Décisions

CJUE, 7e ch., 20 avril 2023, n° C-815/21 P

COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPEENNE

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

Amazon.com Inc, Amazon Services Europe Sàrl, Amazon EU Sàrl, Amazon Europe Core Sàrl

Défendeur :

Commission européenne

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Arastey Sahún

Juge :

M. Wahl (rapporteur)

Avocat général :

M. Szpunar

Avocats :

Me Komninos, Me Tantulli, Me Gentili

CJUE n° C-815/21 P

19 avril 2023

LA COUR (septième chambre),

1 Par leur pourvoi, Amazon.com Inc., Amazon Services Europe Sàrl, Amazon EU Sàrl et Amazon Europe Core Sàrl (ci-après, ensemble, « Amazon ») demandent l’annulation de l’ordonnance du Tribunal de l’Union européenne du 14 octobre 2021, Amazon.com e.a./Commission (T 19/21, ci-après l’« ordonnance attaquée », EU:T:2021:730), par laquelle celui-ci a rejeté comme irrecevable leur recours tendant à l’annulation partielle de la décision C(2020) 7692 final de la Commission, du 10 novembre 2020, ouvrant une procédure d’application de l’article 102 TFUE dans l’affaire AT.40703 – Amazon – Buy Box (ci-après la « décision litigieuse »).

Le cadre juridique

Le règlement (CE) no 1/2003

2 Aux termes des considérants 17 et 32 du règlement (CE) no 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles [101 et 102 TFUE] (JO 2003, L 1, p. 1) :

« (17) Tant pour garantir l’application cohérente des règles de concurrence que pour assurer une gestion optimale du réseau, il est indispensable de maintenir la règle selon laquelle les autorités de concurrence des États membres sont automatiquement dessaisies lorsque la Commission [européenne] intente une procédure. Lorsqu’une autorité de concurrence d’un État membre traite déjà une affaire et que la Commission a l’intention d’intenter une procédure, cette dernière doit s’efforcer de le faire dans les meilleurs délais. Avant d’intenter la procédure, la Commission doit consulter l’autorité nationale concernée.

[...]

(32) Il convient de consacrer le droit des entreprises intéressées d’être entendues par la Commission, de donner aux tiers dont les intérêts peuvent être affectés par une décision l’occasion de faire valoir au préalable leurs observations, ainsi que d’assurer une large publicité des décisions prises. Tout en assurant les droits de la défense des entreprises concernées, et notamment le droit d’accès au dossier, il est indispensable de protéger les secrets d’affaires. En outre, il convient d’assurer que la confidentialité des informations échangées au sein du réseau soit protégée. »

3 L’article 11, paragraphe 6, de ce règlement dispose :

« L’ouverture par la Commission d’une procédure en vue de l’adoption d’une décision en application du chapitre III dessaisit les autorités de concurrence des États membres de leur compétence pour appliquer les articles [101 et 102 TFUE]. Si une autorité de concurrence d’un État membre traite déjà une affaire, la Commission n’intente la procédure qu’après avoir consulté cette autorité nationale de concurrence. »

Le règlement no 773/2004

4 Aux termes du considérant 10 du règlement (CE) no 773/2004 de la Commission, du 7 avril 2004, relatif aux procédures mises en œuvre par la Commission en application des articles [101 et 102 TFUE] (JO 2004, L 123, p. 18), tel que modifié par le règlement (CE) no 622/2008 de la Commission, du 30 juin 2008 (JO 2008, L 171, p. 3) (ci-après le « règlement no 773/2004 ») :

« Pour respecter les droits de la défense des entreprises, la Commission doit donner aux parties concernées le droit d’être entendues avant qu’elle n’arrête une décision. »

5 L’article 2, paragraphe 1, du règlement no 773/2004 prévoit :

« La Commission peut décider d’ouvrir la procédure en vue d’adopter une décision en application du chapitre III du règlement [no 1/2003] à tout moment, mais au plus tard à la date à laquelle elle rend une évaluation préliminaire au sens de l’article 9, paragraphe 1, dudit règlement, émet une communication des griefs ou adresse aux parties une demande de manifestation d’intérêt à prendre part à des discussions en vue de parvenir à une transaction, ou bien à la date de publication d’une communication en application de l’article 27, paragraphe 4, dudit règlement, selon celle de ces dates qui vient en premier. »

Les antécédents du litige

6 Les antécédents du litige ont été exposés aux points 1 à 5 de l’ordonnance attaquée dans les termes suivants :

« 1 Les requérantes [...] font partie de l’entreprise Amazon. En particulier, Amazon est active sur Internet et effectue notamment des opérations de vente au détail en ligne et de fourniture de divers services en ligne.

2 Le 10 novembre 2020, la Commission européenne a adopté la décision [litigieuse].

3 De l’avis de la Commission, certaines pratiques commerciales d’Amazon pourraient favoriser artificiellement ses propres offres de vente au détail et les offres des vendeurs de sa place de marché qui utilisent les services logistiques et de livraison d’Amazon.

4 La Commission a estimé que, si elle était avérée, la pratique en cause était susceptible d’être contraire à l’article 102 TFUE.

5 Dans la décision [litigieuse], la Commission a affirmé que l’enquête allait couvrir l’ensemble de l’Espace économique européen (EEE), à l’exception de l’Italie, ce qu’elle a justifié, dans le communiqué de presse qui a accompagné l’adoption de ladite décision, par la circonstance que l’autorité de la concurrence italienne avait commencé à enquêter sur des problèmes partiellement similaires en avril 2019, en se concentrant sur le marché italien. »

La procédure devant le Tribunal et l’ordonnance attaquée

7 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 19 janvier 2021, Amazon a introduit un recours tendant à l’annulation partielle de la décision litigieuse, en ce qu’elle exclut l’Italie du champ d’application de l’enquête et des conséquences juridiques de l’article 11, paragraphe 6, du règlement no 1/2003.

8 Par acte séparé déposé au greffe du Tribunal le 29 mars 2021, la Commission a excipé de l’irrecevabilité de ce recours, en faisant notamment valoir que la décision litigieuse ne constituait pas un acte attaquable, au sens de l’article 263 TFUE, dès lors qu’elle ne produisait pas d’effet de droit obligatoire de nature à affecter les intérêts d’Amazon en modifiant de façon caractérisée la situation juridique de cette dernière. Amazon a déposé ses observations sur cette exception d’irrecevabilité le 14 mai 2021.

9 Par l’ordonnance attaquée, le Tribunal a rejeté le recours d’Amazon comme étant irrecevable au motif que la décision litigieuse ne produisait que des effets propres à un acte de procédure et n’affectait donc pas, en dehors de sa situation procédurale, la situation juridique d’Amazon.

10 En outre, conformément à l’article 144, paragraphe 3, de son règlement de procédure, le Tribunal a décidé qu’il n’y avait pas lieu de statuer sur les demandes d’intervention, dont celle introduite par l’Autorità Garante della Concorrenza e del Mercato (Autorité garante du respect de la concurrence et des règles du marché, Italie) (ci-après l’« AGCM »).

La procédure devant la Cour et les conclusions des parties

11 Par acte déposé au greffe de la Cour le 21 décembre 2021, Amazon a introduit le présent pourvoi.

12 Par acte déposé le 13 avril 2022, l’AGCM a, sur le fondement de l’article 40, deuxième alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne ainsi que des articles 129 et 130 du règlement de procédure de la Cour, demandé à être admise à intervenir au pourvoi au soutien des conclusions de la Commission.

13 Par ordonnance du président de la Cour du 14 juillet 2022, Amazon.com e.a./Commission (C 815/21 P, non publiée, EU:C:2022:596), ce dernier a fait droit à cette demande. Dans la mesure où ladite demande a été présentée après l’expiration du délai visé à l’article 130 de ce règlement, mais avant la décision d’ouvrir la phase orale de la procédure, l’AGCM a été, conformément à l’article 129, paragraphe 4, dudit règlement, admise à intervenir au soutien des conclusions de la Commission et à présenter ses observations lors de l’audience de plaidoiries, si celle-ci avait lieu.

14 Par son pourvoi, Amazon demande à la Cour :

– d’annuler l’ordonnance attaquée ;

– de rejeter l’exception d’irrecevabilité soulevée par la Commission devant le Tribunal, et

– de renvoyer l’affaire à ce dernier pour qu’il statue au fond.

15 La Commission demande à la Cour :

– de rejeter le pourvoi et

– de condamner Amazon à supporter l’intégralité des dépens exposés dans le cadre de la présente procédure.

Sur le pourvoi

16 Au soutien de son pourvoi, Amazon soulève un moyen unique divisé en trois branches tirées, la première, de la violation, par le Tribunal, de l’article 263 TFUE, la deuxième, d’une interprétation erronée de l’article 11, paragraphe 6, du règlement no 1/2003 et, la troisième, de ce que la motivation retenue par le Tribunal repose sur des conclusions subsidiaires erronées et inopérantes.

Sur la deuxième branche du moyen unique

Argumentation des parties

17 Par la deuxième branche du moyen unique, qu’il convient d’examiner en premier lieu, Amazon soutient que le Tribunal a, dans l’ordonnance attaquée, procédé à une interprétation erronée de l’article 11, paragraphe 6, du règlement no 1/2003.

18 Ainsi, aux points 28 à 50 de l’ordonnance attaquée, le Tribunal aurait procédé à une interprétation paradoxale de cette disposition en indiquant, d’une part, au point 41 de cette ordonnance, que ladite disposition vise à prémunir les entreprises des poursuites parallèles de la part des autorités de concurrence des États membres et de la Commission, tout en reconnaissant, d’autre part, que cette dernière peut discrétionnairement refuser cette protection.

19 Cette interprétation erronée découlerait d’une confusion des notions de « marché géographique », de « périmètre géographique » et de « périmètre géographique de la procédure », aux points 26 à 28 de l’ordonnance attaquée. À cet égard, Amazon soutient que la décision litigieuse n’a pas délimité un quelconque « marché géographique », mais s’est limitée à exclure l’Italie du champ d’application territorial de l’enquête de la Commission dans le seul but de contourner les obligations découlant de l’article 11, paragraphe 6, du règlement no 1/2003.

20 Enfin, Amazon fait valoir que, au point 28 de l’ordonnance attaquée, le Tribunal conditionne la protection accordée par l’article 11, paragraphe 6, du règlement no 1/2003 au pouvoir discrétionnaire de la Commission. Or, par principe, dans aucun domaine du droit de l’Union, l’administration ne pourrait, par un choix discrétionnaire, supprimer une protection accordée par la loi.

21 La Commission conteste le bien-fondé de ces arguments.

Appréciation de la Cour

22 S’agissant de l’interprétation de l’article 11, paragraphe 6, du règlement no 1/2003, il convient de souligner que, au point 23 de l’ordonnance attaquée, le Tribunal a indiqué qu’un acte en vertu duquel la Commission ouvre une procédure d’application de l’article 102 TFUE ne produit, en principe, que les effets propres à un acte de procédure et n’affecte pas, en dehors de leur situation procédurale, la situation juridique des parties requérantes. Il a dès lors estimé, au point 38 de cette ordonnance, que, en l’espèce, la décision d’exclure l’Italie du périmètre de la procédure ouverte par la Commission à la suite de l’adoption de la décision litigieuse n’avait produit que les effets propres à un acte de procédure et n’affectait pas, en dehors de sa situation procédurale, la situation juridique d’Amazon.

23 Il a ajouté, au point 39 de ladite ordonnance, que les allégations d’Amazon, selon lesquelles la décision litigieuse, bien que d’ordre procédural, produirait des effets juridiques et obligatoires, en ce que l’exclusion du territoire italien de son champ d’application l’aurait privée de la protection contre les procédures parallèles prévue à l’article 11, paragraphe 6, du règlement no 1/2003, ne remettaient pas en cause cette conclusion.

24 Ainsi, le Tribunal, après avoir souligné, au point 41 de l’ordonnance attaquée, que le dessaisissement des autorités de concurrence des États membres résultant de cette dernière disposition permettait de prémunir les entreprises de poursuites parallèles de la part de ces autorités et de la Commission, a jugé, aux points 45 à 48 de cette ordonnance, que cette protection n’impliquait aucun droit, au bénéfice d’une entreprise, à voir une affaire traitée intégralement par la Commission. Par conséquent, le Tribunal a estimé, au point 49 de ladite ordonnance, qu’Amazon n’était pas fondée à faire valoir qu’elle avait été privée, par la partie contestée de la décision litigieuse, de la protection prévue à l’article 11, paragraphe 6, du règlement no 1/2003, dans la mesure où cet effet protecteur n’implique pas que la Commission serait obligée d’ouvrir une procédure afin de priver les autorités de concurrence des États membres de leur compétence pour appliquer les articles 101 et 102 TFUE.

25 Contrairement à ce que fait valoir Amazon, une telle interprétation de l’article 11, paragraphe 6, du règlement no 1/2003 n’est pas entachée d’erreur.

26 En effet, selon les termes de l’article 11, paragraphe 6, première phrase, du règlement no 1/2003, les autorités de concurrence des États membres perdent leur compétence pour appliquer les articles 101 et 102 TFUE dès lors que la Commission ouvre une procédure afin d’adopter l’une des décisions visées par les dispositions du chapitre III de ce règlement qui visent à constater une violation des articles 101 et 102 TFUE, à obliger les entreprises en cause à mettre fin auxdites violations, à ordonner des mesures provisoires à la suite d’un constat prima facie de telles violations, à rendre des engagements pris par des entreprises obligatoires ou à constater l’inapplication des articles 101 et 102 TFUE.

27 Il s’ensuit que, dès lors que, en application de l’article 11, paragraphe 6, première phrase, du règlement no 1/2003, la Commission ouvre une procédure contre une ou plusieurs entreprises en raison d’une violation présumée des articles 101 ou 102 TFUE, les autorités de concurrence des États membres sont dessaisies de leur compétence pour poursuivre les mêmes entreprises pour les mêmes conduites prétendument anticoncurrentielles, intervenues sur le ou les mêmes marchés de produits et géographiques au cours de la ou des mêmes périodes (arrêt du 25 février 2021, Slovak Telekom, C 857/19, EU:C:2021:139, point 30).

28 Un tel dessaisissement se justifie du fait que les autorités de concurrence des États membres sont habilitées à appliquer les règles de concurrence de l’Union parallèlement à la Commission, de telle sorte que, ainsi qu’il ressort du considérant 17 du règlement no 1/2003, ce dernier a notamment pour objectif de garantir l’application cohérente des règles de concurrence de l’Union et d’assurer une gestion optimale du réseau des autorités publiques en charge de la mise en œuvre de ces règles. En outre, l’application parallèle desdites règles ne pouvant se faire aux dépens des entreprises, le dessaisissement des autorités de concurrence des États membres permet également de prémunir ces entreprises de poursuites parallèles de la part de ces autorités et de la Commission (voir, en ce sens, arrêt du 25 février 2021, Slovak Telekom, C 857/19, EU:C:2021:139, point 32 et jurisprudence citée).

29 À cet égard, il convient de rappeler qu’une décision d’ouverture de la procédure, au sens de l’article 2, paragraphe 1, du règlement no 773/2004, n’a pas pour effet de priver les destinataires de celle-ci de leurs droits procéduraux. Au contraire, cette procédure a été aménagée précisément en vue de permettre aux entreprises concernées de faire connaître leur point de vue et d’éclairer la Commission le plus complètement possible avant qu’elle ne prenne une décision affectant leurs intérêts. Elle vise donc à créer, en faveur de celles-ci, des garanties procédurales et, ainsi qu’il ressort du considérant 32 du règlement no 1/2003 et du considérant 10 du règlement no 773/2004, à consacrer le droit des entreprises d’être entendues par la Commission (ordonnance du 29 janvier 2020, Silgan Closures et Silgan Holdings/Commission, C 418/19 P, non publiée, EU:C:2020:43, point 48).

30 Dès lors, l’argumentation avancée par Amazon au soutien de la présente branche du moyen unique, selon laquelle l’article 11, paragraphe 6, du règlement no 1/2003 accorde aux entreprises une protection contre les procédures parallèles de la part des autorités de concurrence des États membres et de la Commission, protection dont cette institution l’aurait privée en excluant illégalement l’Italie du champ d’application territorial de l’enquête ouverte par la décision litigieuse, repose sur une interprétation manifestement erronée de cette disposition.

31 En effet, la protection induite par l’article 11, paragraphe 6, du règlement no 1/2003 ne trouve à s’appliquer que dans l’hypothèse de poursuites parallèles de la part des autorités de concurrence des États membres et de la Commission visant les mêmes entreprises pour les mêmes conduites prétendument anticoncurrentielles, intervenues sur le ou les mêmes marchés de produits et géographiques au cours de la ou des mêmes périodes.

32 Comme la Commission le fait valoir à bon droit dans son mémoire en réponse, cette protection dépend du champ d’application de la décision d’ouverture de la procédure d’application de l’article 101 TFUE ou de l’article 102 TFUE.

33 Par conséquent, les entreprises ne peuvent se prévaloir de ladite protection si la Commission n’a pas ouvert de procédure ou n’a pas ouvert de procédure pour un territoire donné.

34 En l’espèce, dès lors que le champ d’application territorial de la procédure ouverte conformément à la décision litigieuse n’incluait pas l’Italie, la protection contre les procédures parallèles prévues à l’article 11, paragraphe 6, du règlement no 1/2003 ne pouvait trouver à s’appliquer.

35 En outre, ainsi que le Tribunal l’a indiqué sans commettre d’erreur au point 45 de l’ordonnance attaquée, cette protection contre les poursuites parallèles n’implique aucun droit, au bénéfice d’une entreprise, à voir une affaire traitée intégralement par la Commission.

36 En effet, soutenir, à l’instar d’Amazon, qu’une décision de la Commission ouvrant une procédure en vue d’adopter une décision en application des dispositions du chapitre III du règlement no 1/2003 devrait nécessairement couvrir l’ensemble de l’EEE, serait de nature à priver cette institution de la large marge d’appréciation dont elle dispose lorsqu’elle adopte une telle décision, conformément à l’article 2, paragraphe 1, du règlement no 773/2004.

37 Il résulte des motifs qui précèdent que le Tribunal n’a commis aucune erreur d’interprétation de l’article 11, paragraphe 6, du règlement no 1/2003. Par conséquent, l’argumentation d’Amazon selon laquelle il aurait confondu les notions de « marché géographique », de « périmètre géographique » et de « périmètre géographique de la procédure » est inopérante.

38 Partant, la deuxième branche du moyen unique doit être rejetée comme étant non fondée.

Sur la première branche du moyen unique

Argumentation des parties

39 Amazon soutient que le Tribunal a violé l’article 263, premier et quatrième alinéas, TFUE, en concluant, à tort, que le recours en annulation était irrecevable au motif que la décision litigieuse ne produisait pas d’effet juridique à l’égard d’Amazon.

40 Les effets et la nature juridique de la décision litigieuse auraient dû être appréciés à la lumière de la fonction de celle-ci. Amazon reproche au Tribunal de s’être limité à juger que, conformément à la jurisprudence, un acte d’ouverture d’une procédure d’application de l’article 102 TFUE ne produit, de manière générale, que les effets propres à un acte de procédure et n’affecte pas, en dehors de leur situation procédurale, la situation juridique des entreprises destinataires, sans procéder à une analyse concrète de cette décision.

41 Selon Amazon, si le Tribunal avait procédé à une analyse au fond de ladite décision, il aurait constaté que celle-ci ne se bornait pas à ouvrir une procédure, mais produisait un effet juridique autonome en la privant illégalement de la protection contre toute procédure parallèle menée par deux autorités de concurrence à l’encontre de la même entreprise, prévue à l’article 11, paragraphe 6, du règlement no 1/2003.

42 La Commission conteste l’argumentation d’Amazon, estimant, à titre principal, que la première branche du moyen unique est irrecevable, en ce que les éléments critiqués de l’ordonnance attaquée ne sont pas précisés, et, à titre subsidiaire, que cette branche est dénuée de fondement.

Appréciation de la Cour

43 S’agissant de la recevabilité de la présente branche, il suffit de constater que, contrairement à ce qu’allègue la Commission, Amazon a identifié de façon suffisamment précise les éléments critiqués de l’ordonnance attaquée auxquels ses arguments se rapportent. En effet, il ressort avec évidence du pourvoi qu’Amazon reproche au Tribunal d’avoir jugé que la décision litigieuse était un acte d’ouverture d’une procédure d’application de l’article 102 TFUE qui ne produisait que les effets propres à un acte de procédure et n’affectait pas, en dehors de leur situation procédurale, la situation juridique des entreprises destinataires, sans procéder à une analyse concrète de cette décision.

44 Il s’ensuit que la présente branche du moyen unique est recevable.

45 S’agissant du fond, il est expressément indiqué aux points 27 et 28 du pourvoi d’Amazon que cette dernière fait valoir que, en l’espèce, le Tribunal a violé l’article 263 TFUE en se limitant à la présentation formelle de la décision litigieuse sans procéder à une analyse au fond qui aurait permis de constater que cette décision ne se bornait pas à l’ouverture d’une procédure en vue d’adopter une décision en application des dispositions du chapitre III du règlement no 1/2003, conformément à l’article 2, paragraphe 1, du règlement no 773/2004, mais qu’elle produisait un effet juridique distinct, en ce qu’elle met fin à la protection prévue à l’article 11, paragraphe 6, du règlement no 1/2003.

46 Cette argumentation repose sur la prémisse selon laquelle Amazon serait fondée à se prévaloir de la protection prévue par cette disposition. Or, il résulte de l’examen de la deuxième branche du moyen unique qu’une telle prémisse est erronée.

47 Partant, la première branche du moyen unique, qui repose entièrement sur cette prémisse erronée, doit être rejetée comme étant non fondée.

Sur la troisième branche du moyen unique

Argumentation des parties

48 Par la troisième branche de son moyen unique, dirigée contre les points 32 à 50 de l’ordonnance attaquée, Amazon fait valoir que cette ordonnance repose sur des « conclusions subsidiaires erronées et inopérantes ». Tout d’abord, ce serait à tort que le Tribunal ferait référence, dans sa motivation, aux arguments d’Amazon, tirés de ce qu’elle risquerait d’être amenée à se défendre devant deux autorités de concurrence distinctes, dans la mesure où le Tribunal ne tiendrait pas compte de l’atteinte aux droits d’Amazon. Ensuite, le caractère provisoire de la décision litigieuse serait dépourvu d’intérêt aux fins du présent recours. Enfin, il serait erroné d’assimiler la requête à une demande d’ouverture par la Commission d’une procédure sur le marché italien.

49 La Commission conteste cette argumentation.

Appréciation de la Cour

50 À cet égard, il y a lieu de relever que, les deux premières branches du moyen unique ayant été rejetées, la conclusion du Tribunal selon laquelle le recours d’Amazon était irrecevable ne saurait être remise en cause par la troisième branche de ce moyen, par laquelle Amazon se limite à contester les « conclusions subsidiaires » du Tribunal en ce qu’elles seraient erronées et inopérantes, de sorte que la troisième branche dudit moyen doit être écartée comme étant inopérante.

51 Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a lieu de rejeter le moyen unique en chacune de ses branches et, partant, le pourvoi dans son ensemble.

Sur les dépens

52 Conformément à l’article 184, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour, lorsque le pourvoi n’est pas fondé, la Cour statue sur les dépens. L’article 138, paragraphe 1, de ce règlement, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, de celui-ci, dispose que toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

53 La Commission ayant conclu à la condamnation d’Amazon aux dépens et le pourvoi de cette dernière devant être rejeté, il y a lieu de condamner Amazon aux dépens.

54 Conformément à l’article 140, paragraphe 3, du règlement de procédure, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, de ce règlement, la Cour peut décider qu’une partie intervenante autre que celles mentionnées à l’article 140, paragraphes 1 et 2, dudit règlement supportera ses propres dépens. En l’espèce, il y a lieu de juger que l’AGCM supportera ses propres dépens afférents au pourvoi.

Par ces motifs, la Cour (septième chambre) déclare et arrête :

1) Le pourvoi est rejeté.

2) Amazon.com Inc., Amazon Services Europe Sàrl, Amazon EU Sàrl et Amazon Europe Core Sàrl supportent, outre leurs propres dépens, les dépens exposés par la Commission européenne.

3) L’Autorità Garante della Concorrenza e del Mercato (Autorité garante du respect de la concurrence et des règles du marché, Italie) supporte ses propres dépens afférents à la procédure de pourvoi.