Livv
Décisions

CA Douai, 2e ch. sect. 2, 27 avril 2010, n° 09/01580

DOUAI

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Bils Deroo Holding (SA)

Défendeur :

Crédit Lyonnais Capital Investissement (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Olivier

Conseillers :

Mme Cagnard, Mme Neve de Mevergnies

Avoués :

SCP Thery-Laurent, SCP Deleforge Franchi

Avocats :

Me Boureux, Me Soland, Me Picard, Me Rivals

T. com. Douai, du 4 févr. 2009, n° 08.00…

4 février 2009

La SA BILS DEROO HOLDING a fait l'objet d'une procédure de redressement judiciaire ouverte le 7 mai 2002. Dans le cadre de cette procédure, la SA CRÉDIT LYONNAIS CAPITAL INVESTISSEMENT a déclaré, le 17 mai 2002, une créance pour un montant de 864 223,04 € dont 771 190,81 € au titre d'un emprunt obligataire. Par lettre recommandée avec avis de réception du 18 juillet 2002, la SA CRÉDIT LYONNAIS CAPITAL INVESTISSEMENT a procédé à une seconde déclaration de créances portant sur une somme de 965'977,93 € dont à nouveau celle au titre de l'emprunt obligataire cette fois-ci en qualité de représentant de la masse des obligataires après avoir été désignée en cette qualité quelques jours auparavant. Par ordonnance du 3 septembre 2003, le Juge Commissaire a statué ainsi sur ces deux déclarations de créances :

* déclaration du 17 mai 2002 : admission pour 92 852,23 € et rejet pour 771 190,81 €,

* déclaration du 18 juillet 2002 : acceptation pour la totalité déclarée dont les 771 190,81 € de l'emprunt obligataire.

La SA BILS DEROO HOLDING se plaint d'avoir dû supporter les honoraires du représentant des créanciers sur la créance rejetée soit la somme de 38'559,54 € correspondant à 5 % de 771'190,81 € ; elle reproche à cet égard à la SA CRÉDIT LYONNAIS CAPITAL INVESTISSEMENT d'avoir abusivement déclaré une créance le 17 mai 2002.

Par jugement du 4 février 2009, le Tribunal de Commerce de DOUAI a, notamment, rejeté la demande de la SA BILS DEROO HOLDING tendant à voir condamner la SA CRÉDIT LYONNAIS CAPITAL INVESTISSEMENT à lui payer la somme de 38'550,54 €, et l'a condamnée à payer à cette dernière une indemnité de 2 500 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Par déclaration au Greffe en date du 3 mars 2009, la SA BILS DEROO HOLDING a interjeté appel de cette décision. Dans ses dernières conclusions déposées le 3 juillet 2009, elle demande la réformation du jugement, et la condamnation de la SA CRÉDIT LYONNAIS CAPITAL INVESTISSEMENT à lui payer la somme principale de 38'559,54 € outre intérêts judiciaires à compter de l'assignation, ainsi que celle de 2 000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile.

Elle fait valoir notamment, à l'appui de sa position et de ses demandes, que la déclaration opérée le 17 mai 2002 par la SA CRÉDIT LYONNAIS CAPITAL INVESTISSEMENT est abusive dès lors qu'en application de l'article L. 228-84 du code de commerce, toute déclaration individuelle de créance de la part d'un obligataire est exclue, dans la mesure où la dite créance ne peut être déclarée que par le représentant de la masse de ces obligataires laquelle dispose d'une personnalité juridique distincte. Cette démarche était donc intempestive, et elle a augmenté inutilement les émoluments du représentant des créanciers. Elle ajoute que la SA CRÉDIT LYONNAIS CAPITAL INVESTISSEMENT en a d'ailleurs reconnu le caractère infondé en concluant au rejet de la créance ainsi déclarée, mais que cette renonciation est intervenue postérieurement à la contestation du mandataire de sorte que les émoluments de ce dernier étaient quand même dus.

La SA CRÉDIT LYONNAIS CAPITAL INVESTISSEMENT, dans ses dernières conclusions déposées le 18 août 2009, demande la confirmation du jugement déféré et la condamnation de la SA BILS DEROO HOLDING à lui payer la somme de 10 000 € en application de l'article 700 du Code de Procédure Civile.

Elle soutient à cette fin, que sa déclaration du 17 mai 2002 ne présente aucun caractère abusif, mais qu'elle a été opérée à titre conservatoire, pour éviter la déchéance encourue à défaut de déclaration dans le délai.

Elle ajoute que c'est la SA BILS DEROO HOLDING qui a provoqué la facturation des émoluments en opérant une contestation alors qu'elle-même avait renoncé à sa première déclaration de créance ; au surplus, la société débitrice n'a pas contesté l'ordonnance de taxe arrêtant les émoluments du mandataire. Quant à elle, aucune faute ne serait démontrée à son encontre.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la demande principale

La demande de la SA BILS DEROO HOLDING est fondée sur les dispositions de l'article 1382 du Code Civil ; elle invoque en ce sens la faute de la SA CRÉDIT LYONNAIS CAPITAL INVESTISSEMENT pour avoir déclaré de façon intempestive une créance le 17 mai 2002, ce qui a entraîné une contestation, un rejet de cette créance et l'obligation pour elle-même de supporter les honoraires du représentant des créanciers sur cette contestation.

Il convient donc d'examiner si la déclaration de cette créance par la SA CRÉDIT LYONNAIS CAPITAL INVESTISSEMENT a présenté un caractère fautif, notamment par une légèreté confinant à l'abus, de telle manière qu'elle a entraîné, pour la SA BILS DEROO HOLDING, le préjudice consistant dans la charge des honoraires de contestation du représentant des créanciers.

En l'espère, la déclaration faite par la SA CRÉDIT LYONNAIS CAPITAL INVESTISSEMENT le 17 mai 2002 (sa pièce n° 3) l'a été en son nom personnel notamment pour la créance résultant de l'emprunt obligataire puisqu'elle indique dans cette déclaration de créance : 'La Société Anonyme CRÉDIT LYONNAIS CAPITAL INVESTISSEMENT (...) déclare sa créance au Redressement Judiciaire (...) de la Société Anonyme BILS DEROO HOLDING (...) à titre de créancier chirographaire, en principal à raison de la souscription d'un emprunt obligataire convertible (...)' pour 732 060,18 € outre les intérêts courus sur cet emprunt à hauteur de 39 310,63 €. Or, l'article L. 228-46 du Code de Commerce édicte que 'les porteurs d'obligations d'une même émission sont groupés de plein droit pour la défense de leurs intérêts communs en une masse qui jouit de la personnalité civile', et l'article 228-84 du même code précise que 'les représentants de la masse déclarent au passif de la sauvegarde, du redressement ou de la liquidation judiciaire de la société, pour tous les obligataires de cette masse , le montant en principal des obligations (...) augmenté des coupons d'intérêts échus et non payés...'. Il résulte de la combinaison de ces textes qu'en l'espèce, la SA CRÉDIT LYONNAIS CAPITAL INVESTISSEMENT n'avait aucune qualité pour déclarer elle-même sa créance reposant sur l'emprunt obligataire ainsi qu'elle l'a fait le 17 mai 2002, ce avant qu'un représentant de la masse soit élu, pour ce faire, par les créanciers de cette masse. Dès lors, elle ne peut soutenir valablement, ainsi qu'elle le fait, que cette déclaration aurait été faite à titre préventif et conservatoire ou encore 'à toutes fins utiles', dès lors qu'à défaut pour elle de posséder la qualité requise, la déclaration ainsi effectuée ne pouvait avoir aucun effet ni pour sauvegarder ses droits, ni pour interrompre un quelconque délai. Cette déclaration a, par conséquent, été faite à tort.

Il convient de noter, par ailleurs, que la SA CRÉDIT LYONNAIS CAPITAL INVESTISSEMENT, lorsqu'elle a, deux mois plus tard le 18 juillet 2002, procédé à la déclaration notamment de la même créance, mais cette fois en qualité de représentante de la masse des obligataires, n'a pas pour autant précisé, dans la dite déclaration, qu'elle venait en remplacement et annulation de la déclaration précédemment faite par elle à tort. Or si elle avait pris soin de procéder ainsi en opérant sa seconde déclaration, elle aurait ainsi fait perdre tout effet à la première déclaration, laquelle n'aurait par conséquent pas donné lieu à contestation ni à rémunération du mandataire. En ne le faisant pas, elle a ouvert la voie à la dite contestation, rendue nécessaire par les effets de la déclaration de créance inopportune mais néanmoins équivalente à une demande en justice saisissant le Juge Commissaire d'une demande d'admission de créance, à laquelle une suite devait nécessairement être donnée à défaut de quoi il y aurait eu déni de justice.

En outre, c'est à tort que la SA CRÉDIT LYONNAIS CAPITAL INVESTISSEMENT soutient qu'elle a 'renoncé' à cette première déclaration de créance avant même que le représentant des créanciers ait formalisé sa contestation, ce qui aurait, selon elle, dû couper court à toute procédure devant le Juge Commissaire et par conséquent à honoraires de contestation. En effet, au vu de sa lettre du 29 avril 2003 qu'elle invoque en ce sens, lettre réitérée dans les mêmes termes le 25 juin 2003, il apparaît qu'elle ne précise pas qu'elle renonce à sa première déclaration de créance ce qui aurait équivalu à un désistement, mais elle indique demander au représentant des créanciers de rejeter cette première déclaration de créance pour ce poste, ce qui ne pouvait donner lieu qu'à une procédure de contestation devant le Juge Commissaire afin de conduire à une décision de rejet de ce Magistrat.

Dans ces conditions, il apparaît que la SA CRÉDIT LYONNAIS CAPITAL INVESTISSEMENT a, en déclarant une créance en son nom personnel pour ce poste le 17 mai 2002, puis par le contenu des courriers qu'elle a adressés par la suite au représentant des créanciers soit personnellement soit par l'intermédiaire de son conseil, agi sans qualité et en rendant inéluctable une contestation de cette créance ouvrant lieu à des honoraires du mandataire de justice. En ce faisant, elle a agi avec une légèreté blâmable constitutive d'une faute, cette dernière ayant eu comme conséquence d'augmenter inutilement les émoluments du représentant des créanciers à la charge de l'entreprise dans le cadre du plan de redressement adopté concernant cette dernière.

Dès lors, sa faute ayant été directement à l'origine du préjudice qui en est résulté pour la SA BILS DEROO HOLDING et consistant dans le montant exact des honoraires de contestation de cette créance, elle doit être condamnée à l'indemniser du montant de ces derniers soit de 38 559,54 € c'est-à-dire 5% de 771 190,81 €.

Le jugement sera donc infirmé dans sa totalité, et la SA CRÉDIT LYONNAIS CAPITAL INVESTISSEMENT condamnée à payer à la SA BILS DEROO HOLDING la somme principale de 38 559,54 € montant des émoluments du représentant des créanciers, outre intérêts au taux légal à compter du présent arrêt, rien ne justifiant de faire remonter le point de départ des intérêts à une date antérieure en application des dispositions de l'article 1153-1 du Code Civil.

Sur les demandes accessoires

La SA CRÉDIT LYONNAIS CAPITAL INVESTISSEMENT, succombant en sa position, devra supporter les dépens de première instance et d'appel en application de l'article 696 du Code de Procédure Civile. Pour les mêmes motifs, il n'est pas possible de faire application de l'article 700 du Code de Procédure Civile en sa faveur.

Il apparaît inéquitable de laisser à la charge de la SA BILS DEROO HOLDING tout ou partie des frais exposés dans le cadre de la présente et de l'instance devant le premier juge et non compris dans les dépens ; il y a donc lieu de lui allouer la somme de 2 000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,

INFIRME en toutes ses dispositions le jugement déféré.

Statuant à nouveau et y ajoutant :

CONDAMNE la SA CRÉDIT LYONNAIS CAPITAL INVESTISSEMENT à payer à la SA BILS DEROO HOLDING la somme principale de 38 559,54 € à titre de dommages-intérêts outre intérêts au taux légal à compter de la signification du présent.

CONDAMNE la SA CRÉDIT LYONNAIS CAPITAL INVESTISSEMENT à payer à la SA BILS DEROO HOLDING la somme de 2 000 € en application de l'article 700 du Code de Procédure Civile.

REJETTE toutes les autres demandes.

CONDAMNE la SA CRÉDIT LYONNAIS CAPITAL INVESTISSEMENT aux dépens de première instance et d'appel, avec, pour ces derniers, droit de recouvrement direct au profit de la SCP THERY-LAURENT, avoués associés, en application des dispositions de l'article 699 du Code de Procédure Civile.