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Décisions

CSA, 30 mars 2022, n° 2022-187

CONSEIL SUPÉRIEUR DE L'AUDIOVISUEL (DEVENU L'ARCOM)

différend opposant la société B Smart à la société Altice France

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Maistre

CSA n° 2022-187

29 mars 2022

Vu la procédure suivante :

Par une demande enregistrée le 19 octobre 2021 sous le numéro RD/2021-01, la société B Smart, représentée par la SELARL Nomos, a saisi le Conseil supérieur de l’audiovisuel, désormais Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom), en règlement de différend contre la société Altice France, sur le fondement des dispositions de l’article 17-1 de la loi du 30 septembre 1986. La société B Smart demande à l’Arcom :

- de dire et reconnaître qu’un litige existe entre les parties et se déclarer compétent pour connaître du présent litige ;

- de « lever le voile » sur les motifs justifiant la décision de la société Altice France de ne pas conclure avec elle un contrat de distribution ;

- de reconnaître que cette décision est discriminatoire et n’est pas transparente ni objective ;

- de reconnaître que cette décision porte atteinte à la pluralité des courants de pensée et d’opinion et à la qualité et à la diversité des programmes ;

- d’ordonner à la société Altice France d’assurer la distribution de la chaîne B Smart TV qu’elle édite.

Elle soutient que :

- l’existence du litige est constituée dès lors que la société Altice France n’a jamais répondu à ses courriers et courriels et a ainsi refusé d’engager des négociations contractuelles en vue d’assurer la distribution du service B Smart TV ;

- le refus de la société Altice France de contracter n’est pas transparent dès lors qu’elle n’a pas été informée des motifs de ce refus ;

- l’objectivité de ce refus pose question, le service BFM Business, détenu par le groupe Altice Média et distribué par la société Altice France, étant l’unique concurrent de la chaîne B Smart TV qu’elle édite ;

- ce refus est discriminatoire, le service BFM Business pouvant être considéré comme étant en situation de position dominante ;

- ce refus porte une atteinte caractérisée à l’expression pluraliste des courants de pensée et d’opinion dès lors que l’absence de distribution et de commercialisation du service B Smart TV par la société Altice France le rend inaccessible à ses abonnés, qui ne peuvent pas y accéder par la voie hertzienne terrestre ;

- ce refus porte atteinte à la qualité et à la diversité des programmes, ainsi qu’à l’objectivité de l’information, la diversité des points de vue et la pluralité des sources dès lors que la société Altice France distribue une seule chaîne consacrée à l’actualité économique, BFM Business.

Par une décision du 25 octobre 2021, le directeur général du Conseil supérieur de l’audiovisuel a nommé M. Delafontaine en qualité de rapporteur, Mme Alard et Mme Bianconi en qualité de rapporteures-adjointes pour l’instruction du présent règlement de différend ;

Par une délibération du 10 novembre 2021, le Conseil supérieur de l’audiovisuel a adopté le calendrier de la procédure ;

Par des observations en défense, enregistrées le 22 novembre 2021, la société Altice France, représentée par la SCP Piwnica & Molinié, conclut au rejet de la demande de règlement de différend, à titre principal pour irrecevabilité et à titre subsidiaire comme infondée ; Elle soutient que :

- aucun différend n’existe, la demande de la société B Smart étant en cours d’instruction ;

- l’absence de réponse à la demande de la société B Smart n’est pas de nature à établir l’existence d’un différend dès lors, d’une part, que les documents transmis au soutien de cette demande sont insuffisants pour lui permettre de l’étudier sérieusement et, d’autre part, que la demanderesse ne s’est pas manifestée pendant près d’un an et n’établit ni que le courrier daté du 27 juillet 2021 lui a été transmis ni qu’elle l’ait reçu ;

- des considérations techniques font obstacle à ce qu’elle intègre, au sein de son plan de service, un nombre illimité de chaînes ;

- sous réserve de la disponibilité de la ressource technique, elle reprend uniquement les chaînes susceptibles d’améliorer sensiblement l’attractivité de son offre de services, de représenter un rapport coût/rendement favorable ou de générer des revenus ;

- les arguments tirés de ce que le refus qu’elle aurait opposé à la demande de la société B Smart serait discriminatoire et ne serait ni transparent ni objectif sont inopérants dès lors que la chaîne B Smart TV n’est pas au nombre des chaînes de télévision bénéficiant d’un droit de reprise et qu’elle n’a noué aucune relation contractuelle avec cette société ;

- la demanderesse n’établit pas que le refus qui aurait été opposé à sa demande porterait une atteinte caractérisée à l’expression pluraliste des courants de pensée et d’opinion, ainsi qu’à la qualité et à la diversité des programmes ;

- la circonstance que la chaîne B Smart TV serait inaccessible aux abonnés de SFR du fait de son absence de son plan de services ne porte pas en soi atteinte au pluralisme, sauf à reconnaitre une obligation de reprise universelle de toutes les chaînes qui en font la demande, laquelle porterait une atteinte manifestement excessive à la liberté contractuelle et constituerait une restriction illégale à la libre prestation de services ;

- la distribution de la chaîne B Smart TV par des fournisseurs d’accès à internet n’est pas le seul moyen pour la chaîne d’être rendue disponible auprès du public dès lors que les services de télévision peuvent s’auto- distribuer en IPTV ;

- le caractère pluraliste des courants de pensée et d’opinion est déjà assuré, dans une large mesure, par son offre de services, laquelle comprend en matière d’information les chaînes de la TNT nationale et locale, de nombreuses chaînes d’information internationale (notamment CNN, BBC, World News et Al Jazeera), les chaînes Euronews, France 24 et I24 News, ainsi que les chaînes BFM Business et Bloomberg consacrées spécifiquement à l’information économique ;

- la qualité du contenu éditorial de la chaîne B Smart TV a fait l’objet d’importantes réserves dans la presse compte tenu notamment des doutes émis sur l’indépendance de l’information à l’égard de ses annonceurs.

Par des observations en réplique, enregistrées le 6 décembre 2021, la société B Smart conclut aux mêmes fins que sa demande par les mêmes moyens et demande en outre à l’Arcom, à titre subsidiaire, d’assurer une mission de conciliation entre les parties.

Elle soutient en outre que :

- un différend existe, le silence gardé pendant plus d’un an et demi par la société Altice France sur sa demande de reprise de la chaîne B Smart TV valant refus ;

- si la société Altice France fait valoir que l’attractivité de la chaîne B Smart TV serait loin d’être évidente, le lancement de la chaîne a provoqué un réel engouement et suscité l’intérêt de la presse ;

- elle a transmis, à la demande de la société Altice France, un dossier de presse contenant des informations détaillées sur l’offre de la chaîne B Smart TV, ainsi que le replay de la conférence de presse de lancement de la chaîne ;

- le rendez-vous proposé par la société Altice France afin d’obtenir davantage d’informations sur la chaîne B Smart TV n’a pas eu lieu malgré ses relances ;

- la chaîne Bloomberg, présente dans l’offre de services de la société Altice France, se démarque de la chaîne B Smart TV en ce qui concerne tant le public visé que le contenu de la programmation ;

- chaque bloc thématique du plan de services de SFR comprend plusieurs chaînes, à l’exception du bloc « actualité économique » ;

- la loi no 47-585 du 2 avril 1947 fait obligation aux distributeurs d’assurer la continuité de la distribution de la presse d’information politique et générale, les points de vente ne pouvant s’opposer à la diffusion de ces titres de presse ;

- si B Smart était un titre de presse écrite, les distributeurs seraient tenus par la loi et la jurisprudence d’en assurer la diffusion dans le but d’assurer le pluralisme des opinions et des courants de pensée ;

- il ressort de l’article 3-1 de la loi du 30 septembre 1986 que le Conseil supérieur de l’audiovisuel doit assurer l’accès du public aux programmes d’information ;

- le refus de la société Altice France de distribuer la chaîne B Smart TV l’empêche d’accéder à une part d’audience importante, SFR comptabilisant plus de 6,3 millions d’abonnés à la fin de l’année 2019, soit 21,9 % de parts de marché ;

- les abonnés aux offres de SFR n’ont pas accès à la chaîne B Smart TV et s’en sont plaints sur les réseaux sociaux.

Par de nouvelles observations en défense, enregistrées le 13 décembre 2021, la société Altice France conclut aux mêmes fins que ses précédentes observations en défense par les mêmes moyens et conclut au rejet pour irrecevabilité de la demande tendant à l’ouverture d’une procédure de conciliation.

Elle soutient en outre que :

- la seule circonstance qu’il n’existe, au sein de son offre de services, qu’une seule chaîne consacrée à l’information économique et financière ne révèle aucune atteinte au pluralisme dès lors qu’il existe un grand nombre de chaînes consacrées à l’information ;

- la loi no 47-585 du 2 avril 1947 relative au statut des entreprises de groupage et de distribution des journaux et publications périodiques n’est pas applicable à la distribution des services de télévision et ne prévoit, en tout état de cause, un droit de diffusion garanti qu’au profit de la presse consacrée à l’information politique et générale, dont le format de B Smart ne relève manifestement pas ;

- une part très limitée des abonnés à l’offre de services de SFR se trouve privée de la possibilité d’accéder à la chaîne B Smart TV ;

- la recevabilité de la demande tendant à l’ouverture d’une procédure de conciliation est douteuse dès lors que la mission de conciliation s’exerce dans le cadre d’une procédure distincte de la procédure de règlement de différend ;

- l’opportunité de cette demande est plus encore douteuse dans la mesure où il n’existe pas de litige nécessitant l’intervention du Conseil supérieur de l’audiovisuel.

Le Conseil supérieur de l’audiovisuel a adopté le 15 décembre 2021 une décision d’extension du délai d’instruction.

Vu les observations des parties par lesquelles elles s’opposent au caractère public de la séance ; Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code civil ;

Vu la loi no 47-585 du 2 avril 1947 modifiée relative au statut des entreprises de groupage et de distribution des journaux et publications périodiques ;

Vu la loi no 86-1067 du 30 septembre 1986 modifiée relative à la liberté de communication, notamment son article 17-1 ;

Vu le décret no 2006-1084 du 29 août 2006 modifié pris pour l’application de l’article 17-1 de la loi no 86-1067 du 30 septembre 1986 et relatif à la procédure de règlement de différends par l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique ;

Après avoir entendu le 23 mars, lors de la séance d’examen du différend :

- le rapport de M. Delafontaine ;

- les observations de M. Stéphane Soumier, président de la société B Smart, Mme Valérie Bruschini, directrice générale de la société B Smart, Maître Eric Lauvaux et Maître Kévin Sagnier, pour la société B Smart ;

- les observations de M. Benjamin Cornic, directeur acquisition et développement des contenus de SFR, Mme Claire Chamard, responsable propriété intellectuelle de SFR, M. Frédéric Dejonckheere, responsable affaires publiques et réglementaires de la société Altice France, et Maître François Molinié, pour la société Altice France ;

Après en avoir délibéré hors la présence du rapporteur ;

Considérant ce qui suit :

1. Le 10 juin 2020, la société B Smart a conclu avec le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), sur le fondement de l’article 33-1 de la loi du 30 septembre 1986, une convention pour la diffusion du service de télévision B Smart TV par des réseaux n’utilisant pas des fréquences assignées par le CSA. Par des courriels des 2 juin 2020, 11 juin 2020 et 28 juillet 2021, et un courrier du 27 juillet 2021, la société B Smart a demandé en vain à la société Altice France de distribuer sa chaîne au sein de son offre de services. La société B Smart a saisi le CSA, désormais Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom), à titre principal, d’une demande de règlement du différend l’opposant à la société Altice France sur le fondement de l’article 17-1 de la loi du 30 septembre 1986 et, à titre subsidiaire, d’une demande tendant à ce qu’elle assure une mission de conciliation sur le fondement de l’article 3-1 de cette même loi. A l’appui de sa demande de règlement de différend, la société B Smart a formulé des conclusions tendant à ce que l’Autorité ordonne à la société Altice France d’assurer la distribution de la chaîne B Smart TV. Ces conclusions doivent être regardées comme tendant à ce qu’il soit enjoint à la société Altice France d’adresser à la société B Smart une offre de contrat pour la distribution de la chaîne B Smart TV.

Sur la demande de règlement d’un différend opposant la société B Smart à la société Altice France

S’agissant du cadre juridique applicable :

2. Aux termes de l’article 17-1 de la loi du 30 septembre 1986 dans sa version issue de la loi n° 2021-1382 du 25 octobre 2021 relative à la régulation et à la protection de l’accès aux œuvres culturelles à l’ère numérique : « L’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique peut être saisie, par un éditeur ou par un distributeur de services, par une des personnes mentionnées à l’article 95 ou par un prestataire auquel ces personnes recourent, de tout différend relatif à la distribution d’un service de radio, de télévision ou de médias audiovisuels à la demande, y compris aux conditions techniques et financières dans lesquelles ce service est mis à la disposition du public : 1° Lorsque les faits à l’origine du différend sont susceptibles de porter atteinte au caractère pluraliste de l’expression des courants de pensée et d’opinion, à la sauvegarde de l’ordre public, aux exigences de service public, aux missions de service public assignées aux sociétés nationales de programme mentionnées à l’article 44 ou à leurs filiales répondant à des obligations de service public, à La Chaîne parlementaire mentionnée à l’article 45-2, à la chaîne Arte et à la chaîne TV5, à la protection du jeune public, à la dignité de la personne humaine et à la qualité et à la diversité des programmes ; 2° Lorsque ce différend porte sur le caractère transparent, objectif, équitable et non discriminatoire des conditions de la mise à la disposition du public de l’offre de programmes et de services ou de leur numérotation ou des relations contractuelles entre un éditeur et un distributeur de services ; (…) »

3. Il ressort d’une décision no 321349 du 7 décembre 2011 du Conseil d’Etat que les pouvoirs conférés par le législateur à l’Arcom au titre de sa mission de règlement de différends doivent être conciliés avec la liberté contractuelle dont disposent, dans les limites fixées par la loi, les éditeurs et distributeurs de services audiovisuels. Lorsque le différend qui lui est soumis naît dans le cadre d’une relation contractuelle entre un éditeur et un distributeur ou d’une offre de contrat, il lui est loisible, pour assurer le respect de l’ensemble des principes et obligations énumérés à l’article 17-1 de la loi du 30 septembre 1986, de prononcer, sous le contrôle du juge, des injonctions ayant une incidence sur la conclusion, le contenu ou l’exécution des conventions entre les parties au différend, y compris, si les circonstances de l’espèce l’exigent, l’injonction de faire à l’autre partie une nouvelle offre de contrat conforme à certaines prescriptions. En revanche, quand elle est saisie d’un différend en l’absence de relation contractuelle ou de toute offre de contrat, ce que les dispositions de l’article 17-1 de la loi du 30 septembre 1986 permettent, l’Arcom ne dispose du pouvoir de prononcer une telle injonction de faire une offre que, d’une part, envers un opérateur à qui la loi fait expressément obligation de mettre à disposition un service ou de le reprendre ou, d’autre part, dans le cas où cette injonction est nécessaire pour prévenir une atteinte caractérisée à l’expression pluraliste des courants de pensée et d’opinion, à la sauvegarde de l’ordre public, aux exigences de service public, à la protection du jeune public, à la dignité de la personne humaine et à la qualité et à la diversité des programmes.

S’agissant de l’existence d’une relation contractuelle ou d’une offre de contrat :

4. D’une part, il est constant que le différend entre les parties n’est pas né dans le cadre d’une relation contractuelle, celles-ci n’ayant jamais conclu de contrat relatif à la distribution du service de télévision B Smart TV.

5. D’autre part, aux termes de l’article 1113 du code civil : « Le contrat est formé par la rencontre d’une offre et d’une acceptation par lesquelles les parties manifestent leur volonté de s’engager. Cette volonté peut résulter d’une déclaration ou d’un comportement non équivoque de son auteur ». Aux termes de l’article 1114 du même code : « L’offre, faite à personne déterminée ou indéterminée, comprend les éléments essentiels du contrat envisagé et exprime la volonté de son auteur d’être lié en cas d’acceptation. A défaut, il y a seulement invitation à entrer en négociation ». Il résulte de l’instruction que si la société B Smart a demandé à plusieurs reprises à la société Altice France de distribuer le service de télévision éponyme qu’elle édite, la société Altice France ne lui a adressé aucune offre de mise à disposition de ce service.

S’agissant des moyens tirés de ce que le refus de la société Altice France de conclure un contrat de distribution serait discriminatoire et ne serait ni transparent ni objectif :

6. Il résulte des points 4 et 5 de la présente décision que le différend entre les parties n’est pas né dans le cadre d’une relation contractuelle ou d’une offre de contrat. Par suite, les moyens tirés de ce que le refus de la société Altice France de conclure un contrat de distribution serait discriminatoire et ne serait ni transparent ni objectif sont inopérants.

S’agissant du moyen tiré de ce que la société B Smart bénéficierait d’un droit de diffusion si elle éditait un titre de presse écrite en application de la loi no 47-585 du 2 avril 1947 :

7. Aux termes de l’article 5 de la loi no 47-585 du 2 avril 1947 relative au statut des entreprises de groupage et de distribution des journaux et publications périodiques : « Toute société agréée de distribution de la presse est tenue de faire droit, dans des conditions objectives, transparentes, efficaces et non discriminatoires à la demande de distribution des publications d’une entreprise de presse (…) ». Toutefois, la société B Smart n’est pas une entreprise de presse éditrice de journaux, comme elle le reconnait elle-même, et la société Altice France n’est pas une société agréée de distribution de la presse au sens de ces dispositions. Par suite, le moyen ne peut qu’être écarté comme inopérant, ces dispositions n’étant pas applicables au différend entre les parties.

S’agissant du moyen tiré de ce qu’il appartient à l’Autorité d’assurer l’accès du public aux programmes d’information en application de l’article 3-1 de la loi du 30 septembre 1986 :

8. Aux termes de l’article 3-1 de la loi du 30 septembre 1986 : « (…) L’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique garantit l’honnêteté, l’indépendance et le pluralisme de l’information et des programmes qui y concourent, sous réserve de l’article 1er de la présente loi (…) ». S’il appartient à l’Arcom de garantir l’honnêteté, l’indépendance et le pluralisme de l’information et des programmes qui y concourent, sous réserve de la liberté de communication, ni les dispositions de cet article, ni aucune autre disposition législative, ne mettent à la charge de la société Altice France l’obligation de distribuer la chaîne B Smart TV au sein de son offre de services mise à disposition du public par un réseau n’utilisant pas des fréquences assignées par l’Arcom.

S’agissant du moyen tiré d’une atteinte à la liberté de l’information et à l’objectivité de l’information :

9. La liberté de l’information et l’objectivité de l’information ne sont pas au nombre des principes dont l’Arcom doit s’assurer du respect dans le cadre d’une procédure de règlement de différend en vertu de l’article 17-1 de la loi du 30 septembre 1986. Par suite, les moyens tirés de ce que le refus de la société Altice France de distribuer la chaîne B Smart TV porterait atteinte à ces principes ne peuvent qu’être écartés comme inopérants.

S’agissant du moyen tiré d’une atteinte caractérisée au pluralisme des courants de pensée et d’opinion et à la qualité et la diversité des programmes :

10. Si les abonnés à une offre « triple-play » de la société Altice France n’ont pas accès à la chaîne B Smart TV dans le cadre de l’offre de distribution de chaînes de télévision, ils y ont accès sur leur téléviseur si celui-ci est connecté directement à internet ou indirectement par le biais d’une console de jeux, d’un boitier OTT ou d’un ordinateur. La société Altice France fait valoir à juste titre qu’elle propose à ses abonnés au prix de 69 euros un boîtier TV permettant d’accéder à la chaîne B Smart TV. Cependant, elle ne précise pas le pourcentage de ses abonnés disposant d’un tel boîtier. Par suite, et en l’absence de données sur l’équipement en téléviseur connecté des abonnés à une offre « triple-play » de la société Altice France, il ne résulte pas de l’instruction que la chaîne B Smart TV serait accessible sur le téléviseur de l’ensemble de ces abonnés.

11. Toutefois, d’une part, si la société B Smart allègue que l’absence de distribution de sa chaîne par la société Altice France l’empêcherait d’accéder à une part d’audience importante, elle n’établit, ni même n’allègue, que la viabilité économique de cette chaîne serait menacée par son absence dans l’offre de services de cette société. En tout état de cause, il ne résulte pas de l’instruction que cette absence aurait compromis la poursuite de son activité ni sa viabilité économique.

12. D’autre part et surtout, il résulte de l’instruction que la société Altice France distribue la chaîne BFM Business, dont la programmation est spécifiquement consacrée à l’information économique et financière, ainsi que de nombreuses chaînes (BFM TV, LCI, Public Sénat, France Info : , Cnews, France 24, TV5 Monde, Euronews et M6) diffusant en langue française une ou plusieurs émissions ou rubriques spécifiquement dédiées à cette information. Au surplus, elle distribue les chaînes anglophones Bloomberg et CNBC Europe, dont la programmation est spécialement consacrée à l’information économique et financière internationale. Ainsi, le traitement de l’information économique et financière est déjà assuré dans une large mesure par l’offre de services de la société Altice France. En outre, la société B Smart n’établit pas que sa chaîne se démarquerait sensiblement de la chaîne BFM Business en ce qui concerne le traitement de cette information. Par suite, nonobstant la croissance continue de son audience digitale, la notoriété de certains de ses intervenants et l’écho rencontré dans la presse par son lancement et par le recrutement de certaines personnalités, la chaîne B Smart TV ne contribue pas de façon déterminante au pluralisme des courants de pensée et d’opinion et à la qualité et la diversité des programmes de la société Altice France.

13. Par conséquent, s’il ne résulte pas de l’instruction que la chaîne B Smart TV serait accessible sur le téléviseur de l’ensemble des abonnés à une offre « triple-play » de la société Altice France, il n’en résulte pas une atteinte caractérisée au pluralisme des courants de pensée et d’opinion et à la qualité et la diversité des programmes.

14. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu’il soit besoin de procéder à la mesure d’instruction sollicitée et d’examiner la fin de non-recevoir opposée en défense tirée de l’inexistence d’un différend, que la société B Smart n’est pas fondée à demander à l’Arcom qu’elle enjoigne à la société Altice France de lui adresser une offre de contrat pour la distribution de la chaîne B Smart TV.

Sur la demande tendant à ce que l’Arcom assure une mission de conciliation entre les parties

15. Aux termes de l’avant-dernier alinéa de l’article 3-1 de la loi du 30 septembre 1986 dans sa version issue de la loi no 2021-1382 du 25 octobre 2021 relative à la régulation et à la protection de l’accès aux œuvres culturelles à l’ère numérique : « En cas de litige, s’il n’est pas fait usage des compétences mentionnées à l’article 17-1, ou en cas de litige ne faisant pas l’objet d’une procédure de sanction régie par les articles 42-1, 42-3, 42-4, 42-6, 42-15, 48-1 ou 48-2, l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique assure une mission de conciliation entre éditeurs de services, distributeurs de services, opérateurs de réseaux satellitaires, opérateurs de plateformes en ligne, prestataires techniques auxquels ces personnes recourent, personnes mentionnées à l’article 95, auteurs, producteurs et distributeurs de programmes audiovisuels, ou entre les organisations professionnelles qui les représentent. » Il résulte de ces dispositions que l’Arcom ne peut assurer une mission de conciliation en cas de litige à l’occasion duquel a été ouverte une procédure de règlement de différend. Ainsi, la fin de non-recevoir opposée par société Altice France tirée de ce que la mission de conciliation s’exerce dans le cadre d’une procédure distincte de la procédure de règlement de différend doit être accueillie et la demande de la société B Smart ne peut par suite qu’être rejetée.

Décide :

Art. 1er- Les demandes présentées par la société B Smart sont rejetées.

Art. 2.- La présente décision sera notifiée à la société B Smart et à la société Altice France et publiée au Journal officiel de la République française.