Cass. com., 7 janvier 2004, n° 01-17.426
COUR DE CASSATION
Avis
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Tricot
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que M. Jacques X... et sa mère, Mme de B..., veuve X..., ont accepté de céder à la société Yves Rocher les participations minoritaires qu'ils détenaient dans les sociétés JF Participations et JF Développement ; que ces sociétés n'ayant pas donné leur agrément aux projets de cession, la société Yves Rocher a renoncé à l'opération ; que les cédants, invoquant des manoeuvres destinées à faire échouer le projet de cession, ont demandé que M. Z... et les autres associés majoritaires soient condamnés à leur payer, à titre de dommages-intérêts, le montant du prix qui leur était proposé par la société Yves Rocher ;
Sur le pourvoi principal en ce qu'il est formé par M. A..., la société JF Participations, la société The Odile et Nicolas X... 1989 trust C/ JF Particpations et M. Guy X... :
Attendu que M. A..., la société JF Participations, la société The Odile et Nicolas X... 1989 trust C/ JF Participations et M. Guy X... n'ayant produit dans le délai légal aucun mémoire contenant les moyens de droit invoqués contre la décision attaquée, il y a lieu de constater la déchéance du pourvoi ;
Sur le premier moyen du pourvoi principal en ce qu'il est formé par M. Z..., pris en ses cinq branches :
Attendu qu'il est fait grief à l'arrêt d'avoir accueilli cette demande alors, selon le moyen :
1 / que le refus d'agrément de la cession de droits sociaux est légitime pour des associés, sauf abus caractérisé de majorité si bien que la cour d'appel qui, sans réfuter les conclusions des associés majoritaires faisant valoir qu'il était contraire à l'intérêt des sociétés JF Participations et JF Développement de donner à un concurrent direct la possibilité, par le biais d'une participation minoritaire limitée, de s'approprier le savoir-faire et le réseau de vente par réunions de ces sociétés, n'a pas établi en quoi le refus d'agrément aurait été contraire à l'intérêt social de ces sociétés, n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article 1382 du Code civil ;
2 / que si la société refuse de consentir à la cession, les associés sont tenus d'acquérir ou de faire acquérir les droits sociaux à prix fixé dans les conditions prévues à l'article 1843-4 du Code civil ; qu'ainsi, en ne justifiant pas en quoi les associés majoritaires auraient pu être fautifs d'avoir offert d'acquérir les titres JF Développement au prix proposé, et de faire fixer par ailleurs par expert le prix des titres JF Participations, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard des articles L. 223-14 et L. 228-24 du Code de commerce, ensemble l'article 1382 du Code civil ;
3 / que les juges du fond qui, tout en constatant que M. Jacques X... avait, par lettres du 8 août 1998, refusé l'évaluation de l'expert désigné d'un commun accord pour fixer la valeur des titres JF Participations, et mis en demeure les associés soit d'agréer le groupe Yves Rocher, soit de préempter les droits sociaux sur la base du prix proposé, ont imputé à faute aux associés majoritaires l'absence de suite donnée à leur offre d'acquérir, sans réfuter les conclusions de ceux-ci faisant valoir qu'ils n'avaient fait que tirer les conséquences du refus préalable de M. Jacques X... d'accepter l'expertise, ont entaché leur décision d'un défaut de motifs, violant l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;
4 / que de plus, en statuant de la sorte, ils n'ont pas tiré les conséquences légales de leurs propres constatations au regard de l'article 1382 du Code civil ;
5 / qu'en refusant de rechercher si le refus de l'audit exigé par Yves Rocher et devant être réalisé par un de ses directeurs de conception n'était pas, comme l'avait relevé le Tribunal, légitime, en ce qu'il était contraire à l'intérêt social des sociétés, en permettant des investigations par un concurrent direct dans les activités des sociétés, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article 1382 du Code civil ;
Mais attendu que l'arrêt qui ne s'est pas fondé sur le caractère illégitime du refus d'agrément mais sur l'ensemble des décisions prises par les associés majoritaires des sociétés JF Participations et JF Développement, retient que ceux-ci n'ont eu de cesse de prendre des positions de principe entraînant de fait une division de l'offre globale d'acquisition et donc l'impossibilité pour la société Yves Rocher de maintenir cette offre ; qu'il relève à cet égard que cette position a consisté, dans un premier temps, à accepter l'offre la plus faible et à demander une expertise pour le prix le plus fort ; qu'il retient encore qu'après avoir finalement accepté la cession, ils ont refusé l'audit auquel celle-ci était subordonnée et qu'ils avaient implicitement accepté ;
qu'en l'état de ces constatations, dont elle a déduit l'existence de manoeuvres fautives destinées à faire échouer le projet de cession, la cour d'appel, qui a répondu, en les écartant, aux conclusions évoquées à la troisième branche, a légalement justifié sa décision ; que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
Mais sur le second moyen du même pourvoi pris en sa première branche :
Vu l'article 1382 du Code civil ;
Attendu que pour condamner les associés majoritaires à payer à M. Jacques X... et à Mme de B... la somme de 11 770 540 francs (soit 1 794 407, 26 euros) en réparation du préjudice consistant dans la perte d'une chance de céder leurs titres et participations, la cour d'appel retient que cette somme représente le montant total du prix offert par la société Yves Rocher pour la cession des parts de la société JF Participations (9 905 260 francs) et des actions de la société JF Développement (1 865 280 francs) ;
Attendu qu'en statuant ainsi, alors qu'elle constatait que le prix de 6 000 000 francs fixé par l'expert pour les parts de la société JF Participations s'imposait désormais aux parties, ce dont il résultait que M. Jacques X... et Mme de B... ne pouvaient espérer retirer de la cession de ces parts un avantage supérieur à ce prix, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
Et sur la seconde branche du moyen du même pourvoi :
Vu l'article 1382 du Code civil ;
Attendu que la réparation du préjudice consistant dans la perte d'une chance doit être mesurée à la valeur de la chance perdue et ne peut être égale à l'avantage qu'aurait procuré cette chance si elle s'était réalisée ;
Attendu que pour condamner les associés majoritaires à payer à M. Jacques X... et à Mme de B... la somme de 1 794 407,26 euros en réparation du préjudice consistant dans la perte d'une chance de céder leurs titres et participations, la cour d'appel retient que cette somme représente le montant total du prix offert par la société Yves Rocher ;
Attendu qu'en statuant ainsi, alors que la valeur de la chance de céder des titres ou participations ne peut être égale au prix attendu de la cession projetée, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le pourvoi incident,
Constate la déchéance du pourvoi principal en ce qu'il est formé par M. A..., la société JF Participations, la société The Odile et Nicolas X... 1989 trust c/ JF Participations et M. Guy X... ;
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 11 octobre 2001, entre les parties, par la cour d'appel de Grenoble ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Lyon.