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Décisions

CA Poitiers, 2e ch. civ., 31 août 2021, n° 20/02244

POITIERS

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

FT COM (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Franco

Conseillers :

Mme Brieu, M. Chiron

TJ Poitiers, du 29 sept. 2020

29 septembre 2020

Par contrat en date du 11 juillet 2018, Madame Marianne C. a donné à bail à la société à responsabilité limitée FT Com un logement meublé situé [...], ce au prix mensuel de 400 euros outre une provision mensuelle de 150 euros au titre des charges et pour une durée de neuf mois à compter du 1er septembre suivant.

Par lettre recommandée en date du 29 mai 2019, Madame C. a invité la société FT Com à convenir d'un rendez-vous pour l'état des lieux de sortie afin de reprendre possession du logement.

Monsieur F., représentant de la société FT Com, a répondu le 18 juin suivant qu'il n'entendait pas quitter les lieux.

Sur assignation délivrée le 13 août 2019 par Madame C., le tribunal d'instance de Poitiers a, le 16 octobre 2019, principalement constaté que la société FT Com se maintenait dans les lieux sans droit ni titre depuis le 1er juin 2019 et, faute de départ volontaire, en a ordonné l'expulsion sous astreinte avec exécution provisoire.

Ce jugement a été signifié le 24 octobre suivant à la société FT Com, à laquelle il a également été signifié le même jour un commandement de quitter les lieux.

Le 19 mai 2020, Maître M., huissier de justice, a établi un procès-verbal de reprise des lieux qui a fait l'objet d'une contestation devant le juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Poitiers par assignation délivrée le 4 juin 2020 par Monsieur Ali F. et la société FT Com.

Par jugement prononcé le 29 septembre 2020, le juge de l'exécution a statué ainsi qu'il suit :

- déclare irrecevable l'action d'Ali F. ;

- constate la nullité du procès-verbal de reprise des lieux dressé le 19 mai 2020 à la demande de Marianne C. ;

- dit que, jusqu'à ce qu'elle ait été régulièrement expulsée ou ait volontairement libéré les lieux sis [...], la société FT Com n'est pas privée de les occuper ;

- rejette la demande de provision indemnitaire de la société FT Com ;

- condamne Marianne C. aux dépens et à payer à Ali F. 1.800 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Monsieur F. et la société FT Com ont relevé un appel limité de cette décision par déclaration au greffe du 15 octobre 2020.

Madame C. a formé un appel incident.

Par dernières conclusions communiquées le 13 novembre 2020 par voie électronique, Monsieur Ali F. et la société FT Com demandent à la cour de :

- réformer le jugement entrepris et statuant à nouveau,

Vu les agissements délictueux de Madame C.,

Vu les dommages causés aux véhicules de la société FT Com et de Monsieur F.,

Vu l'impossibilité pour la société FT Com et Monsieur F. de reprendre normalement leur activité industrielle,

Vu la plainte déposée auprès de la gendarmerie en date du 26 mai 2020,

- condamner à titre de provision Madame C. à une indemnité de 20.000 euros ;

- condamner Madame C. à une indemnité de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner Madame C. aux entiers dépens ;

- débouter Madame C. de toutes autres demandes, fins et conclusions.

Par dernières écritures communiquées le 11 décembre 2020 par voie électronique, Madame Marianne C. demande à la cour de :

- infirmer le jugement attaqué en ce qu'il a « constaté la nullité du procès-verbal de reprise des lieux dressé le 19.05.2020 à la demande de Madame C. » et en ce qu'il a condamné Madame C. au paiement de la somme de 1.800 euros au titre de l' article 700 du code de procédure civile ;

- confirmer le jugement attaqué en ce qu'il dit irrecevable Monsieur Ali F. en son action contre Madame Marianne C. ;

- confirmer le jugement attaqué en ce qu'il a rejeté la demande de provision indemnitaire de la société FT Com ;

Y statuant à nouveau,

- condamner Monsieur Ali F. à payer à Madame C. la somme de 3.600 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- débouter la société FT Com de toutes ses demandes, fins et conclusions ;

- condamner la société FT Com à payer à Madame C. la somme de 4.000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner la société FT Com et Monsieur Ali F. aux entiers dépens.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 9 mars 2021.

Pour plus ample exposé des faits, de la procédure, des prétentions et moyens des parties, il est, par application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, expressément renvoyé à la décision déférée et aux dernières conclusions écrites déposées.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

1. Sur la recevabilité de l'action de Monsieur F.

Madame C. soutient l'irrecevabilité de l'action de Monsieur F. en ce qu'il est dépourvu d'intérêt à agir contre elle puisqu'il n'a pas de lien de droit avec elle.

La cour relève à cet égard que le premier juge a expressément déclaré Monsieur F. irrecevable en son action ; or l'appel formé tant par celui-ci que par la société FT Com est ainsi libellé :

« Les appelants entendent interjeter appel limité du jugement du juge de l'exécution du 29 septembre 2020 rendu par le tribunal judiciaire de Poitiers, pour voir prononcer la réformation du jugement en ce qu'il :

- rejette la demande de provision indemnitaire de la SARL FT COM et de Monsieur F. contre Madame C. en réparation de la dégradation des matériels dont Madame C. s'est rendue coupable.»

Il apparaît donc que la cour n'est pas saisie de cette discussion puisque l'appel ne porte pas sur l'irrecevabilité de l'action de Monsieur F. dans le cadre du présent procès, irrecevabilité qui est donc définitive ; dès lors, il n'y a pas lieu d'examiner la fin de non-recevoir soutenue à ce titre par Madame C., qui n'est pas fondée sur le caractère définitif du chef dispositif du jugement déféré mais sur l'absence de lien de droit de Monsieur F. avec l'intimée.

2. Sur l'appel principal

La société FT Com fait grief au jugement déféré d'avoir rejeté sa demande de provision à valoir sur l'indemnisation de son préjudice et explique que Madame C. lui a volé du matériel et a endommagé deux camions en les faisant déplacer.

Madame C. lui oppose les termes de l'article L.213-6 du code de l'organisation judiciaire en vertu desquels :

« Le juge de l'exécution connaît, de manière exclusive, des difficultés relatives aux titres exécutoires et des contestations qui s'élèvent à l'occasion de l'exécution forcée, même si elles portent sur le fond du droit à moins qu'elles n'échappent à la compétence des juridictions de l'ordre judiciaire.

Dans les mêmes conditions, il autorise les mesures conservatoires et connaît des contestations relatives à leur mise en oeuvre.

Le juge de l'exécution connaît, sous la même réserve, de la procédure de saisie immobilière, des contestations qui s'élèvent à l'occasion de celle-ci et des demandes nées de cette procédure ou s'y rapportant directement, même si elles portent sur le fond du droit ainsi que de la procédure de distribution qui en découle.

Il connaît, sous la même réserve, des demandes en réparation fondées sur l'exécution ou l'inexécution dommageables des mesures d'exécution forcée ou des mesures conservatoires.

Il connaît de la saisie des rémunérations, à l'exception des demandes ou moyens de défense échappant à la compétence des juridictions de l'ordre judiciaire.

Le juge de l'exécution exerce également les compétences particulières qui lui sont dévolues par le code des procédures civiles d'exécution.»

L'intimée fait valoir que les dommages dont se plaint l'appelante, à supposer démontrée l'intervention de Madame C. dans leur réalisation, sont sans lien avec la procédure d'exécution discutée par la société FT Com.

La cour observe que la société FT Com excipe d'un vol et de dégradations dont elle affirme qu'ils ont été commis le 25 mai 2020, produisant au soutien de cette date le témoignage écrit de Monsieur Ali A..

Toutefois, le procès-verbal de reprise des lieux ici discuté a été établi le 19 mai 2020 par Maître M., de sorte que les dommages allégués sont sans lien avec la procédure d'exécution soumise au premier juge.

La cour confirmera donc le jugement déféré en ce qu'il a rejeté la demande en paiement présentée, sous forme d'une provision, par la société FT Com.

3. Sur l'appel incident

L'article 451-1 du code des procédures civiles d'exécution dispose :

« L'huissier de justice chargé de l'exécution de la mesure d'expulsion peut procéder comme il est dit à l' article L. 142-1 pour constater que la personne expulsée et les occupants de son chef ont volontairement libéré les locaux postérieurement à la signification du commandement prévu à l' article L. 411-1 et pour procéder à la reprise des lieux.»

L' article R.451-1 du même code indique :

« Pour l'application des dispositions de l' article L. 451-1,1'huissier de justice chargé de l'exécution procède aux opérations de reprise des lieux :

1° Lorsqu'il constate que la personne expulsée et les occupants de son chef ont volontairement libéré les lieux postérieurement à la signification du commandement prévu à l' article L. 411-1 ;

2° Lorsqu'il est autorisé par décision de justice passée en force de chose jugée à reprendre des locaux abandonnés, dans les conditions prévues par les articles 1er à 8 du décret n° 2011-945 du 10 août 2011 pris pour l'application de l'article 14-1 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 .»

En vertu de l' article R.451-2 du code des procédures civiles d'exécution, l'huissier de justice chargé de l'exécution dresse un procès-verbal des opérations de reprise des lieux dans les conditions prévues par l' article R. 432-1, lequel dispose :

« L'huissier de justice dresse un procès-verbal des opérations d'expulsion qui contient, à peine de nullité :

1° La description des opérations auxquelles il a été procédé et l'identité des personnes dont le concours a été nécessaire ;

2° La désignation de la juridiction compétente pour statuer sur les contestations relatives aux opérations d'expulsion.

Le procès-verbal est signé par toutes les personnes mentionnées au 1°. En cas de refus de signer, il en est fait mention.»

I.] Au visa de ces textes et des articles 114 et 649 du code de procédure civile relatifs aux conditions de la nullité des actes d'huissier, Madame C. fait grief au premier juge d'avoir prononcé la nullité du procès verbal de reprise établi le 19 mai 2020 par Maître M. et fait valoir que cet huissier a parfaitement respecté les obligations de forme imposées par ces textes.

La société FT Com lui oppose tout d'abord le fait qu'une reprise des lieux ne pouvait être réalisée pendant la période juridiquement protégée par effet de l'ordonnance n°2020-306 du 25 mars 2020 puisque les actes d'exécution et les expulsions ont été reportés au 10 juillet 2020, selon l'appelante.

A cet égard, la cour observe qu'il a été signifié le 24 octobre 2019 à la société FT Com, seule contractante de Madame C., un commandement de quitter les lieux dans un délai de huit jours et au plus tard le 1er novembre 2019.

Or l' article 1er alinéa I de l'ordonnance n°2020-306 précisent que les dispositions de cette ordonnance sont applicables aux délais et mesures qui ont expiré ou qui expirent entre le 12 mars 2020 et le 23 juin 2020 inclus.

Le délai imparti à l'appelante pour libérer le local donné à bail a donc expiré très antérieurement au commencement de la période juridiquement protégée.

Par ailleurs, le premier juge a considéré à tort qu'il ne pouvait être procédé à une reprise des lieux à compter du 1er novembre 2019, ce en considération de la trêve hivernale ; la cour rappelle en effet que les dispositions de l'article L.412-6 du code des procédures civiles d'exécution ne s'appliquent pas aux personnes morales.

Madame C. fait également grief au jugement déféré d'avoir retenu que les conditions de fond de la nullité du procès-verbal de reprise étaient réunies en ce que le logement était en réalité encore occupé.

L'appelante lui oppose le fait que Monsieur F., co-contractant de l'intimée, était confiné en région parisienne et ne pouvait donc occuper son logement.

La cour relève toutefois que seule la société FT Com était co-contractante de Madame C., de sorte que l'argument tiré de la présence dans les lieux de Monsieur F. à titre personnel est inopérant.

En conséquence, la cour infirmera le jugement déféré de ce chef et, statuant à nouveau, déboutera la société FT Com de sa demande de nullité du procès-verbal de reprise des lieux établi le 19 mai 2020 par Maître M..

La cour infirmera également le jugement déféré en ce qu'il a condamné Madame C. à payer les dépens et à verser à Monsieur F. une somme de 1.800 euros en indemnisation des frais irrépétibles de ce dernier. Statuant à nouveau de ces chefs et y ajoutant, la cour déboutera la société FT Com de sa demande au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et la condamnera à verser à Madame C. une somme de 2.000 euros en indemnité de procédure et à payer les dépens de première instance et d'appel.

PAR CES MOTIFS :

La cour, statuant publiquement par mise à disposition au greffe,

Dans les limites de l'appel,

Confirme le jugement prononcé le 29 septembre 2020 par le juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Poitiers en ce qu'il a débouté la société FT Com de sa demande en paiement d'une provision.

Infirme pour le surplus le jugement prononcé le 29 septembre 2020 par le juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Poitiers.

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Déboute la société FT Com de sa demande en nullité du procès-verbal de reprise en date du 19 mai 2020.

Déboute la société FT Com de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Condamne la société FT Com à payer à Madame Marianne C. une somme de 2.000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Condamne la société FT Com à payer les dépens de première instance et d'appel.