CA Paris, Pôle 5 ch. 8, 25 janvier 2011, n° 10/19029
PARIS
Arrêt
Autre
PARTIES
Demandeur :
La Porte de Montmartre (SAS)
Défendeur :
Me Danguy (ès qual.), Banque HSBC (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Maestracci
Conseillers :
Mme Moracchini, Mme Delbes
Avoués :
Me Huyghe, SCP Petit Lesenechal, Me Bettinger
Avocats :
Me Loreal, Me Couraud, Me Imogai
Vu le jugement rendu le 4 mars 2010 par le tribunal de commerce de Bobigny, qui a prononcé la liquidation judiciaire de la société PRIMI PASTI PIZZA (PPP), exploitante d'un fonds de commerce de brasserie restauration à Saint-Ouen (93), et a désigné Maître Danguy, en qualité de mandataire liquidateur ;
Vu l'ordonnance rendue le 9 septembre 2010 par le juge-commissaire de la liquidation judiciaire qui, sur requête de Maître DANGUY, ès qualités :
- a ordonné la vente de gré à gré du fonds de commerce appartenant à la société débitrice au profit de Monsieur Erdem K. pour le compte de la SARL LE SULTAN, en cours de formation, dont il est garant et solidaire, pour le prix de 90.000 € se répartissant entre les biens incorporels pour un montant de 49.280 € et les éléments corporels pour un montant de 40.720 € , sommes payables comptant à la signature, déduction faite d'un acompte de 30.000 € représenté par 2 chèques de banque BBRV remis au liquidateur,
- a autorisé Maître DANGUY, ès qualités, à céder ce fonds à ces conditions et à régler au bailleur par priorité les loyers dus à compter du jugement de liquidation judiciaire et jusqu'à la date de signature de l'ordonnance,
- a dit que l'acquéreur devra rembourser à la liquidation judiciaire le dépôt de garantie sous réserve de son existence entre les mains du bailleur,
- a dit que l'acquéreur devra régler les loyers à compter de la signature de l'ordonnance,
- a dit que la cession sera régularisée dans un délai de trois mois à compter de la signature de l'ordonnance et que l'acompte versé restera acquis à la liquidation judiciaire, dans le cas ou la dite cession ne serait pas régularisée dans le délai imparti par le seul fait de l'acquéreur ;
Vu la déclaration du 24 septembre 2010 par laquelle la société LA PORTE DE MONTMARTRE, propriétaire des locaux dans lesquels le fonds est exploité, a interjeté appel de cette ordonnance ;
Vu les conclusions signifiées le 14 décembre 2010 par la société LA PORTE DE MONTMARTRE qui demande à la cour :
- à titre principal, d'annuler l'ordonnance déférée,
-subsidiairement de l'infirmer et, statuant à nouveau, de débouter Maître DANGUY, ès qualités, de sa demande d'autorisation de procéder à la vente du fonds de commerce au profit de Monsieur K.,
- à titre reconventionnel, de constater que la SARL PPP était redevable au jour de l'ordonnance d'une somme de 37.720,12 € au titre de loyers impayés pour la période du 5 mars au 30 septembre 2010,
- de constater que la résiliation du bail est intervenue le 5 mars 2010, à défaut de prononcer la résiliation judiciaire du bail pour défaut de paiement, dans le délai de trois mois, des loyers et charges afférents à une occupation postérieure au jugement de liquidation judiciaire, et de fixer la date de cette résiliation au 5 mars 2010,
- de constater que les arriérés de loyer devront être payés par privilège avant toutes les autres créances,
- de débouter Maître DANGUY, ès qualités, et Monsieur K. de l'ensemble de leurs demandes,
- de constater la résolution de l'acte de cession du 19 novembre 2010,
- d'ordonner la restitution des locaux dans l'état dans lequel ils ont été reçus par Monsieur K.,
- de condamner Maître DANGUY, ès qualités, à lui payer la somme de 3.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Vu les conclusions signifiées le 14 décembre 2010, par Maître DANGUY, ès qualités, qui demande à la cour de déclarer l'appel de la société LA PORTE DE MONTMARTRE irrecevable, subsidiairement de le dire mal fondé, et de condamner l'appelante à lui verser la somme de 15.000 € à titre de dommages-intérêts, la somme de 10.000 € à titre de dommages et intérêts pour appel abusif et la somme de 6.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Vu les conclusions signifiées le 8 décembre 2010 par Monsieur K. qui demande à la cour :
- de déclarer l'appel irrecevable,
- subsidiairement, de confirmer l'ordonnance entreprise,
- à titre reconventionnel, et, au cas où l'appel serait jugé recevable, de condamner la société LA PORTE DE MONTMARTRE à lui payer la somme de 17.563,23 € à titre de dommages et intérêts, avec intérêts,
- en cas d'infirmation de l'ordonnance :
- de condamner la société LA PORTE DE MONTMARTRE à lui payer les sommes de 17.563,23 € au titre des loyers perçus, 22.518,07 € de l'arriéré de loyers, 7.500 € au titre du dépôt de garantie, 2.500 € au titre du réajustement du dépôt de garantie, 1.981 € au titre des droits d'enregistrement, 5.000 € au titre des frais engagés pour l'établissement de la cession, avec intérêts à compter du paiement ou, à défaut, des présentes conclusions,
- de constater la résolution de la vente, de dire que les parties devront être remises dans l'état où elles se trouvaient avant la vente et donc ordonner la restitution des sommes versées par Monsieur K. à la liquidation, soit la somme de 66.531,93 €,
- d'ordonner la restitution par Maître Marie DANGUY, ès qualités, de cette somme de 66 531,93 €, avec intérêts à compter du paiement,
- en tout état de cause, de condamner la SAS LA PORTE DE MONTMARTRE à lui payer la somme de 10.000 € à titre de dommages et intérêts pour appel et résistance abusifs et la somme de 5.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Monsieur Cédric A., gérant de la société PPP, et la banque HSBC assignés respectivement le 6 décembre et le 9 décembre 2010, selon les modalités prévues à l'article 658 du code de procédure civile, n'ont pas constitué avoué.
SUR CE
Par acte du 30 janvier 2009, la SAS LA PORTE DE MONTMARTRE a donné à bail à la SARL PPP des locaux à usage professionnel pour exercer une activité de restauration, pour une durée de 9 années moyennant un loyer de 30.000 € pour la première année et 40.000 € pour les années suivantes.
Le projet de cession du fonds de commerce a été notifié par Maître DANGUY, ès qualités, au bailleur, par lettre recommandée avec accusé de réception du 3 août 2010. La société bailleresse a fait savoir devant le juge-commissaire qu'elle s'opposait à la dite cession. Elle a sollicité, à titre reconventionnel, le constat, ou à défaut, le prononcé de la résiliation du contrat de bail et a fait savoir, à titre subsidiaire, qu'elle entendait exercer son droit de préférence.
Le juge-commissaire a constaté que la demande reconventionnelle de la société LA PORTE DE MONTMARTRE était irrecevable. Il a dit qu elle ne pouvait prétendre se réserver l’exercice d’un droit de préférence dont les modalités concrètes et les engagements financiers en résultant n'ont aucunement été précisés lors de l'audience faisant naître une insécurité pour la liquidation judiciaire, ...qu'un tel droit ne peut être réservé, indéterminé ou inconditionnel et ainsi paralyser les opérations de liquidation judiciaire de la société PPP sans risque de préjudicier les intérêts en présence.
Sur la recevabilité de l'appel de la société LA PORTE DE MONTMARTRE
Maître DANGUY, ès qualités, et Monsieur K. font valoir qu'il résulte de l'article R642-37-3 du code de commerce, dans sa rédaction issue du décret du 12 février 2009, que les ordonnances du juge-commissaire autorisant une cession de gré à gré dans les conditions fixées par l'article L642-19 du code de commerce ne sont susceptibles d'appel que de la part du débiteur, et qu'en tout état de cause, le bailleur n'a pas la qualité de partie au sens des articles 4 et 31 du code de procédure civile.
La société appelante réplique que la loi ne prévoit pas une telle restriction, qu'elle a été appelée à faire valoir ses observations devant le juge-commissaire et que la décision lui a été notifiée, de sorte qu'elle a la qualité de partie et que son appel est en conséquence recevable.
L'article L642-19-1 du code de commerce, dans sa rédaction résultant de l'ordonnance du 18 décembre 2008, prévoit que les conditions et formes du recours contre les décisions du juge-commissaire prises en application des articles L642-18 et L642-19 du code de commerce sont fixées par décret en conseil d'état.
Le décret du 12 février 2009 (article R642-37-3 du code de commerce) précise que le recours contre ces décisions est formé devant la cour d'appel. S'il impose de notifier au débiteur, et seulement à lui, les ordonnances rendues en application de l'article L642-19 du code de commerce, aucune disposition ne réserve à celui-ci l'exercice de la voie d'appel.
Pour que l'appel soit recevable, il est nécessaire cependant que la société bailleresse ait la qualité de partie et formule des prétentions au sens des articles 4 et 31 du code de procédure civile.
En l'espèce, le fait non contester que la société LA PORTE DE MONTMARTRE ait été appelée par les premiers juges à faire valoir ses observations, et qu'elle ait, à cette occasion, manifesté son opposition à la cession ne suffit pas à lui conférer la qualité de partie.
La cour observe que l'appelante ne sollicite plus devant la cour l'autorisation d'exercer son droit de préférence mais se borne, à titre principal, à s'opposer à la cession autorisée par le juge-commissaire au profit de Monsieur K.. Elle formule, à titre subsidiaire, des demandes relatives à la résiliation du bail et au paiement des loyers impayés dont il est constant qu'elles ne sont pas de la compétence du juge-commissaire.
Il se déduit de ce qui précède que la SAS LA PORTE DE MONTMARTRE, qui n'a pas de prétention à soutenir au sens des articles 4 et 31 du code de procédure civile, n'est pas recevable à interjeter appel de la décision du juge-commissaire qui autorise Maître DANGUY, ès qualités, à céder le fonds de commerce de la société PPP à Monsieur K..
Sur la demande reconventionnelle de Monsieur K.
Il n'y a pas lieu, en conséquence, d'examiner la demande reconventionnelle de Monsieur K. qui n'est formulée que pour le cas où l'appel de la société LA PORTE DE MONTMARTRE serait jugé recevable.
Sur les demandes de dommages et intérêt pour appel abusif de Maître DANGUY, ès qualités, et de Monsieur K.
Monsieur K. et Maître DANGUY, ès qualités, qui font valoir que la procédure d'appel de la société LA PORTE DE MONTMARTRE est abusive et leur a causé un préjudice, ne démontrent pas l'existence d'une faute susceptible de faire dégénérer en abus le droit d'agir en justice.
La demande de dommages et intérêts formée par Maître DANGUY, ès qualités, au motif que ce recours a retardé la régularisation de l'acte de cession et les opérations de distribution du prix, n'est pas davantage fondée dès lors que l'abus de droit n'est pas démontré.
Il s'ensuit que leurs demandes de dommages et intérêts doivent être rejetées.
Sur les demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile
Compte tenu de la solution donnée au litige, la société LA PORTE DE MONTMARTRE n'est pas fondée en sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile. L'équité commande en revanche de la condamner à payer à Maître DANGUY, ès qualités et à Monsieur K. la somme de 4.000 € chacun, sur ce fondement.
PAR CES MOTIFS
Déclare l'appel de la société LA PORTE DE MONTMARTRE irrecevable,
Condamne la société LA PORTE DE MONTMARTRE à payer à Maître DANGUY, ès qualités, et à Monsieur K. la somme de 4.000 € chacun, sur ce fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Rejette toute autre demande des parties,
Condamne la SAS LA PORTE DE MONTMARTRE aux dépens qui pourront être recouvrés selon les modalités prévues par l'article 699 du code de procédure civile.