuel a désigné les sociétés TPS Star et Euronews comme parties additionnelles ;
Vu les observations, enregistrées le 30 juillet 2009, présentées par la société TPS Star, dont le siège social est 1, place du Spectacle, 92863 Issy-les-Moulineaux cedex 9, représentée par Me Pascal Wilhelm ;
La société TPS Star reprend à son compte l'ensemble des arguments développés par la société Canal+ Distribution dans ses observations déposées les 1er et 24 juillet 2009 ;
Vu les observations, enregistrées le 12 août 2009, présentées par la société Euronews, dont le siège social est 60, chemin des Mouilles, 69130 Ecully ;
La société Euronews soutient que la chaîne Euronews aurait toujours été placée dans le bloc thématique « information » de l'offre Canalsat. Dans cette thématique, la chaîne aurait toujours reçu un numéro à la suite immédiate des chaînes I>télé et LCI. La qualification de « chaîne d'information généraliste » ne serait pas liée à la couverture géographique de la diffusion de la chaîne, ni au caractère international de ses choix éditoriaux. La société BFM TV n'apporterait aucun élément permettant de justifier que son placement serait contraire aux principes d'équité et de non-discrimination ;
Il ne serait nullement établi que le critère de similitude des programmes avancé par la société BFM TV devrait primer sur celui de l'antériorité. Au regard des programmations des deux chaînes, figurant dans les conventions conclues avec le Conseil, Euronews serait également fondée à être placée à côté des chaînes LCI et I>Télé. La société Euronews rappelle que la demande de la société BFM TV a d'ailleurs été précédemment rejetée par le Conseil ;
En conséquence, la société Euronews demande au Conseil de rejeter la seconde demande de la société BFM TV visant à accorder à sa chaîne la troisième position dans le bloc thématique « information », immédiatement à la suite des chaînes I>Télé et LCI, et en lieu et place de la chaîne Euronews ;
Vu les observations, enregistrées le 18 septembre 2009, présentées par la société Euronews et tendant aux mêmes fins ;
Vu la décision du 12 juin 2009 du directeur général du Conseil supérieur de l'audiovisuel nommant M. Mathieu Guennec en qualité de rapporteur et M. François-Xavier Bergot en qualité de rapporteur-adjoint pour l'instruction du présent règlement de différend ;
Vu la décision du 16 juin 2009 du Conseil supérieur de l'audiovisuel arrêtant un calendrier prévisionnel de procédure ;
Vu la décision du 30 juin 2009 du Conseil supérieur de l'audiovisuel portant extension du délai prévu à l'article 17-1 de la loi du 30 septembre 1986 ;
Vu la décision du 21 juillet 2009 du Conseil supérieur de l'audiovisuel désignant comme tiers intéressés à la procédure les sociétés France Télévisions, Direct 8, EDI TV, Télé Monte Carlo, NT1, LCP-Assemblée nationale, Public Sénat, SESI, MCM et Jeunesse TV ;
Vu les pièces établissant que les parties ont été régulièrement convoquées à une audience le 25 novembre 2009 ;
Vu les observations des tiers intéressés ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Par courrier du 17 novembre 2009, les sociétés Canal+ Distribution et TPS Star ont demandé que la séance d'examen du différend se déroule à huis clos. Par courrier du 17 novembre 2009, la société BFM TV a indiqué son souhait que la séance d'examen du différend soit publique. Le Conseil, réuni en assemblée plénière le 24 novembre 2009, a décidé que la séance d'examen du différend serait publique par les motifs qu'il ne ressort pas des pièces des dossiers que la publicité des audiences porterait atteinte aux secrets protégés par la loi et, notamment, au secret des affaires, et qu'aucun autre élément ne paraît justifier que l'audience ne soit pas publique ;
Après avoir entendu le 25 novembre 2009, lors de l'audience publique tenue par le collège :
* le rapport de M. Mathieu Guennec ;
* les observations de M. Frédéric Mion, M. Maxime Saada et Me Pascal Wilhelm, pour les sociétés Canal+ Distribution et TPS Star ;
* les observations de M. Alain Weill, M. Guillaume Dubois, Me François Molinié et M. Aurélien Pozzana, pour la société BFM TV ;
* les observations de M. Philippe Cayla, pour la société Euronews.
La société BFM TV édite un service de télévision à caractère national dénommé BFM TV, autorisé par le Conseil le 19 juillet 2005 conformément aux dispositions des articles 30-1 et 30-2 de la loi du 30 septembre 1986, pour une diffusion en clair par voie hertzienne terrestre en mode numérique. Le Conseil lui a attribué le numéro 15.
La société Canal+ Distribution exploite une offre commerciale de chaînes dénommée Canalsat, distribuée en mode numérique, sur des plates-formes satellite et ADSL. Elle intègre notamment les chaînes de la télévision numérique terrestre (TNT) gratuites.
À la date de la saisine, la chaîne BFM TV était accessible sur deux numéros dans le plan de services de l'offre Canalsat : dans le bloc thématique « information », sur le numéro 44, et dans le bloc thématique « TNT gratuite », sur le numéro 315.
La première thématique du plan de services de l'offre Canalsat, intitulée « Chaînes Canal+ - Grandes chaînes généralistes », regroupe les chaînes du groupe Canal+ et les chaînes nationales dites « historiques », diffusées par voie hertzienne terrestre en mode analogique avant leur diffusion en mode numérique, c'est-à-dire : TF1, France 2, France 3, Canal+, France 5, M6 et Arte. À la suite d'une modification du plan de services de l'offre Canalsat intervenue au mois d'octobre 2009, le bloc thématique « information » occupe désormais les numéros 50 à 59, la chaîne BFM TV étant placée sur le numéro 54.
Les sociétés membres de l'association Groupement « Télévision Numérique pour Tous », dont fait partie la société BFM TV, ont demandé par courrier du 11 mars 2009 à la société Canal+ Distribution le placement de leurs chaînes sur leur numéro logique. Par un courrier du 3 avril 2009, la société BFM TV a également contesté le placement de la chaîne dans le bloc thématique « information ». Par courriers du 27 mars 2009 et du 15 avril 2009, la société Canal+ Distribution a indiqué qu'elle n'entendait pas faire suite à ces demandes.
I. - Sur la recevabilité des demandes
I.1 - Demandes de la société BFM TV
La société Canal+ Distribution soutient que la demande de la société BFM TV visant à obtenir le placement de sa chaîne sur le numéro 15 sur le fondement de l'article 34-4 de la loi du 30 septembre 1986 ne porterait pas sur le règlement d'u n différend de nature individuelle, mais constituerait une demande de « mesure d'organisation générale de la distribution de services audiovisuels par satellite » ou une « démarche de régulation sectorielle » pour lesquelles le Conseil serait incompétent.
Le Conseil estime que la première demande de la société BFM TV doit être regardée comme tendant à obtenir le numéro 15 dans le plan de services de l'offre Canalsat. Cette demande traduit le caractère individuel du différend et un intérêt de la requérante lui donnant qualité pour agir.
La société Canal+ Distribution soutient également que la demande de BFM TV concernerait une question déjà tranchée le 5 juin 2007 par le Conseil dans le cadre du règlement d'un premier différend relatif à la numérotation.
Le Conseil considère que sa délibération du 24 juillet 2007 relative à la numérotation des chaînes (1) et la loi no 2009-258 du 5 mars 2009 relative à la communication audiovisuelle et au nouveau service public de la télévision ont modifié le régime juridique de la numérotation des chaînes et que la société BFM TV apporte des éléments factuels nouveaux.
Ces éléments justifient la recevabilité de la nouvelle demande de la société BFM TV sur ce point.
Le Conseil considère en outre que les demandes de la société BFM TV portent sur le « caractère objectif, équitable et non discriminatoire des conditions de mise à disposition du public de l'offre de programmes », et entrent ainsi dans le champ d'application de l'article 17-1 de la loi du 30 septembre 1986.
En conséquence, le Conseil se reconnaît compétent pour statuer sur la demande de règlement de différend présentée par la société BFM TV et écarte la fin de non-recevoir opposée à ses demandes.
I.2 - Demande de la société Canal+ Distribution
La société Canal+ Distribution demande au Conseil de déclarer qu'aucune disposition légale ou autre, notamment la délibération du Conseil du 24 juillet 2007, n'impose à Canal+ Distribution le respect d'un préavis d'un mois avant la modification du placement des thématiques dans son plan de services.
Le Conseil considère que cette question n'est pas liée au différend, qui concerne l'attribution à la chaîne BFM TV du numéro 15 sur le plan de services de l'offre Canalsat et le placement de la chaîne BFM TV à la suite immédiate des chaînes I>Télé et LCI.
En conséquence, la demande de la société Canal+ Distribution est irrecevable.
II.- Sur la demande de Canal+ Distribution concernant les observations des tiers intéressés
Les questions posées aux tiers intéressés par le Conseil revêtaient expressément un caractère indicatif. Les tiers intéressés ont donc eu toute liberté dans la formulation de leur réponse.
Le Conseil constate que la société Canal+ Distribution ne demande pas que les observations des sociétés éditant I>Télé et W9 soient écartées des débats.
Les éditeurs de chaînes « historiques » ne sont pas directement intéressés par le différend, celui-ci portant en premier lieu sur la numérotation des nouvelles chaînes de la TNT.
Les distributeurs concurrents de la société Canal+ Distribution ne sont pas non plus directement intéressés par le différend, dans la mesure où ce dernier porte précisément sur la numérotation dans le plan de services de l'offre Canalsat.
En conséquence, le Conseil considère que la demande de la société Canal+ Distribution tendant à écarter des débats les observations de certains tiers intéressés doit être rejetée.
III.- Sur le fond du différend
III-1 - Sur la demande de placement de la chaîne BFM TV sur le numéro 15
Pour justifier son placement sur le numéro 15 du plan de services de l'offre Canalsat, la société BFM TV invoque à titre principal l'article 34-4 de la loi du 30 septembre 1986.
En son deuxième alinéa, l'article 34-4 de la loi du 30 septembre 1986, dans sa rédaction issue de la loi du 5 mars 2009, pose le principe du respect par les distributeurs de services de la numérotation logique définie par le Conseil. Le caractère logique de la numérotation se rapporte au caractère immédiatement successif des numéros employés. Cet article dispose que : « Les distributeurs de services dont l'offre de programmes comprend l'ensemble des services nationaux de télévision en clair diffusés par voie hertzienne terrestre en mode numérique, s'ils ne respectent pas la numérotation logique définie par le Conseil supérieur de l'audiovisuel pour la télévision numérique terrestre, doivent assurer une reprise de ces services en respectant l'ordre de cette numérotation. Dans ce cas, la numérotation doit commencer à partir d'un nombre entier suivant immédiatement un multiple de cent, sans préjudice de la reprise de ces services dans l'ensemble thématique auquel ils appartiennent. »
Ces dispositions ont pour objectif de garantir une meilleure visibilité et une meilleure homogénéité de l'offre audiovisuelle gratuite sur l'ensemble des réseaux de communications électroniques.
Imposer aux distributeurs de respecter la numérotation logique constituerait toutefois une restriction à la liberté du commerce et de l'industrie dont ils disposent. Le législateur leur a donc garanti la possibilité de ne pas la respecter. Ils doivent dans ce cas « assurer une reprise de ces services en respectant l'ordre de cette numérotation, à partir d'un nombre entier suivant immédiatement un multiple de cent, sans préjudice de la reprise de ces services dans l'ensemble thématique auquel ils appartiennent ».
La société Canal+ Distribution affirme qu'elle n'aurait pas repris la numérotation logique. Elle dit avoir créé un bloc thématique « TNT », sur les numéros 301 à 318, et a placé les chaînes « historiques » dans un bloc thématique intitulé « Chaînes Canal+ - Grandes chaînes généralistes », mais sur leur numéro logique. En conséquence, dans le plan de services de l'offre Canalsat, seules les chaînes « historiques » seraient placées sur leur numéro logique. Les nouvelles chaînes de la TNT sont reprises dans le bloc thématique « TNT », placé sur les numéros 301 à 318, et dans d'autres blocs thématiques, définis principalement en fonction du format de la chaîne. Ainsi, la chaîne BFM TV était reprise, au moment de la saisine, dans le bloc thématique « information ».
Cette situation est contestée par la société BFM TV, qui estime qu'elle se trouve dans une situation de discrimination, prohibée par l'article 34-4 de la loi du 30 septembre 1986.
À la lettre, cet article ne semble prévoir que deux hypothèses, qui obligeraient toutes deux les distributeurs de services à traiter de la même manière l'ensemble des chaînes de la TNT, sans distinction entre les chaînes « historiques » et les nouvelles chaînes de la TNT :
* la première hypothèse est celle d'un respect total de la numérotation logique, les chaînes de la TNT étant toutes placées sur leur numéro logique ;
* la seconde est celle d'une reprise intégrale des chaînes de la TNT en début de centaine et dans l'ordre de la numérotation logique.
Le Conseil estime toutefois que les termes du deuxième alinéa de l'article 34-4 ne sont pas clairs dans la mesure où ils ne précisent pas si l'inexécution de l'obligation de respect de la numérotation logique peut être partielle, en ne plaçant que les chaînes « historiques » sur leur numéro logique, et ce, au titre du droit de reprise des chaînes dans un bloc thématique.
Le Conseil considère en conséquence qu'il y a lieu de se référer aux débats parlementaires afin d'identifier les objectifs poursuivis par le législateur.
L'analyse des débats, notamment lors de l'examen par le Sénat de l'amendement no 22 présenté par Mme Catherine Morin-Desailly et M. Michel Thiollière, et des amendements nos 180 et 432 présentés par M. Yves Pozzo di Borgo et Mme Catherine Dumas, fait ressortir l'intention du législateur d' interdire aux distributeurs de services la possibilité de ne placer sur leurs numéros logiques que les chaînes « historiques » de la TNT, au détriment des nouvelles chaînes de la TNT. Il a expressément entendu interdire aux distributeurs de structurer leur plan de services dans le respect partiel de la numérotation logique au profit des seules chaînes « historiques ».
Les distributeurs de services ont donc la possibilité :
* soit de respecter la numérotation logique ;
* soit de créer un bloc « TNT » en début de centaine, dans le respect de l'ordre de la numérotation logique.
Le Conseil estime que la société Canal+ Distribution n'est pas fondée à invoquer le droit de reprise dans un ensemble thématique pour faire échec à l'obligation de non-discrimination entre chaînes « historiques » et nouvelles chaînes de la TNT, dans l'hypothèse où les premières sont placées sur leur numéro logique.
La société Canal+ Distribution prétend toutefois que l'application de l'article 34-4 dans ce sens porterait atteinte au principe de liberté du commerce. À cet égard, il ressort de l'analyse des débats que le législateur a entendu préserver la liberté éditoriale des distributeurs qui conservent le choix de reprendre l'offre gratuite en respectant totalement la numérotation logique ou d'organiser leur plan de services de manière thématique.
Ainsi, lors de l'adoption du deuxième alinéa de l'article 34-4 de la loi du 30 septembre 1986, le législateur a entendu limiter la liberté du commerce et de l'industrie afin de garantir le respect d'autres principes de nature constitutionnelle, les principes d'égalité et de non-discrimination.
Ces principes sont également rappelés à l'article 3-1 de la loi du 30 septembre 1986 qui dispose que le Conseil « assure l'égalité de traitement » et veille « à l'établissement de relations non discriminatoires entre éditeurs et distributeurs de services quel que soit le réseau de communications électroniques utilisé par ces derniers » et « au caractère équitable, transparent, homogène et non discriminatoire de la numérotation des services de télévision dans les offres de programmes des distributeurs de services ».
Ces missions peuvent être exercées par le Conseil dans le cadre de sa compétence en matière de règlement de différends. Il a en effet le pouvoir de préciser les conditions permettant d'assurer le respect du « caractère objectif, équitable et non discriminatoire des conditions de la mise à disposition du public de l'offre de programmes ».
Au regard de tout ce qui précède, il y a lieu :
* de considérer que l'absence de placement de la chaîne BFM TV sur son numéro logique est contraire à l'article 34-4 de la loi du 30 septembre 1986 et ne présente pas un caractère « objectif, équitable et non discriminatoire » au sens de l'article 17-1 de cette loi, dans la mesure où les chaînes TF1, France 2, France 3, Canal+, France 5, M6 et Arte sont placées sur leur numéro logique ;
* d'enjoindre à la société Canal+ Distribution d'établir un plan de services de l'offre Canalsat assurant une numérotation du service BFM TV conforme aux dispositions des articles 3-1 et 34-4 de la loi no 86-1067 du 30 septembre 1986. Sauf à justifier d'un critère de numérotation conforme à ces dispositions permettant un autre positionnement, le service BFM TV devra être placé sur le numéro 15. En outre, ce plan ne devra comporter aucune discrimination, pour les numéros 1 à 18, entre les chaînes nationales diffusées sur la télévision numérique terrestre selon qu'elles étaient ou non diffusées auparavant en mode analogique.
III-2. - Sur la demande de placement de la chaîne BFM TV à la suite immédiate des chaînes LCI et I>Télé
La société BFM TV estime que le placement de la chaîne BFM TV dans le bloc thématique « information » serait contraire aux principes d'équité et de non-discrimination. Le Conseil ne serait pas tenu par sa précédente décision de règlement du différend relatif à la numérotation opposant les sociétés Canal+ Distribution et BFM TV. Les chaînes I>Télé, LCI et BFM TV auraient chacune aujourd'hui une programmation axée sur un suivi permanent de l'actualité généraliste. La chaîne Euronews ne serait pas en revanche une chaîne d'information généraliste, dès lors qu'elle traite presque exclusivement de l'actualité internationale et européenne. À cet égard, le critère de similitude de programmation devrait, selon la société BFM TV, primer sur celui de l'antériorité d'occupation du numéro dans la détermination de la numérotation au sein de chaque thématique.
Le Conseil considère que la chaîne Euronews, au regard de sa programmation, appartient à la catégorie des chaînes d'information généralistes.
La convention conclue entre le Conseil et la société Euronews prévoit que la programmation du service Euronews est « consacrée à l'information » (2), notamment aux « émissions d'information politique et générale » (3). Les conventions conclues entre le Conseil et les éditeurs des chaînes LCI et I>Télé prévoient également que la programmation de ces services est « consacrée à l'information » (4). La convention conclue entre le Conseil et la société BFM TV prévoit que le service BFM TV est « consacré à l'information, notamment économique et financière » (5).
Le Conseil considère que la similitude des programmations des chaînes LCI et I>Télé, d'une part, et de la chaîne Euronews, d' autre part, est susceptible de justifier le placement actuel dans le bloc thématique « information ».
Mais il estime que l'évolution de la programmation de la chaîne BFM TV, qui serait aujourd'hui davantage axée sur un suivi permanent de l'actualité généraliste, n'est pas de nature à remettre en cause le choix de la société Canal+ Distribution.
La société Canal+ Distribution est par conséquent fondée à maintenir la chaîne Euronews à la suite immédiate des chaînes LCI et I>Télé.
Le placement de la chaîne BFM TV dans le bloc thématique « information » n'est ainsi pas contraire aux principes d'équité et de non-discrimination, au sens des articles 3-1 et 17-1 de la loi du 30 septembre 1986.
Le Conseil estime en conséquence qu'il y a lieu de rejeter cette demande de la société BFM TV.
Après en avoir délibéré le 17 décembre 2009, hors la présence du rapporteur,
Décide :
Article 1er
Il est enjoint à la société Canal+ Distribution d'établir un plan de services de l'offre Canalsat assurant une numérotation du service BFM TV conforme aux dispositions des articles 3-1 et 34-4 de la loi no 86-1067 du 30 septembre 1986. Sauf à justifier d'un critère de numérotation conforme à ces dispositions qui permettrait un autre positionnement, le service BFM TV devra être placé sur le numéro 15. En outre, ce plan ne devra comporter aucune discrimination, pour les numéros 1 à 18, entre les chaînes nationales diffusées sur la télévision numérique terrestre selon qu'elles étaient ou non diffusées auparavant en mode analogique.
Le plan devra être communiqué au Conseil dans un délai de deux mois à compter de la notification de la présente décision, en vue de sa mise en application effective au plus tard à l'expiration d'un délai de quatre mois à compter de la même date.
Article 2
La demande de la société BFM TV relative au placement de la chaîne BFM TV dans le bloc thématique « information » à la suite immédiate des chaînes LCI et I>Télé est rejetée.
Article 3
Les demandes des sociétés Canal+ Distribution et TPS Star sont rejetées.
Article 4
La présente décision sera notifiée aux sociétés BFM TV, Canal+ Distribution, Euronews et TPS Star et publiée au Journal officiel de la République française.