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Décisions

CA Poitiers, 2e ch. civ., 31 janvier 2017, n° 15/05110

POITIERS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Espace France Cheval (SARL)

Défendeur :

Cavac (SCA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Sallaberry

Conseillers :

Mme Caillard, Mme Leboucher

Avocats :

Me Clerc, Me Serre, Me Bacle, Me Cornet

TGI La Roche sur Yon, du 15 déc. 2015

15 décembre 2015

La SCA Société Coopérative Agricole CAVAC (la CAVAC) et le GROUPEMENT DES ÉLEVEURS DE L'OUEST (GEO) sont des coopératives agricoles, intervenant, la première dans le secteur de la production de céréales, la deuxième dans le secteur de la production bovine et ovine.

Un projet de traité de fusion absorption a été établi entre elles le 30 octobre 2013 par Monsieur Mickaël B., en qualité de président de GEO et Monsieur Jérôme C., en qualité de président de la CAVAC. Ce projet a été publié dans un Journal d'annonces légales le 31 octobre 2013 et déposé au greffe du Tribunal de Commerce de La ROCHE SUR YON le 4 novembre 2013.

Selon ce projet la Société GEO apporte à la Société CAVAC la totalité de son actif sur la base de son bilan arrêté au juin 2013 à charge pour cette dernière de supporter son passif existant à la même date.

La Société GEO absorbée par la CAVAC a été radiée du Registre du Commerce et des Sociétés de LA ROCHE SUR YON, sa dissolution a été effective à compter de la date de la publication définitive de la fusion le 24 février 2014.

La S. A.R. L. ESPACE FRANCE CHEVAL (EFC) a pour activité la production de viande chevaline. Elle était en relation commerciale avec la Société Etablissements GOURAULT qui lui fournissait les prestations d'abattage des chevaux, découpe, emballage conservation et gestion du stock avant réexpédition par elle-même à ses clients.

La Société GEO détient 100 % des parts de la Société Etablissements GOURAULT sa filiale dont elle est la dirigeante.

La Société Ets GOURAULT a fait l'objet d'un jugement de liquidation judiciaire prononcé par le Tribunal de Commerce de BLOIS le 6 juillet 2012. La S. A.R. L. EFC a déclaré une créance de 4.377.833 € au passif de la Société Ets GOURAULT dans le cadre de la procédure d'admission de créance de la procédure collective de Société Ets GOURAULT, au titre du préjudice subi du fait de la rupture des relations commerciales avec les ETS GOURAULT.

Par ordonnance en date du 26 novembre 2013, le Juge Commissaire à la procédure collective s'est jugé dépourvu de compétence juridictionnelle à statuer sur une créance de dommages et intérêts résultant pour partie de l'application de l'article L. 442-6 I, 5° du Code de commerce et a invité la Société EFC à saisir le juge du fond compétent (pièce 44 EFC). Cette dernière avait déjà saisi le Tribunal de Commerce de GRENOBLE en responsabilité contre la Société Ets GOURAULT et a assigné celle-ci aux mêmes fins devant le Tribunal de Commerce de LYON à la suite de l'ordonnance précitée.

Le Tribunal de Commerce de GRENOBLE s'est déclaré incompétent par jugement du 4 juin 2014 au profit de celui de LYON.

Par jugement du 6 mars 2015, le Tribunal de Commerce de LYON a déclaré cette créance irrecevable et a déclaré la créance inopposable à la procédure collective. L'appel relevé par la Société EFC devant la Cour d'Appel de PARIS a été déclaré caduc.

Entre temps, estimant que l'opération de fusion absorption entre les Sociétés CAVAC et GEO a permis à cette dernière de se dégager de ses responsabilités des Ets GOURAULT, la S. A.R. L. EFC, a, par acte d'huissier du 27 décembre 2013 assigné les Sociétés GEO et CAVAC devant le Tribunal de Grande Instance de LA ROCHE SUR YON aux fins d'obtenir l'annulation pour vice de fond du traité de fusion absorption du 30 octobre 2013 et à défaut l'annulation de la fusion en raison de son caractère frauduleux et déclarer que cette fusion lui est inopposable.

Par ailleurs la S. A.R. L. EFC a déposé plainte en abus de confiance contre X escroquerie, faux et usage de faux et recel de ces infractions auprès du procureur de la République de BLOIS le 7 janvier 2014.

La Société GEO et la CAVAC ont soulevé in limine litis l'incompétence du tribunal sur les demandes de la S. A.R. L. EFC et sa condamnation à des dommages et intérêts pour action abusive.

Par jugement en date du 15 décembre 2015, le Tribunal de Grande Instance de LA ROCHE SUR YON a :

Jugé la Société ESPACE FRANCE CHEVAL irrecevable en son action ; Condamné la Société ESPACE FRANCE CHEVAL à payer à la Société GROUPEMENT DES ELEVEURS DE L'OUEST et à la Société CAVAC :

la somme de 5.000 € de dommages intérêts avec intérêts au taux légal à compter du jugement pour procédure abusive ;

la somme de 4.500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile Condamné la Société ESPACE FRANCE CHEVAL aux dépens.

Par déclaration en date du 23 décembre 2015 la SOCIÉTÉ ESPACE FRANCE CHEVAL a relevé appel de cette décision et selon ses dernières conclusions notifiées le 28 octobre 2016 elle demande à la cour de :

In limine litis :

Vu les articles 74 et 771-1 du Code de procédure civile,

Juger CAVAC irrecevable en son exception d'incompétence soulevée par ses conclusions responsives d'intimée signifiées par RPVA devant la Cour en mai 2016,

Vu la plainte pénale simple contre X en abus de confiance, escroquerie, faux et usage faux, et recel de ces infractions, adressée par la Société ESPACE FRANCE CHEVAL au Procureur de la République près le Tribunal de Grande Instance de BLOIS le 15 octobre 2014, et l'article 4 du Code de procédure pénale,

Surseoir à statuer dans l'attente de l'issue de la procédure pénale.

A titre principal :

Vu les articles 31, 117, 119 et 120 du Code de procédure civile,

Vu l'article 1382 du Code civil (désormais article 1240 nouveau du Code civil),

Infirmer le jugement dont appel et, statuant à nouveau, Relever qu'aucun moyen de rupture brutale de relation commerciale établie n'est invoqué par la Société EFC au dispositif de ses conclusions d'appel ;

Relever que par l'effet conjugué du jugement du Tribunal de Commerce de LYON rendu le 6 mars 2015 et de l'avis de caducité de la déclaration d'appel à l'encontre de ce jugement du 17 juillet 2015 rendu par la Cour d'Appel de PARIS en date du 17 juillet 2015, tout litige de rupture brutale de relation commerciale établie est définitivement éteint.

Juger l'appel recevable et débouter l'intimée de sa fin de non-recevoir tirée de la prétendue inobservation des règles de compétence en matière de rupture des relations commerciales établies, et visant à voir prononcer une incompétence en faveur de la Cour d'Appel de PARIS.

Vu les articles 15, 16, 138 et 139 du Code de procédure civile,

Et vu les articles L. 524-6, L. 524-2-1, et R. 526-4, R. 526-5 et R. 526-6 du Code rural et de la pêche maritime pris ensemble,

Enjoindre aux intimées de communiquer et produire les annexes aux comptes concernés de GROUPEMENT DES ELEVEURS DE L'OUEST, ainsi que tous rapports de gestion et rapports spéciaux du conseil d'administration et des commissaires aux comptes, dont le rapport visé par le second alinéa de l'article L. 524-2-1 du Code rural et de la pêche maritime, ceci sous astreinte provisoire de 500 € par jour, passés huit jours à compter de la signification de la décision à intervenir, et se réserver compétence à liquider ladite astreinte.

Vu les articles 31 et 117 du Code de procédure civile et l'article R. 524-5 du Code rural et de la pêche maritime,

Relever l'inexistence et le défaut de pouvoir et qualité du président d'une société coopérative agricole à représenter celle-ci et qu'ainsi aucune des deux entités défenderesses et intimées n'était validement représentée ès qualités au traité de fusion par l'organe adéquat d'un président du conseil d'administration sur délégation ;

Annuler pour vice de fond le traité de fusion du 30 octobre 2013 entre la Société CAVAC et la Société GROUPEMENT DES ELEVEURS DE L'OUEST.

Ordonner la publication de l'arrêt à intervenir au registre du commerce et des sociétés de LA ROCHE SUR YON, ceci aux frais exclusifs des défenderesses et intimées, et autoriser l'appelante à se substituer aux défenderesses et intimées dans l'accomplissement de cette formalité en cas de défaillance de leur part.

A défaut,

Vu le principe selon lequel la fraude corrompt tout, et à son appui, les articles 1382 du Code civil (en sa numérotation et rédaction applicable aux faits et à la procédure, antérieure à la réforme du droit des obligations au 1er octobre 2016 ; désormais numéroté article 1240 nouveau du Code civil), 31 et 117 du Code de procédure civile, les articles L. 526-4, R. 524-5, R. 526-5, R. 526-6 et R. 526-10 du Code rural et de la pêche maritime,

Déclarer la Société EFC recevable et bien fondée en ses demandes, et rejeter tout moyen de prescription des défendeurs ;

Juger invalide et irrégulière la publication du traité de fusion par les défenderesses et intimées ;

Annuler le traité de fusion absorption et la fusion absorption entreprise, ceci en raison de son caractère frauduleux et abusif, ainsi que toute délibération, acte, et décision d'approbation et d'exécution rendues par les conseils d'administration des défenderesses et intimées et leurs assemblées générales en préparation ou en exécution de ladite fusion absorption ; ou à défaut d'annuler, le juger inopposable à l'appelante.

Condamner les intimées à indemniser la Société EFC à hauteur de 4.377.833 € de dommages et intérêts au titre du préjudice spécial occasionné par la menée de pourparlers déloyaux et dolosifs puis sa rupture brutale et fautive de pourparlers.

Ordonner la publication de l'arrêt à intervenir au registre du commerce et des sociétés de LA ROCHE SUR YON, ceci aux frais exclusifs des défenderesses et intimées, et autoriser l'appelante à se substituer aux défenderesses et intimées dans l'accomplissement de cette formalité en cas de défaillance de leur part.

Vu l'article 1382 du Code civil (article 1240 nouveau du Code civil) et l'article L. 526-7 du Code rural et de la pêche maritime,

Ordonner le remboursement ou la constitution de garanties adéquates par les défenderesses et intimées en faveur de l'appelante, ceci à hauteur du préjudice subi de 4.377.833 €, dont 4.327.833 € TTC.

A titre subsidiaire :

Infirmer le jugement dont appel et, statuant à nouveau,

Vu l'article 1167 du Code civil (en sa numérotation et rédaction applicable aux faits et à la procédure, antérieure à la réforme du droit des obligations au 1er octobre 2016),

Juger la fusion absorption inopposable à la Société ESPACE FRANCE CHEVAL. Condamner les sociétés intimées à indemniser la Société ESPACE FRANCE CHEVAL à hauteur de 4.377.833 € du préjudice spécial occasionné par sa rupture brutale et fautive de pourparlers.

Ordonner la publication de l'arrêt à intervenir au registre du commerce et des sociétés de LA ROCHE SUR YON, ceci aux frais exclusifs des défenderesses et intimées, et autoriser l'appelante à se substituer aux défenderesses et intimées dans l'accomplissement de cette formalité en cas de défaillance de leur part.

A titre infiniment subsidiaire :

Infirmer le jugement dont appel et, statuant à nouveau,

Vu l'article 1382 du Code civil (en sa numérotation et rédaction applicable aux faits et à la procédure, antérieure à la réforme du droit des obligations au 1er octobre 2016 ; désormais numéroté article 1240 nouveau du Code civil),

A défaut d'annuler la fusion absorption ou de la déclarer inopposable à la Société ESPACE FRANCE CHEVAL.

Condamner la Société CAVAC disant venir aux droits de la Société GROUPEMENT DES ELEVEURS DE L'OUEST par transmission universelle du patrimoine à indemniser la Société EFC à hauteur de 4.377.833 € du préjudice spécial occasionné par la menée de pourparlers dolosifs visant à préparer ladite fusion et rupture brutale et fautive de pourparlers effectuée par la Société GROUPEMENT DES ELEVEURS DE L'OUEST.

En tout état de cause:

Rejeter l'ensemble des demandes irrecevables et mal fondées des intimées. Condamner les intimées les intimées à lui payer in solidum la somme de 3.000 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile et en tous les dépens.

Dans ses dernières conclurions notifiées le 24 octobre 2016 la Société CAVAC venant aux droits de la SCA GROUPEMENT DES ÉLEVEURS DE L'OUEST demande à la cour de :

A titre liminaire

Relever la fin de non-recevoir d'ordre public tirée de l'inobservation des règles de compétence en matière de rupture des relations commerciales établies et, en conséquence, se déclarer incompétente au profit de la Cour d'Appel de PARIS.

Rejeter les demandes de sursis à statuer présentées par la Société ESPACE FRANCE CHEVAL ;

En tout état de cause :

Confirmer le Jugement rendu par le Tribunal de Grande Instance de LA ROCHE SUR YON en date du 15 décembre 2015 en ce qu'il a déclaré irrecevables l'ensemble des demandes de la Société EFC

Dire et Juger que l'action de la Société EFC est manifestement abusive ; Condamner la Société EFC à leur payer : la somme de 10.000 € à titre de dommages intérêts pour action en justice abusive ; la somme de 5.000 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile ;

Condamner la Société EFC aux entiers dépens.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 16 novembre 2016.

MOTIFS DE LA DÉCISION

I - SUR LES EXCEPTIONS DE PROCÉDURE

L'EXCEPTION D'INCOMPÉTENCE AU PROFIT DE LA COUR D'APPEL DE PARIS

Devant la cour la CAVAC soulève la fin de non-recevoir tirée de l'application de l'article D. 442-4 du code de commerce prévoyant la compétence exclusive de la cour d'appel de Paris, partant du principe que l'action engagée par la Société EFC est en réalité fondée sur des faits de rupture de relations commerciales établies (article L. 442-6 du code de commerce) Elle estime indifférent que l'appelante ait fondé son action sur d'autres textes puisque ces dispositions sont d'ordre public, et qu'elle ne peut valablement invoquer le droit commun de la responsabilité, ou toute autre qualification juridique, pour s'affranchir de l'application de l'article L. 442-6 susvisé et introduire son action devant une autre juridiction que celle exclusivement compétente en la matière.

Selon l'article 12 du code de procédure civile le juge doit restituer leur exacte qualification aux faits et actes litigieux qui lui sont soumis, la Société EFC sollicite notamment la condamnation des Sociétés CAVAC et GEO au paiement de la somme de 4.377.833 € au titre d'un prétendu préjudice spécial occasionné par une rupture brutale et fautive des pourparlers mais en réalité elle vise rupture brutale des relations commerciales établies entre elle et la Société Ets GOURAULT c'est à dire sur le fondement de l'article L.442-6 I 5° du code de commerce. C'est sur ce même fondement que l'appelante a saisi le Tribunal de Commerce de LYON, par assignation en date du 18 décembre 2013, pour voir fixer sa créance au passif de la Société Ets GOURAULT à hauteur de 4.377.833 €, par jugement du 6 mars 2015, le Tribunal de Commerce de LYON a déclaré irrecevable la Société EFC en ses demandes, fins et conclusions et déclaré son éventuelle créance inopposable à la procédure collective de la société, son appel a été déclaré caduc.

La Société EFC demande à la cour de constater que n'est pas invoquée la rupture brutale de relation commerciale établie au dispositif de ses conclusions d'appel et que par l'effet conjugué du jugement du jugement du Tribunal de Commerce de LYON du 6 mars 2015 et de l'avis de caducité du 17 juillet 2015 de la déclaration d'appel à l'encontre de ce jugement, tout litige de rupture brutale de relation commerciale établie est définitivement éteint.

Dans la présente instance elle poursuit l'annulation du traité de fusion sur des fondements totalement différents, la fin de non-recevoir sera donc écartée.

Il convient de constater que l'objet de la présente action engagée par la S. A.R. L. EFC est la poursuite de l'annulation du traité de fusion absorption entre CAVAC et GEO ou de son inopposabilité à son égard sur divers fondements. La demande de condamnation à des dommages et intérêts, bien qu'il s'agisse toujours de la même somme, résultant du préjudice qui serait par elle subi du fait de cette fusion, la privant de sa possibilité de recouvrer sa créance.

Il s'ensuit que n'agissant pas sur le fondement de l'article L. 442-6 du code de commerce relatif à la rupture de relations commerciales établies, l'article D. 442-4 du code de commerce prévoyant la compétence exclusive de la cour d'appel de Paris ne peut trouver ici application.

La fin de non-recevoir invoquée par la CAVAC sera écartée.

SUR LA DEMANDE DE SURSIS À STATUER

La S. A.R. L. EFC fait valoir que l'un des deux fondements au soutien de sa demande de nullité pour fraude et abus de droit de la fusion absorption des défenderesses et intimées est la plainte pénale adressée au Procureur de la République de BLOIS le 15 octobre 2014 (pièce 61 appelante) portant sur la dissipation de plus de 15 tonnes de marchandises et les manoeuvres et dissimulation ayant accompagné cet escamotage du stock, elle demande à la cour de surseoir à statuer dans l'attente de l'issue de la procédure pénale.

La CAVAC s'oppose à cette demande estimant que l'issue de cette plainte est sans aucun lien et n'aura aucune incidence sur l'action engagée visant à l'annulation du traité de fusion, cette demande étant parfaitement dilatoire.

La plainte visant les ETS GOURAULT a été déposée par la S. A.R. L. EFC le 15 octobre 2014, aucune suite n'y a été donnée à ce jour. En outre il sera relevé que la fusion absorption éteint la responsabilité pénale de la société absorbée GEO détentrice de100 % des parts de la Société Ets GOURAULT dont elle est la dirigeante.

Il n'existe aucun lien de fait ou de droit entre les faits visés par la plainte et le traité de fusion intervenu entre la Société GEO et la CAVAC, cette plainte ne visant que des agissements de la Société Ets GOURAULT, est intervenue plusieurs mois après la fusion qui ne pouvait donc avoir pour objet d'éluder une quelconque responsabilité pénale.

La demande de sursis à statuer sera écartée.

SUR LA RECEVABILITÉ DES DEMANDES DE LA S. A.R. L. EFC

La CAVAC soulève la fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité et d'intérêt à agir de la S. A.R. L. EFC pour solliciter l'annulation du traité de fusion intervenu entre elle la Société GEO et ajoute qu'en outre l'action en annulation si elle était ouverte à la S. A.R. L. EFC serait prescrite.

La Société EFC recherche l'annulation ou l'inopposabilité du traité de fusion du 30 octobre 2013 entre les deux coopératives CAVAC et GEO, qui porterait atteinte à ses intérêts dans le recouvrement d'une créance indemnitaire qui résulterait d'une rupture fautive d'une relation commerciale établie avec la Société Ets GOURAULT filiale de GEO.

Elle demande donc sur divers fondements juridiques, l'annulation pour vice de fond du traité de fusion absorption ( défaut de représentation valide par l'organe adéquat pour chacune des parties au traité), de juger invalide et irrégulière la publication du traité de fusion par les défenderesses et intimées, son annulation en raison de son caractère frauduleux et abusif, ainsi que tout acte en préparation ou en exécution de la fusion absorption , son inopposabilité sur le fondement de l'article 1167 (action paulienne) et sur le fondement de la responsabilité fautive. De tous ces chefs, alternativement, elle demande l'indemnisation de son préjudice qu'elle chiffre à la même somme que celle demandée dans le cadre de sa déclaration de créances jugée irrecevable et de ses demandes dans le cadre de la rupture abusive des relations commerciales établies.

Avant d'examiner le bien-fondé de ces demandes, il faut déterminer si la Société EFC a qualité et intérêt à agir pour demander l'annulation ou l'inopposabilité du traité de fusion et ce sur les différents fondements invoqués.

En application de l'article 122 du code de procédure civile constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt la prescription, le délai préfix, le chose jugée.

L'article 31 du même code prévoit l'action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention, sous réserve des cas dans lesquels a loi attribue le droit d'agir aux seules personnes qu'elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé.

Selon l'article 32 du code de procédure civile est irrecevable toute prétention émise par ou contre une personne dépourvue du droit d'agir.

L'intérêt et la qualité à agir sont appréciés au jour de l'introduction de la demande. L'intérêt doit être né, actuel et personnel.

Il résulte de l'article 1167 du code civil que les créanciers peuvent aussi, en leur nom personnel, attaquer les actes faits par leur débiteur en fraude de leurs droits. Cette action suppose que celui qui engage l'action paulienne ait la qualité de créancier et l'initie à l'encontre de celui qui a à son égard la qualité de débiteur.

Les Sociétés GEO et CAVAC sont des sociétés coopératives agricoles qui disposent d'un statut autonome codifié par les articles L. 521-1 et suivants du code rural, ce statut est distinct de celui des sociétés civiles et commerciales l'opération de fusion en cause, est donc soumise à ces dispositions.

Selon l'article L. 526-7 du code rural et de la pèche maritime seuls les créanciers non obligataires et les créanciers qui ne sont pas associés des coopératives agricoles ou des unions participant à l'opération de fusion ou de scission et dont la créance est antérieure à la publicité donnée au projet de fusion ou de scission, peuvent former opposition à celui-ci.

L'article L. 526-7-1 du même code prévoit que la nullité d'une opération de fusion ou de scission ne peut résulter que de la nullité de la délibération de l'une des assemblées qui ont décidé l'opération.

Pour justifier de son droit à engager cette action, la Société EFC invoque une créance de 4.321.833 € à l'encontre des Ets GOURAULT filiale de GEO et donc la qualité de créancier à l'égard de GEO en sa qualité de dirigeante de la Société Ets GOURAULT.

Cependant la créance invoquée par la S. A.R. L. EFC n'est fondée sur aucun titre, l'action qu'elle a engagée pour en obtenir un (action en responsabilité pour rupture des relations commerciales établies) a été déclaré irrecevable notamment en ce que la créance n'était pas chiffrée ni déterminable.

La créance n'étant pas établie la S. A.R. L. EFC ne peut donc se prévaloir de la qualité de créancier, cette décision est définitive son appel interjeté devant la cour d'appel de Paris investie de la compétence spéciale rationae materiae a été déclaré caduc le 17 juillet 2015.

Il s'ensuit qu'EFC ne peut se prévaloir de la qualité de créancière ni de la Société GEO, en sa qualité associée à 100% de la Société Ets GOURAULT, ni de la CAVAC en sa qualité de société absorbante de la Société GEO.

Or en application des textes visés supra les textes cités supra et notamment l'article L. 526-7 du code rural et de la pèche maritime elle ne peut attaquer le traité de fusion que si elle a cette qualité.

Sur le fondement de l'action paulienne prévue à l'article 1167 du code civil, elle n'établit pas davantage la qualité de créancier exigence fixée par ce texte pour agir, car contrairement à ce que soutient la S. A.R. L. EFC un principe de créance n'est pas suffisant pour agir en qualité de créancier au titre de l'action paulienne, la qualité de créancier titulaire d'un créance certaine liquide et exigible est nécessaire. En effet un principe de créance ne permet que d'obtenir la prise de mesures conservatoires, ce qui n'est pas le cas en l'espèce. Une déclaration de créances faite à une procédure collective ne répond pas au critère de créance certaine liquide et exigible et ce d'autant plus qu'en l'espèce, la créance a été rejetée par le tribunal saisi à la suite du renvoi par le juge commissaire devant lui (Tribunal de Commerce de LYON 6 mars 2015).

Enfin l'article L. 526-3 du code rural et de la pêche maritime prévoit qu'en cas de fusion la société absorbante acquiert le patrimoine pris tant dans sa dimension active que passive de telle sorte que si la Société EFC pouvait justifier par la suite d'une créance elle pourrait en poursuivre le recouvrement sur le patrimoine de CAVAC société absorbante en raison de la transmission universelle du patrimoine opérée par la fusion.

Concernant l'intérêt à agir, la fusion entraîne le transfert de l'intégralité du passif de la société absorbée à la société absorbante.

Selon l'appelante, cette opération serait frauduleuse dès lors que cela permettrait à la Société GEO de «gommer ou d'atténuer ses propres responsabilités en tant qu'associée à 100 % et dirigeante de sa filiale Ets GOURAULT. Cependant même si elle démontrait sa qualité de créancière des Ets GOURAULT, la fusion opérée entre les Sociétés CAVAC et GEO n'aurait strictement aucune incidence pour elle.

En effet en vertu de l'article L. 526-3 du Code rural, applicable au cas d'espèce :

«Une ou plusieurs coopératives agricoles ou unions de coopératives agricoles peuvent, par voie de fusion, transmettre à une société coopérative agricole ou à une union de coopératives agricoles existante ou à une nouvelle coopérative ou union de coopératives l'ensemble de leur patrimoine actif et passif.

La fusion ou la scission entraîne la dissolution sans liquidation de la coopérative ou de l'union qui disparaît et la transmission universelle de son patrimoine aux coopératives ou unions bénéficiaires, dans l'Etat où il se trouve à la date de réalisation définitive de l'opération. Les associés des coopératives agricoles ou unions de coopératives agricoles qui transmettent leur patrimoine par voie de fusion ou de scission deviennent associés des sociétés coopératives agricoles ou des unions bénéficiaires dans les conditions prévues à l'article L. 526-5».

L'article L.236-3- I du Code de commerce dispose quant à lui que :

«I. - La fusion ou la scission entraîne la dissolution sans liquidation des sociétés qui disparaissent et la transmission universelle de leur patrimoine aux sociétés bénéficiaires, dans l'état où il se trouve à la date de réalisation définitive de l'opération. Elle entraîne simultanément l'acquisition, par les associés des sociétés qui disparaissent, de la qualité d'associés des sociétés bénéficiaires, dans les conditions déterminées par le contrat de fusion ou de scission».

Par l'effet de la transmission universelle du patrimoine, la société absorbante se voit donc transférer l'intégralité du passif de la société absorbée.

L'article L.236-14 du Code de commerce dispose : 'La société absorbante est débitrice des créanciers non obligataires de la société absorbée au lieu et place de celle-ci, sans que cette substitution emporte novation à leur égard '.

La prise en charge du passif figure dans la résolution l'Assemblée Générale Extraordinaire du 6 décembre 2013, au cours de laquelle le traité de fusion et ses annexes ont été adoptés par les associés de la Société GEO (Pièce 9 CAVAC).

Il s'ensuit que la société absorbante est débitrice des créanciers de la société absorbée, ainsi la S. A.R. L. EFC n'a aucun intérêt à agir.

Enfin la CAVAC fait valoir que la S. A.R. L. EFC n'a pas fait opposition au traité de fusion dans les délais prescrits de l'article R.526-10 du code rural et de la pêche maritime, son action étant donc prescrite.

L'article sus visé est ainsi libellé : 'L'opposition d'un créancier à la fusion ou à la scission, dans les conditions prévues à l'article L. 526-7, doit être formée dans un délai de trente jours à compter de la date la plus tardive des insertions mentionnées à l'article R. 526-6. L'opposition des représentants de la masse des obligataires à la fusion est faite dans le même délai. Dans tous les cas, l'opposition est formée devant le tribunal de grande instance. L'offre de remboursement des obligataires est effectuée selon les modalités prévues aux articles R. 236-11 et R. 236-12 du code de commerce'.

L'article R. 526-6 susmentionné prévoit que le projet de fusion doit être déposé au greffe du Tribunal de commerce du siège social de chaque société coopérative et doit faire l'objet d'un avis inséré dans un journal habilité à recevoir des annonces légales.

En l'espèce le projet de traité de fusion a été déposé au greffe du Tribunal de Commerce de LA

ROCHE SUR YON le 4 novembre 2013 (Pièce EFC n°40), il a fait l'objet d'une publication dans un journal d'annonces légales en date du 31 octobre 2013 (Pièce CAVAC n°10).

Conformément aux dispositions de l'article R. 526-10, la date la plus tardive est celle du dépôt au greffe du projet de fusion, soit le 4 novembre 2013. La S. A.R. L. EFC avait donc jusqu'au 4 décembre 2013 au plus tard pour former opposition, son assignation devant le Tribunal de Grande Instance de LA ROCHE SUR YON a été délivrée le 27 décembre 2013, son action pour autant qu'elle eût été déclarée recevable aurait donc été atteinte par la prescription.

Il résulte de l'ensemble des développements qui précèdent que la S. A.R. L. EFC est irrecevable en son action et en ses demandes tendant à l'annulation du traité de fusion, les fins de non-recevoir soulevées par la CAVAC étant accueillies. Le jugement déféré sera donc confirmé sur ce point.

II - SUR LA DEMANDE DE DOMMAGES ET INTÉRÊTS POUR PROCÉDURE ABUSIVE

La CAVAC demande la confirmation du jugement qui a fait droit à sa demande d'octroi de dommages et intérêts à hauteur de 5.000 € pour sanctionner le caractère abusif de l'action engagée à son encontre par la S. A.R. L. EFC.

La S. A.R. L. EFC s'oppose à cette demande insistant sur le fait qu'elle n'a pas eu d'autre choix que d'agir pour défendre ses intérêts légitimes.

L'action engagée par la S. A.R. L. EFC a dégénéré en abus en ce qu'elle a tenté par le biais de la contestation d'une fusion absorption d'obtenir par des voies détournées la reconnaissance d'une créance envers la CAVAC, créance qui n'avait pas été admise dans le cadre d'autres procédures qu'elle avait engagées. C'est pour le surplus par des motifs adoptés par la cour que le tribunal a condamné la S. A.R. L. EFC à réparer le préjudice causé à la CAVAC par le caractère abusif de son action par l'octroi de la somme justement appréciée de 5.000 € à titre de dommages et intérêts.

La décision déférée sera également confirmée sur ce point.

III - SUR LES DÉPENS ET L'ARTICLE 700 DU CODE DE PROCÉDURE CIVILE

Confirmé dans toutes ses dispositions le jugement entrepris le sera également sur celles relatives aux dépens et à l'article 700 du code de procédure civile.

Succombant totalement en son appel la S. A.R. L. EFC sera condamnée à en supporter les dépens et à indemniser la CAVAC des frais non répétibles qu'elle a dû engager pour assurer à nouveau en appel la défense de ses intérêts. Elle sera condamnée de ce chef à payer la somme de 5.000 € à la CAVAC.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Statuant après en avoir délibéré, publiquement, en matière civile, en dernier ressort et contradictoirement,

Rejette la fin de non-recevoir soulevée par la SCA Société Coopérative Agricole CAVAC venant aux droits de la SCA Groupement des Eleveurs de l'Ouest, tirée des dispositions l'article D.442-4 du code de commerce relative à la compétence exclusive de la Cour d'Appel de PARIS.

Rejette la demande de sursis à statuer de la S. A.R. L. ESPACE FRANCE CHEVAL

Confirme en toutes ses dispositions le jugement rendu par le Tribunal de Grande Instance de LA ROCHE SUR YON le 15 décembre 2015.

Y ajoutant

Condamne la S. A.R. L. ESPACE FRANCE CHEVAL à payer à la SCA Société Coopérative Agricole CAVAC venant aux droits de la SCA GROUPEMENT DES ELEVEURS DE L'OUEST la somme de 5.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Condamne la S. A.R. L. ESPACE FRANCE CHEVAL à supporter les dépens d'appel.