CA Paris, 15e ch. B, 5 juillet 1990, n° 90/5432
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Office Général d'Assurance (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Gourlet
Conseillers :
Mme Favre, Mem Jaubert
Avoués :
Me Maumont, SCP Fanet
Avocats :
Me Guibert, Me Bardeche
Faits, procédure et prétentions des parties :
Un ordre de mouvement de valeurs mobilières non admises en SICOVAM daté du 4 octobre 1988 porte, avec la signature d'Y, le transfert par celle-ci à X d'une action nominative de la société OFFICE GENERAL D'ASSURANCES (ci-après O.G.A.) ; le transfert a été inscrit à la même date sur le registre des mouvements de titres de la société.
Mademoiselle Y qui dénie avoir cédé cette action à son père a recherché en justice l'annulation de l'ordre de mouvement, en raison notamment de l'absence des mentions prévues à l'article 1326 du code civil et du défaut de prix.
Par jugement du 5 janvier 1990, le tribunal de grande instance de Paris (5ème chambre, 2ème section) a estimé que les dispositions de l'article 1326 du code civil n'étaient pas impératives en la matière, les actions nominatives ne constituant ni une somme d'argent ni un bien fongible et s'agissant surtout de la seule action dont la demanderesse était titulaire, mais a retenu que la cession était nulle pour défaut de prix.
Il a en conséquence annulé la cession et ordonné la transcription de l'annulation sur le registre des mouvements de la société O.G.A. ; il a condamné in solidum X et la société à payer à Mademoiselle Y 3.000 francs à titre de dommages-intérêts et 4.000 francs sur le fondement de l'article 700 du NCPC ; l'exécution provisoire a été ordonnée.
X et la société O.G.A. ont relevé de cette décision un appel autorisé à jour fixe ; ils font valoir au soutien de leur recours :
- que, si les premiers juges ont justement reconnu que les formalités prévues en matière de transferts d'actions non admises en SICOVAM avaient été remplies, ils ont à tort ajouté aux dispositions légales et réglementaires en estimant nécessaire la production d'un reçu établissant le montant des fonds payés pour l'ordre de mouvement,
- que cette exigence d'avoir à justifier du prix d'acquisition est exorbitante du droit commun alors que le transfert de propriété était présumé acquis à X en sa double qualité de bénéficiaire de l'ordre de mouvement et de possesseur au titre de l'article 2279 du code civil,
- que cette présomption irréfragable le dispense d'avoir à justifier qu'il a payé le prix,
- qu'il s'est au demeurant trouvé dans l'impossibilité d'exiger de sa fille, avec qui il n'était pas en conflit, un reçu de l'opération et que le fait qu'elle ait cru ou non devoir prendre partie dans le procès de divorce l'opposant à son épouse ne constituait pas en soi une exigence d'obtention d'un reçu,
- qu'il a d'ailleurs fait donation à sa fille et à son fils de la nue-propriété de son appartement parisien et ne perçoit aucun loyer en tant qu'usufruitier.
Les appelants prient la Cour d'infirmer le jugement entrepris, de débouter l'intimée de l'ensemble de ses demandes et de la condamner à payer :
- 10.000 francs de dommages-intérêts pour sanctionner une procédure abusive et réparer le grave préjudice subi par X à la suite de la lettre injurieuse qu'elle a envoyée au directeur du G.A.N., étant observé qu'il est directeur général et actionnaire majoritaire de l'O.G.A. dont le G.A.N. est également actionnaire et que la lettre était destinée à le déstabiliser, l'intention de nuire étant évidente,
- 10.000 francs tant à X qu'à l'O.G.A. sur le fondement de l'article 700 du NCPC.
Y dénie avoir signé un quelconque ordre de mouvement et avoir eu connaissance de l'ordre litigieux ; elle reprend devant la Cour ses deux moyens principaux présentés en première instance :
a) l'ordre de mouvement est nul comme ne comportant pas les mentions exigées par l'article 1326 du code civil : aucune mention de sa main n'y figure si ce n'est sa signature (contestée) alors que, préalable à toute inscription de mouvement de titre sur le registre de la société, il doit obéir aux règles du droit commun concernant le consentement et qu'au verso de l'imprimé est indiqué que la signature du donneur d'ordre doit être précédée de la mention manuscrite "bon pour..." suivie du mouvement et du nombre de titres ;
b) la cession est nulle pour défaut de prix : aucun élément n'est produit permettant de déterminer le prix bien qu'en raison de l'importance de la valeur de l'action (entre 10.000 et 20.000 francs) une trace écrite du paiement était indispensable ; son père ne saurait expliquer cette absence par des relations familiales que l'instance en divorce (dans laquelle elle avait pris le partie de sa mère) rendait extrêmement tendues, ou par la mise à disposition d'un appartement qui n'a rien à voir avec les faits de la cause ou par une intention libérale qui ne peut être présumée en raison du contexte.
Elle ajoute que la présomption de l'article 2279 du code civil ne s'applique pas à l'inscription au registre des titres et exige une possession paisible et exempte de mauvaise foi qui n'existe pas en l'espèce.
Elle reproche enfin à X de lui avoir interdit, devant l'ensemble des actionnaires, de se présenter à l'assemblée générale du 18 mai 1989 et de participer au vote, et estime que cette attitude vexatoire doit être sanctionnée.
Elle sollicite, avec la confirmation du jugement entrepris, la condamnation de X à lui payer 10.000 francs de dommages-intérêts ainsi que, "conjointement et solidairement" avec la société O.G.A., 10.000 francs en vertu de l'article 700 du NCPC.
Les appelants ont répliqué :
- qu'il a été parfaitement répondu dans le jugement dont l'intimée poursuit la confirmation à son argumentation fondée sur l'article 1326 du code civil,
- que la valeur nominale de l'action O.G.A. est de 250 francs et que l'intimée témoigne de sa mauvaise foi en indiquant que son prix réel se situe entre 10.000 et 20.000 francs, faisant ainsi preuve d'une connaissance parfaite des prix de cession possibles alors qu'elle prétend n'avoir rien perçu, ce qui conforte l'argument qu'elle s'abstient volontairement de révéler le prix,
- que l'article 2279 du code civil concerne aussi bien l'action nominative que l'ordre de mouvement ; que celui-ci était en possession de X qui l'a déposé en original au greffe du tribunal, ce qui rend parfaitement fantaisiste l'allégation contenue dans la lettre au G.A.N. selon laquelle il aurait envisagé de faire disparaître cet original,
- qu'un expert en écriture a constaté l'authenticité de la signature et n'est contredit que par des rapports tardifs et sans valeur,
- que, ni le vol ni l'extorsion de signature n'étant invoqués, l'ordre de mouvement est la preuve déterminante de la cession intervenue, qu'il est régulier en la forme et qu'il fait foi jusqu'à preuve contraire non rapportée.
Il est renvoyé aux écritures des parties pour un exposé plus complet de leurs moyens et arguments.
Cela exposé, la Cour,
Considérant, aucune libéralité n'étant invoquée, que la cession d'une valeur mobilière est une vente qui ne peut se former que si l'accord des parties se rencontre sur l'identité et le nombre des actions et sur le prix,
Qu'en l'espèce, non seulement aucun prix n'a été déterminé ou stipulé déterminable, mais l'existence même d'un prix, déniée par le prétendu vendeur, n'est pas alléguée par l'acheteur qui ne fait état d'aucune contrepartie répondant à la livraison de la chose ;
Que, dès lors, la vente ne s'est pas valablement formée et est frappée d'une nullité absolue qui atteint également l'ordre de mouvement subséquent ;
Que l'absence de prix rend inopérante la tentative par X d'établir la réalité de la cession en se fondant soit sur la possession (étant d'ailleurs observé que l'article 2279 du code civil ne s'applique pas aux valeurs mobilières dématérialisées dont la transmission obéit à un régime particulier), soit sur la présomption simple résultant de la signature d'un ordre de mouvement par Y, éventuellement confortée par l'impossibilité morale pour lui d'obtenir un écrit, puisque dans l'hypothèse où il pourrait être retenu que celle-ci n'apporte pas la preuve du caractère fictif de la vente, il s'agit en tout état de cause d'une vente nulle ;
Considérant que X a commis une faute en s'opposant à la participation de sa fille à l'assemblée générale des actionnaires de la société O.G.A. en arguant d'une cession dont il ne pouvait ignorer l'inexistence,
Qu'il en est résulté pour Y un préjudice tant matériel que moral que la Cour fixe, au vu des éléments dont elle dispose, à la somme de 5.000 francs ;
Qu'aucune demande n'étant formée de ce chef contre la société O.G.A., le jugement entrepris sera réformé en ce qu'il a condamné cette société "in solidum" avec X à verser des dommages-intérêts ;
Considérant que X demande réparation du dommage que lui aurait occasionné la lettre de sa fille adressée au représentant de l'actionnaire minoritaire le G.A.N. ; que, si cette lettre reflète l'état d'irritation de l'expéditrice, cette humeur qui a été provoquée par le comportement fautif de X ne s'est pas manifestée en des termes outranciers ou calomnieux susceptibles d'être, dans les circonstances de la cause, retenus comme fautifs ;
Considérant que l'action nominative litigieuse est un titre matérialisé par une inscription sur le compte tenu par la société émettrice O.G.A.,
Que la transmission de cette valeur mobilière non admise en SICOVAM s'effectue, au vu de l'instruction que lui donne le cédant, par la société émettrice qui tient le registre des mouvements de titres (article 94. II de la loi de finances pour 1982 du 30 décembre 1981 et décret nº 83-358 du 2 mai 1983),
Que le régime des inscriptions ne fait l'objet d'aucune autre disposition que d'un "cahier des charges des émetteurs teneurs de comptes de valeurs mobilières non admise en SICOVAM" établi par le ministère des finances, qui propose notamment un modèle d'ordre de mouvement,
Que l'imprimé qu'utilise la société O.G.A. à cet effet indique au verso : "la signature du donneur d'ordre doit être précédée de la mention manuscrite "Bon pour..." suivie du mouvement et du nombre de titres" ;
Que la société O.G.A. a ainsi adopté dans ses rapports avec les associés donneurs d'ordre l'exigence que formule l'article 1326 du code civil qui n'a pas ici été respectée, l'ordre de mouvement ne comportant comme mention manuscrite émanant du donneur d'ordre que la signature "Y" ; que, n'ayant pas respecté les formalités qu'elle s'imposait tant pour sa sécurité que pour celle des acheteurs et vendeurs, elle est mal fondée à demander réparation d'un préjudice né d'une contestation générée par sa négligence et sera déboutée de ses demandes ;
Considérant qu'il répond à l'équité de décharger l'intimée d'une partie de ses frais non taxables ; que la décision prise sur ce point par les premiers juges sera confirmée, une somme complémentaire de 3.000 francs lui étant allouée au titre de la procédure d'appel ; qu'en revanche X ne sera pas accueilli en sa demande formée au même titre, non plus que la société O.G.A. ;
PAR CES MOTIFS :
Dit que la cession par Y à X d'une action nominative de la société OFFICE GENERAL D'ASSURANCES ne s'est pas valablement formée,
Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a annulé cette cession, ordonné la transcription de sa décision sur le registre des mouvements de la société, condamné X et la société O.G.A. à payer à Y 4.000 francs au titre de l'article 700 du NCPC et mis les dépens à leur charge,
Réformant pour le surplus et ajoutant :
Condamne X à payer à Y la somme de 5.000 francs à titre de dommages-intérêts,
Le condamne avec la société O.G.A. à lui payer 3.000 francs au titre des frais non répétibles qu'elle a exposés en cause d'appel ;
Déboute les parties de leurs autres demandes ;
Met les dépens de l'instance d'appel à la charge des appelants et admet la SCP d'avoués J. et J.J. FANET au bénéfice des dispositions de l'article 699 du NCPC.