CSA, 5 juin 2007, n° 2007-446
CONSEIL SUPÉRIEUR DE L'AUDIOVISUEL (DEVENU L'ARCOM)
Avis
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Boyon
Vu la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 modifiée relative à la liberté de communication, notamment son article 17-1 ;
Vu le décret n° 2006-1084 du 29 août 2006 pris pour l’application de l’article 17-1 de la loi du 30 septembre 1986 et relatif à la procédure de règlement des différends par le Conseil supérieur de l’audiovisuel ;
Vu le règlement intérieur du Conseil supérieur de l’audiovisuel ;
Vu la demande de règlement de différend, enregistrée le 18 octobre 2006, présentée par la société France 4, dont le siège social est 7, esplanade Henri-de-France, 75015 Paris ;
La société France 4 demande au conseil d’enjoindre à la société TPS :
– de lui attribuer le numéro 14 dans son offre de services, alors qu’elle occupe le numéro 30 ;
– de regrouper, dans l’intérêt du téléspectateur, les chaînes gratuites de la télévision numérique terrestre(TNT) dans une organisation identifiable, logique, cohérente et équitable, qui reposerait sur une numérotation de 1 à 18 ;
Vu les observations en défense, enregistrées le 7 novembre 2006, présentées par la société TPS, dont le siège social est 145, quai de Stalingrad, 92130 Issy-les-Moulineaux, représentée par Me Olivier Sprung ;
La société TPS demande au conseil :
– à titre principal : de saisir le Conseil de la concurrence, afin qu’il se prononce sur sa compétence, et, danscette attente, suspendre la procédure ;
– à titre subsidiaire : de déclarer irrecevable la demande formée par France 4 en ce qu’elle revêt un caractèrenormatif et général, qui, s’il était fait droit à cette demande, aboutirait à une décision de nature réglementaire excédant la compétence du Conseil supérieur de l’audiovisuel ;
– en tout état de cause, de rejeter la demande de France 4 comme non fondée en constatant l’absence depratique discriminatoire susceptible d’être imputée à la société TPS ;
Vu les observations en réplique, enregistrées le 14 novembre 2006, présentées par la société France 4 et tendant aux mêmes fins ;
Vu les nouvelles observations en défense, enregistrées le 21 novembre 2006, présentées par la société TPS et tendant aux mêmes fins ;
Vu la décision du directeur général du Conseil supérieur de l’audiovisuel de nommer M. Bernard Celli rapporteur et M. Aurélien Louis rapporteur adjoint ;
Vu la décision du Conseil supérieur de l’audiovisuel du 24 octobre 2006 relative à l’extension du délai dans le cadre du différend opposant les sociétés France 4 et TPS ;
Vu le courrier du Conseil supérieur de l’audiovisuel en date du 16 novembre 2006 transmettant un questionnaire aux parties ;
Vu le procès-verbal de l’audition du 30 novembre 2006 de tiers intéressés aux demandes de règlements de différends concernant la numérotation dont le Conseil supérieur de l’audiovisuel a été saisi sur le fondement de l’article 17-1 de la loi du 30 septembre 1986 ;
Vu la réponse au questionnaire adressée au Conseil supérieur de l’audiovisuel par la société France 4 le 12 décembre 2006 ;
Vu la saisine du Conseil de la concurrence par le Conseil supérieur de l’audiovisuel en date du 19 décembre 2006 ;
Vu la décision du Conseil supérieur de l’audiovisuel du 6 février 2007 relative à l’association au litige de la société Multivision ;
Vu le courrier du Conseil de la concurrence en date du 20 février 2007 ;
Vu le courrier du Conseil supérieur de l’audiovisuel en date du 15 mars 2007 convoquant les parties à une audience le 5 avril 2007 ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Après avoir entendu le 5 avril 2007, lors de l’audience devant le collège :
– le rapport de M. Bernard Celli, rapporteur, présentant les conclusions et les moyens des parties ;
– les observations de Mme Hayet Zeggar, pour la société France 4 ;
– les observations de M. Frédéric Mion et de Me Olivier Sprung, pour la société TPS ;
Les sociétés France 4 et TPS ayant fait connaître leur volonté de ne pas s’opposer au caractère public de l’audience, celle-ci s’est déroulée publiquement, conformément à l’article 33 du règlement intérieur du conseil ;
Le Conseil supérieur de l’audiovisuel en ayant délibéré le 5 juin 2007, en la seule présence du secrétaire du collège.
I. − Sur la recevabilité de la demande de la société France 4
La société France 4 ne justifiant d’aucune qualité pour agir pour le compte des chaînes gratuites nationales de la TNT, sa demande tendant à ce que ces chaînes soient regroupées dans une organisation identifiable, logique, cohérente et équitable, qui reposerait sur une numérotation de 1 à 18, doit être regardée comme tendant à obtenir pour elle-même le numéro 14 dans le plan de services de TPS.
Etant donné que la demande vise à ce que le conseil précise les conditions permettant de garantir que l’offre de programmes de la chaîne France 4 soit mise à la disposition du public en tenant compte des exigences de service public, ces conclusions, en tant qu’elles relèvent du champ d’application des dispositions de l’alinéa 2 de l’article 17-1 de la loi du 30 septembre 1986, sont recevables.
II. − Sur la saisine du Conseil de la concurrence
Le conseil, réuni en assemblée plénière le 19 décembre 2006, a décidé de saisir le Conseil de la concurrence, sur le fondement de l’article 17-1 de la loi du 30 septembre 1986, de la présente demande de règlement de différend.
Par courrier en date du 20 février 2007, le Conseil de la concurrence a fait savoir au Conseil supérieur de l’audiovisuel qu’il avait décidé « de ne pas se saisir d’office de la situation créée par les pratiques de numérotation des chaînes sur le marché de la distribution des chaînes de télévision ». Il estime que les litiges portés devant le Conseil supérieur de l’audiovisuel soulèvent en réalité un problème de principe sur le mode d’exposition des chaînes par les distributeurs et appellent une réponse générale sur le choix d’une organisation de la numérotation qui soit conforme aux règles prévues par la loi du 30 septembre 1986 et tienne compte de la nécessaire préservation des équilibres du secteur audiovisuel dans son ensemble.
Le Conseil de la concurrence ajoute : « L’autorité de concurrence peut constater et sanctionner, au cas par cas, d’éventuelles pratiques de discrimination de la part d’opérateurs dominants. Elle peut aussi recueillir de leur part des engagements susceptibles de répondre à ses préoccupations de concurrence et clore l’affaire après avoir rendu obligatoires de tels engagements. Mais elle ne peut apporter, par la voie contentieuse ou négociée, de réponse satisfaisante à la question de principe évoquée plus haut, qui relève au premier chef de la compétence du régulateur spécialisé qu’est le Conseil supérieur de l’audiovisuel. »
III. – Sur le bien-fondé de la demande de la société France 4
III-1. Sur l’article 34 de la loi du 30 septembre 1986 et les missions de service public assignées à la société France 4
La société France 4 soutient que l’article 34 de la loi du 30 septembre 1986 donnerait compétence au conseil pour s’opposer à une offre de services si celle-ci portait atteinte aux missions de service public assignées à la société France 4. En l’espèce, le fait que la numérotation allouée à France 4 diffère de la numérotation logique porterait préjudice à la société dans la mesure où sa notoriété et sa communication s’appuieraient notamment sur son numéro.
Aux termes de l’article 34 de la loi du 30 septembre 1986, « Le conseil peut [...] s’opposer soit à l’exploitation d’une offre de service, soit à une modification de la composition de cette offre, [...] s’il estime qu’elle porte atteinte aux missions de service public assignées par l’article 43-11 aux sociétés nationales de programme et à la chaîne Arte, [...] notamment par la numérotation attribuée aux services dans l’offre commerciale. »
La chaîne France 4, si elle relève du secteur public, ne constitue pas une société nationale de programme. Les dispositions de l’article 34 ne s’appliquent donc pas à France 4.
Néanmoins, l’article 1er de loi du 30 septembre 1986 dispose que l’exercice de la liberté de communication audiovisuelle peut être limité dans la mesure requise par les exigences de service public. Le secteur public de la télévision bénéficie ainsi de certains avantages en matière notamment de financement, de non-application du dispositif anti-concentration et d’attribution prioritaire de fréquences. En outre, l’article 17-1 de la loi du 30 septembre 1986 dispose que le conseil « peut être saisi [...] de tout différend relatif à la distribution d’un service de radio ou de télévision [...] lorsque ce différend est susceptible de porter atteinte [...] aux exigences de service public ».
En premier lieu, le conseil rappelle que toute discrimination doit être justifiée par une différence de situation et que cette dernière doit être en rapport avec l’objet de la discrimination.
Or, à l’issue de la consultation sur la numérotation des services de la TNT, le conseil avait relevé qu’il était difficile de considérer que la seule différence de nature entre le secteur public et le secteur privé justifiait une différence de traitement, en l’occurrence l’attribution au secteur public de numéros plus aisément accessibles. Les règles qui prévalaient alors restent valables et peuvent être transposées au cas de la numérotation sur les autres vecteurs.
En deuxième lieu, le conseil considère que l’organisation par thématiques des plans de services est dans l’intérêt du téléspectateur. L’attribution à France 4 du numéro 14 serait de nature à rompre cette logique d’organisation et serait donc préjudiciable à l’exposition de la chaîne.
Au surplus, il ressort de l’analyse des pièces du dossier, notamment des annonces publicitaires pour la chaîne qui ont été produites lors de l’instruction, que la communication de France 4 ne se fonde pas sur le numéro 14, qui n’est nulle part mentionné. En conséquence, la numérotation qui lui est allouée par la société TPS ne porte pas préjudice à sa communication.
III-2. Sur la discrimination alléguée par la société France 4
La société France 4 soutient que la numérotation qui lui est attribuée dans le plan de services de la société TPS serait discriminatoire en ce que ce plan réserverait les premiers numéros aux chaînes qui sont liées à TF1 et M6.
Le conseil relève qu’au moment de la saisine, la chaîne France 4 disposait du numéro 34 dans le plan de services de la société TPS, ce qui la plaçait dans la thématique « Divertissements ». Toutefois, une modification du plan de services étant intervenue le 1er février 2007, France 4 dispose désormais du numéro 30 dans le plan de services, ce qui la place en première position de la thématique appelée « mini-généralistes » par le distributeur.
Le conseil relève par ailleurs que le cahier des charges de la chaîne précise que celle-ci « propose un éventail varié des programmes télévisuels répondant aux attentes du plus large public » et « diffuse en particulier des programmes de création appartenant aux genres suivants : cinéma, fictions, animations, spectacles vivants et documentaire. Elle diffuse également des magazines et de l’information sur l’art, les spectacles et les loisirs ». Le conseil estime que le classement de France 4 dans la thématique « mini-généralistes » correspond à son format et qu’en conséquence son positionnement n’est pas discriminatoire par rapport aux chaînes qui sont liées à TF1 et M6.
III-3. Sur la recommandation du conseil en date du 6 décembre 2005 à l’égard des distributeurs de la télévision numérique terrestre et relative à la numérotation des chaînes gratuites
La société France 4 allègue que le regroupement des 18 chaînes gratuites de la TNT sur le plan de services de TPS serait conforme à la recommandation du conseil du 6 décembre 2005 à l’égard des distributeurs de la TNT et relative à la numérotation des chaînes gratuites.
Le conseil rappelle que cette recommandation ne s’applique qu’aux distributeurs de la TNT, et en aucun cas aux distributeurs de télévision n’utilisant pas des fréquences assignées par lui.
III-4. Sur l’intérêt des téléspectateurs à disposer des numéros logiques attribués aux chaînes de la TNT
La société France 4 estime que la numérotation logique attribuée par le CSA aux chaînes de la TNT serait conforme à l’intérêt des téléspectateurs.
Le conseil considère que l’organisation des plans de services des distributeurs peut être fondée soit sur la numérotation logique qu’il a attribuée aux chaînes de la TNT, soit sur une numérotation par thématiques. L’organisation par thématiques des plans de services est étroitement liée au développement de la distribution de la télévision. Le conseil reconnaît la pertinence d’un classement par thématiques depuis plusieurs années. En outre, depuis les débuts du développement des plates-formes de télévision payante, les distributeurs ont généralement organisé leurs plans de services selon un classement par thématiques, afin de mieux répondre à la demande des téléspectateurs qui semblent déterminer leur choix de programme avant tout par rapport à une thématique donnée.
Cette analyse est confirmée par celle des autorités de concurrence aux niveaux national et européen. Ainsi, la Commission européenne a pu identifier, notamment dans la décision du 14 août 2002 Sogecable/DISTRISAT Digital/Via Digital, l’existence des marchés spécifiques des chaînes de cinéma et de sport. De même, le Conseil de la concurrence a identifié un marché spécifique de la thématique information dans sa décision no 03-D-59 du 9 décembre 2003 ; cette délimitation a été effectuée notamment au regard des habitudes de consommation des téléspectateurs.
Dans ces conditions, le conseil estime que l’organisation par thématiques des plans de services est dans l’intérêt des téléspectateurs.
En outre, dans sa recommandation du 6 décembre 2005, le conseil a posé des éléments de principe en matière de numérotation et a notamment indiqué que « la numérotation des chaînes de la TNT doit concilier deux objectifs principaux : l’équité entre les chaînes et la satisfaction des téléspectateurs, notamment en ne perturbant pas leurs habitudes ». Dans la mesure où les conditions qui prévalaient alors n’ont pas sensiblement évolué, le conseil considère que les principes exposés pour la TNT peuvent être étendus à l’ensemble des vecteurs de distribution de la télévision payante et des chaînes quel que soit leur modèle économique, et notamment que ces chaînes soient gratuites ou payantes.
Par ailleurs, selon l’article 3-1 de la loi du 30 septembre 1986 dans sa rédaction qui résulte de la loi du 5 mars 2007, le Conseil supérieur de l’audiovisuel « veille au caractère équitable, transparent, homogène et non discriminatoire de la numérotation des services de télévision dans les offres de programmes des distributeurs de services ».
A cet égard, l’organisation des plans de services par thématiques, en présentant de manière contiguë des chaînes proposant des programmes similaires, permet le développement d’une concurrence loyale entre les éditeurs.
Lors de leur audition le 30 novembre 2006, les représentants de chaînes thématiques de l’ACCeS ont d’ailleurs affirmé leur attachement à l’organisation des plans de services par thématiques. En effet, il a été précisé que « depuis de nombreuses années les éditeurs sont regroupés par ensembles thématiques. C’est d’ailleurs le choix du consommateur qui souscrit un abonnement. Cette situation est valable en France comme à l’étranger ».
En conséquence, le conseil estime que l’organisation par thématiques est à même d’assurer, outre l’intérêt des téléspectateurs, la réalisation de l’objectif d’équité entre les chaînes. Or, diverses thématiques figurent parmi les chaînes gratuites de la TNT, notamment généralistes, jeunesse, information. Imposer ces chaînes dans les dix-huit premiers numéros romprait le principe de l’organisation par thématiques.
Ainsi, l’argumentation tirée par la société France 4 de ce que la numérotation attribuée par le conseil aux chaînes sur la TNT serait la seule admissible dans l’intérêt des téléspectateurs doit être écartée.
III-5. Sur le caractère objectif de la numérotation logique
La numérotation logique qui a été attribuée par le conseil aux chaînes de la TNT par décision du 26 juillet 2005 présente un caractère objectif en ce qu’elle ne repose pas sur une décision d’un distributeur fondée sur des considérations éventuellement subjectives.
Cependant, elle ne constitue pas la seule numérotation objective : des numérotations fondées sur des critères eux-mêmes objectifs et vérifiables, tels que l’audience ou l’antériorité d’occupation du numéro, peuvent présenter un caractère objectif. En particulier, une numérotation peut être fondée sur des critères de programmation, comme c’est le cas lorsque le plan de services d’un distributeur est organisé selon un classement par thématiques, et peut présenter un caractère objectif, dans la mesure où les considérations qui président au classement des chaînes reposent sur des critères vérifiables tels que les volumes de programmation ou les termes de la convention signée entre le conseil et la chaîne.
Ainsi, l’exigence d’objectivité de la numérotation ne doit pas nécessairement se traduire par l’application de la numérotation logique définie par le conseil. En conséquence, l’argumentation de la société France 4 doit être écartée.
De tout ce qui précède, il résulte que la demande présentée par la société France 4 doit être rejetée.
Décide :
Art. 1er. − La demande de règlement de différend présentée par la société France 4 est rejetée.
Art. 2. − La présente décision sera notifiée aux sociétés France 4, TPS et Multivision et publiée au Journal officiel de la République française.
Délibéré le 5 juin 2007 en présence de M. Michel Boyon, président, Mme Elisabeth Flüry-Hérard, M. Christian Dutoit, Mme Agnès Vincent-Deray, Mme Marie-Laure Denis, Mme Sylvie Genevoix, Mme Michèle Reiser, M. Alain Méar et M. Rachid Arhab, ainsi que de Mme Elisabeth Mauboussin, secrétaire du collège.