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Décisions

CJUE, 1re ch., 20 avril 2023, n° C-25/21

COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPEENNE

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

ZA, AZ, BX, CV, DU, ET

Défendeur :

Repsol Comercial de Productos Petrolíferos SA

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Arabadjiev

Juges :

M. Xuereb, M. Kumin, M. Wahl, Mme Ziemele

Avocat général :

M. Pitruzzella

Avocats :

Me Hernández Pardo, Me Sobrepera Millet, Me Ruiz Ezquerra, Me Arévalo Nieto, Me Requeijo Pascua, Me Villarrubia García

CJUE n° C-25/21

19 avril 2023

LA COUR (première chambre),

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 101, paragraphe 2, TFUE et de l’article 2 du règlement (CE) no 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles [101 et 102 TFUE] (JO 2003, L 1, p. 1).

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant ZA, AZ, BX, CV, DU et ET (ci-après, pris ensemble, les « héritiers de KN ») à Repsol Comercial de Productos Petrolíferos SA (ci-après « Repsol ») au sujet de recours intentés par les héritiers de KN et visant la nullité des contrats conclus entre eux et Repsol ainsi que l’indemnisation des préjudices prétendument causés par ces contrats.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

Le règlement no 1/2003

3 L’article 2 du règlement no 1/2003, intitulé « Charge de la preuve », dispose :

« Dans toutes les procédures nationales et communautaires d’application des articles [101 et 102 TFUE], la charge de la preuve d’une violation de l’article [101], paragraphe 1, ou de l’article [102 TFUE] incombe à la partie ou à l’autorité qui l’allègue. En revanche, il incombe à l’entreprise ou à l’association d’entreprises qui invoque le bénéfice des dispositions de l’article [101], paragraphe 3, [TFUE] d’apporter la preuve que les conditions de ce paragraphe sont remplies. »

La directive 2014/104/UE

4 Le considérant 34 de la directive 2014/104/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 novembre 2014, relative à certaines règles régissant les actions en dommages et intérêts en droit national pour les infractions aux dispositions du droit de la concurrence des États membres et de l’Union européenne (JO 2014, L 349, p. 1), énonce :

« L’application effective et cohérente des articles 101 et 102 [TFUE] par la Commission [européenne] et les autorités nationales de concurrence nécessite une approche commune au sein de l’Union [européenne] en ce qui concerne l’effet des décisions définitives constatant une infraction rendues par les autorités nationales de concurrence sur les actions ultérieures en dommages et intérêts. De telles décisions ne sont adoptées qu’après que la Commission a été informée de la décision envisagée ou, en l’absence de celle-ci, de tout autre document exposant l’orientation envisagée en vertu de l’article 11, paragraphe 4, du règlement (CE) no 1/2003, et si la Commission n’a pas dessaisi l’autorité nationale de concurrence de sa compétence en ouvrant une procédure en vertu de l’article 11, paragraphe 6, dudit règlement. La Commission devrait garantir une application uniforme du droit de la concurrence de l’Union en fournissant, bilatéralement et dans le cadre du réseau européen de la concurrence, des orientations aux autorités nationales de concurrence. Afin d’accroître la sécurité juridique, d’éviter toute incohérence dans l’application des articles 101 et 102 [TFUE], de renforcer l’efficacité des actions en dommages et intérêts et les économies de procédure dans ce domaine, et de stimuler le fonctionnement du marché intérieur pour les entreprises et les consommateurs, la constatation d’une infraction à l’article 101 ou 102 [TFUE] dans une décision définitive d’une autorité nationale de concurrence ou d’une instance de recours ne devrait pas être de nouveau contestée lors d’actions en dommages et intérêts ultérieures. Dès lors, une telle constatation devrait être considérée comme établie de manière irréfragable dans le cadre d’actions en dommages et intérêts concernant ladite infraction intentée dans l’État membre de l’autorité de concurrence ou de l’instance de recours nationale. L’effet de la constatation ne devrait toutefois porter que sur la nature de l’infraction ainsi que sur sa portée matérielle, personnelle, temporelle et territoriale telle qu’elle a été déterminée par l’autorité de concurrence ou l’instance de recours dans l’exercice de sa compétence. Lorsqu’une décision a conclu à une infraction aux dispositions du droit national de la concurrence dans les cas où le droit de la concurrence de l’Union et le droit national de la concurrence s’appliquent en parallèle à la même affaire, ladite infraction devrait également être considérée comme établie de manière irréfragable. »

5 L’article 1er de cette directive, intitulé « Objet et champ d’application », dispose :

« 1. La présente directive énonce certaines règles nécessaires pour faire en sorte que toute personne ayant subi un préjudice causé par une infraction au droit de la concurrence commise par une entreprise ou une association d’entreprises puisse exercer effectivement son droit de demander réparation intégrale de ce préjudice à ladite entreprise ou à ladite association. Elle établit des règles qui favorisent une concurrence non faussée sur le marché intérieur et qui suppriment les obstacles au bon fonctionnement de ce dernier, en garantissant une protection équivalente, dans toute l’Union, à toute personne ayant subi un tel préjudice.

2. La présente directive fixe les règles coordonnant la mise en œuvre des règles de concurrence par les autorités de concurrence et la mise en œuvre de ces règles dans le cadre d’actions en dommages et intérêts intentées devant les juridictions nationales. »

6 L’article 9 de ladite directive, intitulé « Effet des décisions nationales », prévoit :

« 1. Les États membres veillent à ce qu’une infraction au droit de la concurrence constatée par une décision définitive d’une autorité nationale de concurrence ou par une instance de recours soit considérée comme établie de manière irréfragable aux fins d’une action en dommages et intérêts introduite devant leurs juridictions nationales au titre de l’article 101 ou 102 [TFUE] ou du droit national de la concurrence.

2. Les États membres veillent à ce que, lorsqu’une décision définitive visée au paragraphe 1 est prise dans un autre État membre, cette décision finale puisse, conformément au droit national, être présentée devant leurs juridictions nationales au moins en tant que preuve prima facie du fait qu’une infraction au droit de la concurrence a été commise et, comme il convient, puisse être examinée avec les autres éléments de preuve apportés par les parties.

3. Le présent article s’entend sans préjudice des droits et obligations des juridictions nationales découlant de l’article 267 [TFUE]. »

7 L’article 21 de cette même directive, intitulé « Transposition », est, à son paragraphe 1, libellé comme suit :

« Les États membres mettent en vigueur les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à la présente directive au plus tard le 27 décembre 2016. Ils communiquent immédiatement à la Commission le texte de ces dispositions.

Lorsque les États membres adoptent ces dispositions, celles-ci contiennent une référence à la présente directive ou sont accompagnées d’une telle référence lors de leur publication officielle. Les modalités de cette référence sont arrêtées par les États membres. »

8 L’article 22 de cette directive, intitulé « Application temporelle », énonce :

« 1. Les États membres veillent à ce que les dispositions nationales adoptées en application de l’article 21 afin de se conformer aux dispositions substantielles de la présente directive ne s’appliquent pas rétroactivement.

2. Les États membres veillent à ce qu’aucune disposition nationale adoptée en application de l’article 21, autre que celles visées au paragraphe 1, ne s’applique aux actions en dommages et intérêts dont une juridiction nationale a été saisie avant le 26 décembre 2014. »

Le droit espagnol

9 L’article 75, paragraphe 1, de la Ley 15/2007 de Defensa de la Competencia (loi 15/2007, relative à la protection de la concurrence), du 3 juillet 2007 (BOE no 159, du 4 juillet 2007, p. 28848), telle que modifiée par le Real Decreto-ley 9/2017, por el que se transponen directivas de la Unión Europea en los ámbitos financiero, mercantil y sanitario, y sobre el desplazamiento de trabajadores (décret-loi royal 9/2017, portant transposition de directives de l’Union européenne en matières financière, commerciale et de santé, ainsi que sur le détachement de travailleurs), du 26 mai 2017 (BOE no 126, du 27 mai 2017, p. 42820), prévoit :

« Une infraction au droit de la concurrence constatée par une décision définitive d’une autorité de concurrence espagnole ou par une instance de recours espagnole est considérée comme établie de manière irréfragable aux fins d’une action en dommages et intérêts introduite devant une juridiction espagnole. »

Le litige au principal et les questions préjudicielles

10 Les héritiers de KN sont les propriétaires d’une station-service construite par KN. Pendant la période allant de l’année 1987 à l’année 2009, KN ou les héritiers de KN, d’une part, et Repsol, d’autre part, ont conclu plusieurs contrats exclusifs d’approvisionnement de carburant.

11 Il ressort de la décision de renvoi que les deux premiers contrats conclus le 1er juillet 1987 et le 1er février 1996 étaient des « contrats de revente », la propriété sur le carburant livré par Repsol étant transférée à KN ou aux héritiers de KN dès son transvasement dans la cuve de la station-service concernée. Ces contrats prévoyaient que la rémunération de l’exploitant de la station-service était constituée d’une commission que ce dernier pouvait appliquer sur le prix de vente au public des carburants recommandé par Repsol.

12 Le 27 avril 1999, l’Asociación de Propietarios de Estaciones de Servicio y Unidades de Suministro de Andalucía (association des propriétaires de stations-service et d’unités d’approvisionnement d’Andalousie, Espagne) a déposé, auprès des autorités compétentes, une plainte contre plusieurs sociétés de raffinage, parmi lesquelles figurait Repsol, pour violation du droit de la concurrence national et communautaire.

13 Par décision du 11 juillet 2001 (ci-après la « décision de 2001 »), le Tribunal de Defensa de la Competencia (tribunal de la concurrence, Espagne) a constaté que, en ayant fixé, dans le cadre de ses relations contractuelles avec certaines stations-service espagnoles, les prix de vente au public des carburants, Repsol avait enfreint les règles du droit de la concurrence. Ce tribunal a enjoint à Repsol de mettre fin à cette infraction.

14 Cette décision, dont la validité a été remise en cause par Repsol, a été confirmée par un arrêt de l’Audiencia Nacional (Cour centrale, Espagne) du 11 juillet 2007. Cet arrêt a fait l’objet d’un pourvoi introduit par Repsol devant le Tribunal Supremo (Cour suprême, Espagne), lequel a, par son arrêt du 17 novembre 2010, rejeté ce pourvoi. Par suite, la décision de 2001 est devenue définitive.

15 Le 22 février 2001, le 22 février 2006 et le 17 juillet 2009, les héritiers de KN ont conclu trois autres contrats avec Repsol. Ces derniers, qui étaient également des contrats de revente, contenaient une obligation d’approvisionnement exclusif au profit de cette société.

16 À la suite d’une enquête de la Comisión Nacional de la Competencia (commission nationale de la concurrence, Espagne), cette autorité a, le 30 juillet 2009, adopté une décision (ci-après la « décision de 2009 ») par laquelle elle a sanctionné certaines sociétés de raffinage, parmi lesquelles figurait Repsol, pour avoir fixé indirectement le prix de vente au public des carburants pratiqué par les stations-service concernées. Ladite autorité a constaté que Repsol avait enfreint l’article 81, paragraphe 1, CE (devenu article 101, paragraphe 1, TFUE) et l’article 1er de la Ley 16/1989 de Defensa de la Competencia (loi 16/1989 sur la concurrence), du 17 juillet 1989 (BOE no 170, du 18 juillet 1989, p. 22747).

17 La décision de 2009, qui a fait l’objet d’un recours en annulation, a été confirmée par les arrêts du Tribunal Supremo (Cour suprême) des 22 mai et 2 juin 2015 et a acquis un caractère définitif.

18 Dans le cadre d’une procédure de surveillance, la commission nationale de la concurrence a rendu trois décisions dans lesquelles elle a constaté que Repsol avait continué à méconnaître les règles du droit de la concurrence jusqu’en 2019.

19 Dans ces conditions, au titre de l’article 101, paragraphe 2, TFUE, les héritiers de KN ont, à la suite des décisions de 2001 et de 2009, intenté devant le Juzgado de lo Mercantil no 2 de Madrid (tribunal de commerce no 2 de Madrid, Espagne), la juridiction de renvoi, d’une part, une action en nullité des contrats conclus avec Repsol, au motif que, en violation de l’article 101, paragraphe 1, TFUE, cette société avait fixé le prix de vente au public des combustibles et des carburants en cause et, d’autre part, une action en dommages et intérêts en réparation du préjudice prétendument causé par ces contrats. Afin de démontrer l’existence de l’infraction concernée, les héritiers de KN s’appuient, dans le cadre de ces actions, sur les décisions de 2001 et de 2009.

20 La juridiction de renvoi rappelle, premièrement, que, aux termes de l’article 2 du règlement no 1/2003, la charge de la preuve d’une violation de l’article 101 TFUE incombe à la partie qui l’allègue.

21 Deuxièmement, elle fait observer que, en principe, conformément à l’article 9, paragraphe 1, de la directive 2014/104, dans le cadre d’une action en dommages et intérêts introduite à la suite d’une décision d’une autorité nationale de concurrence qui est devenue définitive, la partie requérante concernée peut parvenir à satisfaire la charge de la preuve qui lui incombe concernant l’existence d’une infraction, en démontrant que cette décision porte précisément sur la relation contractuelle en cause.

22 Or, selon la jurisprudence nationale, dans le cadre d’une action en nullité au titre de l’article 101, paragraphe 2, TFUE, telle que celle intentée par les héritiers de KN, aucun effet contraignant n’est conféré à une décision définitive d’une autorité nationale de concurrence s’il n’est pas démontré que l’infraction constatée dans cette décision et la prétendue infraction faisant l’objet de cette action sont les mêmes et que c’est la partie requérante et non pas une autre personne qui a été victime de cette infraction.

23 Ainsi, il serait nécessaire d’effectuer une analyse individuelle de la relation contractuelle faisant l’objet du litige et de démontrer que c’est précisément le requérant, exploitant d’une station-service, et non une autre personne, qui a été victime de la pratique de fixation des prix.

24 La juridiction de renvoi précise que, selon la jurisprudence nationale, lorsque, notamment, l’infraction constatée dans une décision définitive d’une autorité nationale de concurrence et celle faisant l’objet d’une action en nullité au titre de l’article 101, paragraphe 2, TFUE ne coïncident pas, une telle décision ne constitue pas même un indice de l’existence d’une infraction aux règles de concurrence.

25 Par conséquent, en l’occurrence, afin d’obtenir une décision constatant la nullité des contrats en cause au principal, les héritiers de KN devraient présenter de nouveau devant cette juridiction les preuves fournies dans le cadre du dossier administratif examiné par les autorités nationales de concurrence.

26 Dans ce contexte, la juridiction de renvoi estime que nier tout effet contraignant aux décisions définitives de l’autorité nationale de la concurrence aurait pour conséquence de maintenir en vigueur des contrats qui violent l’article 101 TFUE.

27 Selon cette juridiction, si les héritiers de KN réussissent à démontrer que ces contrats correspondent sur le plan temporel et territorial aux pratiques sanctionnées par les autorités nationales de concurrence dans leurs décisions définitives ainsi qu’au type de contrats examinés par ces autorités, il conviendrait de considérer qu’ils ont satisfait à la charge de la preuve leur incombant en vertu de l’article 2 du règlement no 1/2003 et, partant, qu’ils ont réussi à prouver l’existence de l’infraction à l’article 101 TFUE faisant l’objet de leurs recours.

28 Dans ces conditions, le Juzgado de lo Mercantil no 2 de Madrid (tribunal de commerce no 2 de Madrid) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1) Si la partie requérante démontre que sa relation contractuelle d’approvisionnement exclusif et d’affiliation (sous le régime de la commission ou de vente ferme avec prix de référence – revente avec ristourne) avec Repsol relève du champ d’application territorial et temporel examiné par l’autorité nationale de concurrence, la relation contractuelle doit-elle être considérée comme étant affectée par la décision du Tribunal de Defensa de la Competencia (tribunal de la concurrence[...]) du 11 juillet 2001 (affaire 490/00 REPSOL) ou par la décision de la [commission nationale de la concurrence] du 30 juillet 2009 (affaire 652/07 REPSOL/CEPSA/BP), les conditions posées à l’article 2 du règlement no 1/2003 relatives à la charge de la preuve étant considérées comme remplies en vertu de ces décisions ?

2) En cas de réponse affirmative à la [première] question et s’il est établi en l’espèce que la relation contractuelle est affectée par la décision du Tribunal de Defensa de la Competencia (tribunal de la concurrence[...]) du 11 juillet 2001 (affaire 490/00 REPSOL) ou par la décision de la [commission nationale de la concurrence] du 30 juillet 2009 (affaire 652/07 REPSOL/CEPSA/BP), la conséquence doit-elle nécessairement être la déclaration de nullité de plein droit de l’accord, conformément à l’article 101, paragraphe 2, TFUE ? »

Sur les questions préjudicielles

Sur la première question

Observations liminaires

29 La juridiction de renvoi fait référence à la directive 2014/104, et notamment à l’article 9, paragraphe 1, de celle-ci. Or, cette disposition ne pourrait être pertinente pour la solution du litige au principal que si ce litige relevait de son champ d’application matériel et temporel.

30 À cet égard, en ce qui concerne le champ d’application matériel de l’article 9 de la directive 2014/104, il y a lieu de relever, ainsi qu’il ressort de l’intitulé de cette directive et de son article 1er, intitulé « Objet et champ d’application », que ladite directive établit certaines règles régissant les recours en dommages et intérêts introduits au niveau national pour les infractions aux dispositions du droit de la concurrence des États membres et de l’Union.

31 Il en résulte que le champ d’application matériel de la directive 2014/104, y compris celui de l’article 9 de celle-ci, est limité aux seules actions en dommages et intérêts intentées pour des infractions aux règles de concurrence et, partant, ne s’étend pas à d’autres types de recours ayant pour objet des infractions aux dispositions du droit de la concurrence, tels que, par exemple, les actions en nullité introduites au titre de l’article 101, paragraphe 2, TFUE.

32 Il s’ensuit que l’action en nullité introduite par les héritiers de KN en vertu de l’article 101, paragraphe 2, TFUE ne relève pas du champ d’application matériel de la directive 2014/104.

33 S’agissant de l’applicabilité temporelle de l’article 9, paragraphe 1, de cette directive au recours en dommages et intérêts des héritiers de KN, il y a lieu de rappeler que, afin de déterminer l’applicabilité temporelle des dispositions de ladite directive, il convient d’établir, en premier lieu, si la disposition concernée constitue une disposition substantielle ou non (arrêt du 22 juin 2022, Volvo et DAF Trucks, C 267/20, EU :C:2022:494, point 38).

34 Dans le cas où l’article 9, paragraphe 1, de la directive 2014/104 serait qualifié de « disposition substantielle » et dès lors que, en l’occurrence, il est constant que cette directive a été transposée dans le droit espagnol cinq mois après l’expiration du délai de transposition prévu à son article 21, le décret-loi royal 9/2017 transposant ladite directive étant entré en vigueur le 27 mai 2017, il conviendrait de vérifier, en second lieu, si la situation en cause au principal, pour autant qu’elle ne puisse être qualifiée de nouvelle, a été acquise avant l’expiration du délai de transposition de cette même directive, à savoir le 27 décembre 2016, ou si elle a continué à produire ses effets après l’expiration de ce délai (voir, en ce sens, arrêt du 22 juin 2022, Volvo et DAF Trucks, C 267/20, EU:C:2022:494, points 42 et 48).

35 En revanche, si cette disposition est qualifiée de « disposition procédurale », elle est censée s’appliquer à la situation juridique concernée à la date à laquelle elle est entrée en vigueur (voir, en ce sens, arrêt du 3 juin 2021, Jumbocarry Trading, C 39/20, EU :C:2021:435, point 28).

36 En ce qui concerne, en premier lieu, la nature substantielle ou non de l’article 9, paragraphe 1, de la directive 2014/104, il convient de rappeler que, aux termes de cette disposition, les États membres veillent à ce qu’une infraction au droit de la concurrence constatée par une décision définitive d’une autorité nationale de concurrence ou par une instance de recours soit considérée comme établie de manière irréfragable aux fins d’une action en dommages et intérêts introduite devant leurs juridictions nationales au titre des articles 101 ou 102 TFUE ou du droit national de la concurrence.

37 Il ressort du libellé de ladite disposition qu’elle confère, en substance, aux décisions définitives d’une autorité nationale de concurrence ou, le cas échéant, aux décisions d’une instance de recours constatant des infractions au droit de la concurrence un effet contraignant aux fins des actions en dommages et intérêts introduites devant une juridiction du même État membre que celui dans lequel cette autorité exerce ses compétences.

38 En particulier, l’article 9, paragraphe 1, de la directive 2014/104 établit une présomption irréfragable relative à l’existence d’une infraction au droit de la concurrence.

39 Or, dès lors que, ainsi qu’il ressort de la jurisprudence de la Cour, l’existence d’une infraction au droit de la concurrence, l’existence d’un préjudice causé par cette infraction, le lien de causalité entre ce préjudice et ladite infraction ainsi que l’identité de l’auteur de cette même infraction font partie des éléments indispensables dont la personne lésée doit disposer afin d’introduire un recours en dommages et intérêts (voir, en ce sens, arrêt du 22 juin 2022, Volvo et DAF Trucks, C 267/20, EU:C:2022:494, point 60), il y a lieu de considérer que l’article 9, paragraphe 1, de la directive 2014/104 porte sur l’existence de l’un des éléments constitutifs de la responsabilité civile pour les infractions aux règles du droit de la concurrence et doit, partant, ainsi que M. l’avocat général l’a, en substance, relevé au point 64 de ses conclusions, être qualifié de règle de fond.

40 Il y a donc lieu de considérer que l’article 9, paragraphe 1, de la directive 2014/104 revêt une nature substantielle, au sens de l’article 22, paragraphe 1, de cette directive.

41 Ainsi qu’il ressort du point 34 du présent arrêt, afin de déterminer l’applicabilité temporelle de l’article 9, paragraphe 1, de la directive 2014/104, il convient, en second lieu, de vérifier si la situation en cause au principal a été acquise avant l’expiration du délai de transposition de cette directive ou si elle continue à produire ses effets après l’expiration de ce délai.

42 À cette fin, il y a lieu de tenir compte de la nature et du mécanisme de fonctionnement de l’article 9, paragraphe 1, de la directive 2014/104 (voir, en ce sens, arrêt du 22 juin 2022, Volvo et DAF Trucks, C 267/20, EU :C:2022:494, points 49 et 100).

43 Ainsi qu’il ressort du point 38 du présent arrêt, cette disposition établit une présomption selon laquelle une infraction au droit de la concurrence constatée dans une décision définitive d’une autorité nationale de concurrence ou dans une décision d’une instance de recours doit être considérée comme établie de manière irréfragable aux fins d’un recours en dommages et intérêts pour infraction au droit de la concurrence, introduit à la suite de telles décisions, devant une juridiction du même État membre que celui dans lequel cette autorité et cette instance de recours exercent leurs compétences.

44 Dès lors que le fait identifié par le législateur de l’Union comme permettant de considérer que l’infraction concernée est considérée comme établie de manière irréfragable aux fins du recours en dommages et intérêts concerné est la date à laquelle la décision concernée est devenue définitive, il convient de vérifier si cette date précède la date d’expiration du délai de transposition de la directive 2014/104, cette dernière n’ayant pas été transposée dans le droit espagnol dans ce délai.

45 En l’occurrence, il ressort du dossier dont dispose la Cour, d’une part, que la décision de 2001 est devenue définitive à la suite de l’arrêt du 17 novembre 2010 du Tribunal Supremo (Cour suprême). D’autre part, la décision de 2009 est devenue définitive à la suite des arrêts du Tribunal Supremo (Cour suprême) des 22 mai et 2 juin 2015. Ainsi, ces décisions sont devenues définitives antérieurement à la date d’expiration du délai de transposition de la directive 2014/104. Il s’ensuit que les situations en cause au principal sont acquises.

46 En conséquence, eu égard à l’article 22, paragraphe 1, de la directive 2014/104, il convient de considérer que l’article 9, paragraphe 1, de cette directive ne saurait être applicable ratione temporis à des recours en dommages et intérêts intentés à la suite des décisions des autorités nationales de concurrence qui sont devenues définitives antérieurement à la date d’expiration du délai de transposition de ladite directive.

47 Dans ces conditions, il y a lieu, en l’occurrence, d’examiner la réglementation nationale, telle qu’interprétée par les juridictions nationales compétentes, en particulier au regard de l’article 101 TFUE, tel que mis en œuvre par l’article 2 du règlement no 1/2003.

Sur le fond

48 Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 101 TFUE, tel que mis en œuvre par l’article 2 du règlement no 1/2003 et lu en combinaison avec le principe d’effectivité, doit être interprété en ce sens que l’infraction au droit de la concurrence constatée dans une décision d’une autorité nationale de concurrence, qui a fait l’objet d’un recours en annulation devant les juridictions nationales compétentes mais qui est devenue définitive après avoir été confirmée par ces juridictions, doit être considérée comme établie, dans le cadre tant d’une action en nullité au titre de l’article 101, paragraphe 2, TFUE que d’un recours en dommages et intérêts pour une infraction à l’article 101 TFUE, par la partie demanderesse jusqu’à preuve du contraire, transférant ainsi le fardeau de la preuve défini par cet article 2 sur la partie défenderesse, pour autant que la portée temporelle et territoriale de la prétendue infraction faisant l’objet de ces recours coïncide avec celle de l’infraction qui a été constatée dans cette décision.

49 Selon une jurisprudence bien établie, de même qu’il crée des charges dans le chef des particuliers, le droit de l’Union est aussi destiné à engendrer des droits qui entrent dans le patrimoine juridique de ces particuliers. Ces droits naissent non seulement lorsqu’une attribution explicite en est faite par les traités, mais aussi en raison d’obligations que ceux-ci imposent d’une manière bien définie tant aux particuliers qu’aux États membres et aux institutions de l’Union (arrêt du 11 novembre 2021, Stichting Cartel Compensation et Equilib Netherlands, C 819/19, EU :C:2021:904, point 47 ainsi que jurisprudence citée).

50 Il y a lieu de rappeler que l’article 101, paragraphe 1, et l’article 102 TFUE produisent des effets directs dans les relations entre les particuliers et engendrent des droits dans le chef des justiciables, que les juridictions nationales doivent sauvegarder (arrêt du 14 mars 2019, Skanska Industrial Solutions e.a., C 724/17, EU :C:2019:204, point 24).

51 La pleine efficacité de ces dispositions et, en particulier, l’effet utile des interdictions y énoncées seraient mis en cause si toute personne ne pouvait demander réparation du dommage que lui aurait causé un contrat ou un comportement susceptible de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence (voir, en ce sens, arrêts du 14 mars 2019, Skanska Industrial Solutions e.a., C 724/17, EU :C :2019:204, point 25, et du 28 mars 2019, Cogeco Communications, C 637/17, EU:C:2019:263, point 39).

52 En effet, les actions en dommages et intérêts pour violation des règles de concurrence de l’Union introduites devant les juridictions nationales assurent la pleine efficacité de l’article 101 TFUE, notamment, l’effet utile de l’interdiction énoncée au paragraphe 1 de celui-ci, et renforcent ainsi le caractère opérationnel des règles de concurrence de l’Union, dès lors qu’elles sont de nature à décourager les accords ou les pratiques, souvent dissimulés, susceptibles de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence (voir, en ce sens, arrêt du 11 novembre 2021, Stichting Cartel Compensation et Equilib Netherlands, C 819/19, EU:C:2021:904, point 50 ainsi que jurisprudence citée).

53 Ainsi que M. l’avocat général l’a relevé, en substance, au point 82 de ses conclusions, il en va de même pour les actions en nullité introduites en vertu de l’article 101, paragraphe 2, TFUE.

54 Dès lors, toute personne est en droit de se prévaloir en justice de la violation de l’article 101, paragraphe 1, TFUE et, partant, de faire valoir la nullité d’un accord ou d’une décision interdits par cette disposition, prévue à l’article 101, paragraphe 2, TFUE, ainsi que de demander réparation du préjudice subi lorsqu’il existe un lien de causalité entre ledit préjudice et cet accord ou cette décision (voir, en ce sens, arrêt du 11 novembre 2021, Stichting Cartel Compensation et Equilib Netherlands, C 819/19, EU:C:2021:904, point 49 ainsi que jurisprudence citée).

55 Ainsi qu’il découle d’une jurisprudence constante, il incombe aux juridictions nationales, chargées d’appliquer, dans le cadre de leurs compétences, les dispositions du droit de l’Union, d’assurer non seulement le plein effet de ces dispositions, mais également de protéger les droits qu’elles confèrent aux particuliers. C’est à ces juridictions qu’est confié le soin d’assurer la protection juridique découlant, pour les justiciables, de l’effet direct des dispositions du droit de l’Union (arrêt du 11 novembre 2021, Stichting Cartel Compensation et Equilib Netherlands, C 819/19, EU:C:2021:904, point 52 ainsi que jurisprudence citée).

56 Dans ce contexte, il convient de rappeler que, conformément à l’article 2 du règlement no 1/2003, dans toutes les procédures d’application des articles 101 et 102 TFUE, qu’il s’agisse de procédures nationales ou de procédures de l’Union, la charge de la preuve d’une violation de l’article 101, paragraphe 1, ou de l’article 102 TFUE incombe à la partie ou à l’autorité qui l’allègue.

57 Si l’article 2 du règlement no 1/2003 régit expressément la charge de la preuve, y compris dans des situations dans lesquelles les actions en nullité au titre de l’article 101, paragraphe 2, TFUE et/ou les recours en dommages et intérêts pour infraction au droit de la concurrence sont introduits à la suite d’une décision définitive d’une autorité nationale de concurrence, telle que celles en cause au principal, il n’en reste pas moins que le règlement no 1/2003 ne comporte pas de dispositions relatives aux effets de ces décisions dans le cadre de ces deux types de recours.

58 Or, en l’absence de réglementation de l’Union en la matière, applicable ratione materiae ou ratione temporis, il appartient à l’ordre juridique interne de chaque État membre de régler les modalités d’exercice du droit de demander de constater la nullité des accords ou des décisions en vertu de l’article 101, paragraphe 2, TFUE ainsi que du droit à réparation du préjudice résultant d’une infraction à l’article 101 TFUE, y compris celles relatives aux effets contraignants des décisions définitives des autorités nationales de concurrence dans le cadre de tels types de recours, pour autant que les principes d’équivalence et d’effectivité sont respectés (voir, en ce sens, arrêt du 28 mars 2019, Cogeco Communications, C 637/17, EU:C:2019:263, point 42).

59 Ainsi, les règles applicables aux recours destinés à assurer la sauvegarde des droits que les justiciables tirent de l’effet direct du droit de l’Union ne doivent pas être moins favorables que celles concernant des recours similaires de nature interne (principe de l’équivalence) et ne doivent pas rendre pratiquement impossible ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par l’ordre juridique de l’Union (principe d’effectivité) (arrêt du 28 mars 2019, Cogeco Communications, C 637/17, EU:C:2019:263, point 43).

60 En particulier, les modalités visées au point 58 du présent arrêt ne doivent pas porter atteinte à l’application effective des articles 101 et 102 TFUE et doivent être adaptées aux spécificités des affaires relevant du droit de la concurrence, lesquelles nécessitent, en principe, la réalisation d’une analyse factuelle et économique complexe (voir, en ce sens, arrêt du 28 mars 2019, Cogeco Communications, C 637/17, EU :C:2019:263, points 44, 46 et 47).

61 Or, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général aux points 91 et 92 de ses conclusions, l’exercice du droit à réparation pour violations de l’article 101 TFUE deviendrait excessivement difficile s’il n’était pas reconnu aux décisions définitives d’une autorité de concurrence le moindre effet dans les actions civiles en dommages et intérêts ou dans les actions visant à faire valoir la nullité d’accords ou de décisions interdits en vertu de cet article.

62 Ainsi, afin de garantir l’application effective des articles 101 et 102 TFUE, notamment, dans le cadre d’actions en nullité introduites au titre de l’article 101, paragraphe 2, TFUE et d’actions en dommages et intérêts pour infraction aux règles de concurrence introduites à la suite d’une décision d’une autorité nationale de concurrence qui a fait l’objet d’un recours en annulation devant les juridictions nationales compétentes mais qui est devenue définitive après avoir été confirmée par ces juridictions et qui ne peut plus faire l’objet d’un recours par les voies ordinaires, il convient de considérer que, en particulier, dans le cadre des procédures relatives à de telles actions qui sont engagées devant une juridiction du même État membre dans lequel cette autorité exerce ses compétences, la constatation d’une infraction au droit de la concurrence par ladite autorité établit l’existence de cette infraction jusqu’à preuve du contraire, qu’il incombe à la partie défenderesse d’apporter, pour autant que sa nature ainsi que sa portée matérielle, personnelle, temporelle et territoriale correspondent à celles de l’infraction constatée dans cette décision.

63 Dans ces conditions, il y a lieu de considérer que, aux fins de telles procédures, l’existence d’une infraction au droit de la concurrence de l’Union constatée dans une telle décision doit être regardée comme établie par la partie demanderesse jusqu’à preuve du contraire, transférant ainsi le fardeau de la preuve défini par l’article 2 du règlement no 1/2003 sur la partie défenderesse, pour autant que la nature ainsi que la portée matérielle, personnelle, temporelle et territoriale des prétendues infractions faisant l’objet des actions intentées par la partie demanderesse correspondent à celles de l’infraction constatée dans ladite décision.

64 En outre, lorsque l’auteur, la nature, la qualification juridique, la durée et l’étendue territoriale de l’infraction constatée dans ce type de décision et de l’infraction faisant l’objet du recours concerné ne coïncident que partiellement, les constatations qui figurent dans une telle décision ne sont pas nécessairement dénuées de toute pertinence, mais constituent un indice de l’existence des faits auxquels se rapportent ces constatations, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé, en substance, au point 97 de ses conclusions.

65 En l’occurrence, il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier si les héritiers de KN ont démontré que leur situation relève du champ d’application des décisions de 2001 et de 2009 et, en particulier, que la nature ainsi que la portée matérielle, personnelle, temporelle et territoriale des prétendues infractions faisant l’objet de leur action en nullité et de leur recours en dommages et intérêts intentés à la suite de ces décisions définitives correspondent à la nature et à la portée des infractions qui sont constatées dans ces décisions.

66 Si tel n’est pas le cas et si les infractions constatées dans lesdites décisions ne se recoupent que dans une mesure limitée avec les infractions alléguées dans le cadre des recours introduits par les héritiers de KN, ces mêmes décisions peuvent être invoquées en tant qu’indices de l’existence des faits auxquels se rapportent les constatations figurant dans ces décisions.

67 Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la première question que l’article 101 TFUE, tel que mis en œuvre par l’article 2 du règlement no 1/2003 et lu en combinaison avec le principe d’effectivité, doit être interprété en ce sens que l’infraction au droit de la concurrence constatée dans une décision d’une autorité nationale de concurrence, qui a fait l’objet d’un recours en annulation devant les juridictions nationales compétentes mais qui est devenue définitive après avoir été confirmée par ces juridictions, doit être considérée comme établie, dans le cadre tant d’une action en nullité au titre de l’article 101, paragraphe 2, TFUE que d’un recours en dommages et intérêts pour une infraction à l’article 101 TFUE, par la partie demanderesse jusqu’à preuve du contraire, transférant ainsi le fardeau de la preuve défini par cet article 2 sur la partie défenderesse, pour autant que la nature de la prétendue infraction faisant l’objet de ces recours ainsi que sa portée matérielle, personnelle, temporelle et territoriale coïncident avec celles de l’infraction qui a été constatée dans ladite décision.

Sur la seconde question

68 Par sa seconde question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 101 TFUE doit être interprété en ce sens que, pour autant qu’une partie requérante parvient à établir l’existence d’une infraction à cet article faisant l’objet de son action en nullité introduite au titre de l’article 101, paragraphe 2, TFUE comme de son recours en dommages et intérêts introduit aux fins de la réparation du préjudice subi du fait de cette infraction, les accords concernés par ces recours qui enfreignent l’article 101 TFUE sont nuls de plein droit dans leur intégralité.

69 À cet égard, il convient de rappeler que, aux termes de l’article 101, paragraphe 2, TFUE, les accords ou les décisions interdits en vertu du présent article sont nuls de plein droit.

70 Cette nullité, qui peut être invoquée par tous, s’impose au juge dès que les conditions d’application de l’article 101, paragraphe 1, TFUE sont réunies et que l’accord concerné ne peut justifier l’octroi d’une exemption au titre de l’article 101, paragraphe 3, TFUE. La nullité visée à l’article 101, paragraphe 2, TFUE ayant un caractère absolu, un accord nul en vertu de cette disposition n’a pas d’effet dans les rapports entre les contractants et n’est pas opposable aux tiers. En outre, elle est susceptible d’affecter tous les effets, passés ou futurs, de l’accord ou de la décision concernés (arrêt du 20 septembre 2001, Courage et Crehan, C 453/99, EU :C :2001 :465, point 22).

71 La nullité de plein droit prévue par l’article 101, paragraphe 2, TFUE ne vise que les stipulations contractuelles incompatibles avec l’article 101, paragraphe 1, TFUE. Les conséquences de cette nullité pour tous autres éléments de l’accord ne relèvent pas du droit de l’Union. Ces conséquences sont à apprécier par la juridiction nationale selon le droit de l’État membre dont elle relève (voir, en ce sens, arrêt du 14 décembre 1983, Société de vente de ciments et bétons de l’Est, 319/82, EU :C :1983 :374, point 12).

72 Il appartient à la juridiction nationale d’apprécier, en vertu du droit national applicable, la portée et les conséquences, pour l’ensemble des relations contractuelles, d’une éventuelle nullité de certaines clauses contractuelles en vertu de l’article 101, paragraphe 2, TFUE (arrêt du 18 décembre 1986, VAG France, 10/86, EU :C :1986 :502, point 15).

73 Ainsi, la nullité de plein droit édictée par l’article 101, paragraphe 2, TFUE ne s’applique qu’aux seuls éléments de l’accord interdits par l’article 101, paragraphe 1, TFUE. L’ensemble de l’accord n’est frappé de nullité que si ces éléments ne paraissent pas séparables de l’accord lui-même (voir, en ce sens, arrêt du 28 février 1991, Delimitis, C 234/89, EU :C :1991 :91, point 40).

74 Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la seconde question que l’article 101 TFUE doit être interprété en ce sens que, pour autant qu’une partie requérante parvient à établir l’existence d’une infraction à cet article faisant l’objet de son action en nullité introduite au titre de l’article 101, paragraphe 2, TFUE comme de son recours en dommages et intérêts pour cette infraction, le juge national doit en tirer toutes les conséquences et en déduire, notamment, en vertu de l’article 101, paragraphe 2, TFUE, la nullité de plein droit de toutes les stipulations contractuelles incompatibles avec l’article 101, paragraphe 1, TFUE, l’ensemble de l’accord concerné n’étant frappé de cette nullité que si ces éléments ne paraissent pas séparables de l’accord lui-même.

Sur les dépens

75 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (première chambre) dit pour droit :

1) L’article 101 TFUE, tel que mis en œuvre par l’article 2 du règlement (CE) no 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles [101 et 102 TFUE], et lu en combinaison avec le principe d’effectivité, doit être interprété en ce sens que l’infraction au droit de la concurrence constatée dans une décision d’une autorité nationale de concurrence, qui a fait l’objet d’un recours en annulation devant les juridictions nationales compétentes mais qui est devenue définitive après avoir été confirmée par ces juridictions, doit être considérée comme établie, dans le cadre tant d’une action en nullité au titre de l’article 101, paragraphe 2, TFUE que d’un recours en dommages et intérêts pour une infraction à l’article 101 TFUE, par la partie demanderesse jusqu’à preuve du contraire, transférant ainsi le fardeau de la preuve défini par cet article 2 sur la partie défenderesse, pour autant que la nature de la prétendue infraction faisant l’objet de ces recours ainsi que sa portée matérielle, personnelle, temporelle et territoriale coïncident avec celles de l’infraction qui a été constatée dans ladite décision.

2) L’article 101 TFUE doit être interprété en ce sens que, pour autant qu’une partie requérante parvient à établir l’existence d’une infraction à cet article faisant l’objet de son action en nullité introduite au titre de l’article 101, paragraphe 2, TFUE comme de son recours en dommages et intérêts pour cette infraction, le juge national doit en tirer toutes les conséquences et en déduire, notamment, en vertu de l’article 101, paragraphe 2, TFUE, la nullité de plein droit de toutes les stipulations contractuelles incompatibles avec l’article 101, paragraphe 1, TFUE, l’ensemble de l’accord concerné n’étant frappé de cette nullité que si ces éléments ne paraissent pas séparables de l’accord lui-même.