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Décisions

CSA, 30 mars 2022, n° 2022-188

CONSEIL SUPÉRIEUR DE L'AUDIOVISUEL (DEVENU L'ARCOM)

différend opposant la société B Smart à la société Groupe Canal Plus

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Maistre

CSA n° 2022-188

29 mars 2022

Vu la procédure suivante :

Par une demande enregistrée le 28 octobre 2021 sous le numéro RD/2021-02, la société B Smart, représentée par la SELARL Nomos, a saisi le Conseil supérieur de l’audiovisuel, dénommé désormais Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom), en règlement de différend contre la société Groupe Canal Plus, sur le fondement des dispositions de l’article 17-1 de la loi du 30 septembre 1986. La société B Smart demande à l’Arcom :

–   de « lever le voile » sur les motifs justifiant la décision de la société Groupe Canal Plus de de refuser de renouveler le contrat de distribution qui les liait ;

–   de reconnaître que cette décision n’est ni transparente, ni objective et est discriminatoire ;

–   de reconnaître que cette décision porte atteinte à la pluralité des courants de pensée et d’opinion et à la qualité et à la diversité des programmes ;

–   d’ordonner à la société Groupe Canal + d’assurer la distribution de la chaîne B Smart TV qu’elle édite.

Elle soutient que :

–   la décision de la société Groupe Canal Plus de mettre fin au contrat de distribution qui les liait n’est pas transparente dès lors qu’elle n’a pas été informée des motifs de cette décision ;

–   cette décision est discriminatoire dès lors que la société Groupe Canal Plus distribue la chaîne BFM Business, concurrente de la chaîne B Smart TV et pouvant être regardée comme étant en situation de position dominante ;

–   cette décision porte une atteinte caractérisée à l’expression pluraliste des courants de pensée et d’opinion dès lors que l’absence de distribution et de commercialisation du service B Smart TV par la société Groupe Canal Plus le rend inaccessible à ses abonnés, qui ne peuvent pas y accéder par la voie hertzienne terrestre ;

–   cette décision porte atteinte à la qualité et à la diversité des programmes, ainsi qu’à l’objectivité de l’information, la diversité des points de vue et la pluralité des sources dès lors que la société Groupe Canal Plus distribue une seule chaîne consacrée à l’actualité économique, BFM Business.

Par une décision du 8 novembre 2021, le directeur général du Conseil supérieur de l’audiovisuel a nommé M. Delafontaine en qualité de rapporteur, Mme Alard et Mme Bianconi en qualité de rapporteures-adjointes pour l’instruction du présent règlement de différend ;

Par une délibération du 17 novembre 2021, le Conseil supérieur de l’audiovisuel a adopté le calendrier de la procédure ;

Par des observations en défense, enregistrées le 29 novembre 2021, la société Groupe Canal Plus, représentée par la SCP Dauzier & Chappuis, conclut au rejet de la demande formulée par la société B Smart ; Elle soutient que :

–   l’argument de la demanderesse tiré de ce qu’il serait inopérant de constater que la chaîne B Smart TV n’a pas fait ses preuves à l’issue d’une distribution d’un an revient à soutenir que tout distributeur ne saurait accueillir une nouvelle chaîne pour une durée limitée d’un an et serait contraint d’assurer sa distribution pour une durée nécessaire à son développement ;

–   sa décision de ne pas renouveler la distribution de la chaîne B Smart TV au sein de ses offres est transparente dès lors qu’elle a indiqué à la société B Smart que ce renouvellement n’était pas envisageable en raison de la faiblesse des audiences de la chaîne ;

–   sa décision de ne pas renouveler la distribution de la chaîne B Smart TV au sein de ses offres repose sur des considérations objectives, à savoir la faiblesse des audiences de cette chaîne, dont la durée moyenne de visionnage par ses abonnés n’a jamais dépassé 3 minutes par mois sur la période novembre 2020 - mars 2021 ;

–   il ne saurait lui être reproché d’avoir traité la chaîne B Smart TV de manière discriminatoire par rapport à la chaîne BFM Business dès lors que les performances de la seconde sont largement supérieures à celles de la première en termes de durée de visionnage ;

–   la société B Smart n’allègue, ni même n’établit, que sa décision de ne pas renouveler la distribution de la chaîne B Smart TV au sein de ses offres menacerait la viabilité de cette chaîne ;

–   en tout état de cause, sa décision de ne pas renouveler la distribution de la chaîne B Smart TV au sein de ses offres ne menace pas la viabilité de cette chaîne, laquelle est distribuée sur la plateforme Molotov TV et au sein des offres de Free, Bouygues Télécom et Orange, est accessible gratuitement sur son site internet et la plateforme YouTube, et est disponible gratuitement auprès des abonnés de Videofutur ;

–   la société B Smart ne produit aucun élément permettant d’apprécier objectivement la contribution de sa chaîne à la qualité et à la diversité des programmes ;

–   l’absence de distribution de la chaîne B Smart TV au sein de ses offres n’a pas pour conséquence de concentrer l’information économique entre les mains de la seule chaîne BFM Business dès lors qu’elle distribue, au sein du bloc thématique « information », de nombreuses autres chaînes françaises dont la programmation comporte des émissions et rubriques spécifiquement dédiées à l’actualité économique et financière, ainsi que deux chaînes anglophones dont la programmation est spécialement dédiée à l’actualité économique et financière internationale ;

–   à supposer que le Conseil supérieur de l’audiovisuel estime que sa décision de ne pas renouveler la distribution de la chaîne B Smart TV au sein de ses offres porte atteinte à l’un des principes énoncés à l’article 17-1 de la loi du 30 septembre 1986, il ne pourra que rejeter la demande d’injonction de la société B Smart dès lors qu’elle excède ses pouvoirs ;

–   à supposer même que la demande d’injonction ait pour seul objet la présentation d’une offre de distribution, cette demande ne pourra qu’être rejetée dès lors qu’une injonction de présenter une offre de distribution serait inadéquate et disproportionnée.

Par des observations en réplique, enregistrées le 13 décembre 2021, la société B Smart conclut aux mêmes fins que sa demande par les mêmes moyens et demande en outre à l’Arcom, à titre subsidiaire, d’assurer une mission de conciliation entre les parties.

Elle soutient en outre que :

–   la société groupe Canal Plus ne peut utilement reprocher à la chaîne B Smart TV de ne pas avoir fait ses preuves alors qu’elle n’a qu’un an d’existence ;

–   la société groupe Canal Plus ne peut valablement soutenir que la chaîne B Smart TV n’a pas fait ses preuves alors qu’elle bénéficie de nombreux relais dans la presse depuis son lancement ;

–   la société groupe Canal Plus ne saurait déduire une sous-performance de la chaîne B Smart TV de chiffres d’audience internes aucunement officiels et vérifiables ;

–   la société groupe Canal Plus ne peut valablement comparer les chaînes B Smart TV et BFM Business dès lors que cette dernière est implantée dans l’offre audiovisuelle et radiophonique depuis plusieurs décennies et dispose de multiples canaux de diffusion ;

–   le refus de la société Groupe Canal Plus de distribuer la chaîne B Smart TV l’empêche d’accéder à une part d’audience importante ;

–   les chaînes Bloomberg et CNBC, présentes dans l’offre de services de la société Groupe Canal Plus, se démarquent de la chaîne B Smart TV tant en ce qui concerne le public visé que le contenu de la programmation ;

–   le refus de la société Groupe Canal Plus de distribuer la chaîne B Smart TV contribue à la situation de monopole de BFM Business dans le secteur de l’information économique, prive ses abonnés d’un traitement éditorial différent de l’information économique et porte ainsi atteinte à l’expression pluraliste des courants de pensée et d’opinion ;

–   la loi no 47-585 du 2 avril 1947 fait obligation aux distributeurs d’assurer la continuité de la distribution de la presse d’information politique et générale, les points de vente ne pouvant s’opposer à la diffusion de ces titres de presse ;

–   si B Smart était un titre de presse écrite, les distributeurs seraient tenus par la loi et la jurisprudence d’en assurer la diffusion dans le but d’assurer le pluralisme des opinions et des courants de pensée ;

–   il ressort de l’article 3-1 de la loi du 30 septembre 1986 que le CSA doit assurer l’accès du public aux programmes d’information.

Par de nouvelles observations en défense, enregistrées le 21 décembre 2021, la société Groupe Canal Plus conclut aux mêmes fins que ses précédentes observations en défense par les mêmes moyens et conclut au rejet de la demande tendant à l’ouverture d’une procédure de conciliation.

Elle soutient en outre que :

–   si on suit le raisonnement de la demanderesse, tout distributeur ne pourrait accueillir une nouvelle chaîne pour une durée limitée à un an et devrait assurer sa distribution pour une durée nécessaire à son développement ;

–   les relais dans la presse dont bénéficierait une chaîne ne constituent pas un critère permettant d’évaluer sa performance ou son attractivité auprès de ses abonnés ;

–   les articles de presse produits par la demanderesse ont trait pour l’essentiel au lancement de la chaîne B Smart TV en juin 2020 et aucun article n’évoque, en tout état de cause, ses performances dans les mois qui ont suivi son lancement, ni même un an après son lancement ;

–   en l’absence de données d’audience issues des études de Médiamétrie, elle n’a pas eu d’autre choix que de se fonder sur son outil de mesure interne pour évaluer la performance de la chaîne B Smart TV ;

–   la demanderesse n’avance aucun élément de nature à remettre en cause l’honnêteté et la fiabilité de ses études internes et à établir le caractère performant de la chaîne B Smart TV ;

–   dans la mesure où son refus de renouveler la distribution de la chaîne B Smart TV est justifié par les performances d’audience de celle-ci et où la demanderesse lui reproche un traitement discriminatoire par rapport à la chaîne BFM Business, elle est bien obligée de comparer les performances respectives des deux chaînes concernées pour se défendre de ce grief de discrimination ;

–   si la circonstance que la chaîne BFM Business soit, à la différence de la chaîne B Smart TV, distribuée dans son offre satellite empêche de comparer leurs performances d’audience respectives du point de vue du nombre d’abonnés, il est pertinent de les comparer au regard de la durée de moyenne de visionnage par abonné, cet indicateur n’étant pas biaisé par les différences entre les modes de distribution ;

–   la demanderesse n’est pas recevable à soutenir qu’elle serait tenue de distribuer la chaîne B Smart TV en raison de la présence de la chaîne BFM Business dans son offre de services ;

–   si la demanderesse allègue que l’absence de la chaîne B Smart TV dans son offre de services l’empêche d’accéder à une part d’audience importante, cette allégation imprécise ne peut suffire à caractériser une atteinte à la pérennité de la chaîne ;

–   les chaînes Bloomberg et CNBC s’adressent à un public sensiblement identique à celui revendiqué par la chaîne B Smart TV ;

–   si les chaînes Bloomberg et CNBC ne traitent pas spécifiquement, à la différence de la chaîne B Smart TV, de l’actualité économique française, ces trois chaînes traitent de l’actualité économique internationale ;

–   la société B Smart a annoncé, dans un communiqué de presse du 23 août 2020, qu’elle diffuserait une émission quotidienne intitulée « Smart World » de 7h à 9h, composée d’éléments de programme de CNBC ;

–   la loi no 47-585 du 2 avril 1947 relative au statut des entreprises de groupage et de distribution des journaux et publications périodiques n’est pas applicable aux rapports entre les parties ;

–   la demande de la société B Smart tendant à l’ouverture d’une procédure de conciliation ne pourra qu’être rejetée, cette procédure et celle de règlement des différends étant exclusives l’une de l’autre en application des dispositions de l’article 3-1 de la loi du 30 septembre 1986 ;

–   à supposer même que le CSA considère que l’engagement d’une procédure de règlement de différend n’empêche pas la mise en œuvre d’une procédure de conciliation, la demande de la société B Smart sera rejetée dès lors que la mise en œuvre d’une conciliation nécessite l’accord des parties et qu’elle n’entend pas revenir sur sa décision de ne pas renouveler la distribution de la chaîne B Smart TV.

La société Groupe Canal Plus a produit une pièce, enregistrée le 28 février 2022.

Le Conseil supérieur de l’audiovisuel a adopté le 22 décembre 2021 une décision d’extension du délai d’instruction.

Vu les observations des parties par lesquelles elles s’opposent au caractère public de la séance ; Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code civil ;

Vu le code de commerce ;

Vu la loi no 47-585 du 2 avril 1947 modifiée relative au statut des entreprises de groupage et de distribution des journaux et publications périodiques ;

Vu la loi no 86-1067 du 30 septembre 1986 modifiée relative à la liberté de communication, notamment son article 17-1 ;

Vu le décret no 2006-1084 du 29 août 2006 pris pour l’application de l’article 17-1 de la loi no 86-1067 du 30 septembre 1986 et relatif à la procédure de règlement de différends par l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique ;

Après avoir entendu le 23 mars, lors de la séance d’examen du différend :

–   le rapport de M. Delafontaine ;

–   les observations de M. Stéphane Soumier, président de la société B Smart, Mme Valérie Bruschini, directrice générale de la société B Smart, Maître Eric Lauvaux et Maître Kévin Sagnier, pour la société B Smart ;

–   les observations de Mme Pascale Chabert, directrice des acquisitions de contenus, grands comptes de la société Groupe Canal Plus, Mme Laetitia Menase, secrétaire générale de la société Groupe Canal Plus, Mme Sabeha Medjaoui, directrice juridique adjointe en charge des relations éditeurs / communication / DTSI de la société Groupe Canal Plus, et Maître Olivier Chappuis, pour la société Groupe Canal Plus ; Après en avoir délibéré hors la présence du rapporteur ;

Considérant ce qui suit :

1. Le 10 juin 2020, la société B Smart a conclu avec le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), sur le fondement de l’article 33-1 de la loi du 30 septembre 1986, une convention pour la diffusion du service de télévision B Smart TV par des réseaux n’utilisant pas des fréquences assignées par le CSA. La société B Smart et la société Groupe Canal Plus se sont mises d’accord sur la distribution de la chaîne B Smart TV du 23 juin 2020 au 22 juin 2021 sur les réseaux filaires, internet, mobiles et câblés, au sein des offres commercialisées par la société Groupe Canal Plus. Par un courrier du 23 juin 2021, la société Groupe Canal Plus a informé la société B Smart qu’elle n’entendait pas renouveler la distribution de la chaîne B Smart TV tout en reportant la cessation de la distribution au 7 septembre 2021. Par un courrier du 16 juillet 2021, la société B Smart a invité la société Groupe Canal Plus à revenir sur sa décision. La société Groupe Canal Plus a, par un courrier du 23 juillet 2021, informé la société B Smart qu’elle ne reviendrait pas sur sa décision et lui a confirmé que la distribution de sa chaîne au sein de ses offres cesserait le 7 septembre 2021. La société B Smart a alors saisi le CSA, désormais Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom), à titre principal, d’une demande de règlement du différend l’opposant à la société Groupe Canal Plus sur le fondement de l’article 17-1 de la loi du 30 septembre 1986 et, à titre subsidiaire, d’une demande tendant à ce qu’elle assure une mission de conciliation sur le fondement de l’article 3-1 de cette même loi. A l’appui de sa demande de règlement de différend, la société B Smart a formulé des conclusions tendant à ce que l’Autorité ordonne à la société Groupe Canal Plus d’assurer la distribution de la chaîne B Smart TV. Ces conclusions doivent être regardées comme tendant à ce qu’il soit enjoint à la société Groupe Canal Plus d’adresser à la société B Smart une offre de contrat pour la distribution de la chaîne B Smart TV.

Sur la demande de règlement d’un différend opposant la société B Smart à la société Groupe Canal Plus

S’agissant du cadre juridique applicable :

2. Aux termes de l’article 17-1 de la loi du 30 septembre 1986 dans sa version issue de la loi no 2021-1382 du 25 octobre 2021 relative à la régulation et à la protection de l’accès aux œuvres culturelles à l’ère numérique : « L’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique peut être saisie, par un éditeur ou par un distributeur de services, par une des personnes mentionnées à l’article 95 ou par un prestataire auquel ces personnes recourent, de tout différend relatif à la distribution d’un service de radio, de télévision ou de médias audiovisuels à la demande, y compris aux conditions techniques et financières dans lesquelles ce service est mis à la disposition du public : 1o Lorsque les faits à l’origine du différend sont susceptibles de porter atteinte au caractère pluraliste de l’expression des courants de pensée et d’opinion, à la sauvegarde de l’ordre public, aux exigences de service public, aux missions de service public assignées aux sociétés nationales de programme mentionnées à l’article 44 ou à leurs filiales répondant à des obligations de service public, à La Chaîne parlementaire mentionnée à l’article 45-2, à la chaîne Arte et à la chaîne TV5, à la protection du jeune public, à la dignité de la personne humaine et à la qualité et à la diversité des programmes ; 2o Lorsque ce différend porte sur le caractère transparent, objectif, équitable et non discriminatoire des conditions de la mise à la disposition du public de l’offre de programmes et de services ou de leur numérotation ou des relations contractuelles entre un éditeur et un distributeur de services ; (…) »

3. Il ressort d’une décision no 321349 du 7 décembre 2011 du Conseil d’Etat que les pouvoirs conférés par le législateur à l’Arcom au titre de sa mission de règlement de différends doivent être conciliés avec la liberté contractuelle dont disposent, dans les limites fixées par la loi, les éditeurs et distributeurs de services audiovisuels. Lorsque le différend qui lui est soumis naît dans le cadre d’une relation contractuelle entre un éditeur et un distributeur ou d’une offre de contrat, il lui est loisible, pour assurer le respect de l’ensemble des principes et obligations énumérés à l’article 17-1 de la loi du 30 septembre 1986, de prononcer, sous le contrôle du juge, des injonctions ayant une incidence sur la conclusion, le contenu ou l’exécution des conventions entre les parties au différend, y compris, si les circonstances de l’espèce l’exigent, l’injonction de faire à l’autre partie une nouvelle offre de contrat conforme à certaines prescriptions. En revanche, quand elle est saisie d’un différend en l’absence de relation contractuelle ou de toute offre de contrat, ce que les dispositions de l’article 17-1 de la loi du 30 septembre 1986 permettent, l’Arcom ne dispose du pouvoir de prononcer une telle injonction de faire une offre que, d’une part, envers un opérateur à qui la loi fait expressément obligation de mettre à disposition un service ou de le reprendre ou, d’autre part, dans le cas où cette injonction est nécessaire pour prévenir une atteinte caractérisée à l’expression pluraliste des courants de pensée et d’opinion, à la sauvegarde de l’ordre public, aux exigences de service public, à la protection du jeune public, à la dignité de la personne humaine et à la qualité et à la diversité des programmes.

S’agissant de l’existence d’une relation contractuelle ou d’une offre de contrat :

4. Il est constant que l’accord de distribution de la chaîne B Smart TV, dont la dernière version date du 22 juin 2020, n’a pas été signé par les parties. Il résulte néanmoins de l’instruction et plus précisément des échanges de courriels entre les parties que celles-ci se sont entendues, au terme de deux mois de négociations, sur l’ensemble des termes de cet accord. En outre, il est constant que les parties ont exécuté cet accord, confirmant leur acceptation du principe et des modalités de la distribution de la chaîne B Smart TV. Les parties ayant été liées par un accord de distribution, le présent différend né du refus de la société Groupe Canal Plus de renouveler cet accord s’inscrit dans le cadre d’une relation contractuelle.

S’agissant du moyen tiré de ce que la société B Smart bénéficierait d’un droit de diffusion si elle éditait un titre de presse écrite en application de la loi no 47-585 du 2 avril 1947 :

5. Aux termes de l’article 5 de la loi no 47-585 du 2 avril 1947 relative au statut des entreprises de groupage et de distribution des journaux et publications périodiques : « Toute société agréée de distribution de la presse est tenue de faire droit, dans des conditions objectives, transparentes, efficaces et non discriminatoires à la demande de distribution des publications d’une entreprise de presse (…) ». Toutefois, la société B Smart n’est pas une entreprise de presse éditrice de journaux, comme elle le reconnait elle-même, et la société Groupe Canal Plus n’est pas une société agréée de distribution de la presse au sens de ces dispositions. Par suite, le moyen ne peut qu’être écarté comme inopérant, ces dispositions n’étant pas applicables au différend entre les parties.

S’agissant du moyen tiré de ce qu’il appartient à l’Autorité d’assurer l’accès du public aux programmes d’information en application de l’article 3-1 de la loi du 30 septembre 1986 :

6. Aux termes de l’article 3-1 de la loi du 30 septembre 1986 : « (…) L’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique garantit l’honnêteté, l’indépendance et le pluralisme de l’information et des programmes qui y concourent, sous réserve de l’article 1er de la présente loi (…) ». S’il appartient à l’Arcom de garantir l’honnêteté, l’indépendance et le pluralisme de l’information et des programmes qui y concourent, sous réserve de la liberté de communication, ni les dispositions de cet article, ni aucune autre disposition législative, ne mettent à la charge de la société Groupe Canal Plus l’obligation de distribuer la chaîne B Smart TV au sein de son offre de services mise à disposition du public par un réseau n’utilisant pas des fréquences assignées par l’Arcom.

S’agissant des moyens tirés de ce que le refus de la société Groupe Canal Plus de poursuivre la distribution de la chaîne B Smart TV serait discriminatoire et ne serait ni transparent ni objectif :

Quant au caractère transparent du refus

7. Une partie à un contrat à durée déterminée de distribution d’un service de télévision qui refuse de renouveler ou de reconduire ce contrat doit en exposer le ou les motifs, permettant ainsi à l’autre partie d’y répondre et à l’Arcom de contrôler le respect des principes et obligations énumérés à l’article 17-1 de la loi du 30 septembre 1986.

8. Il résulte de l’instruction que le contrat conclu entre les parties prévoyait la distribution de la chaîne B Smart TV du 23 juin 2020 au 22 juin 2021, sans tacite reconduction, sur les réseaux filaires, internet, mobiles et câblés, au sein des offres commercialisées par la société Groupe Canal Plus. Cette distribution ne donnait pas lieu au versement d’une redevance à la société B Smart.

9. La société B Smart a, par un courriel du 31 mai 2021, sollicité de la société Groupe Canal Plus un échange afin d’« envisager la suite » de la distribution de la chaîne. Par un courrier recommandé du 23 juin 2021, la société Groupe Canal Plus a informé la société B Smart qu’elle n’entendait pas renouveler la distribution de la chaîne B Smart TV tout en reportant la cessation de la distribution au 7 septembre 2021. Par un courrier du 16 juillet 2021, la société B Smart a invité la société Groupe Canal Plus à revenir sur sa décision au triple motif, d’une part, que cette décision est discriminatoire et porte atteinte au pluralisme des courants de pensée et d’opinion, à l’objectivité de l’information et à la qualité et à la diversité des programmes, d’autre part, que la chaîne B Smart TV répond aux attentes de ses abonnés et, enfin, qu’elle lui avait donné le 1er juin 2021 son accord pour porter à deux ans la durée initiale de la distribution de la chaîne. Par un courrier du 23 juillet 2021, la société Groupe Canal Plus a informé la société B Smart qu’elle ne reviendrait pas sur sa décision et lui a confirmé que la distribution de sa chaîne au sein de ses offres cesserait le 7 septembre 2021.

10. Si la société Groupe Canal Plus n’a pas fait état, lors des échanges écrits évoqués au point précédent, du motif de sa décision de ne pas renouveler l’accord de distribution, elle a évoqué ce motif dans ses deux mémoires produits dans le cadre de la procédure contradictoire de règlement de différend : sa décision est motivée par la faible durée moyenne de visionnage de la chaîne B Smart TV par ses abonnés. En outre, la défenderesse soutient, sans être contredite, que ce motif avait été porté à la connaissance de la demanderesse lors d’échanges oraux antérieurs à son courrier du 23 juin 2021.

11. Dans ces conditions, la société B Smart a été informée de manière transparente du motif ayant conduit la société Groupe Canal Plus à ne pas renouveler l’accord de distribution de la chaîne B Smart TV.

Quant au caractère non-discriminatoire du refus

12. En premier lieu, en dehors des chaînes dites de « service public » qu’elle est tenue de distribuer en application des dispositions du I de l’article 34-2, de l’article 45-3 et du II de l’article 34-2 de la loi du 30 septembre 1986, la société Groupe Canal Plus est libre de distribuer les chaînes de son choix, sous réserve de respecter le droit de la concurrence et les principes et obligations énumérés à l’article 17-1 de cette loi. Par suite, la société B Smart ne peut valablement soutenir que la société Groupe Canal Plus « doit assurer la mise à disposition de l’ensemble des médias audiovisuels sans discrimination ».

13. En deuxième lieu, si la société B Smart soutient que le refus de la société Groupe Canal Plus de renouveler la distribution de sa chaîne serait discriminatoire dès lors qu’elle distribue la chaîne BFM Business, il résulte de l’instruction que ces deux chaînes ne sont pas placées dans une situation équivalente eu égard à leurs performances d’audience. En effet, il ressort des données d’audience recueillies par la défenderesse via l’outil analytique TV Beat, qui ne sont pas sérieusement critiquées par la défenderesse, que la durée moyenne de visionnage de la chaîne B Smart TV par les abonnés de Canal Plus s’est élevée à 2,43 minutes par mois sur la période novembre 2020 - mars 2021, contre 30,5 minutes par mois pour la chaîne BFM Business sur la même période. Contrairement à ce que prétend la requérante, cet indicateur permet, à la différence de celui de l’audience cumulée, une comparaison non biaisée par les différences d’usage entre canaux de distribution des deux chaînes. Ainsi, la chaîne B Smart TV n’étant pas dans une situation équivalente à celle de la chaîne BFM Business, la société Groupe Canal Plus s’est bornée à faire usage de sa liberté contractuelle, sans méconnaître le principe de non-discrimination, en refusant de renouveler le contrat de distribution.

14. En troisième lieu, la demanderesse ne peut utilement reprocher à la société Groupe Canal Plus un prétendu abus de position dominante, voire un monopole de la chaîne BFM Business, dès lors, d’une part, que l’exploitation abusive d’une position dominante, pratique anticoncurrentielle prohibée par l’alinéa 1er de l’article L. 420-2 du code de commerce, ne peut être imputée à une chaîne mais uniquement à la société ou au groupe qui la détient et, d’autre part, que la chaîne BFM Business appartient non pas à la société Groupe Canal Plus mais au groupe Altice Média. En outre, le moyen de la demanderesse est irrecevable en ce qu’il n’est pas assorti de précisions suffisantes, notamment en ce qui concerne le marché pertinent sur lequel le groupe Altice Média serait en situation de position dominante, voire de monopole. Enfin et en tout état de cause, le moyen est infondé dès lors que le groupe Altice Média n’est pas en position dominante et a fortiori en situation de monopole sur le marché publicitaire télévisuel, marché pertinent au regard de la pratique décisionnelle de l’Autorité de la concurrence. Par suite, il ne résulte pas de l’instruction que le refus de la société Groupe Canal Plus de renouveler le contrat de distribution de la chaîne B Smart TV serait susceptible de constituer un abus de position dominante. Il ne résulte pas davantage de l’instruction et n’est pas allégué que ce refus serait susceptible de constituer une pratique anticoncurrentielle autre que l’abus de position dominante ou serait la manifestation d’une des pratiques restrictives de concurrence évoquées aux articles L. 442-1 à L. 442-3 et L. 442-5 à L. 442-8 du code de commerce ou d’un abus dans l’exercice du droit de ne pas renouveler un contrat à durée déterminée. Quant au caractère objectif du refus

15. Il revient à l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique d’apprécier les motifs des décisions prises par les parties dans le cadre de leurs relations contractuelles afin de s’assurer que ces décisions sont fondées sur des justifications cohérentes et qu’elles ne poursuivent pas un but autre que celui en vue duquel leurs auteurs affirment les avoir prises. En revanche, il n’appartient pas à l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique de statuer sur le bien-fondé des orientations stratégiques générales des parties en ce qui concerne leurs politiques commerciales, qui relèvent de leurs appréciations respectives et sont mises en œuvre dans le cadre des règles applicables en droit de la concurrence.

16. Il résulte de l’instruction que la société Groupe Canal Plus a refusé de poursuivre la distribution de la chaîne B Smart TV en raison de la faible durée de visionnage de cette chaîne par ses abonnés, celle-ci s’étant élevée en moyenne à 2,43 minutes par mois sur la période novembre 2020 - mars 2021 et n’ayant que faiblement progressé sur cette période sans jamais atteindre trois minutes par mois. Cette justification est objective et ne dissimule aucun but autre que celui en vue duquel le groupe Canal Plus affirme avoir pris cette décision. Si la société B Smart soutient, en réponse, que sa chaîne aurait fait ses preuves en tant qu’elle bénéficierait de relais dans la presse, les articles qu’elle produit ont trait pour l’essentiel au lancement de la chaîne et au recrutement de certaines personnalités et n’évoquent pas ses performances d’audience. Par conséquent, le refus de la société Groupe Canal Plus de poursuivre la distribution de la chaîne B Smart TV est objectif.

S’agissant du moyen tiré d’une atteinte à la liberté de l’information et à l’objectivité de l’information :

17. La liberté de l’information et l’objectivité de l’information ne sont pas au nombre des principes dont l’Arcom doit s’assurer du respect dans le cadre d’une procédure de règlement de différend en vertu de l’article 17-1 de la loi du 30 septembre 1986. Par suite, les moyens tirés de ce que le refus de la société Groupe Canal de poursuivre la distribution de la chaîne B Smart TV porterait atteinte à ces principes ne peuvent qu’être écartés comme inopérants.

S’agissant du moyen tiré d’une atteinte caractérisée au pluralisme des courants de pensée et d’opinion et à la qualité et la diversité des programmes :

18. Si les abonnés aux offres de services commercialisées par la société Groupe Canal Plus n’ont plus accès à la chaîne B Smart TV dans le cadre ces offres, ils y ont accès sur leur téléviseur si celui-ci est connecté directement à internet ou indirectement par le biais d’une console de jeux, d’un boitier OTT ou d’un ordinateur. Ils y ont également accès s’ils sont abonnés à l’offre maFibre de VidéoFutur ou à une offre « triple-play » des sociétés Free, Orange et Bouygues Télécom. Toutefois, en l’absence de données sur l’équipement en téléviseur connecté des abonnés de la société Groupe Canal Plus et sur le pourcentage de ceux étant également abonnés à l’offre maFibre du fournisseur d’accès à internet VidéoFutur ou à une offre « triple-play » des fournisseurs d’accès à internet Free, Orange ou Bouygues Télécom, il ne résulte pas de l’instruction que la chaîne B Smart TV serait accessible sur le téléviseur de l’ensemble des abonnés de la société Groupe Canal Plus.

19. Toutefois, d’une part, si la société B Smart allègue que l’absence de distribution de sa chaîne par la société Groupe Canal Plus l’empêcherait d’accéder à une part d’audience importante, elle n’établit, ni même n’allègue, que la viabilité économique de cette chaîne serait menacée par son absence dans l’offre de services de cette société. En tout état de cause, il ne résulte pas de l’instruction que cette absence aurait compromis la poursuite de son activité ni sa viabilité économique.

20. D’autre part et surtout, il résulte de l’instruction que la société Groupe Canal Plus distribue la chaîne BFM Business, dont la programmation est spécifiquement consacrée à l’information économique et financière, ainsi que de nombreuses chaînes (LCI, BFM TV, Public Sénat, France Info, Cnews, France 24, TV5 Monde, Euronews et M6) diffusant en langue française une ou plusieurs émissions spécifiquement dédiées à cette information. Au surplus, elle distribue les chaînes anglophones Bloomberg et CNBC, dont la programmation est spécialement consacrée à l’information économique et financière internationale. Ainsi, le traitement de l’information économique et financière est déjà assuré dans une large mesure par l’offre de services de la société Groupe Canal Plus. En outre, la société B Smart n’établit pas que sa chaîne se démarquerait sensiblement de la chaîne BFM Business en ce qui concerne le traitement de cette information. Par suite, dans les circonstances de l’espèce, nonobstant la notoriété de certains de ses intervenants et l’écho rencontré dans la presse par son lancement et par le recrutement de certaines personnalités, la chaîne B Smart TV ne contribue pas de façon déterminante au pluralisme des courants de pensée et d’opinion et à la qualité et la diversité des programmes de la société Groupe Canal Plus.

21. Par conséquent, s’il ne résulte pas de l’instruction que la chaîne B Smart TV serait accessible sur le téléviseur de l’ensemble des abonnés de la société Groupe Canal Plus, il n’en résulte pas une atteinte caractérisée au pluralisme des courants de pensée et d’opinion et à la qualité et la diversité des programmes.

22. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu’il soit besoin de procéder à la mesure d’instruction sollicitée et d’examiner la fin de non-recevoir opposée en défense tirée de l’irrecevabilité des conclusions à fin d’injonction, que la société B Smart n’est pas fondée à demander à l’Arcom qu’elle enjoigne à la société Groupe Canal Plus de lui adresser une offre de contrat pour la distribution de la chaîne B Smart TV.

Sur la demande tendant à ce que l’Arcom assure une mission de conciliation entre les parties

23. Aux termes de l’avant-dernier alinéa de l’article 3-1 de la loi du 30 septembre 1986 dans sa version issue de la loi no 2021-1382 du 25 octobre 2021 relative à la régulation et à la protection de l’accès aux œuvres culturelles à l’ère numérique : « En cas de litige, s’il n’est pas fait usage des compétences mentionnées à l’article 17-1, ou en cas de litige ne faisant pas l’objet d’une procédure de sanction régie par les articles 42-1, 42-3, 42-4, 42-6, 42-15, 48-1 ou 48-2, l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique assure une mission de conciliation entre éditeurs de services, distributeurs de services, opérateurs de réseaux satellitaires, opérateurs de plateformes en ligne, prestataires techniques auxquels ces personnes recourent, personnes mentionnées à l’article 95, auteurs, producteurs et distributeurs de programmes audiovisuels, ou entre les organisations professionnelles qui les représentent. » Il résulte de ces dispositions que l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique ne peut assurer une mission de conciliation en cas de litige à l’occasion duquel a été ouverte une procédure de règlement de différend. La demande de la société B Smart tendant à ce que l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique assure une telle mission ne peut par suite qu’être rejetée.

Décide :

Art. 1er- Les demandes présentées par la société B Smart sont rejetées.

Art. 2.- La présente décision sera notifiée à la société B Smart et à la société Groupe Canal Plus et publiée au Journal officiel de la République française.