CA Versailles, 16e ch., 27 septembre 2007, n° 06/7848
VERSAILLES
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Worldcast (SA), UBS Capital BV (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Magueur
Conseillers :
Mme Brylinski, M. Boiffin
Avocats :
Me Berteaux, Me de la Cotardiere, Me Drai
FAITS ET PROCÉDURE
Vu l'appel interjeté par les sociétés WORLDCAST et UBS CAPITAL BV du jugement rendu le 6 octobre 2006 par le tribunal de grande instance de Nanterre qui a :
- prononcé la résiliation du contrat d'emprunt obligataire souscrit par Jean-Claude X..., le 28 mai 1999,
- condamné in solidum la société anonyme WORLDCAST et la société de droit hollandais UBS CAPITAL BV à verser à Jean-Claude X... la somme de 8.264.337,44 € avec intérêts au taux contractuel prévu au contrat d'emprunt obligataire litigieux à compter du 5 décembre 2005,
- ordonné la capitalisation des dits intérêts dans les termes et conditions de l'article 1154 du Code civil à compter du 5 décembre 2005,
- condamné la société WORLDCAST et la société UBS CAPITAL BV à verser à Jean-Claude X... la somme de 20.000 € sur le fondement de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile,
- ordonné l'exécution provisoire à raison du tiers des condamnations prononcées,
- condamné la société WORLDCAST et la société UBS CAPITAL BV aux dépens ;
Vu les dernières écritures signifiées le 7 juin 2007 par lesquelles la société WORLDCAST, poursuivant l'infirmation du jugement entrepris, demande à la Cour de débouter Jean-Claude X... de toutes ses prétentions, fins et conclusions et de le condamner à lui verser les sommes suivantes :
- 50.000 € à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive,
- 30.000 € sur le fondement de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile ainsi qu'aux dépens ;
Vu les dernières conclusions signifiées le 7 juin 2007 aux termes desquelles la société UBS CAPITAL BV sollicite de la Cour l'infirmation du jugement déféré, le rejet de l'ensemble des demandes formées par Jean-Claude X... et la condamnation de ce dernier à :
- lui restituer toutes sommes par elle versées à titre d'exécution provisoire ou consignées auprès de la Caisse des Dépôts et Consignations en exécution de l'ordonnance d'incident rendue le 27 février 2007 par le Conseiller de la mise en état,
- lui verser les sommes suivantes :
* 200.000 € à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive,
* 200.000 € sur le fondement de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile ainsi qu'aux dépens ;
Vu les dernières écritures signifiées le 30 mai 2007 par lesquelles Jean-Claude X... demande à la Cour de :
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il prononce la résiliation des contrats d'emprunts obligataires conclus le 28 mai 1999 et condamne solidairement la société WORLDCAST et la société UBS CAPITAL BV à lui rembourser les sommes capital et intérêts conventionnels courus depuis le 28 mai 1999,
- s'agissant des intérêts légaux et conventionnels, le rectifier et dire qu'il doit se lire comme suit :
* condamne in solidum la société anonyme WORLDCAST et la société de droit hollandais UBS CAPITAL BV à verser à Jean-Claude X... la somme de 8.264.337,44 € avec intérêts au taux contractuel prévu au contrat d'emprunt obligataire litigieux, majorés du taux légal à compter du 22 décembre 2003,
* ordonne la capitalisation des dits intérêts dans les termes et conditions de l'article 1154 du Code civil à compter du 22 décembre 2003,
- condamner solidairement la société WORLDCAST et la société UBS CAPITAL BV à lui payer :
* les intérêts conventionnels courus sur la somme de 2.754.783 € entre les 28 mai 1999 et le 5 décembre 2005, d'une part, entre le 6 octobre 2006 et le 17 janvier 2007, d'autre part, date de paiement partiel de l'exécution provisoire effectuée par les appelantes,
* les intérêts légaux courus sur la somme de 2.754.783 € entre le 22 décembre 2003 et le 5 décembre 2005, d'une part, entre le 6 octobre 2006 et le 17 janvier 2007, date de paiement partiel de l'exécution provisoire effectuée par les appelants, d'autre part,
* les intérêts conventionnels courus sur le solde du nominal, soit 5.509.567 € entre la date du 28 mai 1999 et la date de perception effective par Jean-Claude X... dudit solde à la suite de l'arrêt à intervenir,
* les intérêts légaux courus sur le solde du nominal, soit 5.509.567 €, entre la date du 22 décembre 2002 et la date de la perception effective par lui dudit solde à la suite de l'arrêt à intervenir,
- condamner solidairement les sociétés WORLDCAST et UBS CAPITAL BV à lui verser la somme de 100.000 € au titre de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile ainsi qu'aux dépens ;
SUR QUOI, LA COUR
Considérant que J.C. X... a, le 12 avril 1999, cédé sa participation d'environ 17 % dans le capital de la société Groupe Valfond SA, GVSA, leader européen dans le secteur de la fonderie automobile, ( dont 10,2 % détenue directement, 6,6 % à travers la société HEADSON INVESTMENTS devenue WORLDCAST) à la société UBS CAPITAL BV, qui s'est substituée deux autres sociétés, la société WORLDCAST et la société holding VALGROUP HOLD ;
Que cette acquisition s'est réalisée dans le cadre d'une opération dite de LBO, structure de financement dans laquelle une société holding, en l'espèce, la société WORLDCAST, acquiert les actions d'une société tierce, ici la société GVSA, dont elle finance le prix d'achat par une dette contractée auprès d'établissements prêteurs spécialisés dans ce type d'opérations, en l'espèce, la société Financière ESCH, l'objectif poursuivi étant de rembourser la dette d'acquisition au moyen des excédents de trésorerie dégagés par la société acquise ; que les dettes préexistantes de cette société ont fait l'objet d'un refinancement par les Banques Paribas et Warburg Dillon Aead ;
Que le jour de transfert de propriété des actions, le 28 mai 1999, J.C. X... a perçu la somme de 16.540.923, 71 €, le solde, soit 8.264.337,44€, devant être réglé par le remboursement d'un emprunt obligataire émis par la société WORLDCAST, souscrit le même jour par Jean-Claude X..., dont le terme était fixé au 28 novembre 2007 ;
Qu'il est stipulé à l'acte que le remboursement de l'emprunt est subordonné au paiement de la dette prioritaire constituée du prêt consenti par la société Financière ESCH et des dettes de refinancement de la société GVSA ;
Que reprochant aux sociétés UBS et WORLDCAST d'avoir, à la fin de l'année 1999, sans l'en informer, cédé certaines filiales de son pôle "décolletage", opérations selon lui de nature à entraîner le report du terme convenu de l'emprunt obligataire, J.C. X... les a assignées en résiliation judiciaire du crédit vendeur et paiement solidaire anticipé du solde du prix, devant le tribunal de grande instance de Nanterre, qui a rendu le jugement entrepris ;
- Sur la résiliation de l'emprunt obligataire
Considérant que le contrat émis par la société HEADSON Investments devenue WORLDCAST auquel a souscrit, le 28 mai 1999, Jean-Claude X..., est un emprunt obligataire subordonné non garanti de sorte que le remboursement des obligations est subordonné au remboursement de la dette dite prioritaire telle que définie à l'article 4.6 du contrat ;
Que l'article 4.4 prévoit qu'après que toutes sommes dues aux créanciers au titre de la dette prioritaire aient été payées, les souscripteurs seront subrogés dans les droits des créanciers pour recevoir tout paiement ou distribution en numéraire, actifs ou titres de l'émetteur jusqu'à ce que les obligations aient été intégralement payées ;
Que la date de remboursement des obligations est fixée au 28 novembre 2007 ;
Considérant que Jean-Claude X... reproche aux sociétés WORLDCAST et UBS CAPITAL d'avoir réalisé des cessions de filiales rentables, placé le Groupe sous mandat ad hoc en décembre 2001 et provoqué son démantèlement, opérations ayant un impact sur le terme convenu de l'emprunt obligataire, sans l'en informer, au mépris des dispositions des articles L.228-65-I-5o, L.228-88 et L.636-32 du Code de commerce protégeant les obligataires ;
Que les sociétés WORLDCAST et UBS CAPITAL répliquent que la réalisation des actifs est intervenue dans le cadre de la stricte application des dispositions de l'emprunt obligataire qui prévoit en son article 4-1 le droit pour l'émetteur et ses filiales de céder des actifs ou des titres notamment lorsqu'ils encourent une situation d'insolvabilité, qui peut naturellement avoir une incidence directe sur les capacités de remboursement de la dette obligataire ; que la société WORLDCAST ajoute que l'émetteur de l'emprunt obligataire n'est pas tenu à une obligation d'information et que Jean-Claude X... n'a pas exercé son droit en s'abstenant de participer pendant plus de quatre ans après la cession de ses participations aux assemblées générales de la société ; qu'elle fait valoir, en outre, que la cession des entités du pôle "décolletage" et de la société HALBERG GUSS n'avait aucun caractère frauduleux, celles-ci étant intervenues moyennant un prix équitable ; qu'elle invoque, enfin, le consensus entre les vendeurs et l'acquéreur sur les prévisions d'exploitation qui conditionnaient la viabilité de l'opération de LBO ;
Considérant qu'aux termes de l'article L.228-65-I du Code de commerce, l'assemblée générale (des obligataires) délibère sur toutes mesures ayant pour objet d'assurer la défense des obligataires et l'exécution du contrat d'emprunt ainsi que sur toute proposition tendant à la modification du contrat et notamment :
5o Sur toute proposition relative à... la modification des modalités d'amortissement ;
Considérant que la société WORLDCAST prétend à tort que les parties avaient expressément prévu un report du terme de l'emprunt pour faire face à une situation d'insolvabilité en autorisant la réalisation de certains actifs ; qu'en effet, si l'article 4.1 autorise l'émetteur, en cas de dissolution, de liquidation totale ou partielle ou de restructuration, volontaire ou involontaire, de faillite, de redressement ou de liquidation judiciaire, dénommée situation d'insolvabilité, à procéder au règlement de la dette prioritaire, par le biais de la réalisation de certains actifs, la mise en oeuvre de cette disposition contractuelle n'exclut pas la consultation de l'assemblée des obligataires dès lors qu'elle est susceptible d'entraîner une modification du contrat ;
Que Jean-Claude X... fait valoir pertinemment que la situation d'insolvabilité de l'émetteur ne modifie en rien les droits dévolus à l'assemblée générale d'obligataires alors que ceux-ci persistent au cas de redressement ou de liquidation judiciaire de la société, comme le prévoit l'article L.228-88 du Code de commerce ;
Considérant que la société WORLDCAST ne conteste pas que les cessions entreprises notamment celles de la société EURODEC en 1999 et de la société Halberg Guss en décembre 2000, effectuées dans le cadre d'une restructuration, pour échapper à une situation d'insolvabilité, rendaient aléatoire le respect de la date de remboursement initialement prévue ; que si la réalisation de ces actifs répondait à la nécessité pour le Groupe GVSA d'éviter l'exigibilité immédiate de la dette contractée envers la banque Paribas, comme le relève M. Maurice C..., expert financier, dans son rapport établi le 26 février 2007, il ressort de l'examen du bilan consolidé de la société WORLDCAST au 31 décembre 2005 et du rapport de gestion du conseil d'administration à l'assemblée générale du 29 juin 2006, qu'elles ont provoqué une baisse significative du chiffre d'affaires de sorte que ces opérations étaient susceptibles à la date de leur prise d'effet d'avoir un impact sur les modalités d'amortissement de l'emprunt, notamment sur le terme fixé ;
Qu'il s'ensuit que ces mesures devaient être soumises à l'assemblée générale des obligataires, comme prévu à l'article L.228-65-I sus-visé ;
Mais considérant que le non-respect de cette formalité par la société WORLDCAST ne caractérise pas une faute grave de nature à justifier la résiliation du contrat d'emprunt obligataire, au regard du rang de remboursement de l'obligation subordonnée ;
Considérant, en effet, qu'en vertu des dispositions de l'emprunt obligataire, le remboursement des obligations des souscripteurs est subordonné au paiement intégral de la dette dite prioritaire ; que cet emprunt est, comme l'indique l'intitulé, "non garanti" ;
Que l'article 4.5 stipule :
" Les souscripteurs s'engagent à s'abstenir de toute, et n'engager aucune, action de quelque nature que ce soit, judiciaire ou autre, qui soit de nature à faire échec aux dispositions du présent article 4 et, notamment mais non exclusivement, toute action ayant pour objet ou pour effet de leur attribuer un droit de préférence ou de priorité sur les Créanciers et la Dette Prioritaire" ;
Que la nécessité des mesures de restructuration prises à l'intérieur du Groupe GVSA doit s'apprécier au regard de la situation de crise grave qui affecte l'ensemble du secteur d'activité des équipementiers de l'industrie automobile ; que la situation d'insolvabilité du Groupe est confirmée par la lettre adressée le 18 août 1999 par la société PARIBAS lui signifiant l'exigibilité anticipée de ses concours bancaires pour non-respect des "Covenants" stipulés contractuellement ; qu'il ressort du rapport établi par M. Maurice C..., expert financier, le 14 mai 2007, dont les conclusions ne sont pas sérieusement contredites par l'intimé, que les cessions des sociétés EURODEC et HALBERG GUSS ont permis de diminuer l'endettement du Groupe GVSA et que si elles ont été insuffisantes pour rembourser la dette d'acquisition, elles n'ont pu avoir d'impact négatif sur la situation des obligataires subordonnés ; qu'il n'est pas démontré que les cessions d'actifs litigieuses ont été réalisées à des valeurs dérisoires, l'expert relevant que le prix payé est équitable ; que la société GVSA a fait l'objet d'une liquidation judiciaire, le 22 février 2007, alors que le terme de l'emprunt était fixé au 28 novembre 2007 ; qu'il n'est ni établi, ni même allégué que la dette prioritaire a été, à ce jour, remboursée intégralement ;
Qu'au surplus, en souscrivant cet emprunt, Jean-Claude X... a accepté le risque que les résultats du Groupe GVSA ne soient pas suffisants pour permettre le remboursement des obligations subordonnées ;
Qu'au regard de l'ensemble de ces éléments, il convient donc de rejeter la demande de Jean-Claude X... fondée sur les dispositions de l'article 1184 du Code civil tendant à voir prononcer la résolution, voire la résiliation du contrat d'emprunt obligataire ;
Considérant, en tout état de cause, que le préjudice de Jean-Claude X... consécutif au non-respect des dispositions de l'article L.228-65-I du Code de commerce ne pourrait s'analyser qu'en la perte d'une chance d'obtenir le remboursement de l'emprunt obligataire à son terme, après paiement de la dette prioritaire ;
- Sur la responsabilité de la société UBS CAPITAL BV
Considérant que, pour voir engager la responsabilité de la société UBS CAPITAL BV, Jean-Claude X... fait valoir que cette société contrôlait l'ensemble des décisions stratégiques ayant un impact sur l'opération de LBO et qu'elle en est le bénéficaire ultime ;
Mais considérant, d'une part, que Jean-Claude X... critique en vain l'économie de l'opération de LBO qui sous-tend le contrat d'emprunt obligataire alors qu'il ne conteste pas avoir participé aux négociations préalables, conseillé et assisté par un cabinet d'avocats spécialisés dans ces montages juridiques, et l'avoir ratifiée ;
Considérant, d'autre part, que sans rechercher si par l'effet des substitutions intervenues au profit de la société WORLDCAST et de la société VALGROUP HOLD, la société UBS CAPITAL était déliée de toute obligation envers Jean-Claude X..., il importe peu que celle-ci soit la bénéficiaire de cette opération dès lors que la faute justifiant la résiliation du contrat résulte du non respect de l'obligation de soumettre les mesures incriminées de cession et de mise sous administration à l'assemblée des obligataires ; que cette assemblée est convoquée, aux termes de l'article L.228-58 par le conseil d'adminstration, le directoire ou les gérants, par les représentants de la masse des obligataires ou par les liquidateurs pendant la période de liquidation ; que la société UBS CAPITAL BV ne saurait donc être tenue pour responsable de ce manquement ;
Que Jean-Claude X... ne rapporte pas davantage la preuve qui lui incombe, en l'absence d'éléments précis de nature à justifier du rôle de la société UBS CAPITAL dans les réalisations d'actifs, qu'elle s'est rendue complice de cette violation ;
Qu'il s'ensuit que la société UBS CAPITAL doit être mise hors de cause ;
- Sur les autres demandes
Considérant qu'il sera fait droit à la demande de restitution formée par la société UBS CAPITAL BV ;
Considérant que la société WORLDCAST et la société UBS CAPITAL ne rapportent pas la preuve de ce que la présente action a dégénéré en abus, de sorte qu'il n'y a pas lieu de faire droit à leur demande de dommages-intérêts ;
Considérant que les dispositions de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile doivent bénéficier aux appelantes, la somme de 30.000 € devant être allouée à chacune d'elles ;
Que Jean-Claude X... supportera l'ensemble des dépens ;
PAR CES MOTIFS
Infirme le jugement entrepris,
Déboute Jean-Claude X... de l'ensemble de ses demandes,
Met hors de cause la société UBS CAPITAL BV,
Ordonne la restitution à la société UBS CAPITAL BV des sommes par elle versées à Jean-Claude X... ou consignées par elle,
Dit n'y avoir lieu ni à dommages-intérêts pour procédure abusive,
Condamne Jean-Claude X... à payer à la société WORLDCAST et à la société UBS CAPITAL BV chacune la somme de 30.000 € sur le fondement de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile,
Condamne Jean-Claude X... aux entiers dépens qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du Nouveau code de procédure civile.
- arrêt prononcé par mise à disposition au greffe de la Cour, en application de l'article 450, deuxième alinéa, du nouveau code de procédure civile.