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Décisions

CSA, 9 novembre 2011, n° 2011-1294

CONSEIL SUPÉRIEUR DE L'AUDIOVISUEL (DEVENU L'ARCOM)

Avis

différend opposant les sociétés France Télévisions et Numericable

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Boyon

CSA n° 2011-1294

8 novembre 2011

Vu la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 modifiée relative à la liberté de communication, notamment son article 17-1 ;

Vu le décret n° 2006-1084 du 29 août 2006 pris pour l’application de l’article 17-1 de la loi du 30 septembre 1986 et relatif à la procédure de règlement des différends par le Conseil supérieur de l’audiovisuel ;

Vu la délibération n° 2007-167 du 24 juillet 2007 du Conseil supérieur de l’audiovisuel relative à la numérotation des services de télévision dans les offres de programmes des distributeurs de services sur des réseaux de communications électroniques n’utilisant pas des fréquences assignées par le Conseil supérieur de l’audiovisuel ;

Vu le règlement intérieur du Conseil supérieur de l’audiovisuel ;

Vu la demande de règlement d’un différend, enregistrée le 14 mai 2010, complétée le 4 juin 2010 et confirmée le 1er juillet 2010, présentée par la société France Télévisions, dont le siège social est 7, esplanade Henri-de-France, à Paris (75015), représentée par Me François Molinié ;

Le différend porte sur la numérotation du service France 5 dans le plan de services adopté par la société Numericable pour l’ensemble des réseaux exploités sous la marque Numericable.

La société France Télévisions demande au Conseil supérieur de l’audiovisuel d’enjoindre à la société Numericable d’établir un plan de services assurant une numérotation du service France 5 conforme aux dispositions des articles 3-1, 17-1 et 34 de la loi du 30 septembre 1986, ce qui devrait conduire à ce que le service France 5 reçoive le numéro 5.

La société France Télévisions soutient que l’attribution au service France 5 du numéro 15 en lieu et place du numéro 5 porte un préjudice certain à la chaîne ; que, compte tenu de sa dénomination, le service France 5 a une légitimité à être positionné en numéro 5, ce que le service Paris Première n’a pas ; que l’introduction du chiffre 5 dans la dénomination de la chaîne a été consacrée par le législateur, qui a intégré dans la loi du 30 septembre 1986 la dénomination La Cinquième le 1er août 2000 avant de lui substituer la dénomination France 5 en 2004 ; que ce numéro est celui qu’a assigné le Conseil supérieur de l’audiovisuel au service France 5 au titre de la numérotation logique et que tous les distributeurs de services autres que la société Numericable octroient à la chaîne dans leurs plans de services respectifs ; que la décision de la société Numericable d’attribuer le numéro 15 au service France 5 ne permet pas une concurrence loyale entre éditeurs de services regroupés au sein du bloc thématique « généraliste national », dont la grande majorité obtient la numérotation qui est la sienne sur la télévision numérique terrestre (TNT) gratuite et, partant, revêt un caractère discriminatoire ; que l’attribution du numéro 15 au service France 5 porte atteinte aux missions de service public légalement assignées à la société France Télévisions et à ce service audiovisuel, et que la numérotation qu’entend allouer la société Numericable audit service dans son offre de programmes ne revêt pas le caractère objectif, équitable et non discriminatoire prescrit par la loi, au regard notamment du caractère « historique » du service France 5 et de la décision du Conseil supérieur de l’audiovisuel n° 2007-452 du 5 juin 2007 relative à un différend opposant les sociétés Bolloré et Noos SA ;

Vu la décision du 20 juillet 2010 par laquelle le Conseil supérieur de l’audiovisuel a désigné la société Paris Première comme partie additionnelle ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 2 août 2010, présenté par la société Numericable, dont le siège social est 10, rue Albert-Einstein, à Champs-sur-Marne (77420), et tendant au rejet de la demande ;

La société Numericable soutient que la demande de la société France Télévisions est contestable en raison de son argumentation lacunaire ; que, conformément aux dispositions de la loi du 30 septembre 1986 et de la délibération du 24 juillet 2007, elle a mis en place des blocs thématiques dans l’univers DVB-C de ses réseaux ; que le référencement et le positionnement des chaînes au sein de ces blocs ont été réalisés en fonction de critères d’ordonnancement objectifs, vérifiables et transparents, à savoir la contribution marketing de la chaîne à l’abonnement (c’est-à-dire le financement de la mise en avant du service et des offres de la société Numericable), l’audience et la notoriété, les services associés au service audiovisuel, la catégorie de public visée ainsi que le bassin et la langue de diffusion ; qu’ainsi le service France 5 a été positionné dans le bloc thématique « généraliste national », au numéro 13 ; que ce positionnement n’est pas discriminatoire et s’avère transparent, puisque la société Numericable a informé les éditeurs concernés, par deux consultations du 17 août 2009 et du 5 février 2010, de la création et de la définition de chacun des blocs thématiques et de la mise en place des critères précités permettant le référencement des chaînes au sein de chacun de ces blocs ; que la société France Télévisions a ainsi été informée du positionnement du service France 5 par deux courriers des 16 avril et 10 juin 2010 ; que la nouvelle numérotation de ce service dans l’univers DVB-C est équitable, transparente, homogène et non discriminatoire ; que l’article 34 de la loi du 30 septembre 1986 ne fait pas obligation aux distributeurs d’attribuer le numéro 5 au service France 5, et qu’il n’est en tout état de cause pas démontré que la nouvelle numérotation envisagée pour celui-ci contreviendrait à ses missions de service public ; qu’ayant créé, conformément à la loi, un « bloc TNT » à partir des numéros trois cents la société Numericable ne peut être tenue d’attribuer le numéro 5 au service France 5 et qu’ainsi la discrimination alléguée par la société France Télévisions est infondée, d’autant plus que le service France 5 bénéficie du numéro 5 qu’il revendique dans l’univers DVB-T mis en place, dont le bassin de diffusion est plus important que celui du DVB-C, et que ce service n’était pas traditionnellement positionné sur ce numéro sur les réseaux de la société Numericable, notamment sur le réseau parisien ; qu’il y a lieu, en ce sens, de rappeler que, par sa décision du 5 juin 2007 en règlement du différend opposant la société France Télévisions à la société Noos SA, dont le réseau appartient désormais à la société Numericable, le Conseil supérieur de l’audiovisuel avait considéré que le service France 5 ne pouvait invoquer ses missions de service public pour solliciter l’attribution du numéro 5 plutôt que celle du numéro 8 ;

Vu les observations en réplique présentées par la société France Télévisions enregistrées le 17 août 2010 et tendant aux mêmes fins que sa demande par les mêmes moyens ;

La société France Télévisions fait également valoir que sa demande enregistrée le 14 mai 2010 et complétée par deux courriers des 4 juin et 1er juillet suivant comporte un exposé précis des faits et moyens sur lesquels elle se fonde et s’avère ainsi recevable ; que l’attribution du numéro 13 au service France 5 est discriminatoire et méconnaît les obligations faites au distributeur par les dispositions des articles 3-1, 17-1 et 34 de la loi du 30 septembre 1986, ainsi que par la délibération du 24 juillet 2007, dès lors qu’il s’agit du seul service dit « historique » à ne pas être placé sur son numéro logique ; que le numéro 5 fait partie intégrante de la dénomination usuelle du service France 5, et que la relégation au numéro 13 de la « chaîne du partage des savoirs et de la transmission des connaissances » constitue une atteinte à ses missions de service public, en méconnaissance des dispositions du I de l’article 34 et de l’article 17-1 de la loi du 30 septembre 1986, ainsi que du paragraphe III-D de la délibération du 24 juillet 2007 ; que le service France 5 se trouve « marginalisé » par rapport aux nouvelles chaînes de la TNT gratuite relevant de la thématique « généraliste national », qui ont toutes leur numéro logique, et que, par suite, la numérotation en cause ne permet pas une concurrence loyale entre les éditeurs de services généralistes ; que ce placement « inhabituel » est de nature à déstabiliser le téléspectateur, et que l’exposition du « bloc TNT » prévu à l’article 34-4, premier alinéa, de la loi du 30 septembre 1986 est insuffisante ; que la société Numericable ne justifie pas en quoi le service Paris Première mériterait davantage que le service France 5 d’occuper la cinquième position au regard des critères qu’elle a elle-même déterminés, et que l’audience et la notoriété du service France 5, qui sont largement supérieures à celles du service Paris Première, n’ont pas été prises en compte ; qu’ainsi seule la contribution marketing de la chaîne à l’abonnement apparaît susceptible de justifier l’ordonnancement retenu, alors que sa compatibilité avec l’exigence de transparence est douteuse et qu’il ne saurait prévaloir sur les autres critères, qui plus est s’agissant d’un service dit « historique » et de service public ;

Vu les nouvelles observations en défense, enregistrées le 31 août 2010, présentées par la société Numericable et tendant aux mêmes fins que les précédentes par les mêmes moyens ;

La société Numericable fait valoir en outre qu’aucune disposition de la loi du 30 septembre 1986 n’impose au distributeur de positionner les chaînes selon leur numérotation logique ou dénomination commerciale ; que le service France 5 n’est pas dans une situation identique à celle des autres services dits « historiques » au regard des critères retenus par la société Numericable, et qu’il n’a pas de caractère « historique » dans l’univers DVB-C des réseaux câblés, contrairement au service Paris Première ; qu’à supposer que le service France 5 doive être regardé comme un service « historique », cette circonstance ne saurait faire échec aux critères mis en place par le distributeur ; que, s’agissant du critère de la contribution marketing de la chaîne à l’abonnement, la requérante ne démontre pas l’irrégularité du sous-critère du financement de la mise en avant du service de communication audiovisuelle et des offres de la société Numericable, et que le distributeur est libre de choisir les critères et leur ordre de priorité d’application ; que les campagnes promotionnelles par voie de presse et d’affichage dont fait état la requérante n’ont pas été portées à la connaissance de la société Numericable, et que les sous-critères d’audience et de notoriété ont bien été pris en compte, mais après celui du financement ; que l’audience du service France 5 n’est pas comparable avec celle des deux autres chaînes « historiques » éditées par la société France Télévisions ; que la société France Télévisions n’a transmis à la société Numericable aucune étude de notoriété du service France 5 ;

Vu les nouvelles observations, enregistrées le 9 septembre 2010, présentées par la société France Télévisions et tendant aux mêmes fins que sa demande par les mêmes moyens ;

La société France Télévisions soutient en outre avoir proposé à la société Numericable des services associés, tels que la haute définition, la distribution des services éducatifs du service France 5 et la télévision de rattrapage ; que, s’agissant de l’antériorité, le service Paris Première n’a pas toujours été placé sur le numéro 5 sur les réseaux câblés, et qu’au regard de la diversité et de la qualité des programmations, le service France 5

est plus légitime que le service Paris Première à revendiquer l’attribution du numéro 5 ;

Vu les observations, enregistrées le 10 septembre 2010, présentées par la société Paris Première, dont le siège social est 60, avenue Charles-de-Gaulle, à Neuilly-sur-Seine (92575 Cedex) et tendant au rejet de la demande de la société France Télévisions ;

La société Paris Première soutient que la société France Télévisions ne démontre pas que la numérotation arrêtée par la société Numericable ne serait ni équitable, ni transparente, ni homogène ou s’avèrerait discriminatoire, ni qu’elle porterait atteinte aux missions de service public du service France 5 ; qu’elle ne saurait utilement soutenir que le service France 5 doive légitimement occuper le numéro 5, l’argument de la légitimité n’étant pas un moyen qui peut être invoqué en tant que tel dans le cadre de l’article 17-1 de la loi du 30 septembre 1986, ni d’ailleurs d’une quelconque autre disposition de cette loi ; que le principe est celui de la liberté des distributeurs, sous réserve, notamment, du caractère objectif, équitable, transparent, homogène et non discriminatoire de la numérotation et que, en tout état de cause, la société France Télévisions ne démontre pas en quoi le service France 5 aurait une légitimité supérieure à celle du service Paris Première pour occuper le numéro 5 ; que la circonstance que le chiffre 5 aurait été consacré dans la dénomination de la chaîne par le législateur à deux reprises est sans influence et que le service France 5 ne peut s’appuyer sur aucun critère objectif autre que celui tenant à sa position sur le réseau hertzien pour prouver une prétendue légitimité supérieure à celle du service Paris Première à être positionné sur ce numéro ; que les chaînes gratuites de la TNT n’ont pas un droit au numéro logique qui leur a été attribué par le CSA, et que la société France Télévisions ne démontre pas en quoi il serait porté atteinte à sa mission de service public ; que la circonstance que seules certaines chaînes de la TNT gratuite reçoivent un numéro identique à leur numéro logique ne caractérise pas une discrimination, et que la qualification de chaîne « historique » n’emporte pas nécessairement, en matière de numérotation, l’application d’un traitement identique à toutes les chaînes dont s’agit ; que la catégorie des chaînes dites « historiques » constitue une notion aux contours imprécis, dans laquelle existent en tout état de cause des différences de situation très importantes ; que le service Paris Première dispose d’une audience puissante et du plus fort niveau de notoriété de toutes les chaînes du câble et du satellite, et qu’au regard de la nature de la programmation, il n’y a pas davantage de raisons objectives de placer le service France 5 en position 5 au détriment du service Paris Première ; que l’ordonnancement des chaînes au sein d’une même thématique a été réalisé en fonction de critères objectifs et vérifiables, appliqués par le distributeur de manière homogène et transparente à l’ensemble des thématiques et à l’ensemble des chaînes, et que la société France Télévisions ne démontre pas l’illégalité du critère de la contribution marketing auquel la société Numericable fait référence ; qu’aucun des arguments avancés par la société France Télévisions ne suffit à démontrer le caractère inéquitable ou discriminatoire de ce critère, et que les critères retenus ont été validés par le Conseil supérieur de l’audiovisuel et, partant, jugés conformes aux exigences de la loi ; que la circonstance que le critère de la contribution marketing ne figure pas dans la délibération du 24 juillet 2007 ne démontre pas, en elle-même, son caractère inéquitable ou discriminatoire, pas plus que la circonstance qu’il soit lié à des considérations financières ou commerciales, considérant à cet égard que la société France Télévisions n’explique pas pourquoi ce critère ne serait pas applicable à des chaînes publiques ; que l’affirmation de la société France Télévisions selon laquelle le service France 5 devrait occuper le numéro 5 pour la seule raison que ce service détiendrait la cinquième audience nationale est infondée, et que ce critère de l’audience vient en deuxième position par rapport au critère prioritaire du financement, considérant en tout état de cause que, au regard des audiences respectives des service France 5 et Paris Première, ce dernier est parfaitement légitime à se voir attribuer le numéro 5 ;

Vu la décision du 14 septembre 2010 par laquelle le Conseil supérieur de l’audiovisuel a décidé d’adresser aux parties un questionnaire ;

Vu les observations, enregistrées le 28 septembre 2010, présentées par la société France Télévisions et tendant aux mêmes fins que sa demande par les mêmes moyens ;

La société France Télévisions soutient en outre que le service France 5 répond à la définition des services dits « historiques » donnée par le Conseil d’Etat et doit, par suite et conformément au principe de nondiscrimination, bénéficier de sa numérotation logique ; que le critère de la contribution marketing n’est pas vérifiable au sens de la délibération du 24 juillet 2007, et que ce critère apparaît par nature inéquitable et discriminatoire et ne saurait en tout état de cause prévaloir sur d’autres critères objectifs et vérifiables, tels que l’audience et la notoriété, notamment s’agissant d’une chaîne de service public, sans que les observations à cet

égard de la société Paris Première ne permettent de modifier l’analyse précédemment développée ;

Vu les nouvelles observations complémentaires, enregistrées le 28 septembre 2010, présentées par la société Numericable et tendant aux mêmes fins que ses précédentes productions, par les mêmes moyens ;

La société Numericable fait également valoir que les résultats d’audience et de notoriété du service Paris Première justifient son positionnement, qui correspond aux attentes des abonnés de la société Numericable puisqu’il s’agit de la première chaîne généraliste payante du câble en termes d’audience et de notoriété, et de la chaîne payante la plus connue du public dans l’univers du câble ; que la société France Télévisions ne lui a pas proposé de services associés, au sens de services offerts ne faisant pas l’objet d’une proposition commerciale.

Vu les réponses aux questionnaires adressées au Conseil supérieur de l’audiovisuel par les sociétés France Télévisions, Numericable et Paris Première les 13, 14 et 15 octobre 2010 ;

Vu les nouvelles observations, enregistrées le 26 octobre 2010, présentées par la société Paris Première, qui conclut aux mêmes fins que dans ses précédentes écritures par les mêmes moyens ;

Vu les observations, enregistrées le 2 novembre 2010, présentées par la société France Télévisions et relatives aux réponses de la société Numericable au questionnaire du Conseil supérieur de l’audiovisuel ;

Vu les observations, enregistrées le 2 novembre 2010, présentées par la société Paris Première et relatives aux réponses des sociétés France Télévisions et Numericable aux questionnaires du Conseil supérieur de l’audiovisuel ;

Vu la décision du directeur général du Conseil supérieur de l’audiovisuel du 8 juillet 2010 nommant M. Clément Bariéty en qualité de rapporteur et M. Mathieu Guennec en qualité de rapporteur adjoint pour l’instruction du présent règlement de différend ;

Vu la décision du 13 juillet 2010 du Conseil supérieur de l’audiovisuel arrêtant un calendrier prévisionnel de procédure ;

Vu la décision no 2010-545 du 20 juillet 2010 du Conseil supérieur de l’audiovisuel portant extension du délai prévu à l’article 17-1 de la loi du 30 septembre 1986 ;

Vu les pièces établissant que les parties ont été régulièrement convoquées à une audience le 6 décembre 2010 ;

Vu le courrier du 25 juillet 2011 par lequel la société France Télévisions confirme sa demande de règlement du différend l’opposant à la société Numericable suite à l’échec de la voie transactionnelle ;

Vu la décision du directeur général du Conseil supérieur de l’audiovisuel du 27 juillet 2011 nommant, pour raisons de service, M. Mathieu Guennec, en qualité de rapporteur pour poursuivre l’instruction du présent règlement de différend ;

Vu les pièces établissant que les parties ont été régulièrement convoquées à une nouvelle audience le 14 octobre 2011 ;

Etant indiqué que, par courrier du 3 octobre 2011, la société France Télévisions a demandé que la séance d’examen du différend soit publique ; que, par courriers des 6 et 7 octobre 2011, les sociétés Paris Première et Numericable ont demandé que la séance d’examen du différend se déroule à huis clos ; que le Conseil supérieur de l’audiovisuel, réuni en assemblée plénière le 11 octobre 2011, a décidé que la séance d’examen du différend ne serait pas publique, la publicité de l’audience étant susceptible de porter atteinte aux secrets protégés par la loi et, notamment, au secret des affaires.

Vu les autres pièces du dossier ;

Après avoir entendu le 14 octobre 2011, lors de l’audience publique devant le collège :

–   le rapport de M. Mathieu Guennec, présentant les moyens et conclusions des parties ;

–   les observations de M. Bruno Patino et Me François Molinié, pour la société France Télévisions ;

–   les observations de M. Laurent Bauer et Mme Stéphanie Braud-Jabour, pour la société Numericable ;

–   les observations de Mme Karine Blouët et Me Romaric Lazerges, pour la société Paris Première ;

Pour les motifs exposés ci-dessous :

A l’occasion de la mise en œuvre d’une numérotation unique des services distribués par elle sur l’ensemble des réseaux en norme DVB-C, la société Numericable a attribué au service France 5 le numéro 13.

Au préalable, pour procéder au placement des chaînes qu’elle distribue, la société Numericable a communiqué deux courriers aux éditeurs, les 17 août 2009 et 5 février 2010, présentés comme le document de référence relatif à la numérotation tel que visé par la délibération du Conseil supérieur de l’audiovisuel no 2007-167 du 24 juillet 2007 relative à la numérotation des services de télévision dans les offres de programmes des distributeurs de services sur des réseaux de communications électroniques n’utilisant pas des fréquences assignées par le conseil. Les éditeurs étaient notamment invités à indiquer, d’une part, de quel bloc thématique ils estimaient que la programmation de leur chaîne relevait et, d’autre part, la position qu’ils souhaitaient que leur service occupe dans la thématique au regard des critères énoncés dans les courriers précités.

A l’issue de cette consultation, la société Numericable a informé les éditeurs des thématiques auxquelles étaient rattachées leurs chaînes ainsi que du positionnement de ces dernières dans ces thématiques, en leur précisant que ce positionnement résultait de l’application des critères qu’elle avait préalablement portés à leur connaissance.

Les critères ont été scindés en deux parties : la contribution marketing de la chaîne à l’abonnement et la contribution de la chaîne à la fidélisation.

Pour déterminer le positionnement des chaînes dans leur thématique, la société Numericable a recouru à un système de notes. Afin d’évaluer le critère de la contribution marketing, une note relative au financement de la « mise en avant » du service de communication audiovisuelle équivalente à 30 % de la note globale a été attribuée. En outre, a été arrêtée une note relative, d’une part, à l’audience mesurée par l’institut de mesure d’audiences Médiamétrie ou Médiamat, et, d’autre part, à l’audience constatée chez Numericable, mesurée notamment sur la moitié du parc des décodeurs dotés d’une voie de retour, équivalente à 30 % de la note globale. Enfin, une note relative à la notoriété, équivalente à 10 % de la note globale, a été attribuée.

Afin d’évaluer la contribution de la chaîne à la fidélisation, la société Numericable a défini comme critère la mise à disposition de services associés aux services de communication audiovisuelle, équivalente à 30 % de la note globale, et la catégorie du public visé, le bassin et la langue de diffusion.

I.Sur la fin de non-recevoir soulevée par la société Paris Première lors de l’audience du 14 octobre 2011

La société Paris Première a fait valoir, lors de l’audience du 14 octobre 2011, que la demande de règlement de différend, telle qu’elle résulte du courrier de la société France Télévisions du 25 juillet 2011 enregistré le 27 juillet 2011, serait irrecevable comme constitutive d’une demande nouvelle, en tant que la société France Télévisions n’y solliciterait plus l’attribution du numéro 5.

Il résulte de l’instruction que, dans son courrier du 25 juillet 2011, la société France Télévisions persiste à soutenir que le service France 5 devrait figurer au numéro 5 dans l’univers DVB-C du distributeur et à conclure, ainsi qu’elle l’a fait dans sa demande initiale de règlement du différend l’opposant à la société Numericable, à ce qu’il soit enjoint à cette dernière d’établir un plan de services assurant une numérotation du service France 5 conforme aux principes énoncés par la loi du 30 septembre 1986.

En tout état de cause, le courrier du 25 juillet 2011 par lequel la société France Télévisions informait le Conseil supérieur de l’audiovisuel de l’échec des négociations menées à la suite d’une première audience qui s’est tenue le 6 décembre 2010 ne constituait nullement une nouvelle demande de règlement d’un différend l’opposant à la société Numericable.

En effet, par décret du 24 janvier 2011, trois nouveaux membres ont été nommés au Conseil supérieur de l’audiovisuel, conformément aux dispositions de l’article 4 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986. Eu égard aux règles de quorum fixées par ce même article, il appartenait nécessairement au conseil d’organiser une nouvelle audience pour l’examen de la demande de règlement de différend dont il était saisi, dès lors qu’il n’y avait à cette date pas été statué eu égard à l’engagement de négociations entre les parties.

Par suite, la fin de non-recevoir soulevée par la société Paris Première doit être écartée.

II.Sur la fin de non-recevoir soulevée par la société Numericable

La société Numericable fait valoir que la demande de la société France Télévisions enregistrée par le Conseil supérieur de l’audiovisuel le 14 mai 2010 et tendant au règlement du différend dont s’agit ne comporterait qu’une argumentation lacunaire et serait par suite irrecevable.

Mais tant cette demande que ses compléments enregistrés le 4 juin et le 1er juillet 2010 comportent l’exposé de faits et de moyens ainsi que l’énoncé de conclusions qui la rendent recevable.

Dès lors, la fin de non-recevoir soulevée par la société Numericable doit être écartée.

III.Sur le fond du différend

a) Sur l’atteinte aux exigences de service public :

La société France Télévisions soutient que la « relégation » du service France 5 au numéro 13 porte atteinte à ses missions de service public, en méconnaissance des dispositions des articles 34 et 17-1 de la loi du 30 septembre 1986 et de la délibération n° 2007-167 du 24 juillet 2007.

Aux termes de l’article 34 de la loi du 30 septembre 1986 : « Le Conseil peut [...] s’opposer soit à l’exploitation d’une offre de services, soit à une modification de la composition de cette offre, [...] s’il estime qu’elle porte atteinte aux missions de service public assignées par l’article 43-11 aux sociétés nationales de programme et à la chaîne Arte, notamment par la numérotation attribuée au service dans l’offre commerciale ».

Cependant, dans le cadre de la procédure de règlement du différend l’opposant à la société Numericable dont la société France Télévisions a saisi le Conseil supérieur de l’audiovisuel, il ne saurait être utilement soutenu que la numérotation adoptée par la société Numericable méconnaîtrait ces dispositions, qui ont trait à une procédure distincte de celle qui est prévue à l’article 17-1 de la loi du 30 septembre 1986.

Aux termes de l’article 17-1 de la loi du 30 septembre 1986 : « Le Conseil supérieur de l’audiovisuel peut être saisi par un éditeur ou par un distributeur de services [...] de tout différend relatif à la distribution d’un service de radio ou de télévision, y compris aux conditions techniques et financières de mise à disposition du public de ce service, lorsque ce différend est susceptible de porter atteinte [...] aux exigences de service public [...] ».

Enfin, aux termes de la délibération du 24 juillet 2007 : « Le distributeur doit assurer à ces chaînes une exposition qui leur permette de remplir leurs missions de service public dans la thématique à laquelle elles appartiennent ».

Cependant, et contrairement à ce que soutient la société France Télévisions, les missions de service public du service France 5 ne sont pas compromises du seul fait de l’attribution d’un autre numéro que le 5. En effet, et ainsi que le relève la société Paris Première, l’exposition du service France 5 demeure privilégiée, puisqu’elle se trouve au numéro 13 d’un plan de services comportant plus de 250 chaînes et services, et n’apparaît pas incohérente, du fait de la proximité du service France 5 avec le service France 4 et du regroupement des chaînes publiques généralistes dans les quatorze premiers numéros.

En outre, le service France 5 bénéficie d’une double exposition, dans la thématique « généraliste national », d’une part, et dans le « bloc TNT », d’autre part.

Enfin, contrairement à ce que soutient la société France Télévisions, aucune disposition n’impose que les missions de service public du service France 5 impliquent une numérotation commune à l’ensemble des distributeurs de services.

Par suite, la société France Télévisions n’établit pas l’atteinte alléguée aux exigences de service public entourant la diffusion du service France 5, non plus que la compromission supposée de la réalisation des missions de service public qui lui sont assignées par le législateur.

Aussi, le Conseil supérieur de l’audiovisuel considère que ce moyen doit être écarté.

b)   Sur le moyen tiré de la contrariété de la numérotation avec la dénomination du service :

La société France Télévisions soutient que le numéro 5 fait partie intégrante de la dénomination usuelle du service France 5. Elle souligne que l’introduction du chiffre 5 dans la dénomination de la chaîne a été consacrée par le législateur, qui a intégré dans la loi du 30 septembre 1986 la dénomination La Cinquième le 1er août 2000 avant de lui substituer la dénomination France 5 en 2004.

Toutefois, le Conseil supérieur de l’audiovisuel considère que ces dispositions législatives n’ont ni pour objet ni pour effet d’octroyer à France 5 le droit de se voir affecter le numéro 5 par tous les distributeurs de télévision payante. Ce moyen ne peut donc qu’être écarté.

c)   Sur le moyen tiré de la discrimination par rapport aux autres chaînes de la TNT gratuite relevant de la

thématique « généraliste national » :

La société France Télévisions soutient que la circonstance qu’elle ne soit pas placée sur son numéro logique, contrairement aux autres chaînes « historiques » et aux « nouvelles » chaînes de la TNT qui sont placées dans le bloc « généraliste national », serait discriminatoire.

Le principe d’égalité, assorti du principe de non-discrimination de la numérotation posé à l’article 3-1 de la loi du 30 septembre 1986, permet une différence de traitement à la condition qu’elle soit fondée sur une différence objective de situation en rapport avec l’objectif poursuivi par la mesure.

Pour se prévaloir d’une identité de situation avec les autres chaînes dites « historiques » et avec les chaînes gratuites de la TNT, la société France Télévisions se borne à soutenir que le service France 5 est une chaîne « historique » et une chaîne de la TNT gratuite.

Or, quelles que soient les similitudes existantes entre ces chaînes quant à leur audience ou aux obligations légales pesant sur elles, la circonstance que, par l’effet de l’organisation par thématiques, certaines seulement se voient attribuer un numéro identique à leur numéro logique ne caractérise pas, par elle-même, une discrimination prohibée par les dispositions de l’article 3-1 de la loi du 30 septembre 1986.

En outre, eu égard à la liberté dont disposent les distributeurs n’utilisant pas des fréquences assignées par le Conseil supérieur de l’audiovisuel pour organiser leurs plans de services, c’est au regard des critères définis par le distributeur que l’identité de situation doit être caractérisée.

Par suite, si, du fait de l’application des critères définis par le distributeur, certaines chaînes ont retrouvé leur numéro logique, indépendamment de la circonstance qu’il s’agisse, en l’espèce, des autres chaînes « historiques » et d’autres chaînes gratuites de la TNT, l’attribution au service France 5 d’un autre numéro que le 5 ne caractérise pas en tant que telle, et contrairement à ce que soutient la société France Télévisions, une discrimination au regard de la numérotation accordée à ces chaînes, non plus qu’un obstacle à la préservation d’une concurrence loyale entre elles. En conséquence, le moyen doit être écarté.

d) Sur les critères d’ordonnancement des chaînes et les mérites respectifs des services France 5 et Paris Première pour figurer sur le numéro 5 :

La requérante déduit de son positionnement que le sous-critère du financement aurait été déterminant alors que, selon elle, il aurait été illégalement appliqué au service France 5.

Aux termes du C du III de la délibération du 24 juillet 2007 :

« Pour garantir le caractère homogène, équitable et non discriminatoire de la numérotation, le distributeur doit communiquer les principes d’ordonnancement des services au sein d’une thématique. Il est tenu de se fonder sur certains critères d’ordonnancement objectifs et vérifiables, par exemple :

–   l’antériorité d’occupation du numéro ;

–   l’audience ;

–   le numéro logique attribué par le conseil à l’éditeur pour la diffusion en TNT ;

–   la langue : ainsi un distributeur serait fondé à attribuer à des chaînes en langue française ou dans une des langues régionales les premiers numéros d’une thématique ;

–   la notoriété, par exemple sur le fondement d’études d’opinion ;

–   l’ordre alphabétique ;

–   le résultat d’un tirage au sort ;

–   la catégorie de public visée ;– le bassin de diffusion. »

Les critères mentionnés par ces dispositions ne sont proposés qu’à titre indicatif. Par suite, les circonstances que le sous-critère du financement ne soit pas prévu par la délibération et ne soit mis en œuvre par aucun autre distributeur sont sans incidence sur sa régularité.

En outre, le fait que le Conseil supérieur de l’audiovisuel ait, le 14 mai 2010, en application de l’article 34 de la loi du 30 septembre 1986, émis des réserves sur sa transparence ne suffit pas par lui-même à établir son irrégularité, le conseil ayant dans un second temps décidé, le 15 juin 2010, de ne pas s’opposer au plan de services de la société Numericable, sous réserve de l’examen de la situation du service France 5 dans le cadre du présent règlement de différend.

La société France Télévisions soutient également que le « financement » ne saurait prévaloir sur les critères prévus par la délibération du 24 juillet 2007, qui seuls permettraient d’assurer un traitement équitable, transparent et non discriminatoire pour les chaînes historiques. Mais, alors que la liste des critères mentionnés par ladite délibération n’a pas un caractère limitatif, la requérante n’établit pas en quoi seuls les critères qu’elle mentionne devraient s’appliquer aux chaînes dites « historiques ». En tout état de cause, les principes d’homogénéité, de non-discrimination et d’équité impliquent une absence de traitement différencié entre les chaînes « historiques » et les autres chaînes du plan de services.

En outre, si la société France Télévisions soutient que le sous-critère du financement apparaîtrait, par nature, inéquitable et discriminatoire, en ce qu’il ferait dépendre l’exposition des chaînes de leur seule contribution à la stratégie commerciale du distributeur, un tel critère n’est pas, en tant que tel, discriminatoire dans la mesure où il s’applique à l’ensemble des éditeurs repris dans le plan de services du distributeur. Il n’est pas non plus inéquitable, dans la mesure où la participation à une opération de financement demeure facultative et compte tenu de l’édition du service France 5 par le groupe France Télévisions qui dispose de moyens financiers importants.

Contrairement à ce que soutient la requérante, il n’y a donc pas d’obstacle de principe à l’applicabilité d’un tel critère à des chaînes du service public, dès lors que celles-ci ont été effectivement reprises dans l’offre et que l’application du critère n’a pas, en l’espèce, porté atteinte à leur mission de service public.

Si la société France Télévisions soutient encore que le sous-critère du financement serait incompatible avec le principe d’homogénéité de la numérotation, cet argument n’est pas assorti des précisions permettant d’en apprécier le bien-fondé. A supposer que la requérante entende soutenir que l’application du sous-critère envisagé aboutirait nécessairement à une numérotation non homogène car il ne serait pas applicable aux chaînes historiques et aux chaînes du service public, cet argument ne pourrait qu’être écarté dès lors qu’il n’y a pas d’obstacle de principe à l’applicabilité d’un tel critère à des chaînes du service public.

La société France Télévisions soutient par ailleurs que le sous-critère du financement ne serait pas « vérifiable » au sens de la délibération du 24 juillet 2007, les éditeurs ne disposant d’aucune information sur les conditions de sa mise en œuvre.

Cependant, elle ne produit aucun élément établissant qu’elle aurait demandé quelque précision que ce soit à la société Numericable.

En outre, dès lors que la société Paris Première a communiqué au Conseil supérieur de l’audiovisuel, lors de l’audience, le montant qu’elle s’est proposée de verser au titre du sous-critère du financement, la requérante, qui reconnaît ne pas avoir proposé d’opération au titre de ce sous-critère et qui n’établit pas avoir proposé à la société Numericable de services associés, n’est pas fondée à soutenir que ce sous-critère ne serait pas vérifiable.

La société France Télévisions soutient enfin que l’audience et la notoriété du service France 5 n’auraient pas été prises en compte. Dans le cas contraire, c’est ce service qui aurait dû obtenir selon elle le numéro 5, car son audience et sa notoriété seraient bien supérieures à celles de Paris Première.

Il est cependant constant que la société France Télévisions n’a, contrairement à la société Paris Première, formulé aucune proposition de contribution financière à la société Numéricable au titre du sous-critère du financement. Dès lors, s’il résulte des pièces du dossier que l’audience et la notoriété du service France 5 sont supérieures à celles du service Paris Première, ce dernier a toutefois pu obtenir une note supérieure à celle qui a été obtenue par le service France 5 du fait de l’importance de sa contribution financière. Par suite, la seule circonstance que l’audience et la notoriété du service France 5 sont supérieures à celles du service Paris Première n’est pas de nature à établir que ces éléments n’auraient pas été pris en considération par la société Numéricable lors du choix de l’attribution du numéro 5.

*  *   *

En conséquence de tout ce qui précède, le Conseil supérieur de l’audiovisuel,

Après en avoir délibéré le 9 novembre 2011 hors la présence du rapporteur,

Décide :

Art. 1er. − La demande de règlement de différend présentée par la société France Télévisions est rejetée.

Art. 2. − La présente décision sera notifiée aux sociétés France Télévisions, Numericable et Paris Première et publiée au Journal officiel de la République française, sous réserve des secrets protégés par la loi.