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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 7, 20 avril 2023, n° 20/18253

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

XpFibre (SAS)

Défendeur :

Bouygues Telecom (SA), Arcep

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Barbier

Conseillers :

Mme Schmidt, Mme Tréard

Avocats :

Me Teytaud, Me Espenel, Me Baechlin, Me Vogel, Me Blouet, Me Sénac de Monsembernard, Me Delannoy

CA Paris n° 20/18253

20 avril 2023

Vu le recours formé par la société SFR FTTH à l’encontre de la décision n° 2020-1168- RDPI du 5 novembre 2020 de l’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse, par déclaration déposée au greffe le 16 décembre 2020 ;

Vu l’exposé des moyens au soutien de ce recours déposé au greffe le 18 janvier 2021 par la société SFR FTTH ;

Vu les observations en réponse déposées au greffe le 14 décembre 2021 par l’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse ;

Vu les conclusions déposées au greffe les 28 juin et 7 octobre 2022 par la société SFR FTTH, devenue XPFibre ;

Vu les conclusions déposées au greffe les 29 juin 2021, 27 septembre 2022 et 19 octobre 2022 par la société Bouygues Télécom ;

Vu l’avis du ministère public du 14 octobre 2022 transmis le même jour aux parties ;

Après avoir entendu à l’audience du publique du 20 octobre 2022 les conseils des sociétés XPFibre, Bouygues Télécom, celui de l’ARCEP et le ministère public ;

FAITS ET PROCÉDURE

1. La Cour est saisie du recours formé par la société SFR FTTH, devenue XPFibre (ci-après « SFR FTTH »), contre une décision de l’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (ci-après « l’Autorité » ou « l’ARCEP »), en règlement de différend l’opposant à la société Bouygues Télecom (ci-après « Bouygues Télécom »).

2. Le différend porte sur les tarifs pratiqués par SFR FTTH pour l’accès à son réseau de communications électroniques très haut débit en fibre optique FttH (Fiber to the Home ou « fibre jusqu’au domicile ») qu’elle a déployé dans certaines zones géographiques en réponse à un appel à manifestation d’intentions d’investissement, zones dites AMII, et en réponse à des appels à manifestations d’engagement locaux, zones dites AMEL, l’ensemble des zones concernées par le différend étant désigné sous l’appellation SFMD.

Le déploiement du réseau FttH

3. Le déploiement du réseau FttH s’inscrit dans le cadre du programme national « très haut débit » (le PNTHD lancé en 2010, devenu en 2013 le Plan France très haut débit-PFTHD), qui a découpé le territoire national en plusieurs zones en fonction de leur densité de population.

4. Dans les zones les plus denses du territoire, dite ZTD, considérées comme a priori les plus rentables, les opérateurs privés y déploient chacun leur propre réseau.

5. En dehors de ces zones très denses (zones moins denses dites ZMD), où le déploiement de plusieurs réseaux n’apparaît pas rentable, le Gouvernement a lancé le 4 août 2010 un appel à manifestations d’intentions d’investissement (« AMII ») à l’issue duquel les sociétés Orange et SFR ont déclaré vouloir déployer sur fonds propres de nouvelles boucles locales FttH couvrant 3600 communes représentant environ 57 % de la population et 20 % du territoire. Cet ensemble constitue la zone d’initiative privée.

6. En 2018, les sociétés Orange et SFR (devenue filiale du groupe Altice), confirmant leurs déclarations d’intentions, ont pris des engagements de déploiement devant le ministre chargé des communications électroniques. Ce dernier les a acceptés et rendus opposables par arrêté pris, après avis de l’ARCEP, en application de l’article L. 33-13 du code des postes et télécommunications électroniques (ci-après « CPCE »). À cette occasion, le périmètre des engagements de déploiement a évolué par un transfert à SFR d’un périmètre géographique, devant initialement être déployé par Orange, zone dite SFOR. Cette zone n’est pas concernée par le différend opposant les parties.

7. Sur incitation du Gouvernement, des collectivités locales ont lancé en 2018 des appels à manifestations d’engagements locaux (AMEL) afin d’accélérer la couverture numérique de leur territoire.

8. SFR s’est engagée, dans ce cadre, à déployer un réseau FttH sur de nouvelles communes. Ces intentions de déploiement ont fait l’objet d’engagements qui ont été rendus juridiquement opposables en application de l’article L. 33-13 du CPCE précité.

9. Le 18 décembre 2018, le groupe Altice, auquel SFR appartient, a créé la société SFR FTTH. Le 1er mars 2019, SFR a apporté à SFR FTTH son activité de déploiement et d’exploitation de réseau FttH en ZMD.

10. Dans les zones n’ayant pas fait l’objet de déclarations d’intentions d’investissement, les collectives publiques ont la possibilité, avec une subvention de l’État, de déployer ou d’acquérir puis d’exploiter directement (régie) ou indirectement (généralement dans le cadre d’une délégation de service publique), un réseau de télécommunications à très haut débit, réseau d’initiative publique « RIP », sur le fondement de l’article L. 1425-1 du code général des collectives territoriales. Ces zones RIP ne sont pas concernées par le présent différend.

La régulation de la FttH

11. La régulation de la FttH repose notamment sur le principe dit de « mutualisation » de la partie terminale des réseaux FttH déployé par tout opérateur.

12. Ce principe, énoncé à l’article L. 34-8-3 du CPCE, vise à garantir l’accès de la partie terminale des réseaux FttH, qu’il n’est pas économiquement viable de répliquer, à l’ensemble des opérateurs et, ainsi, à éviter les situations de monopole sur le marché de détail, dans lesquelles l’opérateur ayant installé le réseau serait seul en capacité structurelle de proposer ses services aux utilisateurs finals.

13. La mutualisation repose ainsi sur le partage de la ligne installée par le premier opérateur (appelé « opérateur d’immeuble » en zones très denses et « opérateur d’infrastructure » en zones moins denses, ci-après « OI »), depuis un point de son réseau désigné comme le « point de mutualisation » jusqu’aux utilisateurs finals.

14. Pour garantir l’effectivité du principe de mutualisation, l’article L. 34-8-3 du CPCE prévoit que chaque OI doit assurer l’accès à la partie terminale du réseau « dans des conditions transparentes et non discriminatoires », et permettre « le raccordement effectif d’opérateurs tiers, à des conditions économiques, techniques et d’accessibilité raisonnables ».

15. Les articles L. 36-6 et L. 36-8-3 du CPCE ont confié à l’ARCEP le soin de préciser les règles et modalités d’accès au réseau FttH.

16. En application de ces textes, l’ARCEP a adopté deux décisions réglementaires :

–   la décision n° 2009-1106 du 22 décembre 2009 précisant, en application des articles L. 34-8 et L. 34-8-3 du code des postes et des communications électroniques, les modalités de l’accès aux lignes de communications électroniques à très haut débit en fibre optique et les cas dans lesquels le point de mutualisation peut se situer dans les limites de la propriété privée (ci-après la « décision cadre 2009 ») ; cette décision contient des dispositions communes aux ZTD et ZMD et des dispositions spécifiques au ZTD ;

–  la décision n° 2010-1312 du 14 décembre 2010 précisant les modalités de l’accès aux lignes de communications électroniques à très haut débit en fibre optique sur l’ensemble du territoire à l’exception des zones très denses (ci-après la « décision cadre 2010 ») ; cette décision concerne uniquement les ZMD.

17. Dans ces décisions (art. 3 de la décision cadre 2009, art. 1 et 9 de la décision cadre 2010), l’ARCEP a énoncé que les conditions tarifaires de l’accès devaient être raisonnables et respecter les principes d’objectivité, de pertinence, d’efficacité, de transparence et de non-discrimination.

18. S’agissant, en particulier, des deux premiers principes précités, ils sont définis de la manière suivante :

– le principe d’objectivité : la tarification mise en œuvre par l’opérateur doit pouvoir être justifiée à partir d’éléments de coûts clairs et opposables ;

–  le principe de pertinence : les coûts doivent être supportés par les opérateurs qui les induisent ou ont usage des infrastructures ou prestations correspondantes ;

19. Par ailleurs, les articles 4 de la décision cadre de 2009 et 9 de la décision cadre de 2010 imposent à l’OI, en vertu du principe de transparence, d’établir, et de mettre à jour, des informations relatives aux coûts retraçant les investissements réalisés et présentant un degré de détail suffisant pour permettre le contrôle par l’Autorité du respect des principes précités.

20. En vertu de ce même principe de transparence, chaque OI doit publier, avant le déploiement de la partie terminale du réseau, une offre d’accès détaillant les conditions techniques et tarifaires.

21. S’agissant des ZMD, l’offre doit proposer un accès sous différentes formes que sont le cofinancement et la location, à des conditions tarifaires qui doivent traduire différents niveaux dans l’échelle des investissements et permettre d’en gravir les échelons.

22. Selon les décisions précitées, le cofinancement permet à l’opérateur commercial (ci-après « OC ») d’obtenir des droits d’usage à long terme et amortissables, soit ab initio, dès les appels à cofinancement moyennant la prise en charge d’une part équitable des coûts d’installation, soit a posteriori, après l’installation du réseau, moyennant une contribution au partage des coûts qui, tenant compte du risque encouru, comprend une prime de risque.

23. Ce cofinancement comprend deux tarifs : l’un, non récurrent (forfaitaire), payable en deux temps : d’abord, lors de la mise à disposition du point de mutualisation (PM, qui permet de raccorder tous les locaux d’une zone donnée), ensuite, lors de la mise à disposition des points de branchement optique (PBO, équipement situé au pied du local pour raccorder son ou ses occupants) ; l’autre, récurrent, payable mensuellement par accès en aval du point de mutualisation.

24. La location mensuelle à la ligne, offre de court terme résiliable à tout moment, permet aux opérateurs à faible capacité d’investissement d’accéder au réseau mutualisé et de développer une base de clientèle suffisante pour leur permettre de migrer vers le cofinancement en souscrivant des tranches de cofinancement a posteriori. À cette offre de location passive s’applique un taux de rémunération du capital et une prime de risque.

25. Ces primes de risque, que l’opérateur d’infrastructure peut intégrer dans ses tarifs d’accès en cofinancement a posteriori ou en location, permettent de créer un écart tarifaire qui met concrètement en œuvre le principe de l’échelle des investissements.

26. L’ARCEP a publié en 2015 des éléments d’orientation sur la tarification en ZMD, constitués d’un modèle (ci-après « le modèle de 2015 ») et de son document d’accompagnement, ayant vocation à servir de support aux négociations tarifaires entre les différents acteurs du marché de gros par l’introduction d’une méthodologie de référence. Ledit modèle a notamment été utilisé en 2015 par l’Autorité pour établir les lignes directrices relatives à la tarification de l’accès aux réseaux FttH d’initiative publique.

27. Le modèle de 2015 prend la forme d’un tableur « excel » dans lequel sont renseignés différents paramètres que sont : les coûts de déploiement et d’exploitation du réseau FttH, les modalités de rémunération des capitaux investis au travers d’un taux de WACC (acronyme du terme anglais « weighted average cost of capital », coût moyen pondéré du capital) et de primes de risque (distinctes pour le cofinancement et la location), ainsi que des hypothèses de revenus.

28. Ce modèle est constitué de deux modules.

29. Le premier module est relatif au cofinancement. Il permet de déterminer le niveau du tarif récurrent de cofinancement assurant une rentabilité de l’opérateur d’infrastructure, à partir d’un tarif non récurrent de cofinancement donné.

30. Le deuxième module est relatif à la location. Il permet, à partir des tarifs de cofinancement, de déterminer le tarif de location assurant une rentabilité à un opérateur de gros fictif qui achèterait des tranches de cofinancement auprès de l’OI pour les revendre en location à la ligne aux opérateurs commerciaux sur un marché de gros secondaire.

31. Ce modèle prend comme référence le coût de construction d’une ligne en ZMD AMII et conduit, sur la base des hypothèses posées par l’ARCEP et du taux de rémunération du capital (WACC) de l’époque à un tarif de cofinancement de 500 € HT, avec un tarif récurrent de cofinancement de 4,83 € HT/ligne active/mois. Il en est déduit un tarif de location de 12,20 € HT/ligne/mois (le tarif de location étant construit à partir des coûts de cofinancement, en y ajoutant une rémunération du capital ainsi qu’une prime de risque).

32. Le document accompagnant le modèle de tarification admet une autre méthode d’élaboration de tarif de location consistant à prendre en compte les coûts de déploiement et d’exploitation du réseau et non le tarif de cofinancement : « Une autre méthode de modélisation possible consisterait à considérer que l’offre de location à la ligne est proposée directement par l’OI, sans passer par un opérateur générique. Pour ce faire, il suffirait de considérer que l’OI supporte l’intégralité des coûts de déploiement pour construire cette offre et l’utilise pour desservir la totalité des clients du réseau » (p. 30 et 31 du document d’accompagnement)

33. Enfin, aux termes de l’article L. 34-8-3, alinéa 3 du CPE, dans sa rédaction applicable, les accès fournis par un OI font l’objet d’une convention qui en fixe les conditions techniques et tarifaires. Cette convention est communiquée à l’ARCEP lorsque celle-ci en fait la demande.

34. Les différends relatifs à la conclusion ou à l’exécution de cette convention sont soumis à l’ARCEP conformément à l’article 36-8 du CPE – texte qui fixe les pouvoirs de cette autorité en matière de règlement de différend.

35. Ce texte, en son II, prévoit ainsi :

« En cas d’échec des négociations, l’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse peut également être saisie des différends portant sur :

(…)

2bis : La mise en œuvre des obligations des opérateurs prévues par le présent titre et le chapitre III du titre II, notamment ceux portant sur la conclusion ou l’exécution de (…) la convention d’accès prévue à l’article L. 34-8-3 (…) ». (soulignement ajouté par la Cour)

36. Conformément à l’article L. 130 du CPCE, les différends sont soumis la formation du collège dite « RDPI » (règlement des différends, de poursuite et d’instruction), composée de quatre membres, dont le président de l’Autorité. Cette formation est également compétente pour les décisions d’enquête prévue à l’article L. 32-4 du CPCE et celles ayant trait à l’exercice des poursuites dans le cadre de la procédure de sanction – ouverture, mise en demeure, notification des griefs.

L’ouverture d’une enquête administrative sur les tarifs FttH de SFR et SFR FTTH

37. Par une décision n° 2020-0077 du 21 janvier 2020, la formation RDPI a ouvert une enquête administrative, sur le fondement de l’article L. 34-2 du CPCE, à l’encontre des sociétés SFR et SFR FTTH concernant leurs obligations comptables et tarifaires d’accès aux lignes FttH, telles que résultant du cadre réglementaire posé par l’article 34-8-3 du CPE et des décisions cadres de 2009 et 2010.

38. Dans cette décision, s’agissant en particulier des tarifs d’accès aux lignes FttH, l’Autorité a constaté que le tarif de location à la ligne, proposé dans l’offre de SFR FTTH d’accès dans les zones moins denses, est très supérieur aux tarifs pratiqués par des OI de taille comparable alors même que ses tarifs de cofinancement sous-jacents s’élèvent à des niveaux comparables à celui des autres opérateurs. Elle a constaté encore que les informations que lui a adressées SFR, en réponse à sa demande du 7 janvier 2019 de transmission d’élément permettant de justifier la construction de ses principaux tarifs d’accès dans les zones moins denses, ne sont pas suffisantes.

39. Elle a relevé enfin que SFR FTTH l’avait informée le 17 décembre 2019 d’un projet d’augmentation de ses tarifs d’accès à son réseau FttH dans les zones moins denses, concernant tant le tarif de cofinancement que le tarif de location sans l’accompagner d’éléments explicatifs, et que ces nouveaux tarifs seraient mis en œuvre dans un contexte où les tarifs d’accès dans des zones moins denses pratiqués par d’autres OI de taille comparable étaient restés très stables.

40. S’agissant des obligations comptables pesant sur SFR FTTH en tant qu’OI, énoncées aux articles 4 et 9 des décisions cadres de 2009 et 2010, l’Autorité a considéré que les éléments fournis par SFR l’ont été dans des délais biens supérieurs à ceux fixés dans la demande, et qu’ils étaient incomplets.

41. C’est en considération de ces éléments que l’Autorité, dans sa formation RDPI, a estimé nécessaire d’ouvrir une enquête administrative.

42. Il est constant, qu’à ce jour, aucun acte d’enquête n’a été accompli.

Le différend opposant les parties et la décision attaquée

43. Bouygues Télécom, opérateur de téléphonie mobile depuis 1996, entré sur le marché du très haut débit fixe en 2008, a sollicité la société SFR, pour conclure un contrat d’accès à son réseau dans la zone dite SFMD. Des négociations ont eu lieu entre ces deux parties, Bouygues Télécom demandant des modifications de l’offre de référence publiée par SFR, et en particulier, la diminution du tarif d’accès en location mensuelle. Ces demandes n’ont pas abouti. Bouygues Télécom a signé le contrat proposé par SFR, avec réserves, le 21 décembre 2018.

44. Après l’apport par SFR de son activité de déploiement et d’exploitation de réseau FttH en ZMD à SFR FTTH le 1er mars 2019, cette dernière a publié le même jour, une offre de référence d’accès à ses réseaux FttH en ZMD.

45. Bouygues Télécom a poursuivi ses discussions avec SFR FTTH sur les modalités financières d’accès au réseau.

46. Par une lettre du 25 avril 2019, SFR FTTH lui a indiqué qu’elle acceptait de lui permettre l’accès à ses lignes FTTH sur la base de l’offre de référence en vigueur dans l’attente de la finalisation des discussions (pièce n° 7 de Bouygues Télécom).

47. Des échanges se sont poursuivis entre les parties.

48. Un contrat d’accès a été conclu le 3 janvier 2020 entre SFR FTTH et Bouygues Télécom, laquelle a accompagné sa signature d’un certain nombre de réserves, en particulier sur le montant du tarif de location fixé à 16,40 €/ligne/mois.

49. Entre temps, SFR FTTH a informé Bouygues Télécom, par une lettre du 20 octobre 2019, de l’augmentation de sa grille tarifaire, en joignant la nouvelle version applicable à compter du 1er février 2020.

50. En application de cette nouvelle grille tarifaire, le tarif non-récurrent du cofinancement était porté de 510 € HT à 520 € HT ;  le  tarif  récurrent passait de [4,83 €/mois/ligne ; 5,32 €/mois/ligne] à [5,29 €/mois/ligne ; 5,80 €/mois/ligne] en fonction du nombre de tranches de cofinancement souscrites. L’offre de location passive était portée à 16,73 € HT/mois/ligne en lieu et place du tarif de 16,40 € HT/mois/ligne. Cette augmentation tarifaire a été contestée par Bouygues Télécom.

51. Après plusieurs échanges avec SFR FTTH, Bouygues Télécom a saisi l’ARCEP en règlement de différend portant à la fois sur la hausse des tarifs, telle que prévue dans la nouvelle grille tarifaire notifiée le 31 octobre 2019, que sur le niveau de tarif de location mis en œuvre avant cette hausse.

52. Aux termes de sa saisine, enregistrée le 30 janvier 2020, Bouygues Télécom a demandé à l’Autorité de :

1  - Dire que les hausses tarifaires des différentes modalités d’accès au réseau FttH de SFR FTTH au sein de la zone SFMD de ZMD AMII prévues à compter du 1er février 2020, en particulier les tarifs de cofinancement, le récurrent de financement et le tarif de location mensuelle, ne sont pas justifiées par des éléments de coûts clairs et opposables, sont manifestement déraisonnables et ne peuvent donc pas s’appliquer ;

En conséquence, enjoindre à SFR FTTH de lui transmettre un avenant au contrat par lequel SFR FTTH renonce à l’application de ces hausses rétroactivement au 1er février 2020 ;

2  - Dire que le tarif de location mensuelle à la ligne fixé à 16,40 € HT/mois/ligne dans le contrat conclu le 3 janvier 2020 est manifestement déraisonnable ;

En conséquence, enjoindre à SFR FTTH de lui transmettre un avenant à ce contrat prévoyant un tarif de location mensuelle à la ligne FttH compris entre 12,20 € HT/mois/ligne et un maximum de 13,20 € HT/mois/ligne au sein de la zone SFMD dans la ZMD AMII ;

3  - Dire que le tarif de location mensuelle à la ligne devant être appliqué par SFR FTTH sera rétroactif à partir du 3 janvier 2020 pour toutes les lignes activées par Bouygues Télécom au sein de la zone SFMD de la ZMD AMII.

53. Au soutien de sa saisine, Bouygues Télécom a fait valoir, en substance, d’une part, que les augmentations tarifaires ne sont pas justifiées, aucun élément nouveau ne pouvant expliquer une telle augmentation et a souligné que SFR FTTH n’a pas justifié de la structure de ses tarifs, de leur cohérence et de leur relation avec les coûts sous-jacents qu’elle supporte. D’autre part, Bouygues Télécom a exposé que le tarif de location, avant la hausse, n’est pas raisonnable en se fondant notamment sur le modèle de 2015. Bouygues Télécom a exposé que l’injection dans ce modèle des tarifs pratiqués par SFR FTTH faisait ressortir un amortissement financier très largement supérieur à celui indiqué dans ce modèle.

54. Une phase contradictoire s’est ouverte devant l’Autorité au cours de laquelle les parties ont pu présenter des observations écrites et répondre à deux questionnaires adressés par les services de l’Autorité.

55. Dans le 2ème jeu d’observations qu’elle a déposées devant l’Autorité le 11 mai 2020,

SFR FTTH a mis en cause l’impartialité du président de la formation RDPI dont elle a demandé le déport de la procédure, invoquant la violation de l’article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (ci-après « CSDH ») aux motifs :

– d’une part, sur le volet de l’impartialité objective, que l’ouverture d’une procédure d’enquête sur les tarifs d’accès de SFR FTTH concomitante à la saisine de l’Autorité d’un règlement relatif à ces mêmes tarifs dénoterait un parti pris du Président, qui délibère en tant que membre de la formation RDPI sur ces procédures portant toutes les deux sur les tarifs d’accès pratiqués par SFR FTTH ;

–  d’autre part, sur le volet de l’impartialité subjective, que les termes de la décision d’ouverture d’enquête laisseraient entendre que le tarif de location et les évolutions tarifaires prévues ne sont pas conformes aux obligations réglementaires et que les déclarations publiques du Président de l’Autorité les 10 et 22 avril 2020 sur les pratiques tarifaires en zone privée révèleraient un pré-jugement de sa part.

56. Par une lettre du 28 septembre 2020, les parties ont été informées de la clôture de l’instruction et invitées à participer à une audience du collège le 13 octobre 2020.

57. Par une délibération du 30 septembre 2020, la formation RDPI, statuant en l’absence de son président, a rejeté la demande de déport. Il est constant que cette décision n’a pas été formalisée et que les parties n’en ont pas été informées avant l’audience.

58. Dans la décision n° 2020-1168-RDPI du 5 novembre 2020 (ci-après « la décision attaquée »), l’Autorité a précisé que « SFR FTTH a indiqué retirer ses demandes relatives au respect du principe d’impartialité », en avoir pris acte, puis exposé en quoi, selon elle, « en tout état de cause », le principe d’impartialité n’avait pas été méconnu.

59. Statuant au fond sur le différend, l’Autorité a fait droit aux demandes de Bouygues Télécom.

60. Les articles 1er et 2 de sa décision sont ainsi rédigés :

« Article 1er : La société SFR FTTH doit proposer, dans un délai d’un mois à compter de la notification de la présente décision, un avenant au contrat d’accès aux lignes FttH de SFR FTTH en dehors des zones très denses signé avec Bouygues Télécom par lequel :

–  elle rétablit les tarifs de cofinancement en vigueur avant le 1er février 2020 à savoir : (i) le tarif du récurrent de cofinancement dans un intervalle de 5,32 à 4,83 euros par mois par ligne activée, dégressif en fonction du taux de cofinancement, et (ii) le tarif du non-récurrent de cofinancement de 510 € par ligne, sans préjudice d’une éventuelle application dès 2020 du mécanisme d’indexation prévu au contrat d’accès ;

– le tarif de location fixé n’excède pas 13,20 € HT par mois par ligne, sans préjudice d’une éventuelle application dès 2020 du mécanisme d’indexation prévu au contrat d’accès.

Article 2 : SFR FTTH appliquera la grille tarifaire ainsi modifiée, à compter du 1er février 2020 s’agissant des tarifs de cofinancement mentionnés à l’article 1 de la présente décision, et à compter du 3 janvier 2020 s’agissant du tarif de location mentionné au même article ».

Le recours entrepris :

61. SFR FTTH, devenue XPFibre, a formé un recours en annulation et/ou réformation de cette décision.

62. Les observations écrites ont été échangées entre les parties et déposées au greffe dans les délais fixés conformément à l’article R. 11-5 du CPCE.

63. Par un courriel du 29 août 2022, la Cour a demandé à l’ARCEP de produire la délibération du 30 septembre 2020, figurant dans les visas de la décision attaquée en ces termes :

« Vu la délibération du 30 septembre 2020 par laquelle les membres de la formation RDPI ont statué sur la demande de déport présentée par SFR FTTH dans ses deuxièmes observations en défense en date du 11 mai 2020 » ainsi que sa notification éventuelle.

64. Le 19 septembre 2022, l’ARCEP a produit un « relevé de conclusions de la séance » du collège du 30 septembre 2020, document qui précise que la formation RDPI, hors la présence de son président, a décidé de rejeter la demande de déport de SFR FTTH. L’ARCEP a précisé, en transmettant cette production, que la délibération n’avait pas été notifiée. Elle a indiqué qu’elle n’avait aucune obligation de le faire dès lors qu’il n’existe pas de procédure de récusation devant elle, et qu’il s’agit d’une décision purement préparatoire à la décision de règlement de différend. Elle a ajouté que l’absence de notification n’a causé aucun préjudice aux parties et en particulier à SFR FTTH dès lors qu’il n’existe aucun recours lui permettant de contester directement cette décision, mais qu’elle peut le faire avec son recours contre la décision au fond. Elle a ajouté que la décision de rejet de la demande de déport a été adoptée à l’issue d’une procédure contradictoire, les parties ayant pu conclure sur cette demande.

65. SFR FTTH ayant souhaité répondre à ces observations, un second calendrier a alors été fixé pour permettre aux parties de prendre des écritures récapitulatives.

66. SFR FTTH, aux termes de ses dernières écritures, demande à la Cour :

–  d’annuler et/ou réformer les articles 1 et 2 de la décision attaquée en ce qu’ils ont :

  • été adoptés par la formation RDPI alors que celle-ci ne présentait pas, sur un plan objectif et sur un plan subjectif, les garanties d’impartialité exigées par l’article 6 § 1 de la CESDH ; et/ou
  • statué sur les demandes de Bouygues Télécom alors que ces dernières étaient irrecevables (i) faute d’échec des négociations commerciales caractérisé et (ii) car l’ARCEP n’est pas compétente pour réaliser des constats dans le cadre d’une décision de règlement de différend ;
  • enjoint à la société SFR FTTH de :
  • proposer, dans un délai d’un mois à compter de la notification de la Décision, un avenant au contrat d’accès aux lignes FttH de SFR FTTH en dehors des zones très denses signé avec Bouygues Télécom par lequel :
  • elle rétablit les tarifs de cofinancement en vigueur avant le 1er février 2020 à savoir : (i) le tarif du récurrent de cofinancement dans un intervalle de 5,32 à 4,83 euros par mois par ligne activée, dégressif en fonction du taux de cofinancement, et (ii) le tarif du non-récurrent de cofinancement de 510 € par ligne, sans préjudice d’une éventuelle application dès 2020 du mécanisme d’indexation prévu au contrat d’accès ;
  • le tarif de location fixé n’excède pas 13,20 € HT par mois par ligne, sans préjudice d’une éventuelle application dès 2020 du mécanisme d’indexation prévu au contrat d’accès.
  • appliquer la grille tarifaire ainsi modifiée, à compter du 1er février 2020 s’agissant des tarifs de cofinancement mentionnés à l’article 1 de la décision attaquée, et à compter du 3 janvier 2020 s’agissant du tarif de location mentionné au même article 1 de la Décision.

Et, statuant à nouveau,

– de juger que les tarifs récurrent et non-récurrent de cofinancement ainsi que le tarif de location de SFR FTTH, tels qu’ils résultent de la hausse entrée en vigueur le 1er février 2020, sont justifiés et raisonnables, rejeter en conséquence l’ensemble des demandes de Bouygues Télécom, SFR FTTH étant fondée à appliquer les tarifs du contrat, tant avant qu’après ladite hausse ;

–  de condamner Bouygues Télécom à payer à SFR FTTH la somme de 50 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens.

67. Bouygues Télécom demande à la Cour de rejeter l’ensemble des moyens et demandes de SFR FTTH, et de condamner cette dernière à lui payer la somme de 50 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.

68. L’Autorité considère que le recours introduit par SFR FTTH, doit être rejeté, en tous ses moyens, fins et conclusions.

69. Le ministère public est d’avis que le recours doit être rejeté.

70. À l’audience, SFR FTTH a été autorisée par la Cour à compléter ses écritures, par une note en délibéré, pour répondre à la fin de non-recevoir que Bouygues Télécom a opposée à son moyen pris de l’illégalité de la délibération du 30 septembre 2020 précitée, moyen présenté dans ses dernières écritures récapitulatives.

71. En outre, à l’audience, la Cour a invité les parties à compléter leurs écritures, par une note en délibéré, sur l’application de l’article 6 § 1 de la CSDH à la formation de RDPI du collège de l’ARCEP lorsqu’elle adopte des décisions en matière de règlement de différend.

MOTIVATION

I.     SUR LE MOYEN PRIS DE LA MÉCONNAISSANCE DE L’EXIGENCE D’IMPARTIALITÉ GARANTIE À L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION DE SAUVEGARDE DES DROITS DE L’HOMME ET DES LIBERTÉS FONDAMENTALES

A.  Sur la recevabilité du moyen, contestée par Bouygues Télécom

72. Bouygues Télécom soutient que le moyen pris de la partialité de la formation RDPI du collège est irrecevable en application du principe selon lequel nul ne peut invoquer en appel un moyen auquel il a expressément renoncé devant les premiers juges. Elle expose que ce principe général de procédure civile, en ce qu’il vise à garantir la loyauté et la cohérence des débats entre les parties, est applicable en toute matière et a vocation à s’appliquer à la procédure de règlement de différend suivie devant l’Autorité et ce, d’autant, que les règles de procédure civile relatives à l’appel s’appliquent aux recours contre les décisions de l’Autorité, sauf dispositions spéciales, qui n’existent pas en l’espèce. Elle soutient que SFR FTTH, qui dans ses observations devant l’ARCEP avait contesté la partialité du président de la formation RDPI et soutenu que la formation RDPI pouvait valablement statuer sans son président, admettant ainsi l’impartialité des autres membres de la formation, a expressément renoncé à l’intégralité de ses demandes et moyens relatifs à l’impartialité des membres du collège lorsqu’elle a indiqué lors de la séance qu’elle renonçait à sa demande de déport.

73. Bouygues Télécom ajoute qu’en réintroduisant devant la Cour une demande à laquelle elle avait renoncé devant l’ARCEP, SFR FTTH méconnaît le principe selon lequel « nul ne peut se contredire au détriment d’autrui ».

74. SFR FTTH conteste, en premier lieu, que soit applicable à la procédure de recours contre les décisions de l’ARCEP le principe selon lequel « nul ne peut se prévaloir en appel d’un moyen auquel il a expressément renoncé devant les premiers juges ». Elle souligne que si ce principe se comprend en procédure civile où le procès est considéré comme la chose des parties, il en va différemment lorsque l’instance porte sur une décision adoptée par une autorité de régulation dans le cadre de sa compétence d’ordre public de trancher un différend au regard des objectifs de régulation.

75. Elle soutient, en second lieu, que le retrait de sa demande de déport du président de la formation RDPI, lors de la séance du 13 octobre 2020 ne peut valoir renonciation de sa part à invoquer la partialité du collège. Elle expose qu’elle a constaté, lors de l’ouverture de la séance du collège, que le président était présent, présence qu’elle ignorait jusqu’alors en l’absence de toute précision sur la composition de la formation dans la lettre de convocation, et qu’elle n’a donc pu qu’en déduire que sa demande de déport avait été rejetée de sorte qu’elle devenait sans objet, raison pour laquelle, répondant à une question du président sur le maintien de cette demande, elle a indiqué la retirer. Elle souligne qu’il n’existe pas devant l’ARCEP, ni devant la Cour, de procédure de récusation pour suspicion légitime et que sa demande visait uniquement le président afin qu’il se déporte de lui-même comme le permet l’article 25 du règlement intérieur de l’Autorité, sachant qu’une telle mesure ne pouvait suffire à assurer l’impartialité de la formation RDPI.

76. L’Autorité indique qu’elle s’interroge sur la recevabilité du moyen de SFR FTTH alors qu’elle y a expressément renoncé lors de l’audience devant l’ARCEP, notamment au regard des principes de bonne foi et de loyauté procédurale interdisant aux parties de prendre une position procédurale que ses actions ou déclarations antérieures contredisent. De même que des demandes non présentées devant l’Autorité ne peuvent être présentées pour la première fois devant la cour d’appel, des moyens auxquels une partie a expressément renoncé, ne peuvent, de plus fort, être invoqués devant la Cour sans méconnaître le principe de loyauté procédurale.

77. Le ministère public souligne que dans la décision attaquée, l’Autorité tout en prenant acte du retrait des demandes de SFR FTTH relatives au respect du principe d’impartialité, a analysé les arguments de cette dernière au soutien de son moyen relatif à l’impartialité du président et de la formation RDPI pour le rejeter de sorte que le désistement dudit moyen ne saurait être opposé à SFR FTTH.

Sur ce, la Cour :

78. Aux termes de l’article R. 11-2 du code des postes et télécommunications électroniques, dans sa rédaction applicable à l’espèce :

« Par dérogation aux dispositions du titre VI du livre II du code de procédure civile, les recours contre les décisions de l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes prévues à l’article L. 36-8 sont formés, instruits et jugés conformément aux dispositions suivantes [art.R.11-3 à R.11-8]. »

79. Il se déduit de ce texte que les dispositions du code de procédure civile, autres que celles relatives à la procédure d’appel prévues au titre VI du livre II du code de procédure civile, comme les principes généraux qui y ont été rattachés par la Cour de cassation, sont applicables aux recours portés devant la présente Cour dès lors qu’elles ne sont pas contraires aux règles et principes régissant les recours contre les décisions de l’Autorité énoncées aux articles R. 11-3 à R. 11-8 du code des postes et télécommunications électroniques, ni incompatibles avec la nature de la procédure.

80. Aucune disposition du CPCE aménageant les modalités du recours contre les décisions adoptées par l’Autorité en matière de règlement de différend ne prévoit de règles particulières portant sur les moyens présentés au soutien de ce recours à l’exception de l’article R. 11-3 qui impose au demandeur au recours de déposer, à peine d’irrecevabilité, son exposé des moyens dans un certain délai.

81. Cette disposition particulière ne contredit ni ne déroge au principe général de la procédure d’appel, qui interdit à l’appelant de présenter un moyen auquel il a expressément renoncé devant les premiers juges.

82. Ce principe général, qui vise à garantir la loyauté des débats devant la cour d’appel, a donc vocation à s’appliquer au recours, formé devant elle, contre une décision de règlement de différend adopté par l’Autorité. La circonstance que les premiers débats se soient tenus devant une autorité de régulation, dans le cadre d’une compétence d’ordre public et non dans celui d’un procès civil de droit commun, est à cet égard indifférente. En effet, le recours de pleine juridiction en cause, exercé devant un organe juridictionnel, doit satisfaire aux exigences de la loyauté des débats.

83. Il s’en déduit que l’auteur du recours ne peut présenter un moyen auquel il avait expressément renoncé devant l’Autorité.

84. Toutefois, il convient de rappeler que la renonciation à un droit ne peut résulter que d’actes manifestant, sans équivoque, la volonté expresse de renoncer.

85. En l’espèce, dans ses observations du 11 mai 2020 déposées au cours de la procédure suivie devant l’Autorité, SFR FTTH a développé une argumentation mettant en cause l’impartialité de l’ensemble des membres de la formation RDPI du collège à raison de l’ouverture par cette dernière d’une enquête à son encontre portant sur les mêmes faits que ceux concernés par le différend, des termes retenus dans cette décision, ainsi que des propos publics tenus par le président de l’Autorité, également président de la formation RDPI. Puis, constatant, d’un côté, qu’il n’existait pas de procédure spécifique lui permettant de mettre en cause l’impartialité de la formation DRPI et, de l’autre, que cette dernière pouvait valablement délibérer en l’absence de son président, elle a demandé que le président, de lui-même, se déporte en invoquant les règles prévues à cette fin par le règlement intérieur de l’Autorité en son article 26.

86. Ainsi, en page 25 des observations précitées , SFR FTTH indique « dans ces conditions et dès lors qu’il n’existe pas formellement de procédure de renvoi pour cause de suspicion légitime applicable à l’ARCEP qui permettrait de renvoyer directement la connaissance du différend à la Cour d’appel de Paris ( l’ARCEP n’étant pas une juridiction [note en bas de page : CA Paris, pole 1-chambre7, 1er mars 2019, n° 19/02396]), il convient donc a minima que le président de l’ARCEP se déporte de la présente procédure et s’abstienne de toute participation/immixtion dans celle-ci, sauf à irrémédiablement entacher la décision à intervenir de nullité. »

87. Puis, dans le dispositif de ses observations, elle a demandé :

« –  au Président de l’ARCEP de se déporter de la formation RDPI qui statuera sur le différend et de s’abstenir de toute participation / immixtion dans la procédure ;

–  à l’ARCEP :

–  à titre principal de déclarer la saisine irrecevable ; ou

–  à titre subsidiaire de rejeter au fond les demandes compte tenu de leur caractère illégitime, infondé et disproportionné. »

88. Ainsi, ce n’est qu’en raison du constat qu’elle faisait de l’absence de procédure spécifique lui permettant de mettre en cause l’impartialité de la formation RDPI du collège dans son ensemble, que SFR FTTH a présenté une demande de déport qu’elle a dirigée uniquement à l’égard du président. Il ne saurait donc être déduit de la portée limitée de cette demande, comme le fait à tort Bouygues Télécom, que SFR FTTH avait expressément renoncé à mettre en cause l’impartialité de la formation RDPI dans son ensemble.

89. Par ailleurs, il est constant que le Président de l’Autorité n’a pas répondu à cette demande de déport avant la séance du collège. Il est également constant que les parties n’ont pas été informées que la formation RDPI avait rejeté la demande de déport par une délibération adoptée, hors la présence de son président, le 30 septembre 2020.

90. Le jour de la séance, SFR FTTH, constatant la présence du président, dont il avait demandé le déport, a donc pu croire que ce dernier n’avait pas accédé à sa demande et que celle-ci était devenue sans objet.

91. Dans un tel contexte, la mention dans la décision attaquée selon laquelle « SFR FTTH a indiqué retirer ses demandes relatives au respect du principe d’impartialité » doit être interprétée en ce sens que SFR FTTH a considéré que sa demande était devenue sans objet devant le collège. Ce positionnement ne traduit pas pour autant sa volonté non équivoque de renoncer expressément à contester, devant la Cour, l’impartialité de la formation RDPI du collège de l’ARCEP pour statuer sur le différend l’opposant à Bouygues Télécom.

92. Au surplus, l’Autorité a examiné les arguments invoqués par SFR FTTH pour contester l’impartialité de la formation RDPI et les a rejetés, considérant ainsi qu’il lui appartenait de trancher cette contestation.

93. SFR FTTH dispose donc de la faculté, à l’occasion du recours formé contre cette décision, de maintenir cette contestation, sans se contredire, ni faire grief à Bouygues Télécom, lequel avait répondu à cette contestation au cours de la phase contradictoire de la procédure suivie devant l’Autorité.

94. Il résulte des éléments qui précèdent que le moyen de SFR FTTH, pris de la méconnaissance de l’article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (ci-après la « CSDH ») est recevable.

B.  Sur le moyen, au fond

95. SFR FTTH expose que la formation RDPI du collège de l’ARCEP ne présentait pas, tant sur le plan objectif que subjectif, les garanties d’impartialité exigées par l’article 6 § 1 de la CSDH dès lors que cette même formation a ouvert une enquête administrative portant sur les tarifs de SFR FTTH et que les termes de cette décision d’ouverture d’enquête ainsi que les propos publics du président de l’ARCEP, présidant la formation RDPI ayant ouvert cette enquête, qui stigmatisent les tarifs de SFR dans des termes qui ont été repris par la décision de règlement de différend, démontrent le parti pris ou pré-jugement de cette formation sur ces tarifs lors de l’adoption de la décision attaquée.

96. Bouygues Télécom souligne, en premier lieu, que l’enquête a été ouverte avant sa saisine en règlement de différend, et dans des termes qui ne traduisent aucun parti pris de la part de l’ARCEP sur le respect par SFR FTTH de ses obligations réglementaires. Elle précise à cet égard que la décision ne comporte qu’une appréciation préliminaire des faits et ne s’appuie, pour ce faire, que sur des constats factuels relatifs au niveau élevé des tarifs et aux réponses lacunaires de SFR FTTH. Elle souligne encore que cette mesure d’enquête a pour seule finalité de recueillir des informations sur les tarifs d’un opérateur et diffère donc de la finalité poursuivie en matière de règlement de différend.

97. Elle soutient, en second lieu, que les propos publics du président de l’Autorité, en particulier ceux tenus lors d’un chat vidéo à l’occasion d’une conférence organisée par l’Autorité sur les territoires connectés, ne portent pas sur le présent règlement mais sur l’enquête en cours et se bornent à indiquer, en réponse à une question portant sur les attributions et l’action de l’ARCEP au sujet de la régulation FttH en dehors des zones très denses, que l’ARCEP travaillait sur la question et réagirait en cas de non- respect des règles, sans aucun parti pris.

98. L’Autorité répond, en premier lieu, que la procédure d’enquête se limite à un recueil d’informations et n’est pas, en tant que telle, une procédure de poursuite ou de sanction tandis que la procédure prévue à l’article L. 36-8 du CPCE lui donne le pouvoir de trancher un différend, dont elle est saisie par l’une des parties, au regard des circonstances spécifiques à ce différend. Elle en déduit qu’il ne peut ainsi être tiré aucune méconnaissance du principe d’impartialité dès lors que les deux procédures en question (d’enquête et de règlement de différend) ont des contextes, des objets et des finalités bien distincts si bien qu’on ne peut considérer qu’elles amènent l’ARCEP à connaître de faits identiques. De plus, exiger de l’ARCEP qu’elle choisisse entre l’une ou l’autre de ces procédures reviendrait in fine à remettre en cause l’effectivité de son action de régulateur.

99. Elle expose, en deuxième lieu, que les termes de la décision d’ouverture d’enquête du  21 janvier 2020, dont elle souligne qu’elle a été prise avant la saisine en règlement de différend, se limitent à exposer le cadre légal et les obligation applicables à SFR et à SFR FTTH en qualité d’OI et des éléments factuels objectifs sur le niveau de tarif de ces derniers résultant de la seule observation du marché, et sur l’absence d’éléments explicatifs de la part de SFR FTTH, termes qui ne traduisent aucun pré-jugement ou parti pris sur les termes du différend introduit postérieurement.

100. Elle fait valoir, en troisième lieu, que les propos publics de son président, en particulier ceux tenus lors de la conférence sur les territoires connectés, ne visaient pas la procédure en cours devant l’Autorité ni ne désignaient SFR FTTH, le président ne faisant que rappeler l’importance de la question tarifaire de l’accès à l’infrastructure pour le développement d’une concurrence effective et loyale sur le marché de détail en soulignant que la mission, confiée par la loi à l’ARCEP, est de veiller à l’exercice au bénéfice des utilisateurs d’une concurrence effective et loyale entre les exploitants de réseau et les fournisseurs de services de communications électroniques, et, en particulier, à cette fin au respect des obligations d’accès, y compris d’ordre tarifaire, imposées aux opérateurs d’infrastructures. En ce sens, l’intervention du président ne constitue qu’un rappel du rôle de l’ARCEP.

101. Le ministère public partage l’analyse de l’Autorité et considère que le moyen doit être rejeté.

Sur ce, la Cour :

102. L’article 6 § 1 de la CSDH garantit à toute personne que « sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera (…) des contestations sur ses droits et obligations à caractère civil. »

103. Il est acquis pour l’ensemble des parties que cet article s’applique à l’ARCEP, ainsi qu’il résulte de leurs notes en délibéré adressées à la Cour les 9 novembre 2022 (SFR FTTH) et 14 novembre 2022 (Bouygues et ARCEP).

104. Il convient de déterminer si, comme le soutient SFR FTTH, il existe un doute objectivement justifié sur l’impartialité tant du président de la formation RDPI du collège ayant adopté la décision attaquée, que de cette formation, prise dans son ensemble.

105. S’agissant, en premier lieu, du cumul par la formation RDPI des fonctions d’enquête et de règlement de  différend,  la  Cour  relève  que  l’enquête  ouverte  par  cette  formation  le 21 janvier 2020 a pour objet de « recueillir (…) l’ensemble des informations ou documents nécessaires pour s’assurer du respect par la société SFR FTTH de ses obligations tarifaires d’accès à ses lignes de communication électroniques à très haut débit en fibre optique en zones moins denses, et du respect par les sociétés SFR et SFR FttH de leurs obligations de comptabilisation, qui pèsent sur elles au titre des dispositions du code des postes et télécommunications électroniques et des décision n° 2009-1106  et  n° 2010-1312 ».

106. Il est constant que cette enquête, conduite sous l’autorité de la directrice générale de l’ARCEP, n’a donné lieu à aucun acte d’investigation, ni à aucune sanction, de sorte qu’il convient de déterminer si la seule décision de la RDPI d’ouvrir une enquête était de nature à créer un doute objectivement justifié sur son impartialité lors du règlement du différend. Est dès lors inopérante la jurisprudence européenne, invoquée par SFR FTTH et relative à l’incompatibilité du cumul des fonctions d’enquête et de jugement au sein d’une même institution avec les exigences de l’article 6 § 1 de la CSDH (CEDH, 7 juillet 2014, Affaire Grande Stevens et autres c. Italie, n° 18640/10), en ce que dans l’affaire en cause, l’enquête avait abouti à des poursuites puis à une sanction, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.

107. L’enquête ouverte par la formation RDPI couvre pour partie les mêmes faits que ceux faisant l’objet du différend dont a été saisie l’Autorité quelques jours après son ouverture. Toutefois, elle a pour seule finalité, à ce stade, de recueillir des informations en vue de s’assurer du respect par deux opérateurs, l’un ayant pris la suite de l’autre dans le déploiement et l’exploitation de réseaux FttH, de leurs obligations légales et réglementaires.

108. Dès lors, cette décision d’ouverture d’enquête ne saurait constituer un pré-jugement d’une éventuelle méconnaissance par ces deux opérateurs des-dites obligations, peu important qu’elle ait été prise, comme cette décision le souligne en page 5, après des échanges entre l’Autorité et d’autres opérateurs sur les inquiétudes suscitées chez ces derniers par le projet de hausse tarifaire de SFR FTTH.

109. Aussi, la circonstance que ce soit la même formation du collège qui a décidé d’ouvrir cette enquête et qui a réglé le différend n’est pas de nature à faire naître un doute objectivement justifié sur l’impartialité de cette formation lors de l’adoption de la décision attaquée.

110. Quant aux motifs de la décision d’ouverture d’enquête, ils soulignent, d’une part, le caractère insuffisant des explications et pièces transmises par SFR et SFR FTTH en réponse aux demandes du régulateur pour expliquer leur tarif et le projet d’augmentation de ce tarif par SFR FTTH.

111. Ils soulignent, d’autre part, que « le projet d’augmentation tarifaire serait mis en œuvre dans un contexte où les tarifs d’accès en zones moins denses des autres opérateurs d’infrastructure de taille comparable sont restés stables » et que le tarif actuel de location à la ligne est « très supérieur aux tarifs pratiqués par des opérateurs d’infrastructure de taille comparable alors même que les tarifs de cofinancement sous-jacents de SFR FTTH s’élèvent à des niveaux comparables à ceux des autres opérateurs » .

112. Ces derniers motifs, seuls critiqués, reposent sur des constats purement factuels issus d’un examen objectif du marché dont n’est tirée aucune déduction ou conclusion particulière. Ils n’induisent aucune appréciation de fond sur le caractère raisonnable des tarifs. Ils ne sont donc pas de nature à faire naître un doute sur un éventuel parti pris de la part de la formation RDPI.

113. La circonstance que la décision attaquée reprenne ces constats ne remet pas en cause cette analyse dès lors qu’elle ne s’en est pas contentée mais a procédé à sa propre appréciation des éléments du dossier pour en déduire que « indépendamment de la question des économies d’échelles propres à chaque opérateur, en considérant que SFR FTTH se comporte comme un opérateur efficace, et à tout le moins un opérateur au moins aussi efficace que les autres opérateurs d’infrastructure, les tarifs initiaux de SFR FTTH devraient en toute logique déjà permettre une juste rémunération des investissements ».

114. S’agissant, en second lieu, des propos publics du président de l’Autorité, en particulier ceux tenus au cours d’un « chat » vidéo public de l’ARCEP du 11 avril 2020 ayant pour sujet « Les territoires connectés », le président, répondant à la question « L’ARCEP va-t-elle réévaluer les coûts récurrents facturables aux usagers du réseau selon la réalité des coûts d’exploitation ? », a indiqué : « …ce que je voudrais dire c’est que nous sommes conscients de la question de la tarification de la fibre qui est un sujet très sensible pour tout le monde. Il y a aujourd’hui dans les zones privées un travail en cours de I’ ARCEP puisque ça ne vous aura pas échappé qu’il y a un des grands opérateurs qui déploie la fibre en zone privée qui a des pratiques tarifaires qui posent question. Je voudrais dire que I’ARCEP y travaille. L’ARCEP ne laissera pas de passagers clandestins du système, ne laissera pas un acteur qui profiterait de la situation pour pratiquer des prix plus élevés en ayant instauré un monopole privé. Comptez bien sur I’ ARCEP pour remettre les points sur les « i » sur ce sujet. ».

115. Ces propos mettent en exergue l’existence « d’un travail en cours de l’ARCEP » sur les tarifs d’un opérateur privé en raison de leur niveau élevé. Bien qu’ils ne le désignent pas nommément, ils visent nécessairement SFR FTTH dès lors que ce dernier était le seul opérateur à la date du 11 avril 2020, faisait l’objet d’une procédure en cours en raison du niveau de ses tarifs, à savoir une enquête ouverte sur le fondement de l’article 32-4 du CPCE et dont le président avait connaissance pour avoir signé la décision d’ouverture.

116. Toutefois, le président s’est borné à souligner le caractère très sensible du sujet et indiquer que les tarifs de cet opérateur « posent question », sans porter une appréciation de fond sur ces tarifs. Puis, de manière plus générale, il a affirmé que dans le cadre de sa mission, l’ARCEP ne laissera aucun opérateur profiter du réseau FttH déployé par d’autres sans participer au coût (passager clandestin) ni aucun opérateur profiter du système pour pratiquer des tarifs élevés. Aussi, l’expression « Comptez bien sur l’ ARCEP pour remettre les points sur les « i » sur ce sujet. », traduit la volonté de l’ARCEP de veiller à ce que les intérêts des uns et des autres, OI et OC, soient respectés afin d’éviter tant les passagers clandestins que les effets nocifs des situations de rente monopolistique.

117. Ces propos généraux, loin de suggérer que les tarifs pratiqués par SFR FTTH nécessitaient une intervention de la part de l’Autorité pour le contraindre à pratiquer des tarifs conformes à ses obligations règlementaires, n’ont fait que rappeler la mission de l’ARCEP et ses pouvoirs de régulateur.

118. Ils ne sont donc pas de nature à faire naître un doute objectivement justifié sur l’absence de parti pris du président de l’Autorité sur les tarifs de SFR, et partant sur son impartialité.

119. Enfin, SFR FTTH invoque les propos tenus par le président de l’Autorité au cours d’une audition du 22 avril 2020 devant la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable du Sénat au cours de laquelle étaient notamment évoqués les impacts de la crise sanitaire sur le déploiement des réseaux FttH et un article de presse sur le recours au chômage partiel par certains opérateurs. Le président a réagi en indiquant :

« Notre objectif est de débloquer les investissements et les innovations au plus vite après la fin du confinement (…). Tout dépendra aussi de la réactivité du tissu des sous-traitants. Vous avez raison, (…), nous pouvons demander des efforts aux opérateurs ; certains y sont prêts, et les ont anticipés. Tous n’ont pas recouru au chômage partiel de la même manière ». Ces propos suggèrent une critique en creux du recours au chômage partiel par SFR dès lors que l’article de presse précité le désigne expressément. Ils sont toutefois sans lien direct avec les tarifs de SFR FTTH, objets du différend et ne traduisent pas d’animosité contre le groupe SFR ou un parti pris du président contre ce groupe.

120. Ils ne sont pas de nature à créer un doute objectivement justifié sur l’impartialité du président de la formation RDPI et pas davantage sur celle de cette formation prise dans son ensemble.

121. Le moyen est rejeté.

II.    SUR LE MOYEN PRIS DE L’ILLÉGALITÉ DU « RELEVÉ DE CONCLUSIONS » DU 30 SEPTEMBRE 2020

122. SFR FTTH soutient que la décision prise par la formation RDPI le 30 septembre 2020 sur sa demande de déport du président est affectée d’irrégularités tenant à l’absence de formalisation de la décision, à la violation du principe de la contradiction et celui de la séparation des fonctions d’instruction et de jugement et enfin, à l’absence de motivation. Elle conclut que ces irrégularités ont vicié la décision attaquée en ce qu’elles l’ont privée de la possibilité de contester immédiatement le refus de sa demande de déport et qu’elles ont eu une influence sur la décision finale.

123. Bouygues Télécom conclut à l’irrecevabilité de ce moyen au motif qu’il a été présenté après l’expiration du délai prévu à l’article R.11-3 du CPCE et qu’en tout état de cause, la demande de nullité est irrecevable puisqu’elle n’a pas été reprise dans le dispositif des conclusions comme l’exige l’article 954 du code de procédure civile. Sur le fond, elle conclut à son rejet.

124. SFR FTTH, réplique, dans la note en délibéré autorisée par la Cour, que le moyen est certes nouveau mais, que d’une part, il est né de la production, en cours d’instance devant la Cour, de la délibération du 30 septembre 2020, laquelle n’avait pas été notifiée aux parties et, d’autre part, il vise à répondre aux observations de l’ARCEP faites lors du versement de cette pièce aux débats.

125. Elle ajoute que l’illégalité prise des irrégularités affectant cette délibération est un moyen au soutien de sa demande d’annulation des articles 1 et 2 de la décision attaquée, laquelle demande n’a jamais varié et qu’en tout état de cause, l’article 954 du code de procédure civile figure dans le titre VI du livre II dudit code, titre expressément écarté par l’article R.11-2 du CPCE de sorte qu’il n’est pas applicable au recours contre les décisions de l’ARCEP. Elle souligne que les dispositions spécifiques posées par les articles R.11-3 et suivants de CPCE n’imposent aucune exigence formelle quant à la présentation des moyens et des prétentions.

Sur ce, la Cour :

126. En premier lieu, selon l’article R. 11-3 du CPCE, le recours contre les décisions de l’Autorité en règlement de différend « est formé par déclaration écrite déposée en quadruple exemplaire au greffe de la cour d’appel de Paris contre récépissé. À peine d’irrecevabilité prononcée d’office, la déclaration précise l’objet du recours et contient un exposé sommaire des moyens. L’exposé complet des moyens doit, sous peine de la même sanction, être déposé au greffe dans le mois qui suit le dépôt de la déclaration. »

127. Il s’en déduit que sont irrecevables les moyens présentés pour la première fois après l’expiration du délai prévu pour le dépôt de l’exposé complet des moyens.

128. Toutefois, l’irrecevabilité n’est pas encourue lorsque le moyen nouveau est né des observations ou pièces nouvelles déposées par le défendeur au recours ou par l’Autorité en réponse à l’exposé des moyens.

129. En l’espèce, la délibération du 30 septembre 2020 étant visée dans la décision attaquée, elle était connue de SFR FTTH à la date de son recours. Toutefois, cette pièce n’a pas été transmise aux parties ni au cours de la procédure devant l’Autorité, ni lors de la notification de la décision attaquée.

130. Elle a été produite par l’Autorité en réponse à une demande faite par la Cour postérieurement à l’expiration du délai précité. SFR FTTH n’était donc pas en mesure, dans ce délai, d’articuler l’ensemble des griefs tenant aux irrégularités affectant selon elle cette délibération.

131. En second lieu, ainsi qu’il a déjà été exposé, l’article R. 11-2 du CPCE, dans sa rédaction applicable à l’espèce, prévoit que les recours contre les décisions de l’ARCEP sont formés, instruits et jugés « par dérogation aux dispositions du titre VI du livre II du code de procédure civile » et conformément aux dispositions particulières du CPCE.  Or,  l’article 954 du code de procédure civile, invoqué par Bouygues, figure dans le titre VI du livre II du code de procédure civile auquel il est dérogé, de sorte qu’il ne peut être utilement invoqué.

132. En tout état de cause, la Cour observe que  l’illégalité de la délibération du 30 septembre 2020 est un moyen venant au soutien d’une demande d’annulation reprise dans le dispositif des écritures qui la saisissent, non une prétention au sens de l’article 954 du code de procédure civile. La fin de non-recevoir prévue à l’alinéa 3 de l’article 954 précité n’est ainsi, en tout état de cause, pas encourue.

133. Sur le fond, il convient de rappeler que SFR FTTH, lors de la procédure suivie devant l’Autorité, avait demandé le déport du président de la formation RDPI faute de procédure lui permettant de mettre en cause l’impartialité de cette formation.

134. Or, SFR FTTH a pu mettre en cause cette impartialité devant la Cour au stade du recours qu’elle a formé contre la décision finale.

135. En outre, la Cour a jugé qu’en l’espèce, le droit à être jugé par un tribunal impartial a été respecté par l’Autorité.

136. Il s’en déduit que l’absence de recours immédiat contre la décision de refus de déport n’est pas de nature à lui faire grief et que les irrégularités alléguées de la décision de refus de déport n’ont pas pu influencer le sens de la décision attaquée.

137. Le moyen est rejeté.

III.      SUR LE MOYEN PRIS DE L’ABSENCE DE FORMALISATION DE DIFFÉREND

138. SFR FTTH soutient que la condition tenant à l’échec de négociations commerciales prévue à l’article L. 36-8 du CPCE n’est pas remplie en l’espèce de sorte que l’Autorité n’était pas compétente.

139. Elle fait valoir, s’agissant de la demande concernant la baisse du tarif de location, que par son comportement Bouygues Télécom n’a pas permis la tenue de négociations utiles et effectives dès lors que :

–  qu’elle n’a cessé au cours de ces échanges de modifier sa demande sollicitant d’abord un tarif de 13,20 € HT/mois/ligne puis un tarif de 12,20 €HT/mois/ligne avant finalement de demander l’application d’un tarif de 12,20 € HT/mois/ligne sans qu’il puisse, en tout état de cause, être supérieur à 13,20 € HT/mois/ligne de sorte que l’Autorité ne pouvait pas retenir que les demandes de Bouygues avaient été présentées de manière réitérée et non équivoque,

– qu’elle n’a pas motivé sa demande puisqu’elle n’a jamais justifié concrètement du caractère raisonnable du tarif de location qu’elle demandait, se bornant à indiquer que « seuls des WACC très élevés ou des taux de pénétration FTTH extrêmement faibles pouvait justifier un tarif de 16,40 € HT/mois/ligne » , ce qui ne saurait être considéré comme une motivation permettant une discussion utile, sachant que SFR FTTH est en droit de faire une marge commerciale dont Bouygues Télécom dénie l’existence en ne faisant référence qu’à son taux WACC.

140. S’agissant de la demande portant sur la hausse des tarifs, elle soutient que si Bouygues Télécom a contesté les évolutions tarifaires, elle n’a jamais explicité ni motivé ses contestations empêchant ainsi toute négociation effective.

141. Bouygues Télécom répond, s’agissant du tarif de location, avoir toujours quantifié sa demande (demande d’application d’un tarif de 12,20 ou au moins d’un tarif n’allant pas au-delà de 13,20) et s’être référée, pour la justifier, au tarif recommandé par l’ARCEP de 12,20 € par mois par ligne de sorte que SFR FTTH était parfaitement en mesure de comprendre l’objet, le contenu et le périmètre de ses demandes. SFR FTTH ayant refusé de considérer toute baisse de tarif, rejeté le modèle de l’ARCEP, tout en refusant systématiquement de justifier des coûts prétendument plus élevés qu’elle subirait, l’échec des négociations est patent.

142. S’agissant de l’évolution tarifaire, Bouygues Télécom soutient avoir contesté à plusieurs reprises la hausse de tarif transmise par SFR FTTH en justifiant sa contestation, ainsi que le démontrent ses pièces 14, 15, 19, 20 et 22.

143. L’Autorité expose que la décision attaquée recense les échanges entre les parties dont  il résulte, d’une part, que Bouygues Télécom a demandé de façon réitérée et non équivoque l’application d’un tarif de location dans un intervalle compris entre 12,20 € HT/mois/ligne et 13,20 € HT/mois/ligne en se référant au modèle de 2015 et que SFR n’a pas répondu favorablement à cette demande de sorte que l’échec des négociations n’est pas contestable et, d’autre part, que Bouygues Télécom a, à plusieurs reprises, contesté les évolutions des tarifs de cofinancement et de location en invoquant l’absence de justification d’éléments de coûts clairs et opposables et la méconnaissance des principes tarifaires prévus par le cadre réglementaire symétrique applicables en matière d’accès à la boucle locale mutualisée sans que SFR FTTH ne réponde à ces contestations, cette dernière décidant de lui notifier sa nouvelle grille tarifaire, comportement qui caractérise aussi un échec des négociations.

144. Partageant cette dernière analyse, le ministère public considère que le moyen n’est pas fondé.

Sur ce, la Cour :

145. Il résulte des termes de l’article L. 36-8 du CPCE que l’Autorité ne peut être saisie en règlement de différend portant sur la conclusion de la convention d’accès à un réseau de télécommunications FttH qu’en cas d’échec des négociations entre l’opérateur tiers et l’OI.

146. Cette condition, tenant à l’échec des négociations, ne détermine pas la compétence matérielle de l’Autorité mais la recevabilité de sa saisine.

147. En l’espèce, s’agissant, en premier lieu, de la demande portant sur le niveau de tarif de location, il résulte d’un compte rendu d’une réunion ayant eu lieu entre les parties le 25 avril 2019, établi par Bouygues Télécom (sa pièce n° 8) et adressé à SFR FTTH, que Bouygues Télécom a demandé de manière claire et précise la baisse du tarif de location mensuelle de 16,40 euros à 13,20 par ligne en se référant au modèle ARCEP de 2015 de la manière suivante « le modèle de ARCEP confirme sur la base d’un duo 510 €/5,48 €, correspondant à un tarif de location de 13,20, le tarif de location ne peut être de 16,40 € sauf à utiliser des WACC très élevés ou des taux de pénétration FttH extrêmement faibles ».

148. Par une lettre du 6 mai 2019 adressée à SFR FTTH, à laquelle était jointe une liste de réserves précédemment adressée à SFR le 21 décembre 2018, Bouygues Télécom a réitéré sa demande en se référant expressément à cette liste de réserves. Dans ce document, Bouygues Télécom indique : « le tarif de 16,40 € HT/mois/ligne actuellement prévu dans l’offre n’est pas raisonnable. Bouygues Télécom considère que l’écart tarifaire entre le tarif de location et celui résultant de la modélisation tarifaire de l’ARCEP en ZMD (soit un maximum de 12,20 euros/mois/ligne) est excessif et non justifié. (…) En conséquence, Bouygues Télécom demande l’application d’un tarif cohérent avec le tarif recommandé par l’ARCEP ainsi qu’avec les dernières offres publiées sur le marché. En tout état de cause, le tarif ne saurait être supérieur à 13,20 € ». (pièce n° 9 Bouygues Télécom)

149. Puis, lors d’une réunion du 29 août 2019, Bouygues Télécom a réitéré sa position en indiquant que le tarif de 16,40 €/ligne/mois n’était pas raisonnable au regard du tarif « résultant de la modélisation tarifaire de l’ARCEP en ZMD (soit un  maximum de  12,20 €/ligne/mois) » et en demandant à SFR FTTH « une baisse de ce tarif en cohérence avec le tarif recommandé par l’ARCEP » (pièce n° 10 Bouygues Télécom).

150. Enfin, lors d’une réunion du 20 septembre 2019, Bouygues Télécom a rappelé qu’il considérait que le tarif de 16,40 €/ligne/mois n’était pas raisonnable et a demandé « l’application d’un tarif de 12,20 €/ligne/mois » ajoutant « en tout état de cause que ce tarif ne saurait être supérieur à 13,20 €/ligne/mois » (pièce n° 11, Bouygues Télécom).

151. Il résulte de l’ensemble de ces éléments que contrairement à ce que soutient SFR FTTH, Bouygues Télécom a formulé, à plusieurs reprises, des demandes claires et non équivoques visant à obtenir une baisse du tarif de location de 16,40 €/ligne/mois à un tarif compris entre 12,20 €/ligne/mois et 13,20 €/ligne/mois et a indiqué en quoi, selon elle, le tarif litigieux n’était pas raisonnable dans des termes permettant à SFR FTTH de prendre position et d’engager des négociations effectives.

152. Ayant relevé que SFR FTTH n’avait pas donné suite aux demandes de Bouygues Télécom, c’est à juste titre que l’Autorité en a déduit l’échec des négociations entre les parties et partant, que la saisine était de ce chef recevable.

153. S’agissant, en second lieu de la demande portant sur la nouvelle grille tarifaire, celle-ci a été notifiée par SFR FTTH à Bouygues Télécom le 20 octobre 2019, à une période où cette dernière avait déjà fait part de ses contestations sur le niveau des tarifs existants. Comme le relève l’Autorité, Bouygues Télécom a contesté la hausse des tarifs par des lettres des 23 octobre 2019, 3 et 20 janvier 2020 ainsi qu’il résulte des extraits reproduits dans la décision attaquée (page 24). Bouygues Télécom, déplorant que la notification de cette nouvelle grille tarifaire vienne en réponse à ses contestations des tarifs ab initio, y soulignait que ces hausses n’étaient justifiées par aucun élément de coûts clairs et opposables en méconnaissance des principes tarifaires prévus par le cadre réglementaire symétrique applicable en matière d’accès à la boucle locale mutualisée, et maintenait ses demandes initiales de révision à la baisse des tarifs, lesquelles étaient fondées sur le modèle de 2015. Ainsi, contrairement à ce que soutient SFR FTTH, la position de Bouygues Télécom était claire et suffisamment motivée pour lui permettre d’entrer en négociation. Par ailleurs, ayant constaté qu’elle n’avait pas donné suite à ces lettres successives, c’est à juste titre que l’Autorité en a déduit l’échec des négociations et la recevabilité de la saisine. Le moyen est rejeté.

IV.  SUR LE MOYEN PRIS DE LA VIOLATION DES ARTICLES L. 36-6 ET L. 36-8 DU CPCE

154. SFR FTTH soutient que l’ARCEP a excédé les pouvoirs qu’elle tient de l’article L. 36-8 du CPCE. Elle lui reproche, en premier lieu, d’avoir déclaré recevables et statué sur les demandes de constat formées par Bouygues Télécom, lesquelles tendaient à ce que l’Autorité dise « que les hausses tarifaires n’étaient pas justifiées par des éléments de coûts clairs et transparents et sont manifestement déraisonnables » et « que le tarif de location passive est manifestement déraisonnable ». Ces demandes, présentées de manière distincte des injonctions sollicitées, ne relevaient pas des compétences de l’Autorité en matière de règlement de différend, telles que résultant de l’article L. 36-8 du CPCE, mais de son pouvoir réglementaire, tel que prévu à l’article L. 36-6 du même code, de sorte que l’Autorité aurait dû les déclarer irrecevables, et ce, conformément à sa pratique décisionnelle.

155. SFR FTTH reproche, en second lieu, à l’Autorité d’avoir conféré un caractère normatif à sa décision en refusant, par principe, la méthode alternative qu’elle avait proposée pour apprécier le caractère raisonnable de son tarif et en imposant le modèle de 2015, que la décision attaquée présente comme un élément du cadre réglementaire alors qu’il n’a aucune valeur normative.

156. Elle lui reproche également, ce faisant, de lui avoir imposé des tarifs orientés vers les coûts en méconnaissance du cadre réglementaire, lequel en prévoyant que les tarifs soient raisonnables, autorise une marge commerciale.

157. Bouygues Télécom répond, en premier lieu, que s’il est admis que les demandes qui tendent à obtenir un simple constat de l’ARCEP sont irrecevables, celles qui partent d’un constat, pour en déduire une demande relevant du pouvoir de l’ARCEP, sont parfaitement admises. Elle soutient qu’en l’espèce, elle n’a pas demandé à l’ARCEP de constater une violation par SFR FTTH de ses obligations réglementaires, ni formulé une demande se limitant à un simple constat : chaque demande relative au caractère déraisonnable du tarif était directement rattachée à une demande d’injonction. Elle souligne que dans la décision attaquée, l’Autorité a fait droit à ses demandes sans formuler aucun constat.

158. Elle soutient, en second lieu, que la décision attaquée ne confère aucune portée normative au modèle de 2015 mais s’en sert, en l’adaptant au cas d’espèce par l’utilisation des tarifs de cofinancement de SFR FTTH, comme référence pertinente pour apprécier le caractère raisonnable, à défaut d’élément plus pertinent apporté par SFR FTTH. Elle souligne que le modèle alternatif utilisé par SFR FTTH n’a pas été écarté par principe par l’Autorité qui l’a analysé et constaté qu’il ne permettait pas à lui seul de vérifier la cohérence de l’écart entre les différents tarifs au regard du principe de l’échelle des investissements.

159. L’Autorité développe une argumentation similaire. Elle ajoute que les demandes de constats formées par Bouygues Télécom n’étaient que le soutien nécessaire de ses demandes principales et que le dispositif de la décision attaquée, qui seul revêt un caractère décisoire, ne contient aucun constat d’un manquement éventuel de SFR FTTH à ses obligations réglementaires.

160. Le ministère public approuve le raisonnement de l’Autorité aux termes duquel, seul le dispositif de la décision attaquée revêt un caractère décisoire. Il souligne que le dispositif de la décision attaquée, dès lors qu’il ne contient aucun constat et se borne à enjoindre à SFR FTTH d’annuler la hausse de ses tarifs d’accès et de baisser le tarif de location, faisant droit aux demandes de Bouygues Télécom, ne contient pas de demande de constat autonome.

Sur ce, la Cour :

161. S’agissant de la recevabilité des demandes, il convient de rappeler que, conformément à l’article L. 36-8, I, du CPCE, en cas d’échec des négociations commerciales ou de désaccord sur la conclusion ou l’exécution d’une convention d’interconnexion ou d’accès à un réseau de communications électroniques, l’Autorité peut être saisie du différend par l’une des parties, afin qu’elle « précise les conditions équitables, d’ordre technique et financier, dans lesquelles l’interconnexion ou l’accès doivent être assurés ».

162. En l’espèce, aux termes de la saisine, rappelés aux paragraphes 52 et 53 du présent arrêt, Bouygues Télécom a demandé à l’Autorité de dire que les hausses tarifaires des différentes modalités d’accès au réseau FttH de SFR FTTH et le tarif de location à la ligne étaient déraisonnables et, en conséquence, d’enjoindre à SFR FTTH de lui proposer un avenant à son contrat d’accès par lequel SFR FTTH renonce à l’application de ces hausses de tarifs et prévoit un tarif de location à la ligne compris entre 12,20 € HT/mois/ligne et un maximum de 13,20 € HT/mois/ligne.

163. Ainsi, comme le soulignent à juste titre l’Autorité et Bouygues Télécom, faire trancher le caractère déraisonnable des conditions tarifaires de SFR FTTH constituait un préalable nécessaire à l’examen des demandes d’injonction et n’avait ni la nature d’une demande de simple constat, ni la portée générale des décisions rendues sur  le  fondement  de  l’article L. 36-6 du CPCE. Les demandes de Bouygues Télécom étaient donc bien recevables.

164. S’agissant de la portée normative de la décision, la Cour relève que la circonstance que l’Autorité dispose d’un pouvoir réglementaire ou de sanction n’exclut pas qu’elle puisse apprécier le caractère raisonnable du tarif pratiqué par un OI dans le cadre d’un règlement de différend, lorsque comme en l’espèce, le différend porte sur le niveau de ce tarif et tend à obtenir la modification de la convention d’accès prévue à l’article L. 34-8-3 du CPCE.

165. L’Autorité se prononce au regard de la situation et des arguments des parties au différend, du cadre réglementaire applicable et des objectifs de régulation prévus à l’article L. 32-1 du CPCE. Sa décision n’a d’effet contraignant direct qu’à l’égard des parties au différend.

166. En outre, en l’espèce, le dispositif de la décision attaquée, qui seul revêt un caractère contraignant, ne contient aucun constat d’un manquement éventuel par SFR FTTH à ses obligations réglementaires et ne statue que sur les demandes d’injonction présentées par Bouygues Télécom. La décision n’a donc pas excédé le champ du règlement de différend.

167. Par ailleurs, c’est en vain que SFR FTTH reproche à l’Autorité d’avoir conféré une portée normative au modèle de 2015. En effet, ce modèle et le document l’accompagnant n’ont pas été présentés comme des éléments contraignants du cadre réglementaire, que ce soit dans la section 5 ou dans la section 6 de la décision attaquée, mais comme des éléments « ayant vocation à servir de support aux négociations tarifaires entre les différents acteurs de marché par l’introduction d’une méthodologie de référence » (page 31 de la décision attaquée) et visant « notamment à accorder davantage de visibilité aux opérateurs commerciaux sur l’élaboration de leur grille tarifaire » (page 34 de la décision attaquée). Le modèle de 2015 a donc été présenté comme un outil de référence, visant à éclairer la portée des principes réglementaires encadrant les tarifs d’accès au réseau FttH.

168. Il a été utilisé comme tel par l’Autorité pour apprécier le caractère raisonnable des tarifs de SFR FTTH et non comme un outil exclusif de tout autre. En effet, l’Autorité n’a pas écarté par principe la modélisation alternative proposée par SFR FTTH, mais elle l’a analysé et indiqué en quoi elle considérait que cette modélisation tarifaire ne pouvait constituer une référence pertinente.

169. L’Autorité a ainsi retenu, d’abord, que SFR FTTH ne justifiait pas des éléments de coûts utilisés dans cette modélisation alternative.

170. Sur ce point, la Cour rappelle que SFR FTTH a l’obligation, comme tout OI, d’établir et de mettre à jour des informations relatives aux coûts retraçant les investissements réalisés et présentant un degré de détail suffisant pour permettre le contrôle par l’Autorité du respect des principes précités conformément aux articles 4 de la décision cadre de 2009 et 9 de la décision cadre de 2010.

171. Contrairement à ce que soutient SFR FTTH, il n’appartenait donc pas à l’Autorité de procéder elle-même à des estimations de coût mais à SFR FTTH de produire ces éléments. SFR FTTH ne peut invoquer le caractère confidentiel de ces données pour justifier son refus de les communiquer à l’ARCEP dès lors que, d’une part, le secret n’est pas opposable à l’Autorité comme il résulte des dispositions de l’article L. 36-8 du CPCE, et que, d’autre part, il lui était loisible de les présenter de manière suffisamment agrégée pour permettre leur communication à Bouygues Télécom sans porter atteinte à ses secrets d’affaires. En outre, dès lors qu’au soutien de sa saisine, Bouygues Télécom avait invoqué les résultats obtenus avec le modèle de 2015 pour conclure au caractère déraisonnable des tarifs de SFR FTTH, il appartenait à cette dernière d’établir que les valeurs des paramètres utilisées dans ce modèle de 2015, et en particulier les coûts de déploiement, étaient trop éloignées de ses propres données et partant de les produire à l’Autorité et de les communiquer à Bouygues selon les modalités de nature à en garantir la confidentialité.

172. L’Autorité a retenu, ensuite, que la modélisation alternative proposée par SFR FTTH était basée uniquement sur les coûts pour déterminer les tarifs de location sans considération pour les tarifs de cofinancement, ce qui n’est pas contesté. Elle en a déduit que cette méthode ne permettait pas, à elle seule, d’apprécier la cohérence des écarts entre les différents tarifs (cofinancement et location) et partant le respect du principe de l’échelle des investissements. À cet égard, le document accompagnant ce modèle explique que la modélisation choisie, consistant à construire le tarif de location à partir de celui de cofinancement, permet d’assurer l’existence d’un espace économique suffisant entre les deux offres de gros et la préservation d’une incitation au cofinancement. Si ce document admet une autre modélisation possible, consistant à construire le tarif de location uniquement à partir des coûts et permettant d’obtenir un tarif de location similaire à celui obtenu par l’autre méthode, cette modélisation alternative n’est pas celle qui a été choisie par l’Autorité pour construire le modèle de 2015 dès lors que précisément, elle ne permettait pas de vérifier la cohérence de l’écart tarifaire. Ainsi, contrairement à ce que soutient SFR FTTH, si l’ARCEP a admis qu’on puisse construire un tarif de location à partir des coûts de déploiement sans considération des tarifs de cofinancement, elle n’a pas pour autant considéré que cette méthode alternative permettait de vérifier que ces tarifs traduisent correctement le principe de l’échelle des investissements, et partant le caractère raisonnable du tarif de location. Il était loisible à SFR FTTH de présenter une modélisation alternative au modèle de 2015 dès lors que celle-ci permettait de mesurer l’écart entre les tarifs de cofinancement et de location.

173. Enfin, l’Autorité a considéré que faute de pouvoir s’appuyer sur cette modélisation alternative, le modèle de 2015 constituait une référence pertinente pour évaluer le caractère raisonnable du tarif litigieux et a utilisé ce modèle en tenant compte des tarifs de cofinancement fixés par SFR FTTH elle-même et pas uniquement les paramètres retenus dans la modélisation de 2015.

174. L’Autorité n’a donc pas excédé les pouvoirs qui lui sont conférés dans le cadre de la procédure de règlement d’un différend. La première branche du moyen, prise du caractère normatif de la décision, n’est pas fondée.

175. S’agissant de la seconde branche, prise de l’imposition d’un tarif orienté verse les coûts, il y sera répondu en partie VI du présent arrêt.

V.     SUR LE MOYEN RELATIF À LA HAUSSE TARIFAIRE

176. Dans la décision attaquée, l’Autorité a considéré, d’abord, qu’en vertu du principe d’objectivité, le tarif proposé par l’OI doit pouvoir être justifié par des coûts clairs et opposables, de sorte qu’un lien doit exister entre les tarifs et les coûts même s’il n’est pas imposé à l’OI d’orienter ses tarifs vers ses coûts. Elle a rappelé, ensuite, la nécessaire visibilité et prévisibilité pour les OC des conditions tarifaires proposées par les OI pour leur permettre d’élaborer leurs plans d’affaires et leur stratégies techniques et commerciales.

177. Elle en a déduit que les évolutions tarifaires doivent reposer sur des éléments objectifs qui doivent pouvoir être justifiés et qu’elles ne doivent pas avoir pour effet de fragiliser les investissements consentis par les OC en remettant in fine en cause leur accès aux lignes FttH.

178. L’Autorité a écarté certains des paramètres invoqués par SFR FTTH pour motiver la hausse tarifaire – le taux de rémunération du capital, les primes de risques, les coûts de structure et les coûts commerciaux – après avoir relevé que SFR FTTH n’indiquait pas que les valeurs, qu’il a retenues pour chacun de ces paramètres, se seraient écartées de ses hypothèses initiales lui ayant servi à construire ses tarifs de sorte qu’il s’agit d’éléments qui se rattachent au niveau intrinsèque du tarif et non à son évolution. S’agissant du rythme de déploiement invoqué par SFR FTTH, l’Autorité a considéré que les valeurs retenues par SFR FTTH avaient un effet baissier sur les tarifs d’accès de sorte que ce paramètre ne pouvait motiver le mouvement tarifaire.

179. Elle a ensuite écarté les autres paramètres invoqués par SFR FTTH que sont : les taux de cofinancement et de pénétration, l’intégration des AMEL, les surcoûts de maintenance et de génie civil, les mécanismes d’indexation et d’inflation et la situation liée à la crise sanitaire, considérant que ces éléments, outre qu’ils n’étaient pas documentés, ne permettaient pas de justifier la hausse.

180. Enfin, elle a relevé que le niveau des tarifs de cofinancement pratiqués par SFR FTTH avant la hausse était, après ceux pratiqués par Orange, le plus élevé du marché sur des zones de déploiement comparables et que les autres OI n’ont pas annoncé de hausse de leur tarif, de sorte qu’en considérant que SFR FTTH se comporte en un opérateur au moins aussi efficace que les autres, ses tarifs initiaux devraient en toute logique permettre une juste rémunération de ses investissements.

181. SFR FTTH, en premier lieu, reproche à l’Autorité d’avoir apprécié le caractère raisonnable de la hausse des tarifs de cofinancement uniquement en considération des éléments susceptibles selon elle de justifier cette hausse, sans analyser si le niveau des tarifs issus de cette hausse était en lui-même raisonnable au regard des objectifs qu’ils poursuivent, et notamment du niveau de rentabilité minimale que l’OI est en droit d’exiger, et sans analyser davantage si le niveau de ces tarifs antérieur à la hausse lui garantissait un taux de rendement minimum raisonnable qu’elle était en droit d’attendre de ses investissements au regard des coûts et conditions de déploiement qu’elle rencontre. Elle soutient que ce faisant, l’Autorité a méconnu son office et a violé l’obligation de pratiquer des tarifs raisonnables en n’appréciant pas si les tarifs de cofinancement étaient eux-mêmes raisonnables, avant et après la hausse. Elle souligne que la transmission des éléments de coûts demandés par les rapporteurs de l’Autorité dans le but d’apprécier les tarifs dans l’absolu aurait violé le secret des affaires.

182. SFR FTTH, en deuxième lieu, soutient que la décision attaquée méconnaît le principe d’objectivité en l’interprétant comme exigeant une stricte corrélation entre les coûts et les tarifs de cofinancement, considérant que seule une hausse des premiers pouvait justifier une hausse des seconds, alors que si ce principe exige un lien entre les coûts et les tarifs, il n’implique pas une stricte corrélation ligne à ligne. SFR FTTH souligne que le fait de devoir pratiquer des tarifs raisonnables laisse une marge de manœuvre aux OI pour pratiquer des tarifs allant au-delà de leurs seuls coûts, augmentés de la rémunération des capitaux investis (tenant compte du risque spécifique du projet). Si cette marge de manœuvre ne laisse pas SFR FTTH libre d’augmenter ses marges comme bon lui semble, elle estime que la limite au caractère raisonnable des tarifs tient à l’appréciation du niveau de marge qu’elle réalise en plus du WACC spécifique à son projet. Cette analyse suppose, selon elle, d’apprécier le niveau de cette marge au regard des tarifs résultant de la hausse, et non pas en postulant, comme l’a fait à tort la décision attaquée, que les tarifs antérieurs assuraient déjà une rentabilité suffisante puis en analysant si des hausses de coûts pouvaient justifier la hausse des tarifs à due concurrence.

183. SFR FTTH, en troisième lieu, expose que l’approche de l’Autorité, consistant à apprécier uniquement le caractère raisonnable de la hausse et non le caractère raisonnable de ses tarifs dans l’absolu, l’a conduite « à se rendre coupable d’un défaut de réponse à conclusions » en n’analysant pas les arguments qu’elle invoquait au soutien du caractère raisonnable de ses tarifs issus de la hausse, arguments tenant à son WACC, aux primes de risques et au rendement minimum qu’elle est en droit de réaliser, à ses coûts commerciaux et de structure et que l’Autorité a considérés comme portant sur le niveau intrinsèque de tarifs et non sur leur évolution et modification.

184. SFR FTTH fait valoir, en quatrième lieu, que l’Autorité a méconnu l’obligation de transparence, dont elle infère un besoin de prévisibilité pour les OC, en considérant que la hausse pouvait remettre en cause « le niveau de prévisibilité suffisant pour permettre à Bouygues Télécom de construire des plans d’affaires précis ». Elle expose que le besoin de prévisibilité des coûts concerne les co-investisseurs et non pas les simples locataires qui ne souscrivent pas d’engagement de long terme, comme l’Autorité l’a affirmé dans la décision cadre de 2009 et confirmé dans la décision n° 18-0569-RDPI ayant opposé Free à Orange. Elle souligne que les articles 19 et 15.4 du contrat signé par Bouygues Télécom prévoyaient une possibilité pour SFR FTTH de faire évoluer ses tarifs à la hausse et un mécanisme d’indexation, et que l’ARCEP, tout en relevant que l’inflation n’avait jamais été reflétée dans les tarifs depuis 2012, a néanmoins considéré qu’un rattrapage en une fois conduirait à violer le principe de prévisibilité. Ce faisant, l’ARCEP a donné une portée excessive à ce principe en le faisant primer sur celui tenant à la nécessité d’assurer un rendement suffisant mais raisonnable aux investissements de SFR FTTH, alors même que Bouygues Télécom savait que les tarifs pouvaient être augmentés puisque le contrat le prévoit expressément, et que l’absence de tout cofinancement de sa part ne pouvait conduire à déstabiliser son plan d’affaires – fondé sur des offres de court terme. Elle reproche également à l’Autorité de lui avoir ainsi dénié le droit de tenir compte de l’inflation, pourtant reconnu dans le document accompagnant le modèle de 2015, en considérant qu’un rattrapage en une seule fois aurait porté atteinte au principe de prévisibilité sans pour autant discuter de la justification sur le plan économique de la prise en compte de cette inflation ni d’un éventuel échelonnement du rattrapage.

185. En dernier lieu, au soutien de sa demande de réformation, SFR FTTH fait valoir que ses tarifs de cofinancement sont justifiés, d’une part, par les coûts et conditions de déploiement/exploitation qu’elle rencontre (coûts commerciaux et de structure, rythme de déploiement, taux de pénétration et de cofinancement, surcoûts de déploiement en raison de l’intégration des zones AMEL, surcoûts de maintenance), et d’autre part, par un taux de rendement minimal qu’elle est en droit d’attendre au regard des investissements réalisés et des risques pris. SFR FTTH expose que tant les paramètres que l’Autorité a refusé d’examiner que ceux qu’elle a analysés pour les rejeter démontrent le caractère raisonnable et justifié de ses tarifs et renvoie à une étude économique actualisant celles déjà produites devant l’Autorité. Enfin, elle ajoute que les tarifs imposés par l’Autorité ne sont pas raisonnables.

186. Bouygues Télécom répond, en premier lieu, que SFR FTTH lui a imposé une hausse de 10 % de son tarif de cofinancement sans apporter aucun élément crédible expliquant une telle hausse de prix, alors que les principes d’objectivité et de transparence et l’objectif de visibilité dans les conditions d’accès impliquent que les mouvements tarifaires décidés par l’OI puissent être justifiés sur la base d’éléments de coûts clairs et opposables, notamment dans le cadre d’un règlement des différends. Elle souligne qu’il ne s’agit pas d’exiger une orientation vers les coûts, mais un lien entre les tarifs et les coûts, conformément aux principes réglementaires précités, de sorte que c’est à bon droit que la décision a apprécié le caractère raisonnable de la hausse au regard des éventuels facteurs susceptibles de la justifier.

187. Elle fait valoir, en deuxième lieu, que SFR FTTH n’est pas fondée à reprocher à l’ARCEP de ne pas avoir apprécié la hausse des tarifs « dans l’absolu », au regard de ses propres coûts de déploiement, alors qu’elle a refusé de fournir les données relatives à ses coûts pourtant demandées, au cours de l’instruction, par les services de l’ARCEP. Elle précise que l’étude économique produite par SFR FTTH pour justifier de la hausse de ses tarifs ne s’est pas fondée sur les coûts propres de SFR FTTH mais sur des hypothèses de coûts elles-mêmes élaborées sur des exemples étrangers à la situation de SFR FTTH. Elle souligne que dans la décision attaquée, l’ARCEP a bien analysé, pour la rejeter, à partir des éléments dont elle disposait, l’hypothèse d’une hausse de rattrapage qui aurait été justifiée par une insuffisance de tarif initial.

188. Elle expose, en troisième lieu, que l’impératif de visibilité, commun à toutes les offres d’accès, est tout aussi important pour l’opérateur ayant recours à la location que pour celui ayant recours au co-investissement dès lors que l’opérateur commercial qui a développé une offre de détail sur le réseau de l’OI en recourant à la location, et donc un parc de clients FTTH en ZMD, est captif de son OI, en l’absence d’offre d’accès alternative, sauf à perdre son parc de clients. Elle ajoute que SFR FTTH ne peut sérieusement reprocher à l’ARCEP d’avoir attribué une « portée excessive à ce principe en le faisant primer sur celui tenant à la nécessité d’assurer un rendement suffisant mais raisonnable aux investissements de SFR FTTH », puisque l’ARCEP a pris soin d’apprécier la rentabilité de l’offre de SFR FTTH, avant la hausse, et a conclu, sur la base des éléments disponibles, « que les tarifs initiaux de SFR FTTH n’apparaissent pas a priori engendrer une rentabilité insuffisante de son activité d’opérateur d’infrastructure ». L’ARCEP n’a ainsi aucunement fait primer le principe de prévisibilité sur celui garantissant un rendement suffisant à l’OI, selon Bouygues Télécom.

189. En dernier lieu, elle fait valoir que les éléments développés par SFR FTTH pour défendre la hausse des tarifs de cofinancement ne sont pas pertinents : le taux de rémunération du capital, le taux de rendement minimum applicable (primes de risque) et les coûts commerciaux et de structure n’ont connu aucune évolution permettant de justifier la hausse des tarifs de cofinancement par SFR FTTH au 1er février 2020 ; l’intégration des AMEL et les coûts de génie civil étaient connus de SFR FTTH lorsqu’elle a pris ses engagements devant le Ministre, sur l’application d’une grille tarifaire prédéfinie ; aucun élément ne justifie que le taux de pénétration et de cofinancement observés conduise à une hausse des tarifs de cofinancement ; aucun élément ne justifie que les coûts de maintenance augmenteraient et conduiraient à une hausse des tarifs de cofinancement. Elle ajoute que l’application d’une inflation et d’une indexation cumulées sur plusieurs années n’est pas une justification objective et proportionnée pour justifier une augmentation des tarifs de cofinancement. Elle souligne au demeurant que SFR FTTH ne lui a jamais transmis les éléments justifiant que la hausse tarifaire pratiquée au 1er février 2020 était liée à l’indexation prévue contractuellement et que le contrat ne prévoit pas un mécanisme de rattrapage d’une indexation sur plusieurs années.  Quant à la crise sanitaire, Bouygues Télecom observe qu’elle est arrivée postérieurement à l’annonce de l’augmentation par SFR FTTH.

190. L’Autorité répond, en premier lieu, que la demande de Bouygues Télécom visait à l’annulation de la hausse dont il était soutenu qu’elle était injustifiée et non raisonnable et que le différend dont elle était saisie portait bien sur le mouvement tarifaire lui-même et l’annulation de cette hausse si bien qu’elle n’a fait que statuer sur cette demande conformément à l’article L. 36-8 du CPCE. Pour autant, SFR FTTH ne saurait reprocher à l’ARCEP de ne pas avoir analysé ses arguments appelant à apprécier le caractère raisonnable du niveau intrinsèque des tarifs résultant de la hausse dès lors qu’elle a refusé de transmettre les éléments sur ses coûts, demandés par les rapporteurs (notamment questionnaire n° 2 des rapporteurs, questions 16 et 171), qui auraient permis à l’Autorité d’apprécier les tarifs dans l’absolu. Enfin, l’Autorité a, selon elle, bien veillé, dans la décision attaquée, à s’assurer que l’annulation de la hausse tarifaire constituait une solution équitable pour SFR FTTH, et que le retour au tarif avant l’application de la hausse ne nuisait pas au besoin de rentabilité de cette dernière.

191. Elle fait valoir, en deuxième lieu, qu’il est conforme au cadre réglementaire de vérifier que les évolutions tarifaires (et pas uniquement dans l’absolu les tarifs résultant de la hausse tarifaire) sont liées à des coûts clairs et pour ce faire, d’examiner les seuls paramètres qui peuvent justifier l’évolution tarifaire mise en œuvre. Or, comme l’Autorité l’a développé dans la décision attaquée, si SFR FTTH a invoqué un ensemble de paramètres pour motiver la hausse tarifaire pratiquée, il n’indique pas, pour certains de ces paramètres (à savoir : taux de rémunération du capital, primes de risque et coûts commerciaux et de structure), un écart dans la valeur de ces derniers par rapport aux hypothèses initiales ayant servi à la construction de ses tarifs. Dès lors, elle estime que l’ARCEP ne pouvait considérer que ces paramètres avaient fondé le mouvement tarifaire à la hausse et n’a pu que les écarter dans le cadre de son analyse du caractère justifié de la hausse des tarifs de SFR FTTH.

192. Elle souligne, en troisième lieu, que conformément au principe d’objectivité posé par le cadre réglementaire, la tarification mise en œuvre par l’opérateur doit pouvoir être justifiée à partir d’éléments de coûts clairs et opposables et que sans exiger que les tarifs soient orientés vers les coûts, il doit exister un lien entre les deux. C’est en application de ce principe que dans la décision attaquée, elle a recherché si la hausse tarifaire pratiquée par SFR FTTH reposait sur des éléments objectifs.

193. Elle fait valoir, en dernier lieu, que les décisions cadres évoquent le besoin de visibilité des OC sur les conditions techniques et tarifaires d’accès pour construire leurs plans de développement, et ce sans faire la distinction entre les opérateurs commerciaux locataires et les opérateurs commerciaux cofinanceurs. Elle souligne que si le document d’accompagnement du modèle de tarification de 2015, envisage la possibilité d’ajustement des tarifs en fonction de l’actualisation des hypothèses sous-jacentes, il vise dans le même temps une certaine stabilité des tarifs sur un horizon temporel de 25 ans, qui englobe les fluctuations et les imprécisions incontournables des phases transitoires des premières années de déploiement des réseaux FttH. Ainsi, il s’agit que les conditions tarifaires d’accès ne fassent pas l’objet d’évolutions trop brutales, intempestives qui pourraient ne pas se concilier avec les besoins de visibilité des opérateurs commerciaux. C’est donc à juste titre que, dans la décision attaquée (p. 36), l’ARCEP a vérifié si la hausse tarifaire « n’est pas de nature à remettre en cause le niveau de prévisibilité suffisant pour permettre à Bouygues Télécom de construire des plans d’affaires précis » (Décision, p. 36).

194. Sur la demande de réformation, l’Autorité invite la Cour à rejeter l’ensemble des arguments de SFR FTTH lesquels ne sont pas, selon elle, de nature à remettre en cause l’analyse qu’elle a développée dans la décision attaquée.

195. Le ministère public partage l’analyse de l’Autorité tout en soulignant qu’un opérateur régulé ne saurait opposer le secret des affaires à l’Autorité en charge de la régulation du marché en cause.

Sur ce la Cour,

196. Il résulte du cadre réglementaire précité que l’obligation faite à l’OI de permettre aux opérateurs tiers d’accéder à son réseau FttH dans des conditions financières raisonnables n’implique pas que ses tarifs soient orientés vers les coûts, mais que ses tarifs intègrent une marge commerciale raisonnable.

197. Le principe d’objectivité, issu de ce cadre réglementaire, qui exige que la tarification doit pouvoir être justifiée à partir d’éléments de coûts clairs et opposables, induit un lien entre les tarifs et les coûts de déploiement exposés par l’OI, lien qui en lui-même n’exclut pas de pratiquer une marge commerciale raisonnable.

198. L’appréciation du caractère raisonnable d’une tarification implique donc de pouvoir vérifier qu’elle repose sur des coûts clairs et opposables, correspondant à ceux supportés par un opérateur efficace.

199. Dans le cadre d’un différend portant sur le niveau tarifaire, le régulateur procède à cette vérification, grâce aux informations relatives aux coûts que l’OI doit établir et mettre à jour pour retracer ses investissements, conformément aux articles 4 de la décision cadre de 2009 et 9 de la décision cadre de 2010.

200. En cas d’évolutions tarifaires, ces évolutions doivent également reposer sur des éléments objectifs et justifiés. Si les principes d’objectivité et de transparence n’impliquent pas l’obligation pour l’OI de justifier auprès de l’OC du détail de l’ensemble de ses coûts, ils impliquent à tout le moins, en cas d’évolutions tarifaires, que l’OI communique aux OC présents sur son réseau les éléments objectifs justifiant les évolutions de coûts.

201. En l’espèce, SFR FTTH a notifié à Bouygues Télécom ses nouveaux tarifs d’accès par une lettre du 31 octobre 2019 sans aucune explication sur la hausse résultant de ces nouveaux tarifs. Devant l’ARCEP, SFR FTTH a notamment exposé que ces évolutions tarifaires s’expliquaient principalement par la prise en compte de l’inflation depuis 2012, et a souligné que seul importait le caractère raisonnable de ses tarifs. Sur ce point, elle a produit plusieurs estimations réalisées par le même cabinet d’études économiques, qui, selon elle, établissent que ses nouveaux tarifs sont raisonnables. Ces études critiquent les valeurs de paramètres que Bouygues Télécom a retenues pour mettre en œuvre la modélisation tarifaire de 2015 et présentent des simulations tarifaires fondées sur d’autres valeurs.

202. Ces simulations de tarifs, en particulier celles portant sur le tarif de cofinancement, reposent pour certaines sur des coûts présentés comme réellement exposés par SFR FTTH, ainsi que l’indique l’auteur de ces simulations mais sans jamais les préciser, ni en justifier et, pour d’autres, sur de simples estimations ou hypothèses de coûts. Les rapporteurs chargés d’instruire la demande en règlement de différend ont dès lors demandé à SFR FTTH de leur « transmettre, sous format d’un fichier tableau incluant les formules de calcul, un modèle détaillant la construction de ses tarifs de cofinancement sur la SFMD au 1er février 2020 », ainsi qu’ « une notice explicative justifiait le choix des paramètres » (question n° 16 du questionnaire n° 2), et « de détailler (postes, natures, montants) les coûts sur lesquels sont fondés ses tarifs, et à cette fin, de transmettre l’historique annuel des données comptables constatées concernant les activités de déploiement et d’exploitation de boucles locales optiques mutualisées dont SFR FTTH est propriétaire pour la période allant de la date des premiers déploiements à 2019 » ( question n° 17 du questionnaire n° 2).

203. Il est constant que SFR FTTH a refusé de transmettre les éléments demandés, qu’il s’agisse de la grille tarifaire initiale ou celle issue de la hausse. Il a déjà été démontré que SFR FTTH ne peut justifier ce refus par la protection de ses secrets d’affaires. En outre, SFR FTTH ne peut davantage invoquer le fait qu’il a repris l’activité de déploiement et d’exploitation du réseau FttH initialement exercée par SFR pour expliquer sa carence d’informations sur les éléments ayant servi à la construction de l’ancienne grille tarifaire et sur les coûts de déploiement effectivement supportés par SFR. En effet, compte tenu des obligations réglementaires pesant sur les OI, en particulier celle de transparence, tenant à l’établissement, la mise à jour et la conservation pendant cinq ans des informations relatives aux coûts, il incombait à SFR FTTH de recueillir auprès de SFR l’ensemble de ces informations lors de l’apport de son activité de déploiement et d’exploitation du réseau FttH.

204. Par ce refus injustifié, SFR FTTH n’a pas mis l’Autorité en mesure d’apprécier le caractère raisonnable de ses tarifs initiaux et de ceux issus de la hausse, de sorte qu’elle n’est pas fondée à lui reprocher de ne pas s’être livrée à cette appréciation. Force est de constater que devant la Cour, SFR FTTH se borne à produire un rapport contenant les mêmes estimations que celles produites devant l’Autorité, complétées par une analyse critique des motifs de la décision attaquée, sans jamais produire ni offrir de produire ses éléments réels de coûts.

205. Le caractère raisonnable d’une tarification s’appréciant sur la base de coûts clairs et opposables, analysés par référence à ceux supportés par un opérateur efficace, c’est en vain que SFR FTTH invoque le caractère raisonnable de la marge issue de la hausse tarifaire pratiquée dès lors qu’il a refusé de transmettre à l’ARCEP les éléments de coûts établissant le caractère raisonnable de cette tarification.

206. En l’absence d’éléments sur les coûts ayant servi à la construction des tarifs et sur leur évolution, c’est donc à juste titre que l’Autorité, saisie d’une demande contestant le caractère raisonnable des tarifs issus de la hausse tarifaire pratiquée, a analysé les paramètres que SFR FTTH invoquait pour l’expliquer et établir le caractère raisonnable de ses nouveaux tarifs, afin de déterminer si la hausse litigieuse reposait sur des éléments objectifs et justifiés d’évolution de ses coûts, et partant si elle était raisonnable.

207. Ce faisant, l’Autorité n’a pas exigé une stricte corrélation entre les coûts et les tarifs mais n’a fait qu’une exacte application du principe d’objectivité en recherchant l’existence d’un lien entre l’évolution des tarifs et celle des coûts, lequel n’exclut pas, par principe, l’existence d’une marge commerciale. En outre, pour certains de ces paramètres, ceux tenant au taux de rémunération du capital, aux primes de risques et aux coûts commerciaux et de structure, SFR FTTH ne s’étant pas prévalue d’un écart de valeur entre celles ayant fondé son tarif initial et celles retenues pour justifier le caractère raisonnable de son nouveau tarif, il ne saurait être reproché à l’Autorité d’avoir écarté les éléments s’y rattachant sans les analyser.

208. Pour les mêmes motifs tenant à l’absence de production d’éléments ayant servi à la construction de ses grilles tarifaires, SFR FTTH ne saurait reprocher à l’Autorité d’avoir postulé que SFR s’était comporté en opérateur efficace, et à tout le moins aussi efficace que les autres opérateurs, dont les tarifs sont moins élevés (à l’exception de ceux d’Orange), dans des zones de déploiement comparables et pour lesquels aucune évolution à la hausse n’a été annoncée, et partant que ses tarifs avant la hausse litigieuse assuraient une juste rémunération de ses investissements. Ce faisant, l’Autorité n’a pas recherché si les tarifs initiaux étaient raisonnables, ce qu’elle ne pouvait pas faire en raison de la carence de SFR FTTH mais s’est uniquement bornée à vérifier, sur la base des seuls éléments dont elle disposait, si un retour à cette grille pouvait constituer une solution équitable au différend. Il appartenait à SFR FTTH de produire ses coûts pour pouvoir utilement critiquer cette solution, justifier ses nouveaux tarifs issus de la hausse pratiquée et écarter ainsi le retour à l’ancienne grille, ce qu’elle n’a fait ni devant l’ARCEP ni devant la Cour.

209. Par ailleurs, contrairement à ce que soutient SFR FTTH, le besoin de prévisibilité des OC sur les conditions techniques et tarifaires d’accès pour construire leurs plans de développement est affirmé par les décisions cadres de 2009 et 2010 sans distinction entre les opérateurs commerciaux locataires et les opérateurs commerciaux cofinanceurs.

210. En particulier, dans la décision cadre de 2009 invoquée par SFR FTTH, l’Autorité, après avoir exposé la position de la Commission européenne sur les modalités tarifaires d’accès au réseau, indique partager « pleinement l’analyse de la Commission concernant la nécessité d’un niveau de prévisibilité suffisant pour permettre à l’ensemble des opérateurs, et notamment à ceux souhaitant s’engager dans le co-investissement, de construire des plans d’affaires précis. Pour s’engager dans des projets d’investissement ou de co-investissement aussi importants, les opérateurs ont besoin d’une certaine visibilité sur les coûts qu’ils encourront et sur les recettes qu’ils percevront. » (soulignement ajouté par la Cour). Ce faisant, l’Autorité a affirmé la nécessité d’un niveau de prévisibilité suffisant pour permettre à tous les opérateurs de construire leurs plans d’affaire et pas seulement aux seuls opérateurs ayant opté pour le cofinancement.

211. Si la décision de l’ARCEP n° 18-0569-RDPI, réglant un différend opposant la société Orange à Free, a retenu que cette dernière, en qualité de cofinanceur, devait bénéficier des garanties spécifiques de prévisibilité en raison notamment du niveau de son investissement dans le déploiement du réseau FttH d’Orange, il ne saurait en être déduit, par une interprétation a contrario, que les opérateurs locataires n’ont pas besoin de prévisibilité sur les tarifs d’accès au réseau en l’absence des mêmes investissements, dès lors qu’ils sont confrontés aux mêmes nécessités de construire des plans d’affaire précis et de disposer à cet effet d’une prévisibilité suffisante.

212. En outre, c’est en vain que SFR FTTH se prévaut des stipulations prévues aux articles 15-4 et 19 du contrat signé le 3 janvier 2020 par Bouygues Télécom, tenant d’une part à l’existence d’un mécanisme d’indexation (article 15-4 du contrat) et d’autre part, à la possibilité d’augmenter les tarifs moyennent un préavis de trois mois (article 19), pour affirmer que Bouygues Télécom savait que les tarifs pouvaient évoluer à la hausse.

213. En effet, il résulte des éléments versés aux débats que la notification de la nouvelle grille tarifaire, à effet au 1er février 2020, est intervenue le 31 octobre 2019 alors que les parties étaient en cours de négociation pour la signature du contrat d’accès, et que comme le relève la décision attaquée, l’offre d’accès publiée par SFR FTTH le 1er mars 2019 ne prévoyait pas de mécanisme d’indexation et d’évolution tarifaire, désormais indiqué dans la nouvelle offre et stipulé au contrat d’accès signé par les parties. Au demeurant, selon l’article 15-4 de ce contrat, l’indexation ne peut intervenir pour la première fois que le 1er janvier qui suit la date de la signature du contrat. Quant à l’article 19, autorisant une évolution de certaines conditions tarifaires, il exclut expressément les tarifs de cofinancement et ceux de location sauf dans trois hypothèses : à la suite d’une décision de l’ARCEP en règlement de différend, à la suite de l’évolution de la réglementation applicable aux déploiements des lignes FttH sur les zones concernées et enfin, « en cas d’évènement extérieur dûment motivé, indépendant de la volonté de SFR FTTH, bouleversant l’économie générale du contrat et ayant pour effet de renchérir les coûts de déploiements ou d’exploitation des lignes FttH pouvant être mises à disposition au titre présent contrat ». Dès lors, la prise en compte de l’inflation cumulée depuis 2012, invoquée devant l’ARCEP par SFR FTTH pour expliquer pour partie la hausse de sa grille tarifaire, ne relevait manifestement pas des prévisions d’évolution tarifaire prévues au contrat que Bouygues Télécom aurait pu anticiper.

214. C’est donc à juste titre, et sans méconnaitre le principe de transparence, dont s’infère le besoin de prévisibilité, que l’Autorité a retenu que l’augmentation des tarifs d’accès résultant de l’application de l’inflation cumulée sur plusieurs années n’était pas justifiée et compromettait la prévisibilité des conditions d’accès de Bouygues Télécom au réseau.

215. Enfin, SFR FTTH, qui doit établir et mettre à jour des informations relatives aux coûts retraçant les investissements réalisés, suffisamment détaillées pour permettre à l’Autorité de vérifier que ses tarifs sont raisonnables et respectent notamment le principe d’objectivité, ne produit devant la Cour aucun élément de nature à justifier les coûts de déploiement qu’elle supporte, interdisant ainsi toute appréciation du caractère raisonnable de ses tarifs et du taux de rendement minimal qu’elle revendique.

216. En particulier, SFR FTTH ne verse aucun élément permettant de justifier des coûts commerciaux et de structure qu’elle souhaite voir pris en compte.

217. Quant au coût de déploiement et plus précisément au surcoût de génie civil lié à l’intégration des zones AMEL invoqué par SFR FTTH pour motiver la hausse tarifaire à l’ensemble de la zone SFMD, SFR FTTH n’a versé ni devant l’ARCEP ni devant la Cour, aucun élément de nature à établir la réalité et le niveau des surcoûts qu’elle affirme supporter et qui motiveraient la hausse de ses tarifs. L’allégation selon laquelle, par principe, les coûts de déploiement sont plus élevés en zone AMEL qu’en zone AMII en raison de la plus faible densité de population, faute d’être étayée par les coûts réellement supportés par SFR FTTH, ne peut suffire à justifier une hausse tarifaire et ne permet pas de vérifier le caractère raisonnable des tarifs issus de cette hausse. SFR FTTH ne peut donc utilement invoquer l’étude économique qui modélise le coût moyen de déploiement au prix de 575 euros, une telle modélisation ne s’appuyant sur aucun coût réel de déploiement mais uniquement sur des estimations, comme les auteurs de l’étude le reconnaissent (pièce SFR FTTH n° 54, p. 26). Les éléments invoqués par SFR FTTH ne permettent donc pas d’établir une rentabilité dégradée depuis l’intégration des zones AMEL.

218. Pour motiver la hausse tarifaire, SFR FTTH soutient encore subir des surcoûts de maintenance, afférents notamment aux dégradations de ses équipements, imputables à des négligences de certains OC et qui s’amplifient à mesure de la commercialisation du réseau FttH. Si SFR FTTH a produit des éléments permettant d’établir la réalité de ces dégradations et partant la nécessité d’intervention de maintenance, elle ne produit aucun élément permettant de quantifier et chiffrer les surcoûts afférents à ces opérations de maintenance.

219. Elle ne verse pas davantage d’éléments justifiant des taux de cofinancement et de pénétration et en particulier ceux ayant servi à l’élaboration des tarifs initiaux, de sorte qu’elle n’est pas fondée à soutenir connaître des taux moins élevés que ceux initialement estimés par SFR. Comme exposé au paragraphe 203 du présent arrêt, SFR FTTH ne saurait se retrancher derrière le fait qu’elle n’est pas l’auteur de ces estimations pour expliquer sa carence. Par ailleurs, elle ne peut sans se contredire à la fois soutenir que les taux de cofinancement et de pénétration sont moins élevés que ceux initialement envisagés pour expliquer ses évolutions tarifaires, et affirmer que rien n’imposait à SFR de formuler de telles hypothèses, suggérant ainsi que SFR aurait construit ses tarifs en dehors de toute prévision du nombre d’opérateurs choisissant d’investir en cofinancement et du nombre d’abonnements. En outre, le cadre réglementaire imposant dès 2010 aux OI de déployer des offres traduisant l’échelle des investissements et permettant aux OC d’investir en cofinancement, les tarifs de SFR, établis en 2012, ont nécessairement été construits en tenant compte d’un taux de cofinancement.

220. Il résulte de l’ensemble de ces éléments que SFR FTTH ne peut utilement invoquer la faiblesse du taux de pénétration et cofinancement pour expliquer la hausse tarifaire et justifier le caractère raisonnable de ses nouveaux tarifs.

221. S’agissant du rythme de déploiement, la décision attaquée relève, sans être contestée sur ce point, que les valeurs retenues par SFR FTTH conduisent à une diminution des tarifs d’accès de sorte qu’il est vain d’invoquer un tel paramètre pour expliquer la hausse de ses tarifs.

222. Faute de produire des éléments relatifs à ses coûts réels de déploiement et à l’évolution de ses taux de cofinancement, SFR FTTH n’est pas fondée, pour motiver le niveau de son nouveau tarif de cofinancement, à revendiquer l’application d’un taux de rendement minimal, ou encore la crise sanitaire, laquelle au demeurant a débuté en mars 2020, postérieurement à la notification  par  SFR  FTTH  de  sa  nouvelle  grille  tarifaire  le  31 octobre 2019. Sur ce dernier point, SFR FTTH affirme que la crise sanitaire est susceptible d’affecter défavorablement les conditions de déploiement et d’exploitation sans fournir aucun élément concret permettant de quantifier l’impact de la crise sanitaire, de sorte que comme le relève l’ARCEP tant dans la décision attaquée que dans ses observations, il est prématuré de reconnaître un impact durable de la crise pour modifier les hypothèses sous-jacentes des tarifs de SFR FTTH.

223. Les moyens tant d’annulation que de réformation portant sur la hausse tarifaire sont donc rejetés.

VI.    SUR LE MOYEN RELATIF AU TARIF DE LOCATION

224. Dans la décision attaquée, l’Autorité, à titre liminaire, a relevé que les niveaux tarifaires doivent traduire l’échelle des investissements et présenter une différence entre le cofinancement et la location. Elle a précisé que cette différence doit refléter la flexibilité de la location passive dont bénéficie l’OC tout en tenant compte du niveau de risque encouru par l’OI et qu’elle doit, dans le même temps, être raisonnable, pour favoriser l’entrée d’OC et leur permettre de proposer une offre compétitive sur le marché de détail.

225. Elle a souligné que ces principes ont été mis en œuvre en pratique dans le modèle de 2015 en rappelant que ce modèle prévoit deux modules, le premier relatif au cofinancement qui détermine le tarif récurrent à partir d’un tarif non récurrent, le second, relatif au tarif de location, qui détermine ce tarif à partir du tarif récurrent de cofinancement.

226. L’Autorité a considéré que, dès lors que le tarif de cofinancement est fixé, le caractère raisonnable de l’offre de location doit être apprécié au regard de l’écart tarifaire entre le cofinancement et la location.

227. Elle a, ensuite, écarté la modélisation alternative présentée par SFR FTTH basée sur ses coûts de déploiement et non sur son tarif de cofinancement, aux motifs, ainsi qu’il a été indiqué aux paragraphes 170 et 172 du présent arrêt, d’une part, que SFR FTTH n’a pas communiqué les éléments sur lesdits coûts de sorte qu’elle n’a pas été en mesure d’en vérifier la pertinence ; d’autre part, que le caractère raisonnable de l’offre de location doit s’apprécier au regard des tarifs de cofinancement et que la méthode alternative, basée sur les coûts de déploiement et d’exploitation, ne permet pas à elle seule de s’assurer de la cohérence tarifaire entre les différentes modalités d’accès que sont les offres de cofinancement et de location, et donc de la bonne mise en œuvre de l’échelle des investissements.

228. Enfin, elle a considéré que le modèle de tarification de 2015 constituait une référence pertinente pour apprécier le caractère raisonnable du tarif de location pratiqué par SFR FTTH. Elle a souligné que la prime de location était le paramètre financier déterminant permettant d’apprécier l’espace économique existant entre les offres de cofinancement et de location,

229. Elle a fait application de ce modèle générique et plus particulièrement du second module en utilisant comme données d’entrée le tarif de cofinancement publié par SFR FTTH avant la hausse et en retenant les valeurs, telles que fixées dans le modèle de 2015, des autres paramètres utiles que sont le taux de pénétration, le rythme de déploiement du réseau, le coût moyen pondéré du capital.

230. Elle a constaté qu’en l’espèce, le couple constitué des tarifs initiaux de cofinancement et de location de SFR FTTH correspond à l’application par SFR FTTH d’une prime de location de 11,8 %, trois fois supérieure à celle retenue par l’Autorité pour initialiser le modèle de 2015 et dépassant largement les primes de location des autres OI comparables qui n’excèdent pas 4,3 %, niveau qui n’a pas empêché la venue d’OC en cofinancement chez ces mêmes opérateurs.

231. Elle en a déduit qu’une prime de location de 11,8 % conduit à un tarif déraisonnable, de nature à constituer une barrière à l’entrée sur le marché pour les opérateurs locataires et à remettre en cause l’exercice d’une concurrence loyale et effective entre les opérateurs, contraire aux objectifs visés par l’article L. 32-1 du CPCE.

232. Elle a relevé que la prime de location associée aux demandes tarifaires de Bouygues Télécom s’élevait, pour la fourchette haute de 13,20 €/mois/ ligne, à 4,6 % et qu’elle était ainsi de nature à assurer un écart tarifaire suffisant entre le tarif de location et les tarifs de cofinancement. Elle a ajouté que le tarif de location de 13,20 €/mois/ligne demandé par Bouygues Télécom correspond à la borne haute des tarifs de location de principaux OI comparables à SFR FTTH dont les tarifs de cofinancement sont similaires à ceux de SFR FTTH, tarifs qui ne semblent pas remettre en cause la venue d’OC en cofinancement. Elle a donc fait droit à la demande Bouygues Télécom de ramener le tarif de location de SFR FTTH en ZFMD à 13,20 euros/mois/ligne.

233. SFR FTTH critique cette analyse et présente deux moyens. Le premier est un moyen d’annulation, pris de la violation par la décision attaquée du cadre réglementaire. Le second est un moyen de reformation pris du caractère raisonnable de son tarif de location.

A.  Sur le moyen pris de la violation du cadre règlementaire

234. SFR FTTH soutient, en premier lieu, que la décision attaquée méconnaît le droit de l’OI de pratiquer un tarif raisonnable par l’utilisation du modèle de 2015, lequel impose un tarif orienté vers les coûts. En particulier, elle affirme que les primes de risque initialisées par l’ARCEP dans le modèle de 2015 sont insuffisantes pour lui permettre de réaliser une marge commerciale et partant une rentabilité suffisante mais visent uniquement à rémunérer les risques spécifiques encourus pour la réalisation du projet. Elle considère que contrairement à ce que soutient Bouygues Télécom, le fait que le modèle de 2015 tienne compte d’un taux de WACC est inopérant dès lors que le WACC est un coût qui ne peut être assimilé à une marge commerciale. Elle ajoute que l’Autorité admet elle-même dans ses observations qu’une valeur actualisée nulle, calculée sur la base d’un WACC ajusté au projet, conduit à un tarif orienté vers les coûts. Elle souligne que la circonstance que l’Autorité ait injecté dans le modèle de 2015 les tarifs de cofinancement ne permet pas d’exclure un tarif orienté vers les coûts dès lors que le modèle de 2015 prend pour hypothèse la situation d’un OC qui achète des tranches de cofinancement afin de proposer une offre de location à d’autres OC, situation dans laquelle les tarifs de cofinancement sont un coût pour l’OC de sorte que le tarif de location en sortie du modèle de 2015 est bien orienté vers les coût et non pas un tarif raisonnable.

235. Elle soutient, en deuxième lieu, qu’en considérant que le tarif de location devait être apprécié au regard de son seul écart avec les tarifs de cofinancement et en voulant limiter cet écart, l’Autorité a méconnu les règles et principes attachés à l’échelle des investissements car ce faisant, elle n’incite pas l’OC locataire à investir : le tarif, tout en permettant à l’OC de proposer des offres au détail compétitives, doit en effet être suffisamment élevé pour l’inciter à co-investir. SFR FTTH précise que le caractère raisonnable du tarif n’a pas à être apprécié au regard des tarifs de cofinancement mais des coûts de l’OI, qu’il doit pouvoir recouvrer tout en réalisant un rendement satisfaisant, et de la capacité de l’OC locataire de proposer des offres de détail compétitives et rentables pour inciter les OC locataires qui en ont les moyens, comme Bouygues Télécom, à investir via le cofinancement. Elle soutient que ce n’est pas tant l’écart entre le tarif de location et celui de cofinancement, c’est-à-dire l’écart entre les 1er et 2ème barreaux de l’échelle, qui importe mais l’accessibilité de l’offre de location et la capacité d’un OC de saisir le premier barreau de l’échelle. L’écart entre le 1er et le 2ème barreau importe lorsqu’il s’agit de déterminer si l’OC est incité à gravir l’échelle des investissements et donc de saisir le deuxième barreau de l’échelle. SFR FTTH fait valoir que plus cet écart est important, plus l’OC est incité à co-investir. À l’inverse, plus l’écart est faible, moins l’OC est incité à co-investir.

236. Elle fait encore valoir qu’aucune des décisions cadres de 2009 et 2010 ne précise ni n’impose d’apprécier le caractère raisonnable du tarif de location au seul regard de celui de cofinancement de manière à s’assurer que ces tarifs ne sont pas trop éloignés et garantir le respect de l’échelle des investissements. Elle souligne que le document qui accompagne le modèle de 2015 admet la possibilité d’estimer le tarif de location en partant de l’hypothèse du coût de déploiement de l’OI. Le caractère raisonnable de ce tarif peut donc bien, selon elle, être déterminé indépendamment des tarifs de cofinancement.

237. Elle soutient que l’Autorité a violé le principe du contradictoire en ne mettant pas les parties en situation de débattre de son analyse selon laquelle le caractère raisonnable du tarif de location s’apprécierait au regard de son seul écart avec les tarifs de cofinancement et qu’elle a méconnu son office en ne vérifiant pas si le niveau de tarif de location n’était pas, dans l’absolu raisonnable.

238. Bouygues Télécom répond, en premier lieu, que l’utilisation du modèle de 2015 n’implique pas une orientation des tarifs vers les coûts. Elle fait valoir à cet égard que ce modèle inclut une rémunération du capital (WACC) et plusieurs primes de risques, aboutissant à une marge de près de 50 %. Elle soutient que le taux de WACC sert de mesure de rentabilité d’un investissement à venir, et à vocation à rétribuer de façon raisonnable les actionnaires et non pas uniquement pour couvrir le coût de financement, de sorte que le WACC est bien un élément de marge commerciale et correspond à ce qui doit rester de cette marge une fois tous les coûts et charges couverts pour satisfaire les investisseurs de l’entreprise. Elle souligne que le fait que le modèle de 2015 aboutisse à une valeur actualisée nette nulle n’induit pas une absence de marge commerciale, dès lors que cette valeur est calculée en tenant compte de l’actualisation du WACC et de l’ensemble des primes prévues dans le modèle de 2015. Elle ajoute que l’intégration dans le modèle de 2015 des tarifs de cofinancement de SFR FTTH – comportant la marge fixée par ses soins – permet d’intégrer une marge commerciale fixée par SFR FTTH elle-même et qu’à cette marge s’ajoutent ensuite, pour passer au tarif de location, la prise en compte du WACC et de la prime de risque de location. SFR FTTH ne peut se borner à prétendre que cette marge, qu’elle a fixée elle-même, serait insuffisante sans le démontrer.

239. Bouygues Télécom fait valoir, en deuxième lieu, que l’appréciation du tarif de location au regard du tarif de cofinancement est justifié par le cadre réglementaire qui impose une cohérence entre le tarif de location et celui du cofinancement : il doit exister entre les deux tarifs un espace suffisant pour inciter les opérateurs à co-investir mais cet espace ne doit pas être excessif pour permettre un accès effectif sous forme locative.

240. Elle précise que le grief de SFR FTTH selon lequel l’ARCEP aurait violé le principe du contradictoire en appréciant le tarif de location par rapport au tarif de cofinancement est totalement infondé, dans la mesure où cette méthode d’appréciation, découlant du modèle de 2015, était au cœur des débats et le fait que SFR FTTH ait fondé ses espérances sur la méthodologie alternative ne l’a aucunement empêché de débattre sur l’application du modèle de 2015, ce qu’elle a d’ailleurs amplement fait.

241. Elle ajoute que SFR FTTH est mal fondée à reprocher à l’ARCEP de ne pas avoir apprécié dans l’absolu le caractère raisonnable de son tarif de location à partir de ses coûts dès lors qu’elle a refusé de produire et de justifier de la réalité de ses coûts.

242. L’Autorité répond, en premier lieu, que le passage des tarifs de cofinancement au tarif de location, via un calcul de valeur actualisée nette n’implique en rien un tarif orienté vers les coûts dès lors que les tarifs de cofinancement qui ont été injectés dans le modèle sont ceux de SFR FTTH, lesquels incluent nécessairement une marge commerciale, y compris le taux de rémunération du capital et la prime de risque.

243. Elle fait valoir en second lieu, que l’appréciation du caractère raisonnable du tarif de location au regard du tarif de cofinancement était dans le débat pour avoir été évoqué dans les écritures et par les rapporteurs dans leur questionnaire. Elle expose que le cadre réglementaire met clairement en exergue l’exigence d’une différence entre les niveaux des tarifs de cofinancement et ceux de location pour traduire l’échelle des investissements de sorte que l’appréciation du caractère raisonnable du tarif de location ne peut être fait indépendamment de celui du cofinancement. Elle souligne que la tarification de l’accès aux réseaux FttH est intrinsèquement liée à l’objectif d’incitation à l’investissement des opérateurs et que l’écart tarifaire doit être suffisant pour préserver une incitation au cofinancement tout en restant maîtrisé pour permettre à des opérateurs en location d’entrer sur le marché. Dans la décision attaquée, elle s’est attachée à s’assurer de la bonne cohérence tarifaire entre le cofinancement et la location. Elle ajoute que c’est bien en constatant que l’écart tarifaire entre le tarif de cofinancement et le tarif de location était excessif et, au contraire, que celui sous-jacent au tarif de location proposé par Bouygues Télécom était suffisant, que l’ARCEP a fait droit à la demande de Bouygues Télécom.

244. Le ministère public partage l’analyse de l’Autorité.

Sur ce, la Cour :

245. SFR FTTH ne peut utilement soutenir qu’en utilisant le modèle de 2015, l’Autorité lui a imposé un tarif orienté vers les coûts. En effet, l’Autorité a injecté dans ce modèle les tarifs de cofinancement de SFR FTTH avant la hausse, lesquels incluent une marge dont SFR FTTH échoue à établir qu’elle ne lui assure pas une rentabilité suffisante, faute de produire ses coûts.

246. L’Autorité a également appliqué à ces tarifs, d’une part, un taux de rendement du capital (WACC), notion qui renvoie, ainsi que le souligne SFR FTTH elle-même en page 129 de ses écritures, à la rentabilité attendue par les actionnaires en contrepartie de leur investissement, d’autre part, une prime qui vise à rémunérer le risque encouru par l’OI, deux éléments de rémunération qui sont de nature à écarter l’orientation des tarifs vers les coûts.

247. Le fait que la modélisation tarifaire cherche à fixer la valeur actualisée nette du projet à zéro n’est pas de nature à empêcher l’investisseur d’être rémunéré pour son investissement dès lors que la méthode des flux de trésorerie utilisée tient compte de l’actualisation du taux de rendement de capital et de la prime de risque.

248. Enfin, il convient de rappeler que ce modèle de 2015, ainsi que le souligne son document d’accompagnement, permet, à partir des tarifs de cofinancement, de déterminer le tarif de location assurant une rentabilité à un opérateur de gros fictif qui achèterait des tranches de cofinancement auprès de l’OI pour les revendre en location à la ligne aux opérateurs commerciaux sur un marché de gros secondaire. Ainsi, non seulement cette modélisation tend à assurer une rentabilité à celui qui propose l’accès au réseau en location, mais elle traite le tarif de cofinancement comme un coût pour l’OC de sorte que l’utilisation des propres tarifs de cofinancement de SFR FTTH en vue d’apprécier le caractère raisonnable de son tarif de location ne peut lui être défavorable. En intégrant un taux WACC et une prime de risque, cette modélisation s’écarte d’un système de tarification orienté vers les coûts.

249. Ensuite, aucune analyse basée sur ses coûts réels et justifiés n’étant versée aux débats par SFR FTTH, cette dernière échoue donc à établir que l’utilisation de ce modèle a conduit l’Autorité à lui imposer un tarif orienté vers les coûts la privant d’une rentabilité suffisante et d’une marge raisonnable.

250. En deuxième lieu, s’agissant de l’appréciation du niveau raisonnable du tarif de location au regard de celui de cofinancement, la Cour constate que ce point avait été mis dans le débat devant l’Autorité par Bouygues Télécom. En effet, ce dernier, aux points 13 et 14 de sa saisine soulignait que le caractère excessif du tarif de location à la ligne ne lui permettait pas de gravir l’échelle des investissements et, aux points 114 à 121 des observations complémentaires n° 2, faisait valoir que la modélisation alternative proposée par SFR FTTH faisait abstraction des tarifs de cofinancement et que, dès lors, elle « ne permettait pas de tenir compte de l’ensemble des conditions tarifaires de l’offre d’accès de l’OI modélisé, pourtant nécessaire pour apprécier le caractère raisonnable de ses tarifs » ni « d’assurer de la cohérence de l’ensemble des tarifs de l’offre de SFR FTTH correspondant à l’ensemble de ses modalités d’accès ». Il en déduisait que, ce faisant, cette modélisation « remettait en cause la cohérence souhaitée par l’ARCEP entre les tarifs de cofinancement et de location ». Les rapporteurs, dans leur questionnaire n° 2 adressé à SFR FTTH, rappelant les observations de Bouygues Télécom, ont demandé à SFR FTTH « d’expliciter comment il apprécie, dans le cadre de cette modélisation, la cohérence tarifaire entre son offre de cofinancement et son offre de location ».

251. Par ailleurs, il résulte du cadre réglementaire du déploiement des réseaux FttH en ZMD rappelé aux paragraphes 21 et suivants du présent arrêt que l’OI doit proposer un accès sous différentes formes, que sont le cofinancement et la location, à des conditions tarifaires qui traduisent différents niveaux dans l’échelle des investissements et permettent d’en gravir les échelons.

252. La montée dans l’échelle des investissements renvoie à l’accessibilité au marché via le premier barreau de cette échelle (la location) puis via le second barreau qu’est le cofinancement. Il convient à cet égard de rappeler que le cadre réglementaire issu de la décision de 2010 vise à inciter au co-investissement, le partage des coûts étant analysé comme un moyen de réduire les risques de pratiques anticoncurrentielles induites par les situations monopolistiques (p. 30 et 31 de la décision cadre de 2010).

253. Ainsi, comme le souligne la décision attaquée, l’écart tarifaire doit être suffisant pour préserver une incitation au cofinancement tout en restant maîtrisé pour permettre à des opérateurs en location d’entrer sur le marché. Un écart trop faible ne renverrait pas un signal positif pour l’investissement dans les réseaux FttH. À l’inverse, un écart trop important nuirait à l’accès des opérateurs commerciaux ayant recours à ce premier barreau de l’échelle des investissements et traduirait un tarif locatif déraisonnable. Une telle appréciation de l’écart tarifaire entre la location et le cofinancement renvoie à la capacité des OC à accéder tant au premier qu’au second.

254. C’est dès lors à juste titre que l’Autorité a considéré que le tarif de location devait être apprécié au regard de celui du cofinancement afin de vérifier que l’écart entre les deux traduise le principe de l’échelle des investissements, et partant le caractère raisonnable du tarif de location.

B.   Sur le caractère raisonnable du tarif de location

255. SFR FTTH fait valoir, en premier lieu, que ce tarif permet à Bouygues Télécom de développer des offres de détail compétitives. Elle verse un test de rentabilité fondé sur le tarif issu de la hausse qui démontre que ce tarif permet de réaliser une marge variable positive et ce, en zone SFMD. Elle reproche à l’Autorité de ne pas avoir elle-même analysé la capacité de Bouygues Télécom à proposer des offres au détail rentables.

256. Elle soutient, en deuxième lieu, que le caractère raisonnable du tarif de location doit être apprécié à la faveur d’une approche globale de l’offre d’accès, au regard de ses avantages et contreparties accordées aux OC locataires (durée des droits d’usage, coefficients ex post réduits pour les OC locataires migrant vers le cofinancement, encadrement du pouvoir de SFR FTTH de faire évoluer à la hausse ses tarifs par des clauses d’indexation).

257. En troisième lieu, elle fait valoir que le tarif de location issu de la hausse incite Bouygues Télécom à co-investir et que ce dernier dispose d’une base de clients en SFMD et des moyens financiers lui permettant de co-investir, serait-ce à hauteur de tranche de cofinancement de 5 % et ce comme le montre son engagement dans le projet dit « Asterix » dont l’objet est de co-investir sur le réseau FttH Orange en ZMD.

258. Elle ajoute que la décision attaquée conduit à une baisse drastique du tarif de location et à un resserrement important entre les tarifs de cofinancement et le tarif de location, ce qui incite les OC à privilégier la location plutôt que le cofinancement.

259. En quatrième lieu, elle expose, que le tarif de location issu de la hausse est raisonnable au regard du taux de rendement minimum qu’elle est en droit d’attendre et renvoie sur ce point à sa pièce n° 54 correspondant à une étude économique. Elle reproche à l’Autorité d’avoir écarté à tort sa modélisation alternative pour apprécier le caractère raisonnable de son tarif de location.

260. Enfin, elle affirme que le taux de la prime de risque à 11,8 % retenu par la décision attaquée n’est pas pertinent dès lors qu’il a été fixé en considération d’un taux de WACC inférieur au taux réel pertinent pour SFR FTTH, de tarifs de cofinancement avant la hausse qui ne sont pas raisonnables et sans considération des conditions réelles de déploiement de SFR FTTH. Elle ajoute que n’est pas non plus pertinente la comparaison entre cette prime et celle de 4 % retenue dans le modèle de 2015 comme paramètre standard, faute pour l’ARCEP de démontrer en quoi un taux de 4 % serait suffisant pour que les tarifs calculés avec celle-ci soient raisonnables. Elle ajoute encore que la comparaison avec les tarifs des autres OI ne peut être retenue pour les mêmes raisons que celles exposées pour le tarif de cofinancement. Pour les mêmes considérations, elle considère que le tarif de location imposé par la décision attaquée n’est pas raisonnable.

261. Bouygues Télécom répond, en premier lieu, que vérifier que l’OC peut, à partir de ces coûts, proposer une offre compétitive et rentable sur le marché de détail (de surcroit au niveau national), ne suffit pas pour conclure au caractère raisonnable du tarif de location dès lors qu’un opérateur peut très bien maintenir des tarifs excessifs au niveau de son offre de gros, comme de son offre de détail, sans imposer aucun ciseau tarifaire. De tels tarifs excessifs n’en sont pas moins préjudiciables à la concurrence et au consommateur, puisqu’il en résulte des tarifs de détail élevés. En outre, par cette pratique de coûts de gros élevés, l’opérateur de gros confisque une part indue de la marge de son concurrent, limitant ainsi sa capacité d’investissement. Bouygues Télécom souligne qu’en tout état de cause, elle ne pouvait pas répliquer rentablement les tarifs de SFR sur la ZMD contrôlée par SFR FTTH, sur la base du tarif de location imposé par cette dernière.

262. En deuxième lieu, elle soutient qu’il n’appartient pas à SFR FTTH de se faire juge de sa politique d’investissement mais d’offrir à tout opérateur des tarifs locatifs raisonnables.

263. En troisième lieu, elle fait valoir que les modalités d’accès au réseau SFR FTTH en co-investissement ne peuvent exonérer SFR FTTH de son obligation de proposer un accès locatif à des tarifs raisonnables et qu’en tout état de cause, l’Autorité montre dans ses dernières observations que les différents avantages mis en avant par SFR FTTH ne peuvent justifier l’écart entre ses tarifs.

264. En quatrième lieu, elle expose que l’étude économique versée aux débats par SFR FTTH cherche à tort à apprécier le caractère raisonnable du tarif locatif en faisant abstraction du niveau des tarifs de cofinancement, en méconnaissance du cadre réglementaire et de la situation concrète de SFR FTTH. Elle ajoute que cette étude économique ne s’appuie pas sur les coûts réels supportés par SFR FTTH mais sur des hypothèses fondées sur des données sans pertinence pour la situation d’espèce.

265. L’Autorité fait valoir que SFR FTTH échoue à établir que la hausse des tarifs de cofinancement était justifiée et, par ailleurs, elle ne produit aucun élément nouveau sur le taux de WACC et ses conditions réelles de déploiement, par rapport aux éléments examinés ci-dessus de sorte qu’elle ne peut sérieusement soutenir que les paramètres retenus par l’Autorité ne sont pas fondés et remettre en cause sur cette base la prime de risque calculée par l’Autorité. Elle ajoute que la prime de risque de cofinancement vise à rémunérer l’opérateur d’infrastructure « de l’ensemble des incertitudes relatives à la demande sur les marchés de gros et de détail, aux coûts de déploiement, au progrès technique et au contexte macroéconomique pesant sur l’économie du projet », et que la prime de risque de location, quant à elle, vise à rémunérer l’opérateur de gros fictif « des incertitudes relatives au taux de remplissage des tranches de cofinancement achetées ». Ainsi, contrairement à ce que prétend SFR FTTH, les primes de risque de location, sur lesquelles la comparaison avec les autres opérateurs d’infrastructure a porté, n’ont pas de lien direct évident avec le niveau de coûts supportés par les opérateurs d’infrastructure, les subventions dont ils bénéficient, leur WACC ou l’importance des risques qu’ils encourent. Elles n’apparaissent donc pas devoir varier substantiellement entre opérateurs d’infrastructure et SFR FTTH ne semble en rien dans une situation particulière à cet égard. Elle reprend, pour le surplus, les motifs de la décision attaquée.

266. Le ministère public partage l’analyse de l’Autorité.

Sur ce la Cour,

267. S’agissant en premier lieu, de l’utilisation par l’ARCEP du modèle de 2015, il convient de rappeler que l’appréciation du caractère raisonnable des tarifs d’accès au réseau FttH implique de vérifier que ces tarifs reposent sur des coûts clairs, opposables et pertinents. Comme il a déjà été indiqué, SFT FTTH a refusé de produire les données relatives à ses coûts de sorte qu’elle n’a pas permis à l’Autorité de remplir son office, et, notamment, de vérifier la pertinence des valeurs, hypothèses et estimations utilisées par SFR FTTH dans sa modélisation alternative aux fins d’établir le caractère raisonnable de son tarif de location. En particulier, le coût à la ligne fixé à 575 euros retenue dans cette méthode alternative ne s’appuie pas sur les coûts réels de déploiement supportés par SFR FTTH mais sur des estimations et des hypothèses, étant relevé en outre que le tarif de cofinancement de SFR FTTH s’élève à 520 euros après la hausse, et non à 575 euros.

268. En outre, ainsi qu’il a déjà été exposé, cette modélisation alternative repose uniquement sur les coûts sans considération des tarifs de cofinancement, de sorte qu’elle ne permet pas de vérifier que l’écart tarifaire entre le cofinancement et la location respecte le principe de l’échelle des investissements.

269. C’est donc à juste titre que l’Autorité a écarté cette modélisation alternative et a considéré que le modèle de 2015 constituait une référence pertinente pour apprécier le caractère raisonnable du tarif de location.

270. Par ailleurs, elle a utilisé, comme données d’entrée du second module de cette modélisation tarifaire, les tarifs de cofinancement pratiqués par SFR FTTH avant la hausse. SFR FTTH n’ayant pas établi que ces tarifs ne lui assuraient plus un rendement minimal, c’est donc vainement qu’il reproche à l’Autorité d’avoir improprement apprécié des paramètres tels que le taux de cofinancement, les coûts de génie civil et les coûts de maintenance ainsi que les coûts commerciaux et de structures, paramètres qui, au demeurant, dans le premier module, entrent dans la construction des tarifs de cofinancement et non directement de ceux de location.

271. S’agissant des autres paramètres, et en particulier du taux de pénétration, l’Autorité s’est référée au scénario de pénétration utilisé dans le modèle ayant servi à l’élaboration des lignes directrices tarifaires « Scénario DSL (2002-2013) » lequel est plus protecteur sur les premières années que celui invoqué par SFR FTTH, ce qui n’est pas contesté. S’agissant de l’hypothèse de taux de pénétration retenue par l’étude économique à laquelle SFR FTTH renvoie, celle-ci n’a pas transmis à l’Autorité, ni produit devant la Cour, les éléments ayant servi à la construction de cette hypothèse, de sorte que les griefs sur le taux de pénétration sont vains.

272. C’est également en vain que SFR FTTH reproche à l’Autorité de ne pas avoir retenu le rythme réel de déploiement de son réseau FttH dès lors qu’elle admet elle-même que ces données auraient un effet baissier sur le tarif litigieux.

273. C’est encore en vain que SFR FTTH critique l’application par l’ARCEP d’un taux de WACC de 9,5 % les deux premières années puis de 8,7 % et revendique l’application d’un taux à 9 % dès lors qu’elle indique elle-même dans son exposé des moyens que la valeur de 9 % est proche du taux de 8,7 % retenu par l’Autorité après les deux premières années du projet et admet que cette différence est « non significative sur les tarifs, toutes choses égales par ailleurs ». De même, l’étude économique produite par SFR FTTH indique « Au global, nous constatons que la valeur retenue par l’ARCEP est globalement en ligne avec la valeur retenue de 9 %, bien que légèrement inférieure. » (pièce n° 39, p. 15) et reconnaît elle-même que l’hypothèse retenue par l’Autorité est « pertinente [...] et raisonnable » (pièce n° 39, p. 26). Ainsi, SFR FTTH, tout en contestant l’hypothèse utilisée par l’ARCEP, reconnaît qu’elle est pertinente et raisonnable et que la différence avec sa propre hypothèse n’a pas d’impact significatif sur l’analyse menée par l’Autorité dans la décision attaquée. Il sera également constaté que l’Autorité n’a utilisé que les taux de WACC de 9,5 % puis de 8,7 %, taux régulés de 2015, et non ceux plus bas de 2018-2020. Enfin, ainsi que le souligne l’ARCEP dans ses observations, non critiquée par SFR FTTH dans son mémoire en réplique, pour revendiquer l’application d’un taux de 9 %, SFR FTTH se réfère aux estimations de l’ORECE, en calculant une moyenne des valeurs des WACC appliqués par les régulateurs européens au cours des 10 dernières années. Elle en déduit une moyenne sur 10 ans d’environ 8,9 % qu’elle arrondit à 9 %, ce en quoi elle commet une erreur matérielle dans son calcul car la moyenne des valeurs de ces WACC au cours des 10 dernières années est non de 8,9 % mais de 8,6 % (8,7 % sur 12 ans), soit en-dessous de la valeur de 8,7 % utilisée par la décision attaquée.

274. Enfin, s’agissant de la prime de risque de location de 11,8 %, paramètre financier permettant dans le modèle de 2015 d’apprécier l’espace économique entre les offres de cofinancement et de location, il convient de rappeler que l’Autorité, pour considérer ce niveau de taux excessif, s’est référée non seulement à la prime de 4 % retenue comme référence dans le modèle de 2015, mais également aux primes issues des tarifs d’autres OI déployant en ZMD. Or, comme le montre le tableau figurant en page 59 de la décision attaquée, les primes de risques de location appliquées par des OI déployant sur leurs fonds propres en ZMD et ayant vocation, comme SFR FTTH, à exploiter plusieurs centaines de milliers de lignes FttH, oscillent entre 3,4 % et 4,3 %, soit des valeurs proches de celle du modèle de 2015. En outre, ces primes de risque, telles qu’issues de modèle de 2015, ont été calculées à partir de tarifs de cofinancement de ces OI, lesquels tarifs sont très proches de ceux de SFR FTTH avant la hausse, comme le montre le tableau précité. Enfin, l’Autorité a relevé, ce point n’étant pas contesté, que les tarifs de location pratiqués par ces OI n’ont pas empêché la venue d’OC cofinanceurs. La comparaison de ces primes avec celle issue du tarif de location pratiqué par SFR FTTH est donc pertinente.

275. S’agissant, en second lieu, des éléments autres que purement tarifaires invoqués par SFR FTTH, et, en particulier, la compétitivité alléguée des offres de détail de Bouygues Télécom, cet élément n’est pas pertinent pour apprécier le caractère raisonnable du tarif de location de gros de SFR FTTH dès lors, ainsi que le souligne l’Autorité, que ces offres sont construites sur le plan national à partir de toutes les offres de gros des différents OI, quelle que soit la zone géographique de déploiement et qu’il est ainsi impossible de démontrer que le tarif de location est raisonnable par une simple analyse de la compétitivité des offres de détail. En outre, la compétitivité d’une offre de détail ne permet pas de vérifier la cohérence de l’écart tarifaire avec les tarifs de cofinancement, et partant le respect de l’échelle des investissements.

276. Au demeurant, les analyses que SFR FTTH verse aux débats sont fondées sur des données qui ne sont ni produites ni précisées, ainsi que sur l’évolution des parts de marché de Bouygues Télécom et ses résultats financiers, éléments qui ne permettent pas d’apprécier le caractère raisonnable des tarifs de gros de location pratiqués par SFR FTTH.

277. En outre, ainsi que le souligne l’Autorité dans la décision attaquée, le positionnement actuel ou futur de Bouygues Télécom sur sa stratégie d’investir ou non en cofinancement sur le réseau FttH en dehors des zones très denses est sans incidence sur l’obligation de SFR FTTH, en sa qualité d’OI sur ces zones, d’offrir un accès en location à des conditions raisonnables. Cette obligation ne dépend ni de la capacité de l’OC à investir ni de ses choix stratégiques ou commerciaux.

278. Quant aux conditions de l’offre d’accès, que sont la prorogation de la durée des droits jusqu’à 60 ans moyennant un euro symbolique, les clauses d’indexation et d’encadrement des évolutions tarifaires, ainsi que la réduction du coefficient ex post en faveur de l’OC locataire qui migre en cofinancement, SFR FTTH ne produit aucune modélisation incluant ces conditions contractuelles et permettant de mesurer leurs effets sur les tarifs, et partant sur l’écart tarifaire entre le cofinancement et la location. À titre surabondant, la Cour relève que ces conditions contractuelles ne concernent pas toutes les mêmes tarifs et n’ont pas le même impact sur l’écart tarifaire. Ainsi, la durée des droits d’usage est de nature à impacter le tarif de cofinancement et à réduire l’écart tarifaire, tandis que l’application d’un coefficient ex post est de nature à influer sur le tarif de location et augmenter l’écart tarifaire.

279. Enfin, il sera à nouveau constaté que SFR FTTH qui conclut au caractère déraisonnable du tarif de location retenu par l’Autorité, n’invoque aucune analyse basée sur ses coûts réels et justifiés mais se borne à renvoyer à l’étude économique produite devant l’ARCEP et actualisée devant la Cour, (pièce n° 54) laquelle ainsi qu’il a déjà été dit au paragraphe 204 ne s’appuie pas sur les coûts réels de SFR FTTH. Elle échoue donc à établir que le tarif de location retenu par la décision attaquée ne lui permet pas de lui assurer une rentabilité suffisante.

280. Les moyens sont rejetés.

VII.   SUR LA DATE D’EFFET DE LA DÉCISION ATTAQUÉE

281. Aux termes de l’article 2 de la décision attaquée, l’Autorité a décidé que SFR FTTH appliquera les tarifs de cofinancement et le tarif de location mentionnés à l’article 1 à compter du 1er février 2020 pour les premiers et du 3 janvier 2020 pour le second.

282. SFR FTTH soutient que les dates rétroactives imposées par l’article 2 sont injustifiées et disproportionnées. S’agissant des tarifs de cofinancement, elle expose que Bouygues Télécom ne co-investissait pas à la date de la décision attaquée. S’agissant du tarif de location, elle expose que le tarif avant la hausse était appliqué depuis 2012 sans jamais avoir été contesté et que son maintien entre le 3 janvier et le 31 janvier 2020 au niveau de 16,40 €, puis l’application du tarif de 16,73 € entre le 1er février et la date de la décision attaquée ne saurait constituer une barrière à l’entrée pour Bouygues Télécom dont l’intérêt pour la SFMD est tardif, ni entamer sérieusement sa capacité concurrentielle au vu de ses excellents résultats financiers. Elle invoque une précédente décision de l’ARCEP qui, réglant un différend portant sur les tarifs d’accès à un réseau FttH d’un autre OI, a considéré qu’il ne serait pas proportionné de conférer un effet rétroactif à sa décision.

283. Bouygues Télécom répond que même si elle ne cofinançait pas le réseau de SFR FTTH, les tarifs de cofinancement servent de base au tarif de location de sorte qu’il ne peut être admis de faire rétroagir le tarif de location et pas celui de cofinancement. Elle ajoute que les sommes issues de la régularisation du fait de la rétroactivité, sont loin d’être anecdotiques et ont été perçues par SFR FTTH alors qu’elles ne lui revenaient pas.

284. L’Autorité considère que les arguments invoqués par SFR FTTH sont inopérants à établir le caractère injustifié ou disproportionné des effets de la rétroactivité de la décision attaquée.

285. Le ministère public considère que le moyen doit être rejeté.

Sur ce, la Cour :

286. Aux termes de l’article L. 36-8 du CPCE, l’Autorité peut, à la demande de la partie qui la saisit, décider que sa décision produira effet à une date antérieure à sa saisine, sans toutefois que cette date puisse être antérieure à la date à laquelle la contestation a été formellement élevée par l’une des parties pour la première fois et, en tout état de cause, sans que cette date soit antérieure de plus de deux ans à sa saisine.

287. En l’espèce, l’Autorité a été saisie le 30 janvier 2020 d’un différend qui, pour partie, portait sur le tarif de location et était né au mois d’avril 2019, et pour partie, portait sur la hausse tarifaire que SFR FTTH comptait appliquer à compter du 1er février 2020 et était né au mois d’octobre 2019. Pour régler ce différend, l’Autorité a d’abord jugé que cette hausse était injustifiée, pour ensuite apprécier le niveau du tarif de location, au regard des tarifs de cofinancement pratiqués avant cette hausse, et enfin abaisser ce tarif à 13,20 euros par ligne/par mois.

288. Le contrat d’accès ayant été finalement signé avec réserves le 3 janvier 2020 par les parties, il était justifié et proportionné que l’Autorité décide que le tarif de location issu de sa décision s’applique entre les parties dès cette date.

289. Il était tout aussi justifié et proportionné qu’elle aménage les effets de sa décision dans le temps afin que l’ancienne grille tarifaire, s’agissant des tarifs de cofinancement, sur laquelle se fonde l’élaboration des tarifs de location, soit toujours en vigueur entre les parties à compter du 1er février 2020, date à laquelle SFR FTTH avait décidé de renouveler ses tarifications. La circonstance que Bouygues Télécom n’ait pas choisi d’investir en cofinancement, loin de conférer un caractère disproportionné ou inéquitable à l’effet rétroactif de la décision, est en tout état de cause sans incidence, puisque précisément, les nouveaux tarifs de cofinancement n’avaient pas été appliqués entre les parties.

290. C’est en vain que SFR FTTH invoque une précédente décision de règlement de différend où l’Autorité a choisi de ne pas user de son pouvoir d’aménager les effets de sa décision dans le temps dès lors que cette décision a réglé un différend d’une autre nature, dans un contexte différent et opposant des parties autres que celles de la présente espèce.

291. C’est en conséquence à juste titre et sans donner à sa décision une portée disproportionnée que l’Autorité, usant des pouvoirs que lui confère le texte précité, a prévu un rétablissement des « tarifs de cofinancement en vigueur avant le 1er février 2020 » « sans préjudice d’une éventuelle application dès 2020 du mécanisme d’indexation prévu au contrat d’accès » et l’application de la nouvelle grille tarifaire définie pour la location, à compter du 3 janvier 2020.

292. Le moyen est rejeté.

VIII.   SUR LES FRAIS IRRÉPÉTIBLES

293. SFR FTTH succombant en son recours, elle ne peut prétendre à l’allocation d’une indemnité au titre de ses frais irrépétibles et doit être condamnée à verser à Bouygues Télécom, à ce titre, une somme de 25 000 euros.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant publiquement :

DÉCLARE recevables le moyen d’annulation pris de la violation de l’article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et celui fondé sur l’illégalité du relevé de conclusion du 30 novembre 2020 ;

REJETTE le recours en annulation et réformation formé par la société SFR FTTH, devenue XPFibre, contre la décision n° 2020-1168-RDPI ;

REJETTE la demande de la société SFR FTTH, devenue XPFibre, fondée sur l’article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE la société SFR FTTH, devenue XPFibre à payer à la société Bouygues Télécom la somme de 25 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE la société SFR FTTH, devenue XPFibre aux dépens.