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Décisions

CSA, 5 juillet 2007, n° 2007-444

CONSEIL SUPÉRIEUR DE L'AUDIOVISUEL (DEVENU L'ARCOM)

Avis

un différend opposant les sociétés LCP-Assemblée nationale et TPS

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Boyon

CSA n° 2007-444

4 juillet 2007

Vu la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 modifiée relative à la liberté de communication, notamment son article 17-1 ;

Vu le décret n° 2006-1084 du 29 août 2006 pris pour l’application de l’article 17-1 de la loi du 30 septembre 1986 et relatif à la procédure de règlement des différends par le Conseil supérieur de l’audiovisuel ;

Vu le règlement intérieur du Conseil supérieur de l’audiovisuel ;

Vu la demande de règlement de différend, enregistrée le 12 octobre 2006, présentée par la société La Chaîne Parlementaire-Assemblée nationale (LCP-AN), dont le siège social est 106, rue de l’Université, 75007 Paris, représentée par Me François Stefanaggi ;

La société LCP-AN demande au conseil de regrouper, dans le plan de numérotation de TPS, les chaînes gratuites de la télévision numérique terrestre (TNT) dans une continuité logique et dans un bloc identifié ; Vu les observations en défense, enregistrées le 31 octobre 2006, présentées par la société TPS, dont le siège social est 145, quai de Stalingrad, 92130 Issy-les-Moulineaux, représentée par Me Olivier Sprung ;

La société TPS demande au conseil :

–   de déclarer la saisine irrecevable en ce que la société LCP-AN et ses programmes ne relèvent pas de l’autorité du conseil ;

–   de saisir le Conseil de la concurrence afin qu’il se prononce sur sa compétence et, dans cette attente, de suspendre la procédure ;

–   de déclarer irrecevable la demande formée par la société LCP-AN en ce qu’elle revêt un caractère normatif et général qui, s’il était fait droit à cette demande, aboutirait à une décision de nature réglementaire excédant la compétence du Conseil supérieur de l’audiovisuel ;

–   de rejeter la demande de la société LCP-AN comme non fondée en constatant l’absence de pratique discriminatoire susceptible d’être imputée à la société TPS ;

Vu les observations en réplique, enregistrées le 9 novembre 2006, présentées par la société LCP-AN ;

La société LCP-AN demande au conseil de déclarer la saisine recevable, et de dire qu’il n’y a pas lieu de saisir le Conseil de la concurrence et qu’il est compétent sur le fondement de l’article 17-1 de la loi du 30 septembre 1986 ;

A titre subsidiaire, au cas où le conseil considérerait que la question soulevée par la société LCP-AN dans sa saisine ne se limiterait pas à la numérotation de LCP-AN, mais serait une question de principe relative, notamment, à l’égalité de traitement ou à l’établissement de relations non discriminatoires entre éditeurs et distributeurs de services, la société LCP-AN sollicite qu’il se saisisse de cette question, sur le fondement de l’article 3-1 de la loi du 30 septembre 1986, afin qu’il établisse une recommandation ;

Vu les nouvelles observations, enregistrées le 16 novembre 2006, présentées par la société TPS et tendant aux mêmes fins ;

Vu la décision du directeur général du Conseil supérieur de l’audiovisuel de nommer M. Bernard Celli rapporteur et M. Aurélien Louis rapporteur adjoint ;

Vu la décision du Conseil supérieur de l’audiovisuel du 24 octobre 2006 relative à l’extension du délai dans le cadre du différend opposant les sociétés LCP-AN et TPS ;

Vu le courrier du Conseil supérieur de l’audiovisuel en date du 16 novembre 2006 transmettant un questionnaire aux parties ;

Vu le procès-verbal de l’audition du 30 novembre 2006 de tiers intéressés aux demandes de règlements de différends concernant la numérotation dont le Conseil supérieur de l’audiovisuel a été saisi sur le fondement de l’article 17-1 de la loi du 30 septembre 1986 ;

Vu la réponse au questionnaire adressée au Conseil supérieur de l’audiovisuel par la société LCP-AN le 12 décembre 2006 ;

Vu la saisine du Conseil de la concurrence par le Conseil supérieur de l’audiovisuel en date du 19 décembre 2006 ;

Vu la décision du Conseil supérieur de l’audiovisuel du 6 février 2007 relative à l’association au litige de la société TPS Star ;

Vu le courrier du Conseil de la concurrence en date du 20 février 2007 ;

Vu le courrier du Conseil supérieur de l’audiovisuel en date du 15 mars 2007 convoquant les parties à une audience le 5 avril 2007 ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Après avoir entendu le 5 avril 2007, lors de l’audience devant le collège :

–   le rapport de M. Bernard Celli, rapporteur, présentant les conclusions et les moyens des parties ;

–   les observations de M. Richard Michel et de Me François Stefanaggi, pour la société LCP-AN ;

–   les observations de M. Frédéric Mion et de Me Olivier Sprung, pour la société TPS ;

Les sociétés LCP-AN et TPS ayant fait connaître leur volonté de ne pas s’opposer au caractère public de l’audience, celle-ci s’est déroulée publiquement, conformément à l’article 33 du règlement intérieur du conseil ;

Le Conseil supérieur de l’audiovisuel en ayant délibéré le 5 juin 2007, en la seule présence du secrétaire du collège.

I. − Sur la recevabilité de la demande de la société LCP-AN

Si l’article 45-2 de la loi du 30 septembre 1986 dispose que la chaîne LCP-AN ne relève pas de l’autorité du conseil, cette chaîne est soumise aux dispositions de cette loi.

L’article 42-15 de la même loi prévoit que la méconnaissance d’une décision de règlement de différend est passible de sanctions pécuniaires. Ainsi, selon la société, le conseil pourrait imposer à un distributeur une décision qu’il aurait prise dans le cadre d’un règlement de différend l’opposant à la chaîne LCP-AN, mais, à l’inverse, ne pourrait pas imposer à celle-ci une décision faisant suite à la saisine d’un distributeur car la chaîne ne relève pas de l’autorité du conseil.

En l’absence de disposition excluant la compétence du conseil en la matière, la seule question de recevabilité est celle de la compétence du conseil à l’égard de l’opérateur mis en cause, et non à l’égard de l’opérateur le saisissant. En effet, il importe que le conseil soit en mesure d’imposer à l’opérateur mis en cause, le cas échéant, l’exécution de sa décision.

Le conseil considère donc que la société LCP-AN peut le saisir sur le fondement des dispositions de l’article 17-1 de la loi du 30 septembre 1986.

Par ailleurs, la société LCP-AN ne justifiant d’aucune qualité à agir pour le compte de l’ensemble des chaînes gratuites de la TNT, le conseil considère que la demande de la société LCP-AN ne vise qu’à obtenir le numéro 13 dans le plan de services de la société TPS. Etant donné que cette demande vise à ce que le conseil précise les conditions permettant de garantir que l’offre de programmes de la chaîne LCP-AN soit mise à la disposition du public dans des conditions non discriminatoires, ces conclusions, en tant qu’elles relèvent du champ d’application des dispositions de l’alinéa 2 de l’article 17-1 de la loi du 30 septembre 1986, sont recevables.

Enfin, le conseil ne peut donner suite à la demande subsidiaire visant à l’adoption d’une recommandation sur le fondement de l’article 3-1 de la loi du 30 septembre 1986, sur le fondement de l’article 17-1, dans la mesure où elle ne relève pas de la procédure de règlement des différends.

II. − Sur la saisine du Conseil de la concurrence

Le conseil, réuni en assemblée plénière le 19 décembre 2006, a décidé de saisir le Conseil de la concurrence, sur le fondement de l’article 17-1 de la loi du 30 septembre 1986, de la présente demande de règlement de différend.

Par courrier en date du 20 février 2007, le Conseil de la concurrence a fait savoir au Conseil supérieur de l’audiovisuel qu’il avait décidé « de ne pas se saisir d’office de la situation créée par les pratiques de numérotation des chaînes sur le marché de la distribution des chaînes de télévision ». Il estime que les litiges portés devant le Conseil supérieur de l’audiovisuel soulèvent en réalité un problème de principe sur le mode d’exposition des chaînes par les distributeurs et appellent une réponse générale sur le choix d’une organisation de la numérotation qui soit conforme aux règles prévues par la loi du 30 septembre 1986 et tienne compte de la nécessaire préservation des équilibres du secteur audiovisuel dans son ensemble.

Le conseil de la concurrence ajoute : « L’autorité de concurrence peut constater et sanctionner, au cas par cas, d’éventuelles pratiques de discrimination de la part d’opérateurs dominants. Elle peut aussi recueillir de leur part des engagements susceptibles de répondre à ses préoccupations de concurrence et clore l’affaire après avoir rendu obligatoires de tels engagements. Mais elle ne peut apporter, par la voie contentieuse ou négociée, de réponse satisfaisante à la question de principe évoquée plus haut, qui relève au premier chef de la compétence du régulateur spécialisé qu’est le Conseil supérieur de l’audiovisuel. »

III. − Sur le bien-fondé de la demande de la société LCP-AN

III-1. Sur la discrimination alléguée par la société LCP-AN

La société LCP-AN estime qu’elle serait victime d’une discrimination vis-à-vis des chaînes gratuites dites « historiques » qui disposent, dans le plan de services de TPS, du numéro dont elles bénéficient pour leur diffusion hertzienne analogique.

Le conseil relève que, même si les dispositions du III de l’article 30-1 de la loi du 30 septembre 1986 permettent de favoriser les chaînes gratuites de la TNT, elles n’ont à s’appliquer que lorsqu’elles s’inscrivent dans le cadre d’un appel à candidatures.

Ensuite, au regard de la jurisprudence du Conseil Constitutionnel et du Conseil d’Etat, une différence objective de situation permet de justifier une différence de traitement, dès lors que celle-ci est en rapport avec l’objet de la décision qui l’établit.

En l’espèce, il apparaît que les chaînes diffusées en mode analogique sur l’ensemble du territoire métropolitain préalablement à leur diffusion en mode numérique, dites « historiques », sont dans une situation différente des autres chaînes gratuites de la TNT, pouvant justifier une différence de traitement du point de vue de la numérotation par les distributeurs de services.

Ainsi, sur le plan économique, plusieurs éléments montrent l’existence d’une différence objective de situation, dans la mesure où les chaînes « historiques » représentent environ 75 % d’audience cumulée sur la TNT et où elles appartiennent à des univers concurrentiels différents.

En effet, même si le modèle économique de ces deux catégories de chaînes repose sur l’accès au marché publicitaire, les espaces publicitaires commercialisés par les chaînes « historiques » n’apparaissent pas substituables à ceux qui sont commercialisés par les nouvelles chaînes de la TNT. Au regard des différences dans le tarif pratiqué au même horaire, les espaces publicitaires des chaînes « historiques » et des autres chaînes gratuites de la TNT correspondent à des besoins différents des annonceurs. Cela se traduit notamment par des chiffres d’affaires très différents, dans un rapport de 1 à plus de 100.

Partant du constat qu’il existe des éléments de fait qui distinguent les chaînes « historiques » des autres chaînes de télévision, tels que l’antériorité, la reconnaissance de leur identité éditoriale par le public ou l’expérience acquise dans le domaine audiovisuel, le législateur a tenu compte de cette différence de situation en permettant qu’elles bénéficient, seules, d’un traitement particulier. Il impose ainsi au conseil d’autoriser la reprise intégrale et simultanée en mode numérique des chaînes « historiques » dont les programmes sont diffusés en mode analogique. De même, il reconnaît aux seules chaînes « historiques » le bénéfice d’un « canal bonus » pour un second service en mode numérique.

Les critères d’audience, de continuité d’occupation du numéro et d’appartenance à un univers concurrentiel particulier peuvent justifier une différence de traitement du point de vue de la numérotation. Le conseil estime donc qu’il y a adéquation entre l’objet de la discrimination et la différence de situation.

III-2. Sur l’intérêt des téléspectateurs à disposer des numéros logiques attribués aux chaînes de la TNT

La société LCP-AN estime que la numérotation logique attribuée par le CSA aux chaînes de la TNT serait conforme à l’intérêt des téléspectateurs.

Le conseil considère que l’organisation des plans de services des distributeurs peut être fondée soit sur la numérotation logique qu’il a attribuée aux chaînes de la TNT, soit sur une numérotation par thématiques. L’organisation des plans de services par thématiques est étroitement liée au développement de la distribution de la télévision. Le conseil reconnaît la pertinence d’un classement par thématiques depuis plusieurs années. En outre, depuis les débuts du développement des plates-formes de télévision payante, les distributeurs ont plutôt organisé leurs plans de services selon un classement par thématiques, afin de mieux répondre à la demande des téléspectateurs qui semblent déterminer leur choix de programme avant tout par rapport à une thématique donnée.

Cette analyse est confirmée par celle des autorités de concurrence aux niveaux national et européen. Ainsi, la Commission européenne a pu identifier, notamment dans la décision du 14 août 2002 Sogecable/DISTRISAT Digital/Via Digital, l’existence des marchés spécifiques des chaînes de cinéma et de sport. De même, le Conseil de la concurrence a identifié un marché spécifique de la thématique information dans sa décision no 03-D-59 du 9 décembre 2003 ; cette délimitation a été effectuée, notamment au regard des habitudes de consommation des téléspectateurs.

Dans ces conditions, le conseil estime que l’organisation par thématiques des plans de services est dans l’intérêt des téléspectateurs.

En outre, dans sa recommandation du 6 décembre 2005, le conseil a posé des éléments de principe en matière de numérotation, et notamment indiqué que « la numérotation des chaînes de la TNT doit concilier deux objectifs principaux : l’équité entre les chaînes et la satisfaction des téléspectateurs, notamment en ne perturbant pas leurs habitudes ». Dans la mesure où les conditions qui prévalaient alors n’ont pas sensiblement évolué, le conseil considère que les principes exposés pour la TNT peuvent être étendus à l’ensemble des vecteurs de distribution de la télévision payante et des chaînes quel que soit leur modèle économique, et notamment que les chaînes soient gratuites ou payantes.

Par ailleurs, selon l’article 3-1 de la loi du 30 septembre 1986 dans sa rédaction qui résulte de la loi du 5 mars 2007, le Conseil supérieur de l’audiovisuel « veille au caractère équitable, transparent, homogène et non discriminatoire de la numérotation des services de télévision dans les offres de programmes des distributeurs de services ». A cet égard, l’organisation des plans de services par thématiques, en présentant de manière contiguë des chaînes proposant des programmes similaires, permet le développement d’une concurrence loyale entre les éditeurs.

En conséquence, le conseil estime que l’organisation par thématiques est à même d’assurer, outre l’intérêt des téléspectateurs, la réalisation de l’objectif d’équité entre les chaînes. Or diverses thématiques figurent parmi les chaînes gratuites de la TNT, notamment généralistes, jeunesse, information. Imposer ces chaînes dans les dix-huit premiers numéros romprait le principe de l’organisation par thématiques.

Ainsi, l’argumentation tirée par la société LCP-AN de ce que la numérotation attribuée par le CSA aux chaînes sur la TNT serait la seule admissible dans l’intérêt des téléspectateurs doit être écartée.

De tout ce qui précède, il résulte que la demande présentée par la société LCP-AN doit être rejetée.

Décide :

Art. 1er. − La demande de règlement de différend présentée par la société LCP-AN est rejetée.

Art. 2. − La présente décision sera notifiée aux sociétés LCP-AN et TPS et publiée au Journal officiel de la République française.

Délibéré le 5 juin 2007 en présence de M. Michel Boyon, président, Mme Elisabeth Flüry-Hérard, M. Christian Dutoit, Mme Agnès Vincent-Deray, Mme Marie-Laure Denis, Mme Sylvie Genevoix, Mme Michèle Reiser, M. Alain Méar et M. Rachid Arhab, ainsi que de Mme Elisabeth Mauboussin, secrétaire du collège.