TUE, 1re ch., 14 octobre 2021, n° T-19/21
TRIBUNAL DE L'UNION EUROPÉENNE
Ordonnance
Rejet
PARTIES
Demandeur :
Amazon.com, Inc., établie à Wilmington, Delaware (États-Unis), Amazon Services Europe Sàrl, établie à Luxembourg (Luxembourg), Amazon EU Sàrl, établie à Luxembourg, Amazon Europe Core Sàrl, établie à Luxembourg, Amazon Europe Core Sàrl, établie à Luxembourg
Défendeur :
Commission européenne
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Kanninen
Juges :
M. Jaeger, Mme Półtorak
Avocats :
Me Komninos, Me Tantulli
LE TRIBUNAL (première chambre),
1 Les requérantes, Amazon.com, Inc., Amazon Services Europe Sàrl, Amazon EU Sàrl et Amazon Europe Core Sàrl (ci-après, prises ensemble, « Amazon »), font partie de l’entreprise Amazon. En particulier, Amazon est active sur Internet et effectue notamment des opérations de vente au détail en ligne et de fourniture de divers services en ligne.
2 Le 10 novembre 2020, la Commission européenne a adopté la décision C(2020) 7692 final, relative à l’ouverture de la procédure dans l’affaire AT.40703 Amazon – Buy Box (ci-après la « décision attaquée »).
3 De l’avis de la Commission, certaines pratiques commerciales d’Amazon pourraient favoriser artificiellement ses propres offres de vente au détail et les offres des vendeurs de sa place de marché qui utilisent les services logistiques et de livraison d’Amazon.
4 La Commission a estimé que, si elle était avérée, la pratique en cause était susceptible d’être contraire à l’article 102 TFUE.
5 Dans la décision attaquée, la Commission a affirmé que l’enquête allait couvrir l’ensemble de l’Espace économique européen (EEE), à l’exception de l’Italie, ce qu’elle a justifié, dans le communiqué de presse qui a accompagné l’adoption de ladite décision, par la circonstance que l’autorité de la concurrence italienne avait commencé à enquêter sur des problèmes partiellement similaires en avril 2019, en se concentrant sur le marché italien.
Procédure et conclusions des parties
6 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 19 janvier 2021, Amazon a introduit le présent recours.
7 Par acte séparé déposé le 19 janvier 2021, Amazon a introduit une demande de procédure accélérée au titre de l’article 152 du règlement de procédure du Tribunal. Par décision du 11 février 2021, le Tribunal a décidé de ne pas faire droit à cette demande.
8 Par acte séparé déposé au greffe du Tribunal le 29 mars 2021, la Commission a soulevé une exception d’irrecevabilité au titre de l’article 130 du règlement de procédure. Amazon a déposé ses observations sur cette exception le 14 mai 2021.
9 Par actes déposés au greffe du Tribunal, respectivement, le 21 et le 22 avril 2021, la République italienne et l’Autorità Garante della Concorrenza e del Mercato (Autorité garante du respect de la concurrence et des règles du marché, Italie) ont demandé à intervenir dans la présente procédure au soutien des conclusions de la Commission.
10 Par actes déposés au greffe du Tribunal le 21 avril 2021, la Chamber of Commerce of the United States of America (Chambre de commerce des États-Unis d’Amérique) et la Computer & Communications Industry Association ont demandé à intervenir dans la présente procédure au soutien des conclusions d’Amazon.
11 Dans la requête, Amazon conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
– annuler partiellement la décision attaquée, en ce qu’elle exclut l’Italie du champ d’application territorial de l’enquête ;
– condamner la Commission aux dépens.
12 Dans l’exception d’irrecevabilité, la Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
– rejeter le recours comme irrecevable ;
– condamner Amazon aux dépens.
13 Dans ses observations sur l’exception d’irrecevabilité, Amazon conclut à ce qu’il plaise au Tribunal de rejeter l’exception d’irrecevabilité.
En droit
14 À l’appui de l’exception d’irrecevabilité, la Commission soulève trois fins de non-recevoir, tirées, la première, de l’absence d’acte susceptible de faire l’objet d’un recours en annulation au titre de l’article 263 TFUE, la deuxième, de l’absence d’intérêt à agir d’Amazon et, la troisième, de l’impossibilité pour le Tribunal de procéder à l’annulation partielle de la décision attaquée et de lui enjoindre de modifier le périmètre géographique de l’enquête qu’elle a ouverte.
15 Les requérantes estiment notamment que les circonstances particulières de la présente affaire confèrent à la décision attaquée le caractère d’acte attaquable.
16 En vertu de l’article 130, paragraphes 1 et 7, du règlement de procédure, si le défendeur le demande, le Tribunal peut statuer sur l’irrecevabilité ou l’incompétence sans engager le débat au fond. En l’espèce, la Commission ayant demandé qu’il soit statué sur l’irrecevabilité, le Tribunal, s’estimant suffisamment éclairé par les pièces du dossier, décide de statuer sans poursuivre la procédure.
17 Il ressort d’une jurisprudence constante que sont considérées comme des actes attaquables au sens de l’article 263 TFUE toutes dispositions adoptées par les institutions de l’Union européenne, quelle qu’en soit la forme, qui visent à produire des effets de droit obligatoires. Ces effets de droit obligatoires doivent être appréciés au regard de la substance de cet acte et en fonction de critères objectifs, tels que le contenu de cet acte, en tenant compte, le cas échéant, du contexte de l’adoption de ce dernier, ainsi que des pouvoirs de l’institution qui en est l’auteur (voir, en ce sens, arrêts du 13 février 2014, Hongrie/Commission, C 31/13 P, EU:C:2014:70, points 54 et 55 et jurisprudence citée, et du 25 octobre 2017, Roumanie/Commission, C 599/15 P, EU:C:2017:801, points 47 et 48).
18 Ainsi, le recours en annulation n’est, en principe, ouvert qu’à l’encontre d’une mesure par laquelle l’institution concernée fixe, au terme d’une procédure administrative, définitivement sa position. Ne sauraient, en revanche, être qualifiés d’attaquables notamment des actes intermédiaires, dont l’objectif est de préparer la décision finale (arrêt du 19 janvier 2017, Commission/Total et Elf Aquitaine, C 351/15 P, EU:C:2017:27, point 37).
19 Dans ce contexte, si des mesures de nature purement préparatoire ne peuvent en tant que telles faire l’objet d’un recours en annulation, les illégalités éventuelles qui les entacheraient peuvent être invoquées à l’appui du recours dirigé contre l’acte définitif dont elles constituent un stade d’élaboration, ce qui garantit une protection juridictionnelle effective et complète (voir, en ce sens, arrêt du 11 novembre 1981, IBM/Commission, 60/81, EU:C:1981:264, point 12).
20 Or, les effets et la nature juridique de la décision attaquée, adoptée conformément à l’article 2, paragraphe 1, du règlement (CE) no 773/2004 de la Commission, du 7 avril 2004, relatif aux procédures mises en œuvre par la Commission en application des articles [101 et 102 TFUE] (JO 2004, L 123, p. 18), tel que modifié par le règlement (UE) 2015/1348 de la Commission, du 3 août 2015 (JO 2015, L 208, p. 3), doivent être appréciés à la lumière de la fonction de celle-ci dans le cadre de la procédure débouchant sur une décision en application du chapitre III du règlement (CE) no 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles [101 et 102 TFUE] (JO 2003, L 1, p. 1), tel que modifié par le règlement (CE) no 487/2009 du Conseil, du 25 mai 2009, concernant l’application de l’article 81, paragraphe 3, du traité à des catégories d’accords et de pratiques concertées dans le domaine des transports aériens (JO 2009, L 148, p. 1) (voir, en ce sens, arrêt du 11 novembre 1981, IBM/Commission, 60/81, EU:C:1981:264, point 13).
21 Cette procédure a été aménagée en vue de permettre aux entreprises concernées de faire connaître leur point de vue et d’éclairer au mieux la Commission avant qu’elle ne prenne une décision affectant leurs intérêts. Elle vise donc à créer, en faveur de celles ci, des garanties procédurales et, tel qu’il ressort de l’article 10 du règlement no 773/2004, à consacrer leur droit d’être entendues par la Commission (voir, en ce sens, arrêt du 11 novembre 1981, IBM/Commission, 60/81, EU:C:1981:264, point 14).
22 Or, un recours en annulation dirigé contre l’engagement d’une procédure d’application de l’article 102 TFUE pourrait obliger le juge de l’Union à porter une appréciation sur des questions sur lesquelles la Commission n’a pas encore eu l’occasion de se prononcer, et aurait ainsi pour conséquence une anticipation des débats au fond et une confusion des différentes phases des procédures administratives et judiciaires. Il serait donc incompatible avec les systèmes de répartition des compétences entre la Commission et le juge de l’Union et des voies de recours, prévus par le traité, ainsi qu’avec les exigences d’une bonne administration de la justice et d’un déroulement régulier de la procédure administrative de la Commission (voir, en ce sens, arrêt du 11 novembre 1981, IBM/Commission, 60/81, EU:C:1981:264, point 20).
23 Il s’ensuit que, selon la jurisprudence, un acte en vertu duquel la Commission ouvre une procédure d’application de l’article 102 TFUE ne produit, en principe, que les effets propres à un acte de procédure et n’affecte pas, en dehors de leur situation procédurale, la situation juridique des parties requérantes (voir, en ce sens, arrêt du 11 novembre 1981, IBM/Commission, 60/81, EU:C:1981:264, point 17, et ordonnance du 15 mars 2019, Silgan Closures et Silgan Holdings/Commission, T 410/18, EU:T:2019:166, point 19).
24 En l’espèce, il y a lieu toutefois de relever que les requérantes contestent uniquement la partie de la décision attaquée par laquelle la Commission procède à l’exclusion d’un État membre du périmètre géographique de la procédure qu’elle ouvre, et non la décision attaquée en tant que telle. Par conséquent, il importe de vérifier si, au regard des principes rappelés aux points 17 à 23 ci-dessus, cette partie de la décision attaquée se borne également à produire les effets propres à un acte de procédure.
25 Selon l’article 2, paragraphe 1, du règlement no 773/2004, la Commission peut décider d’ouvrir la procédure en vue d’adopter une décision en application du chapitre III du règlement no 1/2003 à tout moment, mais au plus tard à la date à laquelle elle émet une communication des griefs.
26 Ainsi, l’acte par lequel la Commission fait part à une entreprise de sa volonté d’ouvrir une procédure afin d’adopter une des décisions visées au chapitre III du règlement no 1/2003 doit préciser les violations présumées des articles 101 et 102 TFUE, commises par une ou plusieurs entreprises pendant une ou plusieurs périodes sur un ou plusieurs marchés de produits et un ou plusieurs marchés géographiques, sur lesquelles il porte (arrêt du 25 février 2021, Slovak Telekom, C 857/19, EU:C:2021:139, point 29).
27 Il s’ensuit que plusieurs indications doivent obligatoirement figurer au sein d’une décision de la Commission prise sur le fondement de l’article 2, paragraphe 1, du règlement no 773/2004, parmi lesquelles le ou les marchés géographiques sur lesquels l’enquête de la Commission va porter. Ainsi, la délimitation de ce périmètre géographique n’est qu’un des éléments obligatoires d’une décision d’ouvrir une procédure en vue d’adopter une des décisions visées au chapitre III du règlement no 1/2003.
28 Par conséquent, en décidant, en l’espèce, d’ouvrir une procédure en vue d’adopter une des décisions visées au chapitre III du règlement no 1/2003 qui ne concerne pas le territoire de l’Italie, la Commission s’est limitée à procéder à la délimitation du périmètre géographique de ladite procédure, telle que cela est requis d’une décision prise sur le fondement de l’article 2, paragraphe 1, du règlement no 773/2004.
29 Amazon relève cependant que certaines décisions d’ordre procédural peuvent produire des effets juridiques obligatoires et définitifs au sens de l’article 263 TFUE, tel qu’interprété par la jurisprudence.
30 D’une part, il s’agit des décisions qui, tout en constituant des étapes d’une procédure administrative en cours, ne se bornent pas à créer les conditions pour le déroulement ultérieur de celle-ci, mais produisent des effets dépassant le cadre procédural et modifient les droits et obligations des intéressés sur le plan substantiel. D’autre part, certaines décisions d’ordre procédural sont attaquables du fait qu’elles portent atteinte à des droits procéduraux (voir arrêt du 15 janvier 2003, Philip Morris International/Commission, T 377/00, T 379/00, T 380/00, T 260/01 et T 272/01, EU:T:2003:6, points 96, 97 et 99 et jurisprudence citée).
31 Toutefois, en l’espèce, l’exclusion de l’Italie du périmètre géographique de la procédure ouverte par la Commission à la suite de l’adoption de la décision attaquée ne modifie pas les droits et obligations d’Amazon sur le plan substantiel, ni ne porte atteinte à ses droits procéduraux.
32 En effet, d’une part, cette délimitation du périmètre géographique de l’enquête ouverte par la Commission a pour objectif de préparer la décision finale, et est à cet égard susceptible d’évoluer, dès lors qu’il demeure loisible à la Commission, au cours de la procédure administrative, de modifier le périmètre géographique de son enquête, en l’élargissant ou en le rétrécissant, pour l’adapter, le cas échéant, aux éléments qu’elle pourrait être amenée à découvrir.
33 Ce n’est que lorsque la Commission aura adopté une décision finale concernant la ou les violations présumées de l’article 102 TFUE à l’encontre d’Amazon et qu’il sera mis fin à la procédure en cause que la Commission se sera prononcée définitivement sur l’étendue géographique de l’infraction présumée.
34 D’autre part, en décidant, dans la décision attaquée, que le marché géographique sur lequel son enquête devait porter s’entendait comme étant l’ensemble de l’EEE à l’exclusion de l’Italie, la Commission a fait usage de son pouvoir discrétionnaire pour délimiter le périmètre géographique de son enquête, qui équivaut à dresser une liste d’États de laquelle serait absente l’Italie. Par conséquent, cette exclusion de l’Italie du périmètre de l’enquête ouverte par la Commission est une conséquence purement procédurale découlant de l’ouverture de cette enquête, de sorte qu’elle ne saurait transformer la décision attaquée en acte affectant la situation juridique d’Amazon et donc en acte attaquable.
35 La même conclusion doit être tirée s’agissant des allégations d’Amazon selon lesquelles la décision attaquée, d’une part, l’obligerait à se défendre contre deux autorités différentes, l’autorité de la concurrence italienne et la Commission, dans le respect de règles procédurales, de garanties et, de manière générale, de systèmes différents et, d’autre part, pourrait aboutir à une application divergente du droit de la concurrence de l’Union ainsi qu’à l’imposition de sanctions divergentes, pouvant porter atteinte à l’approche européenne uniforme de ses activités.
36 En effet, d’une part, la circonstance qu’Amazon doive se défendre devant deux autorités différentes n’emporte pas d’effets dépassant le cadre procédural et n’affecte donc pas sa situation juridique, à l’instar de ce qui a pu être jugé s’agissant des règles relatives à la prescription (voir, en ce sens, ordonnance du 15 mars 2019, Silgan Closures et Silgan Holdings/Commission, T 410/18, EU:T:2019:166, point 26). D’autre part, le risque de décisions incohérentes ou de sanctions divergentes, imposées le cas échéant à la fois par l’autorité de la concurrence italienne et par la Commission, ne serait pas la conséquence de la décision attaquée, mais serait une conséquence de ces procédures administratives ou des décisions finales subséquentes. Comme l’indique le point 19 ci-dessus, ce n’est qu’au terme des procédures ouvertes par la Commission et par l’autorité de la concurrence italienne qu’Amazon pourra invoquer les illégalités éventuelles entachant lesdites procédures ou les décisions prises à leur issue à l’appui d’un recours dirigé contre l’acte définitif.
37 En outre, il ressort de la jurisprudence qu’une décision d’ouverture de la procédure, au sens de l’article 2, paragraphe 1, du règlement no 773/2004, n’a pas pour effet de priver les destinataires de celle-ci de leurs droits procéduraux. Au contraire, cette procédure a été aménagée précisément en vue de permettre aux entreprises concernées de faire connaître leur point de vue et d’éclairer au mieux la Commission avant qu’elle ne prenne une décision affectant leurs intérêts (ordonnance du 29 janvier 2020, Silgan Closures et Silgan Holdings/Commission, C 418/19 P, non publiée, EU:C:2020:43, point 48). Elle vise donc à créer, en faveur de celles-ci, des garanties procédurales et, ainsi qu’il ressort du considérant 32 du règlement no 1/2003 et du considérant 10 du règlement no 773/2004, à consacrer le droit des entreprises d’être entendues par la Commission.
38 Il s’ensuit que la décision d’exclure l’Italie du périmètre de la procédure ouverte par la Commission à la suite de l’adoption de la décision attaquée ne produit que les effets propres à un acte de procédure et n’affecte pas, en dehors de sa situation procédurale, la situation juridique d’Amazon.
39 Cette conclusion n’est pas susceptible d’être remise en cause par les allégations d’Amazon, selon lesquelles la décision attaquée, bien que d’ordre procédural, produirait des effets juridiques et obligatoires, en ce que l’exclusion du territoire italien de son champ d’application aurait privé Amazon de la protection contre les procédures parallèles prévue à l’article 11, paragraphe 6, du règlement no 1/2003.
40 À cet égard, il ressort de la jurisprudence que, dès lors que, en application de l’article 11, paragraphe 6, première phrase, du règlement no 1/2003, la Commission ouvre une procédure contre une ou plusieurs entreprises en raison d’une violation présumée des articles 101 ou 102 TFUE, les autorités de concurrence des États membres sont dessaisies de leur compétence pour poursuivre les mêmes entreprises pour les mêmes conduites prétendument anticoncurrentielles, intervenues sur le ou les mêmes marchés géographiques et de produits au cours de la ou des mêmes périodes (arrêt du 25 février 2021, Slovak Telekom, C 857/19, EU:C:2021:139, point 30).
41 Ce dessaisissement des autorités nationales de concurrence se justifie par l’objectif poursuivi par le règlement no 1/2003, qui vise à assurer une application efficace des règles de concurrence de l’Union en habilitant les autorités de concurrence des États membres à appliquer ce droit en parallèle avec la Commission. Toutefois, l’application parallèle de ces règles ne peut se faire aux dépens des entreprises. Ainsi, le dessaisissement des autorités nationales de concurrence permet de prémunir les entreprises de poursuites parallèles de la part de ces autorités et de la Commission (voir, en ce sens, arrêt du 25 février 2021, Slovak Telekom, C 857/19, EU:C:2021:139, point 32 et jurisprudence citée).
42 Par ailleurs, en vertu de l’article 16, paragraphe 2, du règlement no 1/2003, lorsque les autorités de concurrence des États membres statuent sur des accords, des décisions ou des pratiques relevant des articles 101 ou 102 TFUE qui font déjà l’objet d’une décision de la Commission, elles ne peuvent prendre de décisions qui iraient à l’encontre de la décision adoptée par la Commission.
43 Or, la protection prévue par l’article 11, paragraphe 6, du règlement n° 1/2003 concerne l’hypothèse de deux procédures parallèles, dans le cas où la Commission décide d’ouvrir une procédure d’enquête, et non celle d’une demande d’ouverture d’une procédure sur un marché spécifique en vue de bénéficier de cette protection.
44 En toute hypothèse, il ressort de la jurisprudence citée au point 41 ci-dessus que l’objectif poursuivi par l’article 11, paragraphe 6, du règlement no 1/2003, qui énonce une règle de procédure (voir, en ce sens, arrêt du 14 février 2012, Toshiba Corporation e.a., C 17/10, EU:C:2012:72, point 70), est de prémunir les entreprises de poursuites parallèles de la part des autorités nationales de concurrence et de la Commission, en dessaisissant les premières de leur compétence pour appliquer les articles 101 et 102 TFUE au regard des faits faisant l’objet de la procédure ouverte par la Commission. Ce faisant, l’article 11, paragraphe 6, du règlement no 1/2003 a pour effet de mettre des entreprises à l’abri de poursuites parallèles de la part de ces différentes autorités (voir, en ce sens, ordonnance du 15 mars 2019, Silgan Closures et Silgan Holdings/Commission, T 410/18, EU:T:2019:166, point 20 et jurisprudence citée).
45 Cependant, cette mise à l’abri de poursuites parallèles prévue par la jurisprudence n’implique aucun droit, au bénéfice d’une entreprise, à voir une affaire traitée intégralement par la Commission. À cet égard, il convient de rappeler que, en vertu des articles 4 et 5 du règlement no 1/2003, la Commission et les autorités de concurrence des États membres disposent de compétences parallèles pour l’application des articles 101 et 102 TFUE et que l’économie du règlement no 1/2003 repose sur une étroite coopération entre celles-ci (voir arrêt du 17 décembre 2014, Si.mobil/Commission, T 201/11, EU:T:2014:1096, point 36 et jurisprudence citée).
46 Or, ni le règlement no 1/2003 ni la communication de la Commission relative à la coopération au sein du réseau des autorités de concurrence (JO 2004, C 101, p. 43) ne prévoient de règle de répartition des compétences entre la Commission et les autorités de concurrence des États membres.
47 À cet égard, le Tribunal a déjà jugé qu’il ne saurait être considéré que l’article 13, paragraphe 1, du règlement no 1/2003, qui permet à une autorité de concurrence de suspendre ou de clôturer une affaire au motif qu’une autre autorité traite ou a traité la même affaire, et que son considérant 18, dont il ressort que « l’objectif [est] que chaque affaire ne soit traitée que par une seule autorité », établissent un critère d’attribution ou de répartition des affaires ou des compétences entre la Commission et la ou les autorités nationales éventuellement concernées par l’affaire en cause (voir, en ce sens, arrêt du 17 décembre 2014, Si.mobil/Commission, T 201/11, EU:T:2014:1096, point 38).
48 Par ailleurs, s’agissant de la communication de la Commission relative à la coopération au sein du réseau des autorités de concurrence, son point 4 précise que les consultations et les échanges au sein du réseau sont une affaire entre autorités agissant dans l’intérêt public et son point 31 ajoute qu’elle ne confère pas aux entreprises impliquées un droit individuel à voir l’affaire traitée par une autorité donnée. Plus généralement, ni le règlement no 1/2003 ni ladite communication ne créent de droits ou d’attentes pour une entreprise en ce qui concerne le traitement de son affaire par une autorité de concurrence donnée (voir arrêt du 17 décembre 2014, Si.mobil/Commission, T 201/11, EU:T:2014:1096, point 39 et jurisprudence citée).
49 Il s’ensuit qu’Amazon n’est pas fondée à faire valoir qu’elle aurait été privée, par la partie contestée de la décision attaquée, de la protection prévue par l’article 11, paragraphe 6, du règlement no 1/2003, dans la mesure où cet effet protecteur n’implique pas que la Commission serait obligée d’ouvrir une procédure afin de priver les autorités nationales de concurrence de leur compétence pour appliquer les articles 101 et 102 TFUE.
50 En outre, à supposer que l’autorité de la concurrence italienne, en violation de la protection contre les procédures parallèles prévue par l’article 11, paragraphe 6, du règlement no 1/2003, mène une procédure concernant le même périmètre géographique et les mêmes violations présumées des règles de concurrence que celle ouverte par la Commission, Amazon serait toujours en mesure de contester cette circonstance devant les juridictions nationales en invoquant, en particulier, l’incompétence de ladite autorité. En supposant également que des irrégularités se produisent au cours de la procédure menée par la Commission, ces dernières pourraient, le cas échéant, être contestées dans le cadre du recours dirigé contre la décision finale de la Commission.
51 Il résulte des appréciations qui précèdent que la partie contestée de la décision attaquée, en ce qu’elle exclut l’Italie du champ d’application territorial de l’enquête, constitue un acte préparatoire ne produisant pas d’effets juridiques à l’égard d’Amazon au sens de l’article 263 TFUE, de sorte que l’exception d’irrecevabilité soulevée par la Commission doit être accueillie et que, partant, le recours doit être rejeté comme irrecevable, sans qu’il soit besoin d’examiner les deux autres fins de non-recevoir soulevées par la Commission.
52 Conformément à l’article 144, paragraphe 3, du règlement de procédure, lorsque le défendeur a déposé une exception d’irrecevabilité ou d’incompétence telle que visée à l’article 130, paragraphe 1, il n’est statué sur la demande d’intervention qu’après le rejet ou la jonction de l’exception au fond. En l’espèce, le recours étant rejeté comme irrecevable dans son ensemble, il n’y a pas lieu de statuer sur les demandes d’intervention visées aux points 9 et 10 ci-dessus.
Sur les dépens
53 Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Les requérantes ayant succombé, il y a lieu de les condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la Commission.
54 En outre, en application de l’article 144, paragraphe 10, du règlement de procédure, dans le cas où, comme en l’espèce, il est mis fin à l’instance dans l’affaire principale avant qu’il soit statué sur la demande d’intervention, le demandeur en intervention et les parties principales supportent chacun leurs propres dépens afférents à la demande d’intervention. Étant donné que les demandes d’intervention n’ont pas été notifiées aux requérantes et à la Commission et que, dès lors, celles-ci n’ont pas été mises en situation d’engager des dépens, il y a lieu de considérer que la République italienne, l’Autorité garante du respect de la concurrence et des règles du marché, la Chambre de commerce des États-Unis d’Amérique et la Computer & Communications Industry Association supporteront chacune leurs propres dépens à cet égard.
Par ces motifs,
LE TRIBUNAL (première chambre)
ordonne :
1) Le recours est rejeté.
2) Il n’y a pas lieu de statuer sur les demandes d’intervention de la République italienne, de l’Autorità Garante della Concorrenza e del Mercato (Autorité garante du respect de la concurrence et des règles du marché, Italie), de la Chamber of Commerce of the United States of America (Chambre de commerce des États-Unis d’Amérique) et de la Computer & Communications Industry Association.
3) Amazon.com, Inc., Amazon Services Europe Sàrl, Amazon EU Sàrl et Amazon Europe Core Sàrl supporteront, outre leurs propres dépens, les dépens exposés par la Commission européenne.
4) La République italienne, l’Autorité garante du respect de la concurrence et des règles du marché, la Chambre de commerce des États-Unis d’Amérique et la Computer & Communications Industry Association supporteront leurs propres dépens afférents aux demandes d’intervention.