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Décisions

Cass. 1re civ., 22 juin 1994, n° 92-13.833

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. de Bouillane de Lacoste

Rapporteur :

Mme Lescure

Avocat général :

M. Gaunet

Avocats :

SCP Boré et Xavier, Me Garaud

Poitiers, du 22 janv. 1992

22 janvier 1992

Attendu qu'en 1987, la société Arima a proposé à la commune de Saint-Denis-la-Chevasse de lui vendre un immeuble grevé de quatre hypothèques conventionnelles, au profit, les deux premières, du Crédit national, la troisième, de la Société de développement régional de l'Ouest (SODERO) et la quatrième, de la masse des porteurs d'obligations de la société venderesse, masse dont la SODERO était le représentant ; que la commune a accepté cette proposition exigeant néanmoins la mainlevée préalable des hypothèques ; que la SODERO a consenti à cette mainlevée sans paiement sous condition, d'une part, que la société Arima obtienne le même accord du Crédit national, d'autre part, que la mainlevée de l'hypothèque inscrite au profit de la masse des obligataires soit autorisée par l'assemblée générale extraordinaire ; que, le 25 septembre 1987, M. Y..., notaire, a établi l'acte de vente, lequel mentionnait : "les inscriptions d'hypothèques sont en cours de radiation , l'accord des organismes financiers ayant été obtenu" ; que, le 28 septembre suivant, cet officier public a transmis le prix à la société Arima ;

que, le 6 octobre 1987, la société venderesse a déposé son bilan ; qu'une procédure de redressement judiciaire a été ouverte, M. X... étant nommé représentant des créanciers et M. Z..., administrateur ; que la SODERO, agissant tant en son nom personnel que comme représentant de la masse des obligataires, a alors refusé de lever les inscriptions prises en troisième et quatrième rangs, faisant valoir que la décision de l'assemblée générale extraordinaire des obligataires était dépourvue de toute valeur juridique à défaut d'homologation judiciaire intervenue dans les délais prévus par l'article 316 de la loi n° 66-537 du 24 juillet 1966 ; que la commune a saisi le tribunal de grande instance, demandant, à titre principal, qu'injonction soit faite à la SODERO de faire procéder à la radiation des hypothèques prises tant à son profit qu'à celui de la masse des obligataires et sollicitant, à titre subsidiaire, la condamnation in solidum de la société Arima, de la SODERO et de M. Y... à lui payer la somme de un million de francs à titre de dommages-intérêts ;

Sur le premier moyen du pourvoi principal, pris en ses deux branches :

Attendu que M. Y... fait grief à l'arrêt attaqué de l'avoir condamné à payer des dommages-intérêts à la commune de Saint-Denis-la Chevasse, alors, selon le moyen, d'une part, que l'homologation judiciaire d'une décision de l'assemblée extraordinaire des obligataires n'est qu'une simple faculté destinée à protéger les obligataires minoritaires ; que cette homologation ne s'impose pas et n'est requise que sur demande expresse d'un obligataire ou du représentant de la masse ; qu'en déclarant que la décision de l'assemblée extraordinaire des obligataires était nulle, faute d'avoir été homologuée, la cour d'appel a violé l'article 316 de la loi du 24 juillet 1966 par fausse application ; et alors, d'autre part, qu'en toute hypothèse l'homologation judiciaire n'est pas requise lorsque le vote des obligataires s'est fait à l'unanimité ; qu'en l'espèce, la mainlevée de l'hypothèque a été votée à l'unanimité ; qu'en considérant, néanmoins, qu'une telle décision était nulle pour n'avoir pas été homologuée, la cour d'appel a violé le texte précité ;

Mais attendu que l'article 316 de la loi du 24 juillet 1966 prévoit, sans établir aucune distinction, que "les décisions de l'assemblée générale extraordinaire sont soumises à homologation judiciaire" et que l'article 237 du décret n° 67-236 du 23 mars 1967 dispose que "les représentants de la masse peuvent donner mainlevée des inscriptions, même sans constatation de remboursement de l'emprunt, s'ils ont été habilités à cet effet par une décision dûment homologuée de l'assemblée générale extraordinaire des obligataires" ; qu'à juste titre, la cour d'appel a, dès lors, décidé qu'il ne pouvait y avoir mainlevée régulière de l'hypothèque prise au profit de la masse des obligataires de la société Arima sans homologation de la décision de l'assemblée générale extraordinaire du 25 septembre 1985 ; qu'elle a ainsi légalement justifié sa décision ; d'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

Sur le deuxième moyen du même pourvoi, pris en ses deux branches, tel qu'il figure au mémoire en demande et est reproduit en annexe au présent arrêt :

Attendu que M. Y... n'a pas critiqué dans ses conclusions les motifs relatifs aux manquements à ses obligations professionnels sur lesquels les premiers juges avaient retenu sa responsabilité ; qu'il est irrecevable à le faire pour la première fois devant la Cour de Cassation ;

qu'il s'ensuit que le moyen ne peut donc être accueilli en aucune de ses branches ;

Sur le troisième moyen du même pourvoi, tel qu'il figure au mémoire en demande et est reproduit en annexe au présent arrêt et sur l'intervention de M. Y... en ce qu'il déclare s'associer aux deux moyens du pourvoi provoqué de la commune de Saint-Denis-la-Chevasse, reprochant à l'arrêt attaqué de l'avoir déboutée de ses demandes en dommages-intérêts contre la société Arima et la société SODERO :

Attendu, d'abord, qu'il ne résulte pas des conclusions produites que, pour s'exonérer de sa responsabilité, M. Y... ait soutenu devant les juges du fond que la faute qui lui était reprochée avait été provoquée par celle de la SODERO ; que le moyen est nouveau et mélangé de fait et de droit en sa première branche ;

Attendu, ensuite, que n'ayant sollicité un partage de responsabilité ni avec la société Arima, ni avec la SODERO, M. Y... est sans intérêts pour contester les motifs de l'arrêt relatifs à l'absence de faute de ces sociétés ;

D'où il suit qu'il est irrecevable en ses moyens ;

Et sur le quatrième moyen du même pourvoi, pris en ses deux branches :

Attendu qu'il est enfin reproché à l'arrêt attaqué d'avoir dit que le préjudice subi par la commune était constitué par les sommes que celle-ci devrait verser pour purger les hypothèques litigieuses et d'avoir, d'ores et déjà , condamné M. Y... à lui payer la somme de 20 000 francs en réparation de ce préjudice, alors que, selon le moyen, d'une part, le notaire n'est tenu à réparation que lorsqu'un lien causal existe entre la faute qui lui est reprochée et le préjudice allégué ; qu'en l'espèce, il n'est pas établi que la commune n'aurait pas acquis l'immeuble litigieux, même grevé des hypothèques dont il s'agit dans l'hypothèse où la radiation n'aurait pas été obtenue ; que le seul préjudice résultant de l'absence de radiation de ces hypothèques est la perte d'une chance d'acquérir un immeuble non grevé de charges ; qu'en condamnant le notaire à verser à la commune l'intégralité des sommes nécessaires pour la purge des hypothèques, alors que seul le préjudice résultant de la perte d'une chance pouvait être réparé, la cour d'appel a violé l'article 1382 du Code civil ; et alors, d'autre part, que seul le préjudice actuel et certain peut donner lieu à réparation ;

qu'en condamnant le notaire à verser à la commune l'intégralité des sommes nécessaires à la purge des hypothèques tandis que cette nécessité n'était pas apparue, aucune demande en ce sens n'ayant été faite par les créanciers, la cour d'appel a encore violé le texte précité ;

Mais attendu que la cour d'appel, qui a relevé que "le voeu évident" de la commune était d'acquérir un immeuble libre de toute hypothèque, a, dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation, estimé que le préjudice subi par cet acheteur était déterminé par le montant des sommes qu'il devrait verser aux créanciers inscrits à l'occasion des procédures de purge amiables ou judiciaires pouvant être engagées, et a, en outre, condamné M. Y... à payer une somme supplémentaire de 20 000 francs en réparation du préjudice résultant des désagréments subis par la commune ;

Qu'elle a ainsi justifié sa décision sans encourir les griefs du moyen ;

Sur le second moyen du pourvoi provoqué de la commune, pris en ses deux branches :

Attendu que la commune reproche à l'arrêt attaqué de l'avoir "déboutée" de sa demande en dommages-intérêts contre la société Arima, alors, selon le moyen, de première part, qu'elle avait soutenu avoir acquis l'immeuble en considération du fait que la société Arima, venderesse, avait déclaré ne pas être en cessation de paiement tandis qu'elle avait déposé son bilan quelques jours après la signature de l'acte de vente contenant cette déclaration ;

qu'en se bornant à affirmer le caractère exclusif des fautes retenues contre le notaire, sans examiner les griefs formulés à l'encontre de la société venderesse, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ; et, alors, de seconde part, qu'elle indiquait avoir produit au passif de la société Arima pour le montant en principal des sommes réclamées dans l'assignation, de sorte que le

motif, qui aurait déterminé les premiers juges à rejeter sa demande, ne pouvait légalement en justifier le débouté ; qu'en ne répondant pas à ces conclusions déterminantes, la cour d'appel a encore méconnu les prescriptions du texte précité ;

Mais attendu qu'aux termes de l'article 47 de la loi n° 85-98 du 25 janvier 1985, le jugement d'ouverture suspend ou interdit toute action en justice de la part de tous les créanciers dont la créance a son origine antérieurement audit jugement et tendant au paiement d'une somme d'argent ; que, selon l'article 48 de la même loi, les instances en cours sont suspendues jusqu'à ce que le créancier poursuivant ait procédé à la déclaration des créances ; que l'action en dommages-intérêts de la commune contre la société Arima, déclarée irrecevable sur le fondement de ces textes par le jugement confirmé sur ce point par l'arrêt attaqué, malgré une impropriété de terme, a été formée postérieurement aux jugement d'ouverture de la procédure collective de cette société ; que la cour d'appel n'avait, dès lors, pas à répondre aux conclusions invoquées, lesquelles n'étaient pas de nature à influer sur la solution du litige ; que le moyen ne peut être accueilli en aucune de ses branches ;

Mais sur le premier moyen du même pourvoi :

Vu l'article 316 de la loi n° 66-537 du 24 juillet 1966, alors applicable ;

Attendu qu'aux termes de ce texte, les décisions de l'assemblée générale extraordinaire sont soumises à homologation judiciaire sur demande, dans un délai d'un mois à compter de l'assemblée, de la société débitrice ou du représentant de la masse ou, à leur défaut et dans un nouveau délai d'un mois, de tout obligataire ;

Attendu que, pour décharger la SODERO de toute responsabilité à l'égard de la commune, la cour d'appel a énoncé que, même en sa qualité de représentant de la masse des obligataires, cette société était juridiquement irrecevable à solliciter l'homologation de la décision de l'assemblée extraordinaire des obligataires, cette demande ne pouvant être présentée que par la société débitrice ou le représentant de la masse des créanciers "en cas de procédure collective" ;

Attendu qu'en statuant ainsi, alors que la demande d'homologation peut être faite par le représentant de la masse des obligataires, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

Sur la demande formée par la commune de Saint-Denis-la-Chevasse au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile :

Attendu qu'en n'indiquant pas le montant de sa demande la commune ne met pas la Cour de Cassation en mesure de lui allouer une somme d'argent au titre de l'article précité ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi principal de M. Y... ;

Sur le pourvoi provoqué de la commune de Saint-Denis-la-Chevasse :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a débouté la commune de Saint-Denis-la-Chevasse de sa demande de dommages-intérêts contre la SODERO, l'arrêt rendu le 22 janvier 1992, entre les parties, par la cour d'appel de Poitiers ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Poitiers, autrement composée.