Cass. com., 13 avril 2023, n° 20-16.369
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
PARTIES
Demandeur :
Horeca service (Sté)
Défendeur :
Eurimex (SAS), Wesina (EURL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Vigneau
Rapporteur :
Mme Michel-Amsellem
Avocats :
SCP Foussard et Froger, SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Metz, 13 février 2020), rendu sur renvoi après cassation (Com., 8 novembre 2017, pourvoi n° 16-14.632), par deux contrats d'approvisionnement conclus le 8 avril 2009, la société Horeca service s'est engagée à produire et fournir différents biscuits aux sociétés Eurimex et Wesina qui les commercialisaient en France et à l'étranger sous plusieurs marques, notamment, « Star-Snacks » et « Wesina ».
2. En 2010, soutenant que la société Horeca service n'avait pas respecté ses engagements contractuels, les sociétés Eurimex et Wesina, ainsi que M. [I], dirigeant de la société Wesina, l'ont assignée en réparation, sur le fondement des articles 1134 du code civil et L. 442-6 du code de commerce, puis, à la suite de la cassation de l'arrêt rendu dans cette affaire par la cour d'appel, ont invoqué, devant la juridiction de renvoi, les seuls articles 1134, 1184 et 1382 du code civil, dans leur rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016.
Examen des moyens
Sur le deuxième moyen, pris en ses première et deuxième branches, le troisième moyen du pourvoi principal, ainsi que le premier moyen, pris en sa cinquième branche, du pourvoi incident
3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le premier moyen du pourvoi principal
Enoncé du moyen
4. La société Horeca service fait grief à l'arrêt de déclarer recevables les demandes des sociétés Eurimex et Wesina, ainsi que de M. [I], fondées sur les articles 1134, 1184 et 1382 du code civil dans leur rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016, alors :
« 1°/ que les demandes fondées indistinctement sur le droit commun des obligations et sur l'article L. 442-6 ancien devenu L. 442-1 du code de commerce sont irrecevables lorsqu'elles sont formées en première instance devant une juridiction non spécialement désignée pour statuer sur les litiges relatifs à l'application de ce dernier texte ; qu'en un tel cas, il incombe à la juridiction d'appel du ressort de ce tribunal de constater, au besoin d'office, l'irrecevabilité de ces demandes ; qu'en retenant en l'espèce que les autres juridictions que celles spécialement désignées pour connaître des demandes fondées sur l'article L. 442-6 ancien du code de commerce demeuraient compétentes pour connaître de demandes formées sur le droit commun des obligations, quand il résultait de ses propres constatations et des données constantes du litige que les sociétés Eurimex et Wesina et M. [I] avaient saisi un tribunal non spécialisé de demandes fondées indistinctement sur le droit commun des obligations et sur l'article L. 442-6 ancien du code de commerce, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, en violation de l'article L. 442-6 devenu L. 442-1 et de l'article D. 442-3 du code de commerce, ensemble les articles R. 311-3 du code de l'organisation judiciaire et 122 et 125 du code de procédure civile ;
2°/ que l'irrecevabilité des demandes fondée sur la compétence exclusive d'une autre juridiction s'apprécie à la date de l'introduction de l'instance ; qu'en estimant pouvoir connaître de demandes irrecevables en première instance pour cette raison qu'elles étaient à présent fondées uniquement, au stade du renvoi après cassation, sur le droit commun des obligations, la cour d'appel a violé l'article L. 442-6 devenu L. 442-1 et de l'article D. 442-3 du code de commerce, ensemble les articles R. 311-3 du code de l'organisation judiciaire et 122 et 125 du code de procédure civile ;
3°/ que la régularisation des fins de non-recevoir ne peut intervenir que jusqu'au jour où le juge statue ; que lorsque la cause d'irrecevabilité tient dans le défaut de pouvoir de la juridiction de première instance pour connaître de certaines demandes, cette fin de non-recevoir doit avoir été régularisée avant que cette juridiction ne statue ; qu'en estimant pouvoir connaître de demandes irrecevables en première instance et dont le fondement juridique n'avait été modifié qu'en cause d'appel, sur renvoi après cassation, la cour d'appel a violé l'article L. 442-6 devenu L. 442-1 et de l'article D. 442-3 du code de commerce, ensemble les articles R. 311-3 du code de l'organisation judiciaire et 126 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
5. Une partie qui, dans une action en dommages et intérêts a fondé ses demandes indistinctement sur le droit commun de la responsabilité et sur les dispositions de l'article L. 442-6 du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019, devant une juridiction de première instance, puis une cour d'appel, non désignées par les articles D. 442-2 et D. 442-3 du code de commerce pour connaître de l'application de ces dernières dispositions législatives, peut, lorsqu'elle saisit la juridiction de renvoi désignée par l'arrêt ayant prononcé la cassation de l'arrêt d'appel, renoncer à invoquer les dispositions de l'article L. 442-6 du code de commerce et ne fonder son action que sur les seules dispositions du droit commun de la responsabilité.
6. L'arrêt relève que si, en première instance, les demandes des sociétés Eurimex et Wesina, ainsi que de M. [I], étaient fondées indistinctement sur le droit commun de la responsabilité et sur l'article L. 442-6 du code de commerce, dans sa rédaction alors applicable, ces demandeurs, dans leurs conclusions d'appel, ne sollicitent plus l'application de l'article L. 442-6 du code de commerce, mais seulement celle des dispositions générales du droit des obligations et de la responsabilité délictuelle.
7. De ces constatations, dont il ressort que les demandeurs à l'action avaient, en appel, renoncé à invoquer les dispositions de l'article L. 442-6 du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019, pour fondement de leurs demandes, rendant inopérants les griefs des deuxième et troisième branches, la cour d'appel a déduit à bon droit qu'elle pouvait examiner ces demandes qui, ainsi fondées, entraient dans le champ de son pouvoir juridictionnel, et qu'elles étaient recevables.
8. Le moyen n'est donc pas fondé.
Sur le deuxième moyen, pris en sa troisième branche, du pourvoi principal
Enoncé du moyen
9. La société Horeca service fait grief à l'arrêt de constater que l'action n'est pas prescrite et de déclarer recevables les demandes des sociétés Eurimex et Wesina, ainsi que de M. [I], sur le fondement des articles 1134, 1184 et 1382 du code civil, dans leur rédaction applicable au litige, alors « que la régularisation d'une fin de non-recevoir ne peut intervenir après l'expiration du délai de prescription ; qu'en s'abstenant de rechercher en l'espèce si la régularisation des demandes devant la juridiction de renvoi n'était pas intervenue au-delà du délai de prescription applicable à ces demandes, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 126 du code de procédure civile et L. 110-4 du code de commerce. »
Réponse de la cour
10. La demande en justice interrompt le délai de prescription.
11. L'arrêt relève, d'un côté, que la demande initiale était fondée notamment sur l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016, de l'autre, que la cour d'appel a été saisie par l'arrêt de la Cour de cassation du 8 novembre 2017, et, enfin, que les instances ont été poursuivies régulièrement sur le fondement de ces mêmes dispositions.
12. En déduisant de ces constatations que l'action initiale fondée sur l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016, qui n'avait pas besoin d'être régularisée, n'était pas prescrite, la cour d'appel, sans avoir à procéder à la recherche inopérante qu'il lui est reprochée d'avoir négligée, a légalement justifié sa décision.
Et sur le second moyen, pris en sa deuxième branche, du pourvoi incident
Enoncé du moyen
13. M. [I] fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes de dommages et intérêts, alors « que le juge ne peut fonder sa décision sur l'absence au dossier d'une pièce invoquée par une partie et dont la communication n'avait pas été contestée, sans inviter les parties à s'en expliquer et à la produire ; qu'en l'espèce, M. [I] avait soutenu, en renvoyant au contrat de licence de marque et à son avenant, qu'il avait un droit à royalties dont il avait été privé par la faute de la société Horeca service ; qu'en rejetant néanmoins toute demande à ce titre, aux motifs que "la cour ne trouve pas la liste des marques annexées au contrat" de licence de marque, sans inviter les parties à s'expliquer sur l'absence au dossier de cette annexe, dont l'existence n'était pas contestée, et qu'il lui appartenait d'inviter les sociétés Eurimex et Wesina et M. [I] à produire, la cour d'appel a violé l'article 4 du code civil et l'article 16 du code de procédure civile. »
Réponse de la cour
14. Il résulte des productions que le bordereau de communication de pièces communiquées des sociétés Eurimex et Wesina et de M. [I], annexé à leurs conclusions d'appel n° 2 et signifié à la partie adverse, indiquait, sous le numéro 207, l'« avenant au contrat de marque du 1er octobre 2005 » sans mentionner en tant que telle l'annexe à ce contrat de licence de marque comportant la liste des marques concernées et citée par l'avenant. Il résulte aussi des productions que l'« avenant au contrat de marque du 1er octobre 2005 » ne comporte aucune annexe.
15. Par conséquent, la cour d'appel pouvait se livrer à une analyse de l'avenant, pour constater qu'il ne comportait aucune liste annexée, sans être tenue d'inviter les sociétés Eurimex et Wesina ainsi que M. [I] à produire l'annexe qui ne faisait pas partie des pièces communiquées.
16. Le moyen, qui postule le contraire, n'est donc pas fondé.
Mais sur le premier moyen, pris en sa deuxième branche, du pourvoi incident
Enoncé du moyen
17. Les sociétés Eurimex et Wesina font grief à l'arrêt de limiter à un an l'indemnisation de la perte de marge brute qu'elles avaient subie au titre des pertes commerciales, alors « que le juge ne peut dénaturer l'écrit qui lui est soumis ; qu'en l'espèce, les contrats de 2009 ayant servi de base au calcul du préjudice stipulaient, d'une part, que les contrats seraient "renouvelable(s) par tacite reconduction pour des périodes de 3 années renouvelables jusqu'à résiliation des parties" (art. 8.1), d'autre part, qu'ils pourraient être résiliés "en respectant un préavis de 12 mois avant la fin de chaque période" (art. 9.1), de sorte que la résiliation faisait simplement échec au renouvellement du contrat à l'issue des trois ans sans permettre aux parties de le rompre de manière anticipée à l'intérieur de cette période ; qu'en relevant, pour limiter à un an la perte de marge brute que, "sur la base du contrat de 2009 les parties avaient entendu pouvoir revoir leur accord tous les 3 ans avec délai de prévenance de 12 mois en cas de résiliation anticipée", quand une telle faculté de résiliation anticipée n'était pas ouverte par les contrats considérés, la cour d'appel les a dénaturés, en violation du principe précité. »
Réponse de la cour
Vu l'obligation pour le juge de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis :
18. Pour fixer à une année de perte de marge brute le préjudice subi par les sociétés Eurimex et Wesina, l'arrêt relève que, par le contrat conclu en 2009, les parties avaient entendu pouvoir revoir leur accord tous les trois ans avec délai de prévenance de douze mois en cas de résiliation anticipée et possibilité de négocier les prix tous les ans en octobre. Après avoir observé que si aucune convention identique n'avait été écrite entre les parties pour les biscuits en barquettes, leur intention, dans leur relations contractuelles précédentes, était de pouvoir revoir les prix tous les ans, l'arrêt en déduit qu'il aurait pu être considéré que le contrat des barquettes était exécuté loyalement si les parties avaient entamé, en octobre 2010, des discussions pour une hausse des prix en janvier 2011. Il ajoute que si l'écrit n'est pas imposé, il sécurise toutefois l'exécution des conventions et retient que les sociétés Eurimex et Wesina ont donc fait preuve d'une certaine légèreté en ne sécurisant pas par écrit les accords et en ne prévoyant pas de pénalités en cas d'inexécution contractuelle. Il en conclut que seule la perte sur une année de marge brute peut être retenue.
19. En statuant ainsi, alors que le contrat du 8 avril 2009, produit aux débats, prévoyait à son article 8 qu'il était conclu jusqu'au 31 décembre 2010 et qu'il serait ensuite renouvelable par tacite reconduction pour des périodes de trois ans, puis à l'article 9, que la résiliation pouvait être le fait de chacune des parties « en respectant un préavis de 12 mois avant la fin de chaque période, mais pas avant le 31. 12. 2010 », ce dont il résulte que le contrat ne pouvait être résilié que tous les trois ans et non tous les ans, la cour d'appel, qui a dénaturé les termes clairs et précis du contrat, a violé le principe susvisé.
Sur le premier moyen, pris en sa troisième branche, du pourvoi incident
Enoncé du moyen
20. Les sociétés Eurimex et Wesina font le même grief à l'arrêt, alors « qu'en matière commerciale, le fait de ne pas constater par écrit l'existence d'un contrat et de ne pas assortir son inexécution d'une pénalité contractuelle n'est pas constitutif d'une faute ; qu'en limitant le préjudice subi par les sociétés Eurimex et Wesina à la perte d'un an de marge brute dès lors qu'elles avaient fait preuve d'une "certaine légèreté" en ne rédigeant pas leurs accords par écrit et en ne prévoyant pas de pénalités contractuelles, quand de telles circonstances n'étaient pas constitutives de fautes, la cour d'appel a violé l'article 1147 du code civil, dans sa version antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 1382, devenu 1240, du code civil et L. 103 du code de commerce :
21. Il résulte du premier de ces textes que la faute de la victime est une cause d'exonération partielle de responsabilité lorsqu'elle a contribué à la réalisation du dommage.
22. Il découle du second qu'entre commerçants, la preuve est libre.
23. Pour limiter à un an de perte de marge brute le préjudice subi par les sociétés Eurimex et Wesina, l'arrêt statue comme il a été précédemment rappelé.
24. En statuant ainsi, en retenant une faute contre les sociétés Eurimex et Wesina pour ne pas avoir fait constater par écrit leurs accords relatifs aux biscuits conditionnés en barquettes, alors qu'en matière commerciale, le fait de ne pas constituer d'accord écrit ne saurait, en soi, constituer une faute, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Portée et conséquences de la cassation
25. La cassation ne remet pas en cause la condamnation de la société Eurimex au paiement de la somme de 29 747 euros ni celle de la société Wesina au paiement de la somme de 10 603 euros, prononcées par l'arrêt au titre des films imprimés. Ces sommes doivent donc être déduites des condamnations globales de 148 717,29 euros et de 16 145,21 euros prononcées respectivement contre la société Eurimex et la société Wesina, et énoncées au dispositif cassé de l'arrêt.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres moyens du pourvoi principal et du pourvoi incident, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne la société Horeca service à payer aux sociétés Eurimex et Wesina, respectivement, les sommes de 118 970,29 euros et de 5 542,21 euros au titre des pertes commerciales, avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation du 19 octobre 2010, l'arrêt rendu le 13 février 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Metz ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Nancy.