CA Orléans, ch. com. économique et financière, 11 février 2010, n° 09/00990
ORLÉANS
Arrêt
Infirmation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Rémery
Conseillers :
M. Garnier, M. Monge
Avoués :
Me Garnier, SCP Laval Lueger
Avocat :
Selarl Bernabeu
EXPOSÉ DU LITIGE
La Cour statue sur l'appel, interjeté par les époux Y F, suivant déclaration du 18 mars 2009 (enrôlée sous le n° d'instance 09/00990), d'un jugement rendu le 4 février 2009 par le tribunal de commerce d'Orléans.
Pour l'exposé complet des faits, de la procédure, des prétentions et moyens des parties, il est expressément renvoyé à la décision déférée et aux dernières conclusions des parties signifiées et déposées les :
*15 décembre 2009 (par les époux Y F),
*17 décembre 2009 (par Me Saulnier, ès qualités de liquidateur judiciaire de Mme Z).
Dans le présent arrêt, il sera seulement rappelé ici que, Mme Z, qui exploitait le café de la mairie à Lailly en Val, ayant été mise en liquidation judiciaire le 21 mai 2008, une ordonnance du juge commissaire du 23 juillet 2008 a autorisé la cession de gré à gré des éléments subsistants de son fonds de commerce au profit des époux Y F pour le prix de 85.000 €. Le jugement déféré à la cour d'appel dans la présente instance a, sur recours formé contre cette ordonnance par les époux Y F, dit les motifs de celui-ci non justifiés et les a condamnés à payer au liquidateur judiciaire la somme de 35.000 € 'en réparation du préjudice causé à la liquidation judiciaire du fait de la rétractation de [l'] offre d'achat non fondée'.
Les époux Y F ont relevé appel nullité et réformation comme il a été indiqué plus haut.
Une ordonnance rendue le 1er octobre 2009 par le magistrat de la mise en état de la cour d'appel a rejeté la demande de Me Saulnier tendant à faire déclarer cet appel irrecevable
En appel, chaque partie a, plus précisément, développé les demandes et moyens qui seront analysés et discutés dans les motifs du présent arrêt.
A été recueilli l'avis du procureur général qui a conclu à. l'annulation du jugement déféré.
L'instruction a été clôturée par ordonnance du magistrat de la mise en état du 4 janvier 2010, dont les avoués des parties ont été avisés.
A l'issue des débats, le président d'audience a indiqué aux parties que l'arrêt serait prononcé le 11 février 2010, par sa mise à disposition au greffe de la Cour.
MOTIFS DE L'ARRÊT
Attendu, au préalable, que le liquidateur judiciaire ne reprend pas, devant la formation collégiale de la cour d'appel, son moyen tenant à l'irrecevabilité de l'appel, qui avait été écarté par le magistrat de la mise en état , celui-ci ayant estimé que la recevabilité d'un appel nullité pouvait, le cas échéant, être admise, en raison d'un éventuel excès de pouvoir commis par les premiers juges ;
Attendu, sur l'appel nullité, que si la décision par laquelle le juge commissaire autorise, comme en l'espèce, sur le fondement de l'article L. 642-19 nouveau du Code de commerce, la cession de gré à gré de biens du débiteur en liquidation judiciaire autres que des immeubles oblige, dès lors qu'elle a acquis force de chose jugée, l'auteur de l'offre de cession à passer les actes nécessaires à la réalisation de celle-ci, il peut, néanmoins, ne pas y donner suite, s'il justifie d'un motif légitime pouvant tenir, notamment, à l'absence de réalisation de la ou des conditions suspensives dont il avait pu assortir son offre ou encore à la modification de l'objet de la vente ; qu'en l'espèce, les époux Y F ont proposé d'acquérir les biens litigieux au vu d'une publicité émanant du liquidateur qui définissait l'objet de la cession comme un fonds de commerce de "bar presse PMU loterie jeux restaurant licence IV", sans réserve ni précision concernant l'un quelconque de ces éléments ; que, par lettre du 27 mai 2008, ils ont formulé leur offre d'acquisition portant sur le café de la mairie, nécessairement en référence aux éléments indiqués dans la publicité, pour un prix de 85.000 € 'sous réserve de l'obtention d'un prêt pour une partie de ce montant et de la confirmation du maintien en l'état des activités PMU et Française des jeux' ; que, sans tenir compte de ces réserves, le liquidateur a présenté au juge commissaire une requête définissant l'objet de la cession comme portant, non plus sur le fonds de commerce décrit dans la publicité, mais sur les éléments subsistants de celui-ci, sans précision autre que l'énumération suivante : "bar brasserie presse PMU" ; que par son ordonnance du 23 juillet 2008, le juge commissaire se réfère lui-même aux éléments subsistants du fonds, savoir, selon l'ordonnance, 'droit au bail, enseigne, matériel et mobilier... licence IV', sans faire allusion ni au financement de l'acquisition ni aux activités dont les candidats acquéreurs entendaient expressément s'assurer qu'ils pourraient les conserver ; que, ce faisant, l'offre d'achat a été dénaturée, le juge commissaire, qui ne dispose d'aucun pouvoir pour modifier les termes de l'offre, notamment en omettant les conditions dont elle était assortie, s'étant abstenu de toute prise en considération des réserves des époux Y F ; que, certes, ces réserves étaient, sans doute, maladroitement rédigées, celle concernant le financement ne précisant pas le montant du prêt bancaire sollicité et celle relative au maintien de l'activité Française des jeux méconnaissait le fait que son exercice suppose un agrément accordé intuitu personae à chaque débitant ; qu'il n'appartenait cependant, ni au liquidateur, ni au juge commissaire, qui n'ont pas à se faire juges du contenu de l'offre, de les écarter sans débats ni explications, pour ordonner une cession qui n'était pas celle correspondant à l'offre d'achat souscrite ; qu'au surplus, il résulte d'une attestation du Crédit agricole, que celui ci a refusé tout financement, non pas en raison du montant du prêt sollicité, mais du fait qu'il ne pouvait prendre connaissance de la comptabilité de l'ancien exploitant ; qu'en ce qui concerne l'activité Française des jeux, il n'a pas été porté à la connaissance des époux Y F, qui ne l'ont appris qu'après l'ordonnance, que Mme Z, l'ancienne exploitante, s'était déjà vue retirer son agrément personnel, alors que, même si c'est à tort, les publicités faites en vue de la recherche d'un acquéreur faisaient toujours état d'une activité 'loterie jeux' inexistante, sans l'information élémentaire qu'il appartiendrait au cessionnaire d'en faire son affaire ; que, dans ces circonstances, les époux Y F peuvent faire valoir un motif légitime de nature à justifier leur refus de passer les actes nécessaires à la réalisation de la cession ; que, de ce chef, le jugement déféré sera annulé pour avoir couvert l'excès de pouvoir du premier juge ;
Attendu que le sens du présent arrêt implique de rejeter, par voie d'infirmation du jugement, qui s'était prononcé pour la première fois de ce chef, la demande de dommages intérêts formée par le liquidateur, les époux Y F n'ayant commis aucune faute en refusant d'acheter les biens litigieux ;
Attendu que, de leur côté, les époux Y F ne justifient pas du caractère abusif de l'action en justice du liquidateur, ès qualités, que ce soit, comme il le lui est seulement reproché, pour n'avoir pas fourni la comptabilité du précédent exploitant et pour s'être abstenu de toute tentative de conserver l'activité Française des jeux ou encore pour avoir fait pratiquer des mesures simplement conservatoires sur leurs comptes bancaires, au vu du jugement déféré ; que leur demande de dommages intérêts sera rejetée ;
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
STATUANT publiquement, par arrêt contradictoire et rendu en dernier ressort :
ANNULE le jugement déféré en ce qu'il a rejeté le recours formé contre l'ordonnance du juge commissaire du 23 juillet 2008 ayant autorisé la cession de gré à gré aux époux Y F des éléments subsistant du fonds de commerce de Mme Z, en liquidation judiciaire ET DIT que les époux Y F n'ont commis aucune faute en refusant de passer les actes nécessaires à la réalisation de la cession telle qu'autorisée par le juge commissaire ;
INFIRME ce même jugement en ce qu'il a condamné les époux Y F à payer à Me Saulnier, ès qualités de liquidateur judiciaire de Mme Z, la somme de 35.000 € de dommages intérêts en réparation du préjudice causé du fait de la rétractation de l'offre d'achat et REJETTE cette demande ;
REJETTE la demande de dommages intérêts des époux Y F ;
ORDONNE l'emploi des dépens de première instance et d'appel en frais privilégiés de liquidation judiciaire et CONDAMNE Me Saulnier, ès qualités, à rembourser aux époux Y F la somme de 5.000 € par application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.